S'

il y avait bien un endroit qu'Agrippine détestait plus que tout au monde (enfin, c'était un peu exagéré, il y avait sans doute des endroits pire encore, mais il atteignait sans souci le podium), et elle s'y trouvait en cet instant précis : Gringotts, un repère de gobelins, de pièces sonnantes et trébuchantes et de refus de prêts à foison. Quand on menait la vie que menait Agrippine Tuft, quand votre argent était de l'argent sale, acquis au cours de trafics ce qu'il y a de plus illégaux, parvenir à faire valoir ses revenus pour un éventuel emprunt d'argent était un parcours du combattant. En soi, ça ne dérangeait pas la jeune femme, elle était du genre battante, et elle aimait bien les choses pas trop facilement acquises... mais quand c'était peine perdue, c'était une autre affaire. Peu importe l'interlocuteur face à qui elle se pointait et les combines qu'elle mettait en place dans l'espoir d'endormir ses interlocuteurs, ça ne menait nulle part. C'était agaçant... Elle savait bien qu'il y avait un potentiel dernier recours. Deux, même. Soit faire valoir le nom de sa mère (en tant que fille de madame la Ministre, elle pouvait sans doute avoir le monde à ses pieds), sauf qu'elle ne voulait rien devoir à sa génitrice. Soit en parler à Harfang, qui après tout était sous-directeur de Gringotts. Sauf qu'elle savait ce que serait évidemment sa condition, et hors de question de lui céder... pas tant parce que la perspective était désagréable que par fierté et par jeu encore plus. Donc tant pis, elle devait s'avouer une nouvelle fois vaincue et quitter la banque la queue entre les jambes. Tout ça pour rien.

Ou peut-être pas totalement, en fin de compte ? Car au moment de quitter les lieux, son chemin croisa celui d'une personne qui lui était plus que familière. Il s'agissait de Aaron, qui lui avait le malheur de travailler ici tous les jours ou presque de sa vie. Elle ne savait vraiment pas comment il faisait... mais en même temps, Agrippine, de son côté, était bien infichue de conserver le même job plus d'une semaine, quasiment, alors miss instabilité n'était pas spécialement une référence (et cette instabilité, au passage, ne devait pas non plus lui attirer la confiance des banquiers, mais passons). Elle afficha un grand sourire en croisant son regard. S'il arrivait parfois à Aaron et Agrippine de se prendre la tête, parce que leurs opinions divergeaient sur certains points, cela n'ôtait rien au fait qu'ils étaient très amis, et la jeune femme prenait toujours grand plaisir à faire un brin de causette avec lui. D'autant plus, en l'occurrence, qu'il y avait vraiment longtemps qu'ils n'en avaient pas eu l'occasion, et que ça lui manquait, l'air de rien.

-Aaron, toujours au service de l'ennemi capitaliste, à ce que je vois, plaisanta-t-elle en guise de salutations.

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A

aron ne prit pas la peine de répondre à sa question. En même temps, il n'y avait rien de particulier à répondre, elle se contentait de taquiner le jeune homme, et elle le lui rendait bien. C'était comme ça que fonctionnaient à peu près toutes les relations d'Agrippine : la jeune femme s'amusaient à gentiment chercher et taquiner les personnes qui lui étaient proches, et moins elle vous ménageait, plus vous pouviez considérer que vous comptiez pour eux. Alors elle n'allait certainement pas s'offusquer d'entendre son interlocuteur évoquer l'argent sale qu'elle pourrait potentiellement laisser dans son coffre. Elle avait certes un coffre à Gringotts (comme tout sorcier britannique qui se respecte selon elle), mais il était aussi vide qu'on peut l'imaginer. L'argent, c'était quelque chose qui filait littéralement entre les doigts de la jeune femme. Elle brassait pas mal de liquidités, avec toutes ses activités illégales, mais l'argent allait et venait. Agrippine était un vrai panier percé et ce qu'elle gagnait en une journée, elle le dilapidait dans la même journée. Il n'empêche que cet argent, invariablement, était toujours sale. Elle ne pouvait clairement pas dire le contraire. Et elle en était fière. Si elle devait gagner son argent "dignement" et "proprement", elle aurait le sentiment d'entrer dans les rangs, dans le moule, et elle le supporterait vraiment très mal.

-Je suis venue me faire refuser un prêt et passer le bonjour à tes amis gobelins. Tu sais comme j'adore Gringotts, cette ambiance austère et ce silence de mort, ça me met en joie.

Elle ne savait vraiment pas comment Aaron faisait pour bosser comme ça, dans cet endroit, dans ce contexte. Rien que le fait de devoir être soumis à des horaires, ça filait des frissons à Agrippine. Mais après, chacun son truc... Et quand le jeune homme demandait des prêts, peut-être qu'on le lui accordait sans discuter. Enfin bon, ce n'était pas comme si la jeune femme était vraiment surprise, elle s'était attendue à ce que ça se passe comme ça, mais l'espoir fait vivre, hein ? Un petit prêt digne de ce nom, ça aurait mis du beurre dans les épinards, ça n'aurait pas été si mal que cela. Mais tant pis, carpe diem, elle était habituée à vivre au jour le jour dans tous les cas. Et elle se disait que les autres devraient sans doute prendre exemple sur elle. A commencer par Aaron d'ailleurs. Elle l'aimait bien, elle le trouvait ultra-sympa, mais par instants, elle avait l'envie de le dévergonder un peu, juste pour le plaisir.

-Tu fais quoi, là ? T'as fini de bosser ?

Ca l'arrangerait bien qu'il ait fini le travail, elle se sentait bien d'humeur à aller boire un verre avec lui. En tout cas, ça donnerait du sens à ce passage autrement déplaisant par la banque.

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A

grippine afficha un sourire ravi en apprenant que son ami avait fini de travailler, et donc qu'il était tout disposé à prendre un verre avec elle. Bon, c'est vrai, ce n'est pas parce qu'il avait fini de bosser qu'il avait forcément du temps à lui consacrer, mais il lui apprit bien vite que c'était le cas, alors tant mieux. Sa soirée ne serait pas une soirée gâchée. Même si, en l'occurrence, il lui faudrait oublier l'idée d'une soirée parties de jambes en l'air (quoique, plus tard dans la soirée, qui sait) - parce que même s'il était très mignon, bizarrement, elle n'avait jamais envisagé de coucher avec lui -, mais toutes ses soirées n'avaient pas besoin de se ressembler, après tout. Et une présence amicale, de temps à autre, eh bien, ça faisait du bien. Aaron, en l'occurrence, était pour Agrippine une véritable bouffée d'oxygène, même si on ne faisait sans doute pas plus différents que ces deux-là. Elle était en tout cas ravie de pouvoir bavarder un peu avec lui.
Et l'occasion était parfaite. Alors autant en profiter. En plus, détail non négligeable, c'est certain, Aaron acceptait de lui offrir le verre, alors c'était parfait comme ça.

-Si tu me payes un verre, en plus, je ne risque pas de refuser, affirma-t-elle, tout sourire, enthousiaste comme bien souvent, car il en fallait beaucoup pour ébranler la bonne humeur de la jeune femme. Elle en avait trop bouffé, supporté, encaissé dans la vie pour laisser quoi que ce soit l'atteindre, et chaque occasion positive qui se produisait dans sa vie, était une excellente occasion. Allez viens, je connais un bar sympa.

D'accord, en toute logique, si c'était lui qui offrait le verre, elle devrait laisser à Aaron le soin de choisir, mais elle ne manquait, comme d'habitude, pas de culot, et elle était sûre que le jeune homme apprécierait son choix. Bon, d'accord, ça allait peut-être le sortir de sa zone de confort, d'aller dans un bar dont il n'avait pas l'habitude, mais justement, ce serait d'autant plus amusant. L'attrapant par le bras, elle l'entraîna sans pudeur jusqu'au bar en question, qui n'était pas très loin. C'était un petit bar... de l'allée des embrumes (forcément), miteux et sombre, mais où Agrippine avait ses habitudes. Avouons-le, voir le jeune homme évoluer dans un tel contexte était assez amusant, et ça ne fait que commencer. Agrippine salua le barman avec un grand sourire avant de s'installer à une table qui était, à vrai dire, sa table habituelle. Une fois installée, elle vint aux nouvelles, bien évidemment.

-Alors, quoi de neuf depuis le temps ? Raconte-moi tout !

Elle était sûre qu'il devait y avoir des tas de choses à dire. Et elle était impatiente de savoir quoi.

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A

Aaron choisit de ne pas s’étendre sur sa vie, peut-être parce qu’il n’y avait pas grand-chose à en dire ou tout simplement par pudeur, difficile à dire, mais Agrippine, même si son interlocuteur ne devait lui parler qu’en surface de la partie la moins intéressante de sa vie parce qu’il préférait garder l’autre sous silence, ne lui en voudrait pas. Oh, si ça ne tenait qu’à elle et s’il y avait véritablement un morceau à lui faire cracher, elle insisterait juste pour se mettre l’une ou l’autre information sous la dent, mais elle allait se l’épargner. Elle connaissait bien Aaron, tout de même, suffisamment pour savoir que c’était en lui posant des questions qu’elle le verrait se fermer comme huître. Si, vraiment, il devait lui prendre l’envie de parler, il le ferait, tout simplement, comme un grand et sans l’aide de personne. Il était comme ça, renfermé… et l’air de rien, c’était un trait de caractère qu’elle lui appréciait, sans doute parce qu’elle-même était tout l’inverse. Aaron avait au moins le mérite de la tempérer un peu quand ils passaient du temps ensemble. Un peu mais pas trop non plus quand même. Agrippine était fière de qui elle était, elle s’était donné du mal pour le devenir, alors elle n’apprécierait pas qu’on l’empêche de… disons… s’accomplir.

Alors elle allait se contenter du peu que Aaron lui accordait, qui consistait en des choses qu’elle savait déjà. Ils s’étaient croisés à la banque, et même si le commun des mortels avait l’habitude de s’y rendre (à contrecoeur quand il était normalement constitué), elle se doutait que Gringotts travaillait bel et bien. Et pour ce qui était de continuer son petit bout de chemin, elle n’en attendait pas moins de lui non plus. C’était ça, la vie des gens qui suivaient un vrai chemin contrairement à elle qui faisait des tours, des détours et des demi-tours, pour le plaisir de se perdre de temps à autre. Elle n’allait pas insister non, même si certaines questions la taraudaient. A commencer par la plus intéressante, bien sûr : avait-il quelqu’un dans sa vie ? Mais bon, s’il ne lui en parlait pas, c’est soit que la réponse était « non », soit qu’il n’était pas prêt à s’exprimer sur le sujet encore. Ce qu’elle était capable de comprendre. Elle sourit quand, en retour, Aaron lui retourna la question, convaincu qu’elle aurait tout un tas de choses à lui raconter. Elle ne pouvait pas vraiment le contredire, c’était vrai que sa vie avait tendance à être mouvementée. Ce qui ne la rendait pas forcément plus intéressante… difficile de savoir par quel bout prendre les choses, surtout.

-Des tas, répondit-elle, les yeux pétillants. C’est à la carte, tu préfères que je te serve quoi en premier ? Les derniers hommes que j’ai fréquentés ? Les coups foireux de mes clients ? Mes pseudo déboires familiaux ?

Dans tous les cas, il y avait un sacré paquet de choses à dire, plus ou moins pimentées, plus ou moins barbantes, mais Agrippine avait toujours des choses à dire dans tous les cas.

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A

grippine fit mine d'afficher une moue légèrement boudeuse quand son ami, face au choix qui lui était donné, porta son dévolu sur les quelques clients auxquels elle avait eu affaire récemment. Pour tout dire, elle regrettait presque de lui avoir laissé cette option, car quand bien même la jeune femme avait toujours de nombreuses choses à dire au sujet de son travail ô combien particulier, elle n'estimait pas non plus que ce soit le point le plus palpitant de sa vie, mais bon... Elle l'avait cherché, au bout du compte. Et ce n'est pas grave, les autres sujets de conversation resteraient dans un coin de sa tête, tout simplement, et elle sauraient bien les ressortir au moment adéquat. Elle se permit tout de même une remarque (parce qu'elle ne se privait jamais de dire ce qu'elle pensait, tout simplement).

-T'es pas drôle, t'as choisi le sujet de conversation le moins intéressant.

Mais en même temps, c'était prévisible, et elle ne s'était pas forcément attendu à autre chose, contrairement à ce qu'elle pouvait bien prétendre. Car elle savait que parler de ses amants n'était pas un sujet qui mettait Aaron très à l'aise... mais c'était en grande partie pour cela, à vrai dire, qu'elle aimait bien en parler avec lui. Ce n'était pas très cool pour son interlocuteur, c'est vrai, mais il fallait tout de même bien avouer que c'était particulièrement amusant de le voir se rembrunir dès lors qu'elle évoquait ses conquêtes en sa présence. Elle savait que son tempérament un peu trop... libéré... le mettait mal à l'aise, mais puisqu'elle l'assumait pleinement, elle n'avait bien évidemment aucune intention de s'en excuser. Et pour ce qui était de sa famille, elle pouvait aisément comprendre aussi que Aaron n'ait pas forcément eu envie d'entrée d'évoquer le sujet. Pour avoir recueilli pas mal de ses confidences (même si elle ne lui avait jamais parlé de ce que son père lui avait fait subir), il savait pertinemment à quel point tout n'était pas rose au seil de la famille Tuft... Ce que tout le monde ignorait, en revanche, c'est que la situation allait nécessiter une sérieuse mise à jour incessamment sous peu. Donc bon, allez, va pour les clients.

-Pas plus tard que ce matin, y a un crétin qui m'a demandé de lui fournir un filtre d'amour pour mettre un fille dans son lit, un vrai cinglé, je te jure. Je crois qu'il la stalke depuis l'école primaire. Elle afficha un brillant sourire. Alors je lui ai dit d'aller se faire foutre.

Elle ne reculait pas devant grand-chose, pourtant (et le pauvre Septimus Weasley devait en savoir quelque chose, à l'heure actuelle), mais elle avait des limites bien à elle.

-Ce con était prêt à me payer le triple une potion qu'on trouve facilement dans le commerce légal... Pour pas qu'on remonte jusqu'à lui, tu vois le genre.

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A

grippine afficha un sourire quand Aaron approuva son comportement quand elle lui apprit ne pas avoir donné gain de cause au pervers de service. C'était peut-être une simple impression de sa part, mais elle avait le sentiment que le jeune homme était agréablement surpris... ce qu'elle comprendrait sans difficulté, par ailleurs, car il est vrai qu'elle ne lui avait sans doute pas donné souvent de prétextes à se sentir véritablement fier d'elle et de son comportement. Il l'acceptait comme elle était, et si son attitude lui déplaisait, il prenait soin de ne rien en montrer et de se montrer... tolérant. Elle comprenait qu'il l'imagine fermer les yeux sur les horreurs qu'elle venait de rencontrer. Après tout, il n'y avait aucun de ses clients qui soit réellement bien intentionné, il n'y avait par conséquent rien de très logique à ce qu'elle soit soudainement prise d'un accès de conscience. Mais la logique et Agrippine n'avaient jamais fait bon ménage. C'était comme ça, elle avait ses cordes sensibles, qu'elle dissimulait suffisamment pour ne rien en laisser paraître. C'était quelque part assez subtile, mais c'était là... et ce genre de chose faisaient que, pour tout l'or du monde, jamais elle n'aurait accepté le marché que voulait passer avec elle ce connard. L'argent ne l'intéressait pas vraiment, de toute manière. Oh, elle ne crachait évidemment pour un bon paquet de gallions, mais ce n'était pas ce qui la motivait, au fond. Elle prenait les affaires qui suscitaient en elle de l'intérêt et aucun scrupule et rejetait celles qui la débectaient de bout en bout... on peut travailler dans le commerce d'articles noirs et avoir une vague éthique, après tout. D'ailleurs, si tout était à jeter, chez elle, elle ne serait sans doute pas amie avec quelqu'un comme Aaron (même si ce dernier était loin d'être bien sous tout rapport, ce dont la jeune femme ne se rendait pas forcément compte).

-Bizarres, c'est poli, répondit Agrippine, amusée par l'euphémisme qu'employait son interlocuteur pour parler de sa clientèle.

Elle traitait avec des cinglés, des psychopathes, des gens déséquilibrés, avec la lie de l'humanité, et elle l'assumait... même, ça lui plaisait vraiment beaucoup. Elle se sentait dans son élément parmi ces rebus de l'humanité, sans doute parce qu'elle avait le sentiment d'en avoir toujours été un elle-même, et cela dès sa naissance. Sans oublier bien sûr le fait qu'elle prenait un malin plaisir à imaginer la tête que tirerait sa mère si elle entendait ne serait-ce qu'un dixième de cette conversation.

-Tu sais ce qu'on dit, qui se ressemble s'assemble, ajouta-t-elle d'un ton détendu.

Enfin... Elle n'avait aucune envie de ressembler au pervers complètement taré qui était venu la voir, mais après tout, puisqu'elle n'avait pas accepté de traiter avec lui, ça ne comptait pas vraiment comme un client.

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L

a réponse de Aaron fit sourire Agrippine. Non, clairement, elle n'était pas du genre à faire boire des philtres d'amour aux mecs qui lui plaisaient dans l'espoir de les voir atterrir dans son lit. Clairement, elle ne voyait pas l'intérêt de se donner autant de mal, et surtout, c'était tout à fait juste de le souligner (oui, oui), elle n'avait absolument pas besoin de cela pour parvenir à ses fins. Agrippine avait de la ressource, et le jeu de la séduction en était un où elle excellait... en tout cas l'estimait-elle. Aaron n'était sans doute pas très à l'aise en suggérant le fait qu'elle n'avait bel et bien besoin de personne pour exceller dans l'art du flirt et de tout ce qui doit s'ensuivre, mais elle appréciait qu'il l'admette... Ce sans même qu'elle imagine qu'il y ait le moindre sous-entendu là-derrière.

Agrippine et Aaron se connaissaient bien, tous les deux, ils avaient dépassé le seuil de toute éventuelle attirance pour n'être que de très bons amis, et c'était évidemment très bien comme cela. Donc bref, tout ça pour dire qu'Agrippine était à peu près normale. La jeune femme n'y croyait pas une seule seconde pour sa part, ceci dit, elle pouvait bien admettre que le jeune homme marquait un point quand il affirmait qu'elle n'en était pas au point de ressembler aux plus sévères psychopathes avec lesquels elle traitait parfois - ou qu'elle envoyait balader, aussi, quelquefois, comme ça avait été le cas pour ce sale pervers duquel elle n'avait plus la moindre envie d'entendre parler.

En tout cas, le sujet semblait clos. C'était le soucis, quand on s'intéressait à la vie d'Agrippine Tuft. Il n'y avait aucun aspect de sa vie auquel on puisse réellement s'atteler sans appréhender d'entendre ce qu'elle avait à dire. Parce que tous les aspects de la vie d'Agrippine relevaient du bordel le plus total. Sa vie professionnel était un grand n'importe quoi, sa vie "sentimentale" (sans sentiments), n'en parlons pas. Quant à sa vie familiale... C'était peut-être le plus équilibré des trois. Et quand on voyait l'état du bousin, y avait de quoi se poser des questions. Et encore, les déboires familiaux allaient reprendre du service dans de belles proportions assez rapidement.

-C'est toujours un peu la même chose. J'ai croisé ma mère, l'autre jour, qui a fait semblant de pas savoir qui j'étais et... je me suis pris la tête avec Ignatius.

Et si elle pouvait évoquer tout le reste avec une certaine légèreté (et sans se forcer, parce qu'il y avait définitivement de trop nombreuses choses que la jeune femme prenait complètement par-dessus la jambe), c'était toujours plus difficile de jouer les filles détachées et indifférentes quand il était question de son frère.

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A

grippine ne savait pas si elle faisait bien d'aborder le sujet Ignatius avec Aaron. Ce dernier faisait partie de ces personnes qui connaissaient la vie d'Agrippine dans le plus de détails, et à qui elle ne cachait en général pas grand-chose, mais même lui était loin de tout savoir sur elle. Elle ne lui avait jamais rien dit, par exemple, de ses cicatrices, des sévices que lui avait fait subir son père. Elle s'était contenté de lui dire dans les grandes lignes que ses parents ne l'avaient jamais vraiment aimée - ce qui était vrai - et qu'elle avait donc dû suivre sa propre voie pour ne pas se laisser étouffer par l'asphyxiant carcan des Tuft.

Elle n'avait jamais parlé à personne de ce qu'elle avait subi dans son enfance, jusqu'à en parler avec Ignatius, et pour être complètement honnête avec son ami, il faudrait sans doute qu'elle lui donne le détail de cette conversation. Il le faudrait, oui, mais elle en était tout simplement incapable. La jeune femme n'avait pas envie de voir le regard de Aaron changer, elle ne voulait pas le voir éprouver pour elle une pitié à ce jour inutile. Déjà, il voyait bien que le simple fait qu'elle lui apprenne s'être pris la tête avec son frère l'attristait, il n'était vraiment pas nécessaire d'en rajouter encore une couche. Mais même si elle ne lui disait pas toute la vérité, il était tout de même certain qu'elle ne pouvait pas complètement se taire. Et d'ailleurs, elle n'en avait pas véritablement envie. Elle avait besoin de vider son sac, même si ce n'était pour délivrer à son interlocuteur qu'une infime portion de la réalité.

Bien sûr, elle n'évoquerait pas l'horreur dans les yeux d'Ignatius en découvrant son corps à demi-nu, strié de cicatrices blanchâtres, elle ne parlerait pas de la façon dont ce dernier avait cherché à tout prix à nier la vérité après qu'elle lui ait fait l'aveu de son traumatisme, elle ne lui dirait pas qu'elle avait souffert en le voyant prendre la fuite. Le reste, en comparaison, semblait à peine avoir de l'importance, mais elle se contenterait du reste quand même. Un fragment d'honnêteté pour l'attention que Aaron lui portait, pour le souci qu'il se faisait pour elle (car elle voyait bien qu'il n'était pas serein de l'entendre s'exprimer ainsi au sujet de sa brouille avec Ignatius).

-Il m'en veut parce que je ne suis pas allée à l'enterrement de notre père... J'ai essayé de lui expliquer qu'il était mort pour moi bien avant qu'on lui fabrique une pierre tombale mais... bon, on va dire qu'il l'a pas vraiment bien pris.

Et Ignatius, le seul membre de sa famille qu'elle aimait et respectait, s'était éloigné. Et ça lui faisait plus de mal que ce qu'elle prétendait.

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grippine afficha une esquisse de sourire quand Aaron, pour la rassurer, lui affirma que son frère allait finir par se calmer. Elle avait envie de croire qu'il disait vrai... ceci dit, elle n'en était pas certaine. Il faut dire que cette situation était différente de ce dont ils avaient l'habitude. Ce n'était pas la première fois qu'il y avait des frictions entre eux... c'était presque une habitude, même, parce qu'ils avaient des points de vue, des mentalités et des caractères très différents. Et forcément, quand le sujet de conversation était Elliott Tuft, ça ne pouvait pas aller en s'arrangeant. Mais en temps normal, ils réussissaient toujours à s'entendre et à faire table rase de ce qu'ils avaient pu se dire. Sauf que cette fois, ils étaient allé un seuil au-dessus encore... C'est rien de le dire. Mais forcément, Aaron ne pouvait pas le comprendre.

Et Agrippine n'avait pas l'intention d'en parler. Au fond,on pourrait lui reprocher de se taire concernant les supplices qu'elle avait subis dans sa jeunesse (même si elle n'était pas encore bonne à enterrer tout de même, elle restait encore jeune)... Si elle en parlait, non seulement elle serait capable de ruiner la réputation de cet homme à tout jamais, mais en plus, elle pourrait bien avoir l'esprit plus tranquille. Mais non. C'était son jardin secret, douloureux mais bien gardé. Cette croix portée avait fait d'elle qui elle était, et elle n'avait pas envie de disperser son secret aux qatre vents, surtout si ça devait être pour voir naître de la pitié dans le regard de ses proches, elle s'en passait volontiers. Maintenant, cela n'ôtait aucune valeur aux propos de Aaron, même s'il ne connaissait pas toute l'histoire, parce que dans le fond, elle réussissait à penser tout de même qu'il avait raison.

Agrippine n'avait qu'Ignatius pour famille, et le lien qui les unissait était à ses yeux plus fort que tout, alors même s'il devait se remettre de la situation, ça devait forcément lui donner du fil à retordre. Il avait besoin de diférer ce qu'elle lui avait dit, oui, ça c'était rien de le dire, et elle espérait sincèrement qu'il en serait capable... et qu'il ne préfèrerait pas, à la place, décider qu'elle mentait en déit des preuves flagrantes qu'elle lui avait montrées, parce qu'il était plus simple de se voiler la face que d'admettre la vérité. Il fallait qu'il y réfléchisse, il fallait qu'il accepte d'admettre que leurs chers papa et maman n'étaient pas les modèles qu'il avait voulu les croire être. Ce n'était pas simple, évidemment, mais il se ferait une raison.

-Ouais, je pense aussi, répondit-elle dans un haussement d'épaules. C'est pas facile, j'ai toujours l'impression de devoir mâcher mes mots quand je lui parle. Parfois j'ai le sentiment que c'est lui le petit frère et moi l'aînée.

   

   

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grippine sourit de plus belle quand, en guise de réponse, Aaron suggéra que les femmes étaient plus mâtures que les hommes de manière générale. Elle aimait la légèreté qu'il apportait à la conversation. C'était un peu comme si les rôles étaient inversés. Généralement, c'était définitivement son interlocuteur le plus sérieux des deux, et elle qui prenait grand soin de l'exaspérer en ne prenant jamais rien au sérieux. Cette situation avec Ignatius, elle la prenait au sérieux, très au sérieux, même. Elle n'avait pas l'impression d'avoir d'autre choix que de le faire, en réalité. Agrippine était capable de rire de tout, mais jamais de ce qui concernait son frère. Dans ces cas-là, elle ne faisait jamais que semblant de se distancier, dissimulant son ressenti réel derrière une ou deux blagues... qui en l'occurrence avaient quand même bien du mal à lui venir. En même temps, ils ne s'étaient jamais pris la tête de cette manière, ni eu une discussion à ce point lourde auparavant (et pourtant ce n'était qu'un début, car la vie n'allait clairement pas les ménager dans les temps à venir.

Bref, oui, la réflexion de Aaron lui faisait du bien, et elle aimait l'acception qui voulait que les femmes gagnent plus vite en mâturité que les hommes... et qui se justifiait sans doute du fait qu'on attendait très vite des femmes qu'elles deviennent des mères. Et endossent par conséquent la plus lourde responsabilité qu'il puisse y avoir au monde : celle d'une autre vie, rien que ça. Bon, Agrippine, ça ne la concernait pas spécialement, ceci dit, et pas seulement parce qu'elle n'avait mais alors aucune intention de devenir maman un jour (mais intention ou pas, hein...). Elle ne pensait pas être plus mûre que son frère. Au contraire, même. Des deux, c'était elle qui semblait ne toujours pas être sortie de l'adolescence... Ceci dit, ça dépendait tout simplement des domaines. Chacun gardait une part de naïveté dans l'un ou l'autre pan de son existence, que l'autre avait déjà dépassé. En fait, si on combinait leurs maturités respectives, on aurait peut-être un début de sagesse pour se profiler. Mais bon, ils étaient eux, alors c'était mal barré. Et Agrippine ne savait pas trop si c'était prêt de s'arranger ou pas. Elle le voudrait, bien sûr mais... enfin, c'est pas comme s'ils s'étaient disputé le dernier dragée surprise du paquet comme quand ils étaient gosses.

-Ouais, j'y compte pas trop, répondit Agrippine, pas pour être pessimiste, mais parce qu'elle estimait que c'était la façon la plus lucide de considérer la situation... De la sorte, elle n'avait pas vraiment conscience de ce que son frère était capable de dépasser pour elle. Mais ça viendrait. Pas grave, je peux bien me passer du frangin tant que mes amis restent fidèles au poste, ajouta-t-elle en adressant un regard appuyé à Aaron, des fois qu'il douterait du fait qu'elle était évidemment en train de parler de lui.
   

   

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