Putain, on était déjà en avril. C'était pas possible, quand même... Le temps passait vraiment beaucoup trop vite. Mais pour Walburga, le temps qui défilait comme ça à une vitesse monstre lui donnait le sentiment d'un fichu compte à rebours, du genre inéluctable et effrayant. C'est que ça signifiait plein de choses, pour elle, la fin de l'année scolaire. Déjà parce qu'elle n'allait plus être à Poudlard l'année prochaine et que ça allait forcément changer plein de choses pour elle. Ensuite, parce que ce n'était plus que l'affaire de quelques mois, maintenant, d'ici à ce que Orion épouse Lexie, et cette perspective était de plus en plus insupportable, insoutenable. Walby avait tourné et retourné la question dans tous les sens possibles et imaginables, et au bout du compte, elle savait bien qu'il n'y avait qu'une seule chose à faire : suivre les conseils qu'Abraxas lui avait si judicieusement communiqué durant les vacances d'hiver... Oui, elle aurait dû les suivre bien plus tôt, mais elle avait été lâche, elle n'avait pas osé. Sauf que là, l'échéance se rapprochait, et elle n'avait plus vraiment le choix. Soit elle se jetait à l'eau maintenant, soit elle le ferait jamais. C'était peut-être mieux qu'elle ne le fasse jamais, elle le saurait bien vite, mais de toute façon, c'était trop tard pour reculer, alors bon...

Elle était assise dans la salle commune, un livre à la main, et c'était bien la preuve qu'elle était nerveuse et cherchait à cacher quelque chose. La jeune femme ne lisait pas, elle détestait lire, pour elle c'était une pure perte de temps, mais elle avait besoin de s'occuper les mains, de faire semblant de faire quelque chose en attendant de croiser Orion. Bon, elle pourrait toujours faire ses devoirs pour s'occuper, mais elle n'arrivait déjà pas à se concentrer dessus tant qu'elle n'aurait pas eu cette satanée conversation. Elle faisait donc semblant de lire, le regard sans arrêt rivé sur la porte de la salle commune, attendant qu'elle s'ouvre sur Orion. Elle attendit comme ça pendant de très longues minutes, qui lui donnèrent l'impression de durer de trop longues heures, puis il débarqua. Walby lui adressa un signe de la main pour qu'il la rejoigne sur le canapé où elle était installée.

-Hey ! Je peux te parler quelques minutes ?

Il flotte dans l'air comme un parfum de vacances... et de révisions. Il faut dire que les deux vont bien souvent de pair. Le beau temps revient et en même temps, les professeurs nous bassinent avec les ASPIC, et maintenant, je ne sais si je suis angoissé ou impatient d'en venir à cette période charnière de l'année. J'ai envie d'en avoir fini avec les études, de ne pas supporter cette pression constante liée aux résultats scolaires (que mes parents n'enragent en rien), j'ai envie de découvrir l'après, de me lancer dans la vie active et... voir ce que ça va donner, tout bonnement. Mais en même temps, il n'y a pas tant de surprises que ça qui m'attendent dans l'avenir, puisque mes parents on déjà tout planifié. Je sais que mon père m'a déjà trouvé un travail très bien rémunéré au ministère qui n'attend que l'obtention de mes ASPIC pour que je me trouve à cette place. Et puis, il y a le mariage, aussi... pour ça, je ne suis pas impatient, non... mais en même temps, je finis par me demander ce qui est le pire. Ce moment de latence où j'attends de savoir à quelle sauce je serai mangé, ou le moment où j'en aurais enfin le coeur net ?

Le temps va passer vite, en tout cas c'est ce que je me dis. Je vois les jours et les semaines défiler à une vitesse monstrueuse. Et avec la masse de révisions qui m'attend, ça n'arrange rien. C'est pour ça que j'ai quitté la bibliothèque pour me rendre dans la salle commune des serpentards, d'ailleurs, histoire de peaufiner mes révisions, maintenant que j'ai emprunté tous les bouquins dont j'avais besoin. Quand j'entre dans la salle commune, je repère Walby, qui me propose de m'installer à côté d'elle. Je ne pense pas que ça va faciliter mes révisions. Mais je ne vais sûrement pas lui dire non, surtout que jai envie de passer du temps avec elle. Cela arrive trop peu souvent en ce moment.

-Bien sûr, je dis en m'installant. J'ai toujours du temps pour toi.

Je me demande si elle en doute, et je me demande si elle a quelque chose de précis à me dire. J'ai l'impression qu'elle est tendue, qu'elle n'est pas dans son état normal, et ça ne me plaît vraiment pas.

-Tout va bien ? T'as pas l'air dans ton assiette.

-Bien sûr. J'ai toujours du temps pour toi.

Il s'était installé à côté d'elle, rien que le fait de sentir sa présence à ses côtés lui faisait un bien immense, elle avait un peu fui sa présence, ces derniers temps, et là, elle voyait bien à quel point elle ne pouvait cacher le fait qu'il lui avait diablement manqué. Si elle s'écoutait, elle ne dirait rien et se contenterait de le prendre dans ses bras. Mais non, elle se contentait d'esquisser un fin sourire. S'il savait tous les scénarios qu'elle se mettait dans la tête quand il lui disait ce genre de chose, quand il y avait toujours du temps pour elle. C'était peut-être une façon de parler, juste, mais elle avait quand même envie de croire qu'il était sincère, déjà parce que c'était dans la personnalité d'Orion de l'être, et parce que même si les choses devenaient bizarres depuis qu'elle avait appris qu'il allait se marier, il restait son meilleur ami, normalement. Et peut-être qu'il ne serait plus rien du tout après leur discussion.

-Tout va bien ? T'as pas l'air dans ton assiette.

Elle savait dissimuler ses émotions, en temps normal, mais là, elle était trop anxieuse, et Orion la connaissait surtout trop bien pour se faire la moindre illusion. Il devait bien voir qu'elle n'était pas dans son état normal. Et c'était assez logique, quand on y réfléchissait, parce qu'elle se sentait mal, elle avait le coeur qui battait à tout rompre. Elle avait rarement été aussi stressée de toute sa vie. Elle avait peur qu'il lui rie au nez, même si ce n'était pas dans ses habitudes. Elle avait peur non pas qu'il la rembarre, elle jugeait ça inévitable, mais qu'il le prenne si mal que ça gâcherait une amitié qui datait de leur plus tendre enfance.

-Si, si, ça va..., mentit-elle. Très mal. C'est juste que... je dois te dire un truc et... Raaaa, c'était rageant ! Elle ne bredouillait pas de cette façon, en temps normal. Là, elle était en train de perdre tous ses moyens, et elle n'était vraiment pas sûre qu'elle serait capable de cracher le morceau. Peut-être pas, en fait. Je sais pas comment m'y prendre...

Elle a beau me dire qu'elle va bien, j'ai franchement du mal à la croire. Elle bredouille, elle est mal à l'aise, je sens qu'elle est gênée, même, et je pense que je la connais bien assez, depuis le temps, pour savoir que cette situation n'est pas naturelle du tout. En même temps, ça ne date pas d'aujourd'hui. Cela fait un petit moment que la situation n'est plus vraiment naturelle entre nous. Je me suis posée beaucoup de questions, mais je n'ai pas insisté, parce que ça ne venait pas que d'elle. Apprendre que je vais bientôt me marier avec Lexie, ça a bouleversé pas mal de choses dans mon pauvre cerveau complètement embrumé. Je ne sais pas si c'est lié à tout ça ou pas du tout, mais j'arrive plus à regarder Walby de la même manière, et j'ai l'impression que elle non plus n'arrive pas à me regarder de la même façon.

Quelque chose a changé, on ne l'a pas vu venir mais c'est le cas. Et maintenant, je me sens perdu, et peut-être que elle aussi. C'est peut-être pour ça qu'elle veut me parler ? Parce que jusque-là, c'est peut-être moi qui avais une attitude bizarre, j'en sais rien. Une longue conversation, une vraie conversation ne nous fera pas de mal en tout cas, c'est ma certitude. Elle a un truc à me dire. C'est pas un truc qui sent bon, non ? Quand on dit "Il faut qu'on parle", tout le monde sait que c'est pas bon signe. Et en même temps, généralement, ce n'est pas bon signe en amour. Est-ce qu'en amitié aussi ? Mais qu'est-ce qui me lie vraiment à Walburga ? Je n'en sais rien du tout.

-Hé... je lui adresse un sourire qui se veut le plus encourageant possible. Je n'aime pas la voir dans cet état. Quoi qu'elle ait à me dire, ça la travaille, je le vois bien, et je n'aime pas ça du tout. Tu sais bien que tu peux tout me dire, pas vrai ? Je ne devrais même pas avoir à le lui dire, je veux croire que, instinctivement, elle devrait le savoir. Je le lui ai déjà prouvé par le passé, non ? On ne s'était jamais rien caché jusqu'ici... Qu'est-ce qui se passe ?

-Hé.

Son sourire, rien que ça, avait le don de la faire fondre. Elle savait que ça avait sûrement toujours été plus ou moins le cas de manière générale, mais elle s'était voilée la face, avait fait semblant de ne rien voir, avait prétendu qu'ils n'étaient qu'amis tous les deux. Elle se disait que si elle avait bien voulu prendre conscience de ça plus tôt, ils ne seraient pas dans cette situation... ou bien ils ne se parleraient plus depuis très longtemps. Mais maintenant, elle était face à Orion, et elle savait que quoi qu'il puisse penser de ses déclarations, il ne dévierait pas du plan de ses parents. Il était droit et savait ce qui était dans ses intérêts. Il lui plaisait et elle l'appréciait vraiment pour ça. Mais ça n'arrangeait pas ses affaires, c'est sûr.

Tu sais bien que tu peux tout me dire, pas vrai ? Qu'est-ce qui se passe ?

Elle le savait. Ou plutôt, elle pensait tout savoir. Jusqu'ici, elle s'était toujours dit que en effet, elle pouvait tout lui dire, et que quoi qu'elle lui dise, leur amitié n'en souffrirait pas, pour la simple et bonne raison qu'il était le meilleur confident que l'on puisse avoir. Mais là, c'était forcément différent, bien évidemment... parce que ce n'était pas de leur amitié qu'il était question, plutôt d'une relation à sens unique qui ne rencontrerait sans doute jamais d'issue heureuse puisque rien ne semblait devoir permettre à ses déclarations de les aider en quoi que ce soit.

Il lui fallut un certain temps pour oser ouvrir la bouche et dire ce qu'elle avait à dire. Elle y avait beaucoup réfléchi, mais ce n'est pas pour autant qu'elle savait vraiment de quelle façon l'exprimer. Devant sa glace, ça passait mieux que quand elle l'avait sous les yeux et qu'elle se disait qu'elle était sur le point de détruire complètement une amitié qui comptait vraiment beaucoup pour elle. Elle prit une grande inspiration et se lança tout de même.

-Depuis que tu m'as parlé de tes fiançailles avec Lexie, tout ça... Elle baissa les yeux, fait très rare chez elle. Bah... ça m'a travaillée. J'ai pas arrêté d'y penser et... J'ai pas envie que tu te maries, c'est tout.

Je n'aime vraiment pas du tout voir Walburga dans cet état. Cela ne lui ressemble pas du tout, d'être mal à l'aise, comme ça. Elle est généralement sûre d'elle, fière, pas le genre à exposer ses faiblesses au grand jour. J'estime faire exception, c'est vrai, parce qu'elle est ma meilleure amie. Mais j'ai le sentiment que c'est vis-à-vis de moi qu'elle est gênée, alors moi aussi, ça me gêne beaucoup. J'espère qu'elle ne va pas tourner autour du pot, en tout cas, parce que j'ai besoin de comprendre ce qui lui arrive, même si, forcément, ça m'inquiète quand même, d'entendre ce qu'elle a à dire, surtout si j'y suis pour quelque chose. Je lui laisse le temps de révéler ce qu'elle a sur le coeur, patient et attentif. Je sens que ce n'est pas simple pour elle de se jeter à l'eau, et je ne veux rien brusquer du tout, surtout pas. Je le regretterais. Même si je risque aussi de regretter ce qu'elle va me dire, parce que tout ça va me mettre dans une situation qui me dépasse.

Et j'avais raison de m'inquiéter. Je tombe des nues quand elle m'apprend que ce qui la travaille, c'est mes fiançailles, mon futur mariage. J'ai peur de ne pas l'interpréter comme il faut. J'ai envie de ne pas l'interpréter comme il faut. Pour être tout à fait honnête, moi aussi je me pose des milliards de questions depuis l'annonce de mes fiançailles, même si celle-ci était pourtant prévisible, effectivement. Lexie est une fille bien, et je pourrais sans doute trouver difficilement un meilleur parti pour moi, mais... Je n'ai pas envie de me marier. Et si je dois regarder les choses en face, ce que Walby m'oblige à faire, je dois avoue qu'elle n'y est pas pour rien... Est-ce que c'est ce qu'elle essaye de me dire ? Qu'elle ressent quelque chose pour moi ? J'ai envie de le croire, je le veux vraiment. Même si ça foutrait tout en l'air. Et si elle avait des sentiments pour moi ? Au fond, ça changerait rien. On ne peut pas changer la situation.

-Je suis pas très impatient de me marier non plus, tu sais, je réponds, à tâtons. Mais ça changera rien, j'ai pas l'intention de te mettre de côté parce que je vais me marier...

Mais c'est pas de ça qu'il est question, pas vrai ?
Pas vrai ?

Walby sentait bien qu'elle avait décontenancé Orion. Maintenant, ce dernier devait se demander à quel point son propos était sincère et tout ce qu'il pouvait bien impliquer. Le connaissant, il allait sans doute rationaliser un peu pour ne pas affronter une réalité gênante et la mettre mal à l'aise. En attendant, et même si tout était loin d'avoir été dit, la jeune femme se sentait déjà au moins un peu soulagée d'avoir exprimé son point de vue sur la situation, même s'il allait falloir qu'elle se livre encore davantage, sans quoi, ils n'allaient pas s'engager exactement dans la direction qu'elle souhaitait. 

-Je suis pas très impatient de me marier non plus, tu sais.

Walby esquissa un fin sourire, elle le savait, Orion n'avait jamais fait preuve d'un enthousiasme débordant concernant son futur mariage. Mais ça ne voulait pas dire que c'était à cause d'elle qu'il appréhendait de se marier, ça voulait juste dire qu'il avait peur de ses responsabilités nouvelles d'adulte, ce qui était parfaitement normal. Ils marchaient encore sur des oeufs, tous les deux, mais ça n'allait pas pouvoir durer.

Mais ça changera rien, j'ai pas l'intention de te mettre de côté parce que je vais me marier...

Est-ce que c'est vraiment comme ça qu'il interprétait ses paroles ou est-ce que c'était juste parce que Orion, en gentleman, comme toujours, avait la délicatesse de lui proposer de se dérober si elle le souhaitait ? Elle n'en savait trop rien, mais en tout cas, il fallait qu'elle rebondisse sur ce qu'il venait de dire. C'était maintenant ou jamais. Et même si cette  idée lui faisait un peu peur, il fallait qu'elle se jette à l'eau.

-Je sais bien, mais... Elle sentit son estomac se nouer. Dire la vérité était une épreuve, et nécessitait un effort terrible, qui l'angoissait. Ce que je veux dire, c'est que j'ai pas envie que tu te maries tout court. Je... Elle poussa un soupir. J'ai envie d'être la seule fille dans ta vie. Je t'aime, voilà...

Ce que ça avait été difficile à dire ! Maintenant, elle baissait les yeux au sol, incapable de soutenir plus longtemps le regard de son interlocuteur. C'était dit, et ça faisait du bien et peur en même temps.

Les mots que prononce Walby vont au-delà de tout ce que j'avais imaginé, au-delà de tout ce que j'avais envisagé d'entendre. Quelque part, j'espérais qu'elle me dise quelque chose comme ça, et en même temps, maintenant que c'est fait, je me sens comme tétanisé. Me fiancer avec Lexie contre mon gré, ça m'a fait prendre conscience de plein de choses, à commencer par le fait que oui, moi non plus je n'ai pas envie de me marier, de me marier tout court. La seule chose qui m'ait jamais défendu d'aller plus loin à Walby, avant mes fiançailles, c'est le fait qu'on porte le même nom, qu'on fasse partie de la même famille. A un degré éloigné, d'accord, mais ça a quand même mis une certaine barrière.

J'ai gardé mes sentiments pour moi, je les ai enfouis au plus profond de moi-même, et j'ai fini par me convaincre qu'ils n'avaient jamais existé. Sauf qu'ils affleurent constamment à la surface, à chaque moment qu'on passe ensemble, à chaque fois que je la regarde, à chaque fois que j'entends le son de sa voix. Et maintenant qu'elle me dit qu'elle m'aime... Je devrais être heureux... Je ne le suis pas. J'ai envie de lui ouvrir mon coeur, de la serrer contre moi, de l'embrasser, de dire qu'elle a toujours plus compté que tout le monde pour moi, lui dire à quel point je l'admire... mais je sais que ça va nous faire du mal pour rien. Je n'ai pas envie de lui faire du mal tout de suite non plus, mais je pense vraiment que c'est pour son bien.

-Je suis désolé, Walby, je pensais pas... Je marque une légère pause. Tu sais, Lexie et moi, on se fréquente un peu...

Sauf que je ne ressens rien pour elle, que j'échangerais sa place contre Walby à chaque seconde. Mais les choses doivent rester à leur place. Mon mariage est planifié, et je ne dois en aucun cas bouleverser ce qui a été prévu. Je dois respecter le désir de mes parents, je dois m'élever au rang prévu pour moi. Les sentiments, je n'ai plus qu'à les étouffer à nouveau. Même si ce sera maintenant plus difficile. Je peux pas oublier ce qu'elle vient de me dire. J'ai pas envie de l'oublier, surtout.
Parce que je l'aime aussi...

-Je suis désolé, Walby, je pensais pas...

En son for intérieur, Walby n'avait pas pu s'empêcher d'espérer... d'espérer qu'il lui retournerait sa déclaration. Après tout, leur complicité, les regards qu'il leur arrivait de s'échanger, parfois, la facilité avec laquelle ils parlaient de tout et de rien, le plaisir qu'ils éprouvaient à juste passer du temps ensemble... Elle n'avait pas inventé tout ça, pas vrai ? Non, elle avait fait la pire chose possible. D'accord, il ne se moquait pas d'elle, mais l'un dans l'autre, sa réaction était tout de même terrible pour la vert et argent. Ce qu'il lui disait à mi-mot se résumait pour elle à : "N'y compte surtout pas." Il était désolé, forcément, puisque ses sentiments n'étaient pas partagés, puisqu'il ne s'était rendu compte de rien, et maintenant, Walby se sentait bête et honteuse. Orion ne la regarderait plus jamais de la même manière. Elle avait, comme à son habitude, tout gâché. Elle ne dirait pas regretter d'avoir suivi les conseils d'Abraxas, parce qu'il le fallait bien, et au moins elle était fixée. N'empêche que maintenant, elle se sentait triste, et encore plus mal. Elle avait envie de disparaître six pieds sous terre, et le pire, c'est qu'elle était sûre que Orion aussi. Elle le mettait dans une situation sacrément embarrassante. Leur amitié ne serait plus jamais la même, à présent. Et encore, ça, ce n'était rien en comparaison de ce qu'il ajouta ensuite.

Tu sais, Lexie et moi, on se fréquente un peu...

Le coup était aussi violent, brutal et douloureux que si on venait littéralement de lui poignarder le coeur. Elle savait qu'il essayait de la ménager, mais malgré tout, ça faisait mal. Parce que le garçon dont elle était amoureuse non seulement ne l'aimait pas mais en plus était avec une autre fille. Celle qu'il allait épouser, justement. Walby voudrait balancer les pires horreurs sur Lexie. Après tout, il y a de la matière avec les rumeurs qui courent sur elle ces derniers temps, mais elle n'y arrive pas. Elle n'a pas envie de blesser Orion, même si elle-même se sent blessée en cet instant.

-Oh.. Eh bien... j'aurais bien aimé que tu me le dises, j'aurais eu l'air un peu moins bête, répondit-elle en essayant de sourire comme si tout ceci n'était qu'une immense farce. C'est... bien... j'imagine. Elle serra les dents. Bon, écoute, oublie tout ce que je viens de te dire... c'était idiot.

J'aurais dû le lui dire, je ne peux pas la contredire. Je le pense, et encore plus quand je vois sa réaction, quand je constate à quel point je lui fais de la peine. Dès l'instant où j'ai accepté de protéger Lexie en prétendant avoir une relation avec elle, j'aurais dû servir ce mensonge à Walby en premier lieu. Elle est ma meilleure amie, après tout... enfin, elle est supposée l'être. Mais justement, je n'ai pas eu envie de lui mentir... et surtout, lui parler de Lexie, c'était nous fermer toutes les portes, je m'en rends compte maintenant. Même si elles étaient verrouillées à double tour bien avant tout ça... Je m'en veux qu'elle soit déstabilisée. Je déteste savoir qu'elle se sent mal, et le fait qu'elle se sente mal par ma faute, ça me détruit. Mais je dois continuer comme ça. C'est pour notre bien, vraiment. On ne peut rien faire. Même si elle m'aime... Même si, en vérité, je l'aime aussi. Les dés sont jetés. Autant se faire du mal tout de suite et ne plus s'en faire plus tard... Je voudrais que ce soit aussi simple. Malheureusement, rien ne l'est jamais, j'en ai peur.

-Non.

C'est une chose que je ne peux pas m'empêcher de lui répondre quand elle me dit que c'était idiot, que je dois oublier ce qu'elle vient de me dire. Comme si je pourrais réellement en être capable. Elle m'a avoué ses sentiments, c'est une chose que je ne peux pas oublier, que je ne veux pas oublier non plus. Dans un accès de faiblesse, j'ai envie de lui dire tout ce que j'ai sur le coeur, comme elle l'a fait elle aussi, mais je me ravise. La ligne de conduite que j'ai choisi d'adopter est la bonne et je le sais. Même si elle n'a l'air de plaire à personne pour le moment, c'est celle qui nous sauvera, sur le long terme.

-C'était pas idiot, je lui dis quand même, pas qu'elle croie que je vais me moquer d'elle, l'humilier ou je ne sais quoi. Je regrette juste que ça doive se passer ainsi. Je me dis que dans d'autres circonstances... Mais non, on ne décide pas des circonstances, on les subit, c'est tout. c'est la grande conclusion à cette histoire. Je suis vraiment désolé, Walby...

-Non.

Le ton d'Orion était catégorique, mais Walby n'interprétait rien là-derrière. Elle le connaissait bien, tout de même, elle savait comment il était, elle savait comment il pensait. Si cette discussion la mettait affreusement mal à l'aise et lui donnait envie de s'enterrer six pieds sous terre, elle se doutait que c'était pire encore pour Orion, qui n'avait rien demandé à personne et se prenait en pleine figure ces déclarations auxquelles il ne pouvait évidemment pas répondre favorablement. C'était comme ça, et ce n'était pas si grave, au fond. Peut-être même que, d'ici quelques années, ils réussiraient à en rire. Ou pas. Pensant à cela, Walby visualisait Orion dans quelques années, heureux époux de la belle Lexie, qu'il n'avait pas choisie mais qu'il aimait quand même. Sans doute auraient-ils des enfants. Un, deux, trois, plus... Et elle aussi serait sûrement marié, à elle ne savait pas qui.

Ils savaient bien que ça devait se passer comme ça, que ça se passait toujours de cette façon. Ce n'est pas pour autant que la jeune femme se sentait... soulagée, ou rien. En fait, elle se sentait gênée... et vide. Abraxas avait eu raison, il fallait qu'elle ait cette conversation, elle n'allait pas reprocher à son ami de l'y avoir encouragée. Mais elle n'arrivait pas à appréhender l'après... Ils ne pourraient plus être amis comme avant, maintenant, non ?

-C'était pas idiot. Je suis vraiment désolé, Walby...

Elle ne savait même pas ce qui était le plus difficile à supporter : la gêne qu'elle ressentait, où celle d'Orion. Parce qu'elle le voyait bien, que le pauvre ne savait plus où se mettre. Quand il disait qu'il était désolé, Walby le croyait sur parole sans la moindre hésitation. C'est que ça se voyait comme le nez au milieu de la figure, qu'il était mal. Il aurait préféré qu'elle ne ressente rien pour lui, mais elle n'avait pas décidé. C'était arrivé comme ça, en fait ça avait toujours été là. C'est juste qu'elle avait réussi à le nier tant que la jalousie ne venait pas éclairer ses sentiments sous un jour nouveau.

-T'excuse pas, t'y es pour rien, répondit Walby en essayant d'afficher un sourire décontracté. Sans succès. C'est pas... bizarre, entre nous, pas vrai ? Tout va bien ?

Bien sûr, que c'était bizarre, triple nouille. Plus rien ne serait pareil, maintenant.

Elle a beau dire que je n'y suis pour rien, je ne la crois pas : parce que je sais pertinemment que j'y suis pour tout, à la vérité. Elle m'aime et je la rejette, et maintenant, elle doit se sentir idiote, humiliée, ou autant de choses que je ne veux pas qu'elle croie qu'elle est, parce qu'elle ne l'est pas. Elle n'imaginera jamais combien je lutte contre l'envie de tout laisser tomber, une bonne fois pour toutes, de la prendre dans mes bras pour la rassurer, de l'embrasser enfin comme je l'ai souvent idéalisé, sans franchir le pas, de lui dire que je l'aime... Mais ça n'arrivera pas. Même si, sur le moment, je pense qu'on serait, on ne serait que plus malheureux par la suite. Je préfère la faire souffrir maintenant que plus tard, donc je ne changerais pas mon fusil d'épaule, même si la réaction de Walby me met mal à l'aise. Je ne veux pas que ça se voit trop, que ça empire son état à elle. Franchement, en cette seconde, je me déteste. Mais il n'y a rien que je puisse faire, malgré tout, rien du tout, si ce n'est d'essayer de la rassurer... mais je sus tellement maladroit.

-Bien sûr ! je réponds vivement.

Tout va bien, parce que je l'adore, et ce ne sont pas ses déclarations qui vont m'empêcher de l'adorer. Au contraire, c'est encore pire, maintenant, parce que ce que j'estimais être totalement impossible l'est un peu devenu dans mon esprit, mais pas trop quand même. est-ce que c'est bizarre, entre nous ? Oui. Je vais pas le dire à voix haute, mais oui, c'est bizarre, parce que je la regarderai plus jamais de la même manière. Et je ne crois pas que les mots que je prononce ensuite vont la rassurer davantage.

-Bon, écoute, faut que j'y aille. On se voit plus tard, d'accord ?

Mon comportement est pathétique, je le sais bien. Là, je prends la fuite au moment où elle a justement besoin de moi, d'être rassurée... mais j'y peux rien. Je peux plus soutenir son regard, ça me fait trop mal au coeur. Qu'on le veuille ou non, les choses ne seront plus jamais pareilles, à présent. Et on va devoir l'accepter.