A

grippine poussa un profond soupir de contentement tout en se vautrant la tête la première dans son lit. Elle était exténuée. Il faut dire qu'elle était debout depuis presque quarante-huit heures et avait au mieux fait une microsieste durant ce temps. Pas sa faute, les événements s'étaient enchaînés très rapidement. Elle avait subi rendez-vous sur rendez-vous sur rendez-vous. C'était bien, son porte-feuille l'en remerciait, mais elle n'avait pas spécialement eu le temps de respirer. C'était définitif, elle s'était clairement fait une réputation dans le milieu.

Jamais elle ne s'était imaginée qu'on la solliciterait autant, mais elle savait qu'il serait de mauvais ton de s'en plaindre. Après tout, elle avait beau mener une vie dissolue, elle la vivait bien, et pleinement. Bref, entre deux rudes journées/soirées (ses clients étaient rarement du genre à venir la voir quand il faisait jour et tant mieux), elle avait estimé qu'elle méritait bien une récompense et avait dépensé mornille sur mornille dans un bar absolument miteux, le tout pour finir dans le lit d'un mec insatiable... bref, définitivement pas le temps de dormir.

Très, très mauvais plan pour elle... Elle n'avait pas besoin de faire des nuits blanches pour se sentir fatiguée ces derniers temps. Elle se sentait constamment crevée. Et nauséeuses, et elle avait cru une ou deux fois qu'elle allait tomber dans les vappes. Son corps avait tendance à faire des siennes, ces derniers temps. Elle avait bien envisagé de voir un toubib pour calmer ça une bonne fois pour toutes (elle s'automédicamentait, mais ça n'avait pas l'air de faire des merveilles, pour le coup), mais elle avait eu la flemme. Finalement, le meilleur des remèdes, c'était le repos. Elle allait poser un lapin à tous ses clients du lendemain, tant pis. Et dormir, dormir, dormir... une semaine entière s'il le fallait. Ouais, c'était un très bon plan, ça.

Mais le destin, facétieux pour pas changer, avait décidé de choisir son meilleur moment pour la rappeler à l'ordre, et on frappa à la porte. Elle songea à ne pas répondre, mais elle avait toujours été beaucoup trop curieuse, à vrai dire. Définitivement trop curieuse. Alors elle alla ouvrir, et se retrouva nez à nez avec un type qui lui disait vaguement quelque chose mais auquel elle n'avait pourtant jamais eu affaire. Et qui ne semblait définitivement pas dans son élément.

-Fitz ? Comme l'écrivain ? Ben putain..., répondit Agrippine avec toute l'élégance qui la caractérisait. Qu'est-ce que Henry Fitz venait foutre sur son palier, ça c'était le vrai mystère. Trop dans les vapes, Agrippine était encore bien incapable de faire le lien avec Pomona. Mais ça viendrait. Ben entrez, écoutez, dit-elle en s'écartant pour qu'il pénètre l'appartement. Elle ne prit même pas la peine de s'excuser pour le désordre, même si le bordel était clairement là. Flemme astronomique d'être une hôtesse digne de ce nom. Qu'est-ce que je peux faire pour vous ? J'vous sers un truc à boire ?

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A

grippine haussa les épaules en entendant son illustre interlocuteur refuser le verre qu'elle lui proposait. Peut-être qu'il n'avait pas soif, peut-être qu'il craignait qu'elle lui fasse boire une quelconque mixture peu recommandable - vu son appartement et son quartier, elle se voyait mal l'en blâmer -, dans tous les cas, ce n'étaient pas ses affaires, et elle n'avait aucune intention d'insister. Elle ne se priva pas pour autant, de son côté, de se servir un généreux verre de whisky pur-feu, bien tassé comme elle les aimait. Elle prit place dans un des fauteuils miteux de son salon, invitant d'un geste l'écrivain à faire de même.

Le pauvre ne devait pas être habitué à tant de décrépitude, et s'était sans doute attendu à autre chose en entrant chez la fille de la ministre de la Magie en personne, même en la retrouvant au beau milieu de l'allée des embrumes, mais ça, c'était pas son problème, une fois de plus. Il semblait malgré tout détendu, il avait un sourire au coin des lèvres, alors elle ne se voyait pas se confondre en excuses. Dans tous les cas, Agrippine ne s'excusait presque jamais, ce n'était pas son genre.

Avant de porter le verre à ses lèvres, elle avait l'intention de l'interroger sur les raisons de sa visite, mais l'écrivain ne lui en laissa pas le temps, et en vint directement au vif du sujet. Tant mieux, Agrippine n'avait jamais été franchement fan de ceux qui avaient un peu trop tendance à tourner autour du pot. Il lui tendit une fiole. La jeune femme ne comprit pas immédiatement de quoi il était question, mais la vérité devait lui apparaître très rapidement. Elle avait vendu des potions du genre à un paquet de monde... mais une en particulier avait eu tendance à en abuser grâce à ses bons soins.

Et cette personne, Henry la connaissait forcément très bien, puisqu'ils portaient le même nom. Elle ne faisait le lien que maintenant. Pomona était la nièce de Henry. Est-ce qu'il savait ? Est-ce qu'il savait que la jeune femme était encore en vie ? En tout cas, la rouquine avait bien conscience que dans les prochains tems de leur conversation, elle allait marcher sur des oeufs. Et ça ne la dérangeait pas. Pas complètement, du moins. Parce qu'elle sentait que ce qu'elle pourrait en retirer serait autrement plus intéressant.

-Vous savez déjà pertinemment ce que c'est, je me trompe ? Qu'est-ce que vous pourriez avoir besoin de savoir de plus ?

Ils se cuisineraient à tour de rôle, elle estimait que c'était un bon plan, en tout cas.

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grippine avait beau connaître de Pomona Fitz un secret que beaucoup d'autres ignoraient (et pas n'importe quoi, comme secret... c'était une vraie bombe à retardement, de laquelle elle n'avait pourtant jamais voulu se servir - elle ne trouverait cela ni intéressant, ni loyal... Pas que la loyauté l'étouffait toujours, mais en l'occurrence, elle ne voyait pas ce que cela lui apporterait de dénoncer la jeune femme), elle ne pouvait pas affirmer qu'elle savait grand-chose de cette jeune femme. Elle savait qu'elle avait été Auror, accusé du meurtre de la personne qui avait précédé sa mère au poste de ministre, elle savait qu'il s'était passé quelque chose entre Seth et lui, mais ça s'arrêtait là... Bon, d'accord, c'était déjà pas mal, mais disons que les détails, elle ne les avait pas.

Par exemple, elle ne savait pas que Pomona avait fui le domicile de ses parents pour échapper à un mariage dont elle ne voulait pas. Elle ne savait pas que la jeune femme s'était réfugiée chez son oncle, et elle ne savait pas non plus la nature de la relation entre Henry Fitz et sa nièce... mais de toute évidence, ils l'étaient suffisamment pour que son interlocuteur retrouve une de ces fioles chez lui.

Que cherchait-il à faire ? Peut-être à innocenter sa nièce, à rebours ? Ou à minimiser sa peine (mais c'était techniquement un peu tard, si on continuait de croire qu'elle avait reçu le baiser du détraqueur) en plaidant le fait qu'elle n'avait pas été complètement elle-même, qu'elle était sous emprise ? Agrippine n'en savait trop rien, mais ce qu'elle savait en revanche, c'est que toute cette situation l'amusait follement, et elle était tout à fait ravie que cette situation lui permette d'y prendre part. Comme quoi, il fallait bien souvent laisser faire le hasard et admettre que le mdonde était petit. Quand on faisait ça, on était rarement déçu, bien au contraire.

-Si vous voulez savoir qui a vendu cette fiole en particulier, alors vous l'avez en face de vous, lui apprit-elle, le regard pétillant.

Pour le coup, et même si ce serait un peu culotté que d'affirmer qu'Henry Fitz était un homme chanceux, au vu de ce qui lui était arrivé (encore qu'il y avait pire qu'une vie d'auteur à succès, pas vrai ?), on pouvait dire qu'il était bien tombé. Elle ne savait pas au nom de quoi il avait frappé à sa porte en premier (à moins qu'elle ne soit pas la première, exactement ?).

-Je suppose que vous savez déjà à qui.

Le nom n'avait pas encore été mis sur le tapis, mais c'était évident. Ici, il était question de Pomona Fitz, et Agrippine se demandait si elle faisait face à un nouveau chapitre croustillant de cette histoire dont elle n'était qu'un personnage secondaire, pour ne pas dire tertiaire.

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A

grippine afficha un fin sourire en entendant la réponse de son interlocuteur. Il avait le mérite d'être franc et direct, et ça lui plaisait sacrément. Cette conversation ne porterait peut-être pas beaucoup de fruits, ou pas autant que l'espérait son interlocuteur, mais elle aurait le mérite de diablement la divertir, et ça, ça valait tous les gallions qu'elle aurait peut-être pu empocher en accordant son temps et son attention à un vrai client plutôt qu'à cet homme qui attendait d'elle un Graal qu'il ne pourrait qu'effleurer mais certainement pas atteindre grâce à elle.

Oui, en effet, Agrippine savait que Pomona Fitz était toujours en vie, elle était de ces rares personnes à en avoir le privilège. Cette situation l'avait intriguée, amusée, et elle avait des fois songé à ce que cela pourrait lui apporter si elle répéter l'information aux Aurors du ministère. Mais au bout du compte, elle avait gardé lèvres closes. Elle ne savait pas trop pourquoi, peut-être parce que Pomona lui était sympathique malgré ou à cause de ses airs inaccessibles et parfaitement revêches. Ou encore parce que Seth, allez savoir comment ou pourquoi, était fou de cette fille, comme il n'avait pu s'empêcher de le lui confier au coeur d'une conversation manifestement sans rapport.

Donc, Henry Fitz savait que sa nièce était toujours en vie. Depuis combien de temps exactement ? Est-ce que cette fiole lui avait mis la puce à l'oreille ? Ou l'article dans la Gazette ? Ou bien il était question d'autre chose ? Est-ce qu'il était au courant depuis le début ? Est-ce qu'il avait participé à son évasion spectaculaire. Toutes ses questions se bousculaient dans son esprit et elle brûlait d'en apprendre davantage. Et en même temps, elle se doutait que quand l'espoir de son interlocuteur allait retomber comme un soufflet, elle n'allait plus rien obtenir du tout de sa part.

-Oui... et non. Désolée, je peux pas vous conduire à elle, je sais pas où elle est. Elle marqua une légère pause. Mais si jamais elle devait décider de me rendre une petite visite prochainement, je pourrais peut-être vous rencarder. Par contre, ce sera pas gratuit.

Elle ne savait pas trop si elle avait envie de vendre Pomona à cet homme. En même temps, elle ne pensait pas que Henry Fitz nuirait à la jeune femme. Il était vraiment un oncle qui se souciait de sa nièce, et qui avait peur de ce qui allait lui arriver à présent. Elle aviserait en temps voulu. Comme bien souvent, elle ne décidait jamais rien en avance. Tout dépendrait. Déjà, il faudrait que Pomona revienne la voir, ce qui n'avait rien de certain. Ensuite, ça dépendrait forcément du prix que son interlocuteur voudrait bien y mettre.

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"T

on prix sera le mien." Oh, douce mélodie à son oreille. C'était le genre de phrase qu'elle adorait et qu'elle ne se lasserait vraiment jamais d'entendre. C'était une phrase-piège, donc, car on pouvait redouter de demander moins que ce que l'autre était prêt à vous offrir, mais Agrippine était gourmande, alors elle ne se faisait pas d'inquiétude à ce sujet. Surtout qu'elle devinait que retrouver sa nièce, ça ne devait pas avoir de prix pour Henry Fitz. Pas que l'argent soit si important pour Agrippine. Sitôt reçu, sitôt dépensé, c'était sa devise. Mais elle aimait se faire plaisir, et c'était toujours bien plus simple, évidemment, quand on avait des gallions plein les poches. Elle aimait surtout qu'autrui puisse dépendre de vous à un point si inestimable. Et c'était ce que Henry Fitz lui faisait comprendre. Elle avait en face de lui un homme peut-être désespéré, qui en tout cas la considérait comme un ultime espoir. Et elle comptait bien en user et abuser sans l'ombre de la moindre hésitation, et sans le moindre scrupule, cela va sans dire.

Bien sûr, il y mettait des conditions, des conditions tout à fait compréhensibles et qui, en réalité, n'étaient pas tant nécessaires que cela en fin de compte, car contrairement à ce qu'elle laissait peut-être penser en cet instant, Agrippine n'aurait pas trahi Pomona si facilement, sans quoi elle l'aurait vendue au ministère depuis un bail. Mais elle l'aimait bien, Pomona. Si elle acceptait si facilement de rencarder son interlocuteur, c'est qu'elle était convaincue de l'affection que ce dernier avait pour elle, et de son envie sincère de la revoir et de l'aider, de la protéger.

-Je te ferais remarquer que ça fait plus d'un an que tout le monde pense que Pomona est morte, si j'avais dû la balancer à qui que ce soit, ce serait fait depuis longtemps, tu crois pas ? A son tour, elle passait au tutoiement. Quand on en arrivait aux négociations, le vouvoiement devenait toujours superficiel. Elle afficha un sourire. T'as toutes les raisons du monde de te méfier de moi, et t'as aucune raison de me croire si je te dis que je l'aime bien, Pomona, et que j'ai pas envie qu'il lui arrive des noises... encore plus, je veux dire - et pas uniquement parce que je perdrais une bonne cliente. Mais en attendant, je pense pas me tromper en disant que t'as pas beaucoup d'autre option à part me faire confiance, pas vrai ? Elle croisa les bras. Si vraiment, mon prix est le tien, alors je te promets que tu ne regretteras pas de m'avoir fait confiance.

Sa parole ne valait pas grand-chose, elle le savait bien, mais au point où il en était, Agrippine se doutait que Henry Fitz n'était plus à un risque près.

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