Walby avait du temps à perdre, beaucoup de temps à perdre. Elle était pas encore habituée à ce nouveau rythme. Tant que le mois de septembre n'était pas arrivé, elle pouvait faire comme à son habitude, profiter de ses vacances d'été comme elle l'avait toujours fait. Mais maintenant, la rentrée avait officiellement repris. Et cette rentrée ne la concernait pas, si bien qu'elle se sentait un peu... sujette à l'ennui, on va dire. Ses parents trouvaient toujours l'un ou l'autre moyen de l'occuper, mais de manière générale, c'était quand même l'oisiveté qui avait tendance à primer.

C'était pas déplaisant, ceci dit. Elle était peinarde, elle réussissait à s'échapper régulièrement pour retrouver ses quelques amis et Orion, surtout. Et voilà, le temps passait comme ça. Situation temporaire jusqu'à ce que ses parents prennent la décision définitive de la caser, elle le savait. Orion et elle ne devaient plus trop tarder... L'avantage qu'elle avait eu, c'était que le mariage du frangin avait monopolisé l'attention, et ils ne voulaient sûrement pas que les deux noces soient trop rapprochées. Mais ça viendrait. Pour l'instant, Orion et elle n'avaient rien dits à leurs familles respectives (qui étaient un peu la même), mais ça finirait par venir.

Plus tard. Pour l'instant, Walby profitait surtout de son temps libre et avait choisi d'en profiter pour revoir Abraxas. C'est que ça faisait un moment qu'ils ne s'étaient pas vus, et ils auraient sûrement plein de choses à se dire. Dans le cas de Walby, en tout cas, il s'était passé un tas de choses. Abraxas était le seul à qui elle avait parlé de ses sentiments pour Orion, pour elle c'était normal qu'il soit aussi le premier informé de l'évolution de la situation. Et aussi, elle voulait prendre de ses nouvelles.

Elle lui avait proposé de le rejoindre aux Trois-Balais, c'était sûrement son lieu de rencontre préféré, et il y avait quelque chose de très satisfaisant dans le fait de s'y rendre alors qu'elle n'était plus scolarisée à Poudlard. Elle attendait l'arrivée de son ami en lisant tranquillement un livre. Pas forcément son truc, la lecture, mais parfois, ça occupait, et elle était arrivée un peu en avance.

« Désolé pour le retard, j’avais des choses à faire. Comment tu vas ma belle ? »

Abraxas avait de la chance que Walby soit d’excellente humeur, qu’elle se porte, même, mieux qu’elle ne l’avait jamais été depuis un bon moment, car ça la rendait plus indulgente à ces trois fois rien qui étaient capables de la faire vriller bêtement, avec son sale caractère, quand elle n’était pas dans son assiette. Comme Brax était un ami qu’elle considérait très proche, elle ne lui reprochait jamais grand-chose, mais c’est vrai quand même qu’elle n’aimait pas du tout qu’on soit en retard, surtout en retard pour l’avoir elle. Encore moins qu’on s’en excuse avec une certaine nonchalance, comme si les choses que son ami avait pu avoir à faire pouvaient être plus importante que leur rendez-vous. Mais bon, comme dit, elle allait bien, elle pétait la forme, même, alors elle se sentait capable de tout laisser passer à tout le monde, même à son pire ennemi, tiens.

Et elle avait l’impression que Brax pétait la forme aussi de son côté. Honnêtement, ça l’arrangeait, elle n’aurait pas aimé que le jeune homme tire la gueule et devoir l’écouter se plaindre alors qu’elle avait juste envie de se charger d’ondes positives en apprenant au jeune homme les derniers événements, qui tournaient quand même globalement autour de sa vie sentimentale, on ne se refait pas.

"Je me porte comme un charme", répondit-elle.

Avec elle, on n’était jamais à l’abri d’un sarcasme ou d’une remarque ironique, mais pour le coup, elle le disait en le pensant, elle allait bien, très bien, et elle comptait bien le montrer, même si elle décida de ne pas dire d’entrée de jeu pourquoi.

"Et toi ? ça a l’air d’aller aussi." Elle marqua une pause en le jaugeant du regard, comme pour s’assurer qu’elle ne se trompait pas en présumant de l’humeur de son ami. S’il n’allait pas bien, elle n’était pas complètement vache non plus, elle serait là pour lui, tout comme il avait si bien su être là pour elle de son côté. "J’espère au moins que les choses que tu avais à faire étaient importantes pour mériter de me faire attendre", ajouta-t-elle, surtout parce qu’elle était curieuse d’en savoir plus, même s’il n’y avait peut-être pas tellement de choses à dire en fait. "Ou bien qu'elle était particulièrement mignonne."

Il n’aurait une bonne excuse que si les motifs de son retard pouvaient être propices aux ragots, c’est tout.

« Je vais bien en effet. Et je suis désolé de te décevoir, mais je n’étais pas en charmante compagnie, ou du moins, pas aussi charmante que la tienne. »

Walburga afficha un léger sourire, un peu déçue quand même, c'est vrai, parce qu'elle aurait bien aimé qu'Abraxas lui confie quelque information croustillante sur sa vie sentimentale dissolue (ou bien pas si dissolue que ça). Mais en même temps, il n'allait pas s'en inventer une pour lui faire plaisir non plus... Il s'en sortait quand même bien en lui offrant en compensation un petit compliment que Walby acceptait au vol. Walburga n'était pas la dernière à courir après les compliments, et elle avait appris de longue date à les apprécier à leur juste valeur, tout comme la critique la faisait bondir, les compliments la mettaient de bonne humeur et dans les meilleures dispositions possibles. C'était une chose qu'Abraxas savait forcément sur elle.

« J’avais des affaires à régler, des trucs d’adultes tu vois. »

Walburga grimaça, ça avait l'air ennuyant au possible. Elle ne savait pas exactement de quoi il parlait, mais elle s'imaginait sans mal des contraintes de type paperasse et autres factures, et ça l'ennuyait rien que d'y penser. Au moins, sur ce point, il avait gagné, elle ne comptait pas lui demander plus de détails, elle n'avait pas spécialement envie de mourir d'ennui dans l'instant.

« Même si maintenant que t’es plus à Poudlard, on peut te considérer comme une femme adulte. »

-Et comment, je suis même une adulte d'exception, répondit Walby avec un sourire fier.

Mais en vérité, elle était loin encore d'en être une ou de se considérer comme telle. Oui, elle était majeure et avait fini ses études à Poudlard, mais dans les faits, rien n'avait changé pour elle. La différence, c'est qu'elle ne retournerait plus à Poudlard, mais pour le reste, elle vivait toujours chez papa-maman, et ses habitudes restaient les mêmes. On n'attendait pas qu'elle assume plus de responsabilités que d'épouser un jeune homme riche et de sang pur, avant de pondre des marmots, et ça lui convenait très bien.

-Alors, tu veux savoir ce qui me met d'aussi bonne humeur ? demanda-t-elle, incapable de trop attendre avant de cracher le morceau.

« Hmm… laisse-moi deviner. Tu te tapes ton cousin c’est ça ? »

Walby afficha des yeux ronds. Elle s'était attendue à ce qu'Abraxas devine, ou en tout cas soit mis rapidement et facilement sur la piste, par contre, elle ne s'attendait pas à une formation aussi inélégante. Elle ne lui en voulait pas, parce qu'elle-même savait faire preuve d'un langage très imagé, et quand elle était en colère, elle était capable d'une violence et d'une vulgarité terribles... mais là, pour le coup, même elle trouvait qu'il allait un peu loin, et ça lui donnerait presque envie de remballer son enthousiasme. Presque. Mais non, parce qu'elle était beaucoup trop heureuse (et amoureuse) pour se laisser abattre pour si peu. Et au final, c'était bien, parfois aussi, d'appeler un chat un chat, et de ne pas tourner autour du pot... Même si ça rendait sa relation avec Orion un peu plus vulgaire... moins belle que ce qu'elle voulait. C'est vrai que ça commençait de façon particulière, mais quand même.

-Non, je ne me "tape pas" mon cousin, répliqua-t-elle alors.

Ce qui était la vérité. D'accord, Orion était techniquement son cousin. Pas germain, soit, mais ils tenaient une certaine place de proximité sur leur arbre généalogique (que la tâpisserie familiale leur rappelait bien, d'ailleurs), mais même dans ce cas-là... Non, elle ne se le tapait pas, parce que Orion et elle n'avaient jamais couché ensemble. Walby était peut-être un peu... sauvage dans certains de ses comportements, mais ça ne l'empêchait pas de rester une traditionnaliste invétérée. Oui, elle en avait très envie, mais non, jamais de la vie elle ne s'offrirait à Orion avant leur mariage. En espérant qu'il puisse avoir effectivement lieu et que personne ne leur mettrait des bâtons dans les roues. Mais ça, ça ne dépendait que d'elle et du silence qu'elle allait devoir lever.

-Mais oui, Orion et moi, on est ensemble.

Et elle espérait quand même qu'Abraxas s'en réjouirait un minimum. Il était la seule personne à qui elle ait parlé de ses sentiments pour Orion, qu'elle avait gardés pour elle autrement. Elle lui avait fait confiance, ce qui n'était pas donné à tout le monde, et elle voulait avoir eu raison de le faire.

« Félicitations. Comme quoi, tu ferais bien de toujours écouter mes conseils à l’avenir.  »

Walby afficha un sourire. Oublia la maladresse de tantôt, contente de constater que son ami avait l'air sincèrement heureux pour elle. Elle avait vraiment l'impression qu'il était honnêtement ravi de savoir que sa situation sentimentale s'améliorait. Elle faisait bien d'écouter ses conseils, en effet. Elle n'irait pas le lui dire directement, elle savait qu'Abraxas n'avait pas besoin de ça pour avoir l'orgueil largement enflé.

Mais c'est vrai que si elle ne lui en avait pas parlé, elle n'aurait sans doute pas eu le courage de prendre son courage à deux mains et de se déclarer à Orion. La situation s'était décantée, elle aimait penser qu'ils se seraient trouvés dans tous les cas, parce qu'ils étaient faits l'un pour l'autre, tous les deux. Mais en tout cas, elle préférait qu'ils se réjouissent de la situation plutôt que tout autre chose.

« J’espère que je suis le premier au courant, et j’espère que j’aurai une place d’invité d’honneur à votre mariage. »

Elle leva les yeux au ciel, mais en vérité, il présumait bien, et elle ne lui en voulait pas de parler mariage tout de suite. Parce qu'il en était question. La situation devait être totalement officialisée pour qu'on ne leur mette pas d'autres prétendants dans les pattes. Pour elle, ce n'était pas inquiétant ou prématuré. Elle était prête à se marier dès sa sortie de Poudlard ou presque, puisque c'était comme ça que ça devait se passer. Alors elle était capable d'en parler sans retenue, sans pudeur. Pour elle, se mettre avec Orion, c'était se marier avec lui, c'était tout naturel.

-Oui, personne est encore au courant. Orion doit voir mon père bientôt, ça me stresse un peu, je t'avoue. Même s'il a pas de raisons de nous dire non. Si tout se passe bien, je te réserverais une place au premier rang.

Il n'y avait pas le feu au lac. Entre l'officialisation et l'organisation de leur mariage, il y aurait un peu de temps. Il suffisait de voir le temps que Cygnus avait mis à se marier avec sa plante verte. Cela dit, Walby espérait quand même que eux, seraient moins longs. Quitte à mettre un pied dedans, autant le faire à fond.

« Ah oui, vous allez déjà franchir l’étape du mariage. Je pensais pas que vous iriez aussi vite, mais bon, vous gérez comme vous le souhaitez. »

Abraxas était surpris, et ça se comprenait, mais en même temps, selon Walburga, la surprise n'était pas si grande si l'on tenait compte de tous les tenants et aboutissants de l'histoire. Non, ils ne géraient pas comme ils le souhaitaient, et c'était justement parce qu'ils ne géraient pas comme ils le souhaitaient qu'ils avaient été obligés de prendre cette décision radicale qui en effet pouvait sembler assez suicidaire, elle le reconnaissait, car même si elle et Orion s'aimaient depuis toujours, ils étaient ensemble depuis peu de temps.

Si les circonstances avaient été autres, Walby se serait parfaitement contenté de sortir avec Orion et de se laisser le temps, mais ils avaient été obligés de le faire en un espace de temps limité, bref en ne se laissant que l'été pour vivre leur relation secrètement sans subir aucune pression familiale.

-Non, on ne gère pas comme on le souhaite, répliqua Walby qui n'avait pas non plus envie d'être considérée comme une tête de linotte.

Ce n'était pas par grand élan romantique qu'elle décidait de se marier avec Orion, il y avait toute une réflexion pragmatique derrière. D'accord, pour tout dire, ça ne la dérangeait pas ni ne lui faisait peur d'épouser Orion, et elle était sûre d'elle, mais ce mariage restait, au-delà de leurs sentiments, une concrétisation pratique.

-Tu penses bien que depuis que Hepburn s'est barrée quelques semaines à peine avant le mariage, les parents d'Orion ont cherché à corriger le tir rapidement. Soit on se positionnait, soit une autre fille me passait devant.

C'est malheureux, mais dans leur milieu, c'était comme ça que ça fonctionnait... et encore, Walby savait qu'elle avait de la chance de n'avoir été fiancée à personne, ce qui aurait pu clairement être le cas quand on savait à quel âge Cygnus avait été fiancé à Druella. Elle avait eu du répit. Ils n'avaient pas toute la vie, ils avaient un timing trop serré. Et même si les sentiments par malheur s'essoufflaient, elle préférait tout de même finir mariée à son meilleur ami qu'à un étranger.

« Ouais, je le reconnais. C’était plus prudent en effet d’annoncer les fiançailles tout de suite. »

Elle esquissa un sourire accompagnée d’un hochement de tête. Elle était soulagée qu’Abraxas comprenne son point de vue, ils étaient proches, elle s’était toujours confiée à lui, elle n’avait pas envie qu’il y ait de l’incompréhension entre eux. Elle était toujours attentive à ses conseils, bien sûr. Mais elle avait aussi envie qu’il comprenne et encourage ses choix quand elle estimait qu’ils étaient bons. Même s’ils paraissaient peut-être précipités par moments, même s’ils pouvaient donner l’air de ne pas avoir été suffisamment réfléchis, elle pouvait bien le reconnaître, il y avait de la réflexion derrière, bien sûr.

« Surtout qu’entre nous, tu vaux tellement mieux qu’Hepburn. »

Là-dessus, Walby ne pouvait qu’être d’accord. Avec beaucoup de mauvaise foi, bien sûr. Pour commencer, elle n’avait rien eu de particulier contre Lexie. Mais quand elle avait découvert que Lexie était fiancé à Orion, là, tout avait changé. Là, elle l’avait haïe, profondément. Et depuis, rien n’avait changé. Même si les cartes avaient été redistribuées, ça ne changeait rien du tout, la jeune femme restait particulièrement rancunière malgré tout. Et si elle devait la recroisait, leur échange ne serait sans doute pas franchement cordial, c’était même assez certain.

« Remarque, vous pouvez très bien vous fiancer, et ne pas vous marier dans l’immédiat. Enfin, vous faites comme vous préférez, j’espère juste qu’il sera à ta hauteur, sinon, ça va mal aller pour lui. »

"Il sera à ma hauteur", confirma Walby.

Elle en était convaincue. Ils n’étaient pas en couple depuis longtemps, d’accord, mais ils étaient les meilleurs amis du monde depuis beaucoup plus longtemps que ça. Vraiment plus longtemps. Et elle pensait tout savoir de lui. Orion ne pouvait pas la surprendre négativement. Et ils seraient heureux, elle était sûre de ça.

"On a pas l’intention de se marier maintenant tout de suite non plus, mais je sais pas trop combien de temps on nous laissera juste jouer les fiancés. Je pense que les parents d’Orion voudront pas trop qu’on leur fasse une Lexie bis, même si ça n’a aucune chance d’arriver. Et puis, je connais mon père… Ceci dit, Cygnus a eu un peu de répit avant d’épouser Druella, possible que ce soit la même pour moi. Bref, on n’a pas exactement les cartes en mains… mais ça me fait pas vraiment peur, pour tout te dire."

« Bon, si tout est clair dans ta tête, et que tu vis bien la situation, je suis content pour toi. »

Walby afficha un sourire. Elle ne pouvait pas être sûre qu’Abraxas le pensait à cent pour cent, mais elle avait quand même l’impression que c’était le cas, et ça lui faisait plaisir. En même temps, ce serait de bonne guerre. Elle, elle serait contente pour lui dans le cas inverse aussi. C’est vrai que dans leurs milieux, c’était pas forcément la folie quand on annonçait des fiançailles, c’était plus une formalité qu’autre chose. Walby ne voyait vraiment pas, par exemple, pourquoi elle aurait couvert Cygnus de compliments et de félicitations quand il avait été fiancé à Druella (en même temps, elle était trop petite pour vraiment s’en rappeler. Dans sa tête, son grand frère et celle qui était maintenant sa femme avaient toujours été fiancés, la question ne se posait même pas). Tout comme elle n’irait pas féliciter Alphard parce qu’on l’avait fiancé à Carrow. Mais elle, son cas était particulier.

Et donc oui, elle le vivait bien. C’était peut-être plus traître de se marier avec quelqu’un qu’on aimait, parce que quand on ne s’aime pas dès le départ, on n’a pas peur que le mariage émousse les sentiments. Mais là encore, pas de réelle inquiétude du côté de Walby, ils se connaissaient depuis toujours, elle ne pensait pas pouvoir avoir de mauvaise surprise en ce qui concernait Orion. Ce qui prouvait que son comportement n’était pas forcément si mature. Elle prenait ce qu’elle voulait, parce qu’elle était exigeante et parce qu’elle avait toujours fonctionné comme ça au final. Et elle ne demandait qu’à être soutenue par ses amis. Elle le souhaitait d’autant plus qu’elle ne se voyait pas faire marche arrière maintenant. D’accord Orion n’avait pas encore demandé officiellement sa main à son père, il pourrait être encore temps de paniquer et de rebrousser chemin, mais ce n’était pas prévu au programme. Quand quelque chose était aussi évident, pourquoi faire marche arrière ? Non, Walby, elle, dans ce cas-là, était plutôt du genre à se précipiter. Et à se jeter dans la gueule du loup, au passage.

-Merci, répondit Walby sans perdre son sourire, heureuse de trouver du soutien chez son ami. Mais en même temps, elle le lui aurait très sérieusement reproché s’il avait décidé de la dissuader. Quand elle avait quelque chose en tête, elle ne l’avait définitivement pas ailleurs. Bon, et toi alors ? Les amours ?

« Oh ils vont plutôt bien, si tu veux tout savoir. »

Oh ! Il y avait donc du nouveau dans la vie sentimentale d'Abraxas ! Et quelques potins à la clé ? Walburga était tentée de le croire. En tout cas, elle ne pouvait pas du tout croire qu'Abraxas se payait sa tête en cet instant. Il paraissait très honnêtement heureux, et même si le bonheur n'était pas toujours lié aux relations amoureuses, ça aidait quand même d'avoir une vie sentimentale douce et équilibrée. Après toutes les tuiles que Brax avait connu dans sa vie amoureuse, il méritait clairement de tomber sur une fille qui ne lui ferait pas de mal et avec qui il se sentirait épanoui, et donc, forcément, Walby était ravie pour son amie.

-Tu l'as dit, je veux tout savoir. Tu imagines bien que je veux plus d'infos que ça.

Elle voulait tout savoir, et pour elle, c'était la moindre des choses. De son côté, elle ne s'était jamais privée de lui parler de ce qu'elle pensait, après tout. Elle n'avait jamais mis de côté la moindre information, elle avait vidé son sac sur Orion. Et ça faisait du bien. Alors lui aussi pourrait avoir envie de vider son sac. S'il lui en parlait, s'il amorçait le sujet, c'était pas pour rien, pas vrai ? Elle ne savait pas trop si elle avait l'exclusivité ou si elle était à la ramasse (elle vivait sacrément dans une bulle depuis qu'elle était avec Orion, et elle n'en avait aucune honte). Mais ce qu'elle savait, c'est qu'elle voulait rattraper tous les épisodes qu'elle avait manqués sans en négliger aucun.

Et Abraxas pouvait lui faire confiance, si tout ceci était secret ou exigeait un effort de discrétion, elle saurait tenir sa langue. Elle ne le faisait pas toujours, mais elle savait se retenir... de temps en temps. Pour les personnes qui le méritaient. Pour les amis. Et Abraxas comptait parmi les meilleurs qui soient. Il l'avait soutenu et tenu sa langue quand elle lui avait parlé d'Orion, c'était donnant-donnant. Au-delà des rumeurs et des potins, il y avait l'amitié, et ça, ça comptait forcément plus que tout. Walby avait des valeurs. Bien à elle, mais des valeurs quand même.

« Disons que j’ai quelqu’un dans ma vie depuis cinq mois. »

Ah oui, cinq mois quand même ! Et elle l'apprenait que maintenant... Bon, en même temps, ils n'avaient pas tant que ça eu l'occasion de se voir, en cinq mois, ça n'empêchait pas que Walby serait presque un peu déçue de ne l'apprendre que maintenant. Elle se demandait un peu si elle avait la primeur de l'information ou si elle arrivait après la bataille. Elle n'était pas si mauvaise en matière de ragots, donc généralement, elle ne s'en sortait pas si mal, mais elle pouvait être à côté de la plaque de temps à autre, elle était humaine, après tout. Bon, y avait de bonnes chances qu'en fait, Abraxas se soit juste montré prudent et ait attendu que la relation soit vraiment sérieuse pour en parler à qui que ce soit, et il avait intérêt, mais quand même, elle avait un peu l'impression d'être à côté de ses pompes, là. Mais pas grave, elle allait se rattraper, hein !

« Une chouette fille qui d’ailleurs était dans ta promotion, alors tu la connais forcément. Il s’agit de Lou Hamilton. »

Lou afficha des yeux ronds. Lou Hamilton, vraiment ? Elle voulait pas donner l'air d'être trop choquée non plus, mais elle était quand même sacrément surprise. Elle l'avait pas vue venir, celle-là. Lou Hamilton, elle n'avait rien contre elle. Elle n'avait rien pour non plus. Elle ne la connaissait vraiment pas, en fin de compte. Même si elles étaient dans la même promo, on ne peut pas dire qu'elles avaient pris la peine de beaucoup se parler à l'époque. Elles avaient leurs groupes d'amis distincts, et Walby était partie du principe que Lou n'était pas intéressante de toute façon. Mais puisque Brax sortait avec, elle changeait maintenant d'avis et elle voulait absolument tout savoir, à présent.

- Alors là, pour une surprise. Pour être honnête, c'est la dernière fille avec qui je t'aurais imaginé. Mais je la connais pas tant que ça, en fait. Encore moins que ce que je croyais, visiblement. Elle laissa passer un moment de silence. Et donc, tu l'aimes, c'est du sérieux ? Ou bien c'est juste une "chouette fille" qui te fait passer le temps ?

« Moi aussi, j’ai une question. Pourquoi les filles sont tellement tournées vers l’amour ? »

Walburga leva les yeux au ciel. Quelle élégante manière de détourner le sujet ! Mais elle n'était pas dupe, pas dupe du tout, même. Sa remarque, elle l'entendait depuis la nuit des temps, c'était déjà des lieux communs qui s'échangeaient entre garçons dans la cour de récré, parce qu'il était plus facile de prétendre que les filles étaient focalisées sur l'amour plutôt que d'admettre que c'était un sentiment qui concernait tout le monde, et que les filles en parlaient simplement plus librement au lieu de se cacher derrière des vérités générales pour dissimuler la sincérité de ses sentiments.

Si Walby était Lou (mais sans façon, merci bien), elle se vexerait presque de la manière dont il parlait de sa petite amie, mais elle ne pensait pas que ce soit tant une insulte envers sa fiancée que l'expression de, justement, l'affection qu'il avait pour elle. Une manière détournée de lui faire comprendre que oui, il l'aimait, justement, mais n'avait pas envie d'en faire l'étalage en présence de son amie. Pas de bol, ce n'était clairement pas le genre de choses qui arrêtaient Walby - ou avaient la moindre chance de l'arrêter un jour. Elle était lancée sur le sujet, et même s'il devait modérément intéresser Abraxas, il l'intéressait, elle, beaucoup. Après tout, une relation sentimentale, ça fait partie de la vie, et quand on s'intéresse sincèrement à quelqu'un, il est normal et logique de s'intéresser également à ses considérations sentimentales, n'en déplaise donc à son interlocuteur.

-On l'est autant que vous, remarqua Walby sans se démonter. Mais nous, au moins on l'assume au lieu de jouer les caïds en roulant des mécanique. Elle affiche un fin sourire. Franchement, je vois pas quel mal il y a à parler de tout ça. A moins que ça te gêne ? ça te met mal à l'aise parce qu'elle te plaît vraiment beaucoup, c'est ça, hein ?

S'il n'était pas mal à l'aise jusqu'à présent, il a de bonnes chances de l'être maintenant, mais Walby n'a aucune intention de s'en excuser, loin de là, elle parlait franchement, comme elle avait toujours eu l'habitude de le faire, et elle escomptait bien entendre Abraxas lui répondre tout aussi franchement, échange de bons procédés oblige.

« Bien sûr qu’on ne l’est pas. Ou beaucoup moins. On n’en fait pas un sujet capital, et un réel objectif. Ce n’est pas une question de mal, c’est juste qu’il n’y a pas d’intérêt d’en débattre des heures. »

Mais quel rabat-joie, Abraxas ! Si la vie sentimentale de ce dernier ne méritait pas qu'ils en discutent pendant une éternité, qu'est-ce qui méritait qu'ils en discutent, dans ce cas ? Ils étaient amis, est-ce que c'était pas ce qu'ils étaient supposés faire, discuter de leurs vies personnelles ? Aux yeux de Walby, c'était plutôt normal, et naturel, même, et si c'était une question sur laquelle il n'y avait pas lieu de s'épancher entre amis, alors au bout du compte, on en revenait à considérer tous les sujets de conversation qui existent de manière indifférente et succincte, sans le moindre embryon d'émotion à l'horizon.

Et pour elle si, à leurs âges et dans leur contexte social, ce genre de choses étaient un sujet capital, et un réel objectif. Parce que certains pouvaient bien dire ce qu'ils voulaient au sujet du fait qu'elle et Orion se mariaient bien vite, une femme qui à sa sortie de Poudlard n'était pas au moins fiancée quand elle était de bonne famille devenait inutile. S'il aimait Lou Hamilton, et s'il devait envisager de l'épouser, alors c'était un sujet important, et c'était aussi un objectif à part entière, mais elle sentait bien qu'Abraxas refuserait de l'écouter et de l'entendre, sur ce point. Peut-être qu'il faudrait qu'elle-même répète cette conversation à Lou, ça remettrait peut-être en place ce qui était dans l'ordre de ses priorités ou non.

-Qui parle de débattre ? J'appelle juste une conversation normale entre amis. Mais d'accord, j'ai compris que ça te gênait, on peut changer de sujet. Mais je te préviens, il va falloir que tu en trouves un tout aussi intéressant, parce que c'est pas que j'ai pas envie de t'entendre parler boulot... Mais j'ai vraiment pas envie de t'entendre parler boulot.

Le quotidien plan-plan d'un employé du ministère, en toute honnêteté, ça lui était franchement égal, ça ne l'intéressait pas, ça ne la motivait pas. C'était de leurs vies personnelles qu'elle avait envie qu'elles parlent. Entre amies.

« Dis tout de suite qu’en dehors de mes histoires de cœur ma vie ne t’intéresse absolument pas. »

-Pas loin, répondit Walburga d'un ton amusé et sans aucune gêne. Avoue quand même que le travail, c'est pas le sujet de conversation le plus passionnant de l'histoire de l'humanité, et j'espère quand même qu'il y a autre chose dans ta vie que tes amours et ton travail, ajouta-t-elle avec un sourire malicieux. Enfin, tu peux toujours me persuader que tu as un tas d'anecdotes croustillantes à partager sur le sujet, libre à toi.

Non, elle n'allait pas s'excuser de s'intéresser tout particulièrement à la vie sentimentale de son meilleur ami. Ce n'était pas remarquable, c'était humain que de procéder ainsi, selon elle, en tout cas. Elle trouvait cela absolument normal en ce qui la concernait. Et elle pensait que lui aussi préférerait l'entendre parler de sa vie sentimentale plutôt que de quelque autre sujet de conversation barbant, même si le travail n'en faisait pas partie.

« C’est drôle parce que ce n’est pas comme si je t’en parlais souvent, je n’en parle même quasiment jamais parce que ce n’étaient pas des choses qui m’intéressaient spécialement. »

-Justement ! Pour une fois que tu m'en parles, tu crois que je ne vais pas sauter sur l'occasion de t'entendre m'en parler en long, en large et en travers ? Tu dois bien savoir que ce sont les choses les plus rares et les plus exceptionnelles qui sont les plus intéressantes, pas vrai ?

Qui ne le savait pas ? Evidemment qu'alors qu'il abordait un sujet qu'il occultait en temps normal, elle allait vouloir en savoir plus. C'était normal, pas vrai ? Bien sûr que c'était normal, tout à fait normal, même. Se retrouver à être soudainement intéressé par ça alors que ce n'était pas "son truc" avant, ça aussi, ça en disait long. Abraxas se trahissait presque lui-même, et il n'avait pas l'air de s'en rendre franchement compte pour autant.

-Mais vas-y, je suis toute ouïe, prouve-moi que ta vie est intéressante en dehors de tes histoires de coeur, ajouta-t-elle en toisant son ami d'un regard dans lequel brillait presque une lueur de défi.