Quand Glynnis me dit qu'elle a retenu la leçon, je la crois. Elle était désoeuvrée, perdue, malheureuse, elle a failli commettre une erreur et, par chance inespérée, Fern lui a empêché de la faire. Pour ça, peut-être que je devrais remercier ce coureur de première classe qui a rejeté mon amie, mais le jour où je manifesterais de la gratitude à l'adresse de Terrence Fern, il sera temps de m'interner. Au moins, cette mauvaise expérience aura eu le don de vacciner mon amie et de l'empêcher de recommencer, et c'est ce qui compte. Nous, on peut juste considérer que l'anecdote est amusante, maintenant, ni plus ni moins, sans avoir à chercher beaucoup plus loin, à se poser plus de questions.

Mais toutes ces histoires, avec Will, ça me travaille. C'est pas juste le fait que Fern soit une espèce de Don Juan de pacotille qui me déplaît (même si ça joue, je vous mens pas), mais Will est moldue, lui un sang pur qui n'a jamais caché le fait qu'il était très fier de ses origines. Y a pas mille manières de l'interpréter, du coup, y a pas cent façons de voir les choses. En l'état actuel des choses, ça peut pas marcher et ça doit pas marcher. Mais c'est vrai que QWill est une grande fille, et qu'en toute logique, j'ai pas à lui dire ce qu'elle doit faire ni comment elle doit le faire. C'est pas ma place, c'est pas mon rôle. Mais rien ne m'empêche de la juger du regard chaque fois qu'elle évoque Terrence avec moi (ce qu'elle ne fait pas très souvent, bizarrement. Ceci explique cela).

-Oui, je sais bien, je réponds avec un fin sourire. C'est plus fort que moi. Mes amis, je les protège. Et là, bien sûr, je ne parle pas d'elle mais bel et bien de mon interlocutrice.

J'aimerais parfois faire plus que ce que je fais. Mais je ne peux pas prendre à bout de bras son combat. Pour commencer, je ne me sentirais pas légitime à le faire, pas du tout, même. Et enfin, celui que je mène prend déjà toute mon énergie. Mais quoi qu'il en soit, je l'écoute et je la soutiens. Je la soutiendrai toujours.

Je ne suis pas parfaite. Je sais que certaines personnes croient que je le pense, parce que je fais tout mon possible pour faire valoir certaines de mes opinions et refuse de débattre à leur sujet (ou en tout cas de changer d'avis). J'ai une foule de défauts : je suis bornée et trop bruyante, par exemple... Mais il y a quelques qualités que j'accepte de me reconnaître. Et j'apprécie quand les autres les reconnaissent également. Parmi ces qualités, il y a ma loyauté envers mes amis les plus proches (tous les amis, en fait, car à partir du moment où je vous considère comme des amis, c'est que j'estime que vous êtes proches, je ne fais jamais dans l'approximation de bas étage, ce n'est pas quelque chose qui me ressemble.

Alors je remercie Glynnis d'un sourire de comprendre que l'attention que je lui porte est sincère, et que mon désir de la protéger est réel. Elle est une grande fille, comme Will, comme April, comme toutes les personnes à qui j'ai envie de tendre la mains. Mais ça n'empêche pas. Je ne pense pas qu'il y ait forcément besoin de se détourner des autres pour se concentrer sur soi-même. A mon humble avis, tout ça n'a absolument rien d'incompatible, au contraire. Je ne pourrais être en phase avec moi-même qu'en l'étant avec les autres. C'est peut-être une affaire de tempérament, je n'en sais rien, c'est comme ça que je suis.

Prendre du temps pour moi, c'est en consacrer aux autres. Et je suis capable de ne pas m'oublier pour autant. Dans le cas contraire, je ne me laisserais pas attirer par Ignatius, pas vrai ? Je partirais du principe que je n'ai juste pas de temps à perdre avec ça, et que ma vie sentimentale doit rester secondaire... Bon, si je suis un peu honnête envers moi-même, je dois reconnaître que j'ai du mal à me laisser aller à cette possibilité, raison pour laquelle je m'invente peut-être des excuses pour ne pas franchir le pas.

-Ne t'en fais pas pour moi, je sais très bien faire les deux à la fois, je te le promets.

Je parle sérieusement. Je ne veux pas qu'elle s'en fasse.

Glynnis n'insiste pas. Et elle a raison, car je ne changerai absolument pas d'avis dans tous les cas, j'ai tendance à n'en faire qu'à ma tête. Je suis capable de me remettre en question quand il le faut, mais par contre, j'aurais bien du mal à me ménager. J'ai déjà mis un coup de pied à mes habitudes, je pense qu'il ne faut pas m'en demander beaucoup plus.

Je continuerai de prendre soin de mes amis et je tenterais au passage de prendre soin de moi. Je sais juste quelle sera toujours ma priorité. En ce qui concerne Glynnis, je me sens un peu rassurée, je dois dire. Même s'il y a eu léger cafouillage avec Fern (non mais celui-là, aussi), au moins, ce n'est pas allé plus loin, et maintenant, tout a l'air d'aller bien, c'est ce qui compte. Je me sens plus sereine la concernant. Je crois que parfois, je la vois plus fragile qu'elle ne l'est vraiment. C'est un tort de ma part, je l'admets, parce qu'en fait, Glynnis est sûrement l'une des femmes les plus fortes de mon entourage (ex aeco avec Will, je dirais). On ne se refait pas. Je suis protectrice de nature, ça fait partie de mon caractère.

Quand Glynnis me demande si j'ai du temps devant moi, je jette un oeil à ma montre. Je ne m'étais pas du tout intéressée au temps écoulé, et je dois me rendre compte du fait que le temps a bien filé, comme c'est le cas quand on échange des conversations à ce point animées. J'aimerais rester plus longtemps, mais j'ai un planning chargé qui m'attends. C'est que j'avais déjà un programme très important quand je me contentais de mener mes opérations activistes... mais maintenant que j'ai accepté en prime le poste de professeur d'étude des moldus, c'est autre chose.

-J'aurais bien aimé, mais il va falloir que je file. J'adresse un sourire désolé à Carlotta, je m'en voudrais presque de la laisser seule. J'étais contente de parler avec toi. On se revoit vite, d'accord ?

En tout cas, si on peut éviter de mettre cent ans à se voir la prochaine fois, je ne dirais pas non.