Walby avait mal au ventre. Elle ne manquait pas d'assurance, et quand il était question de dire ce qu'elle pensait, d'exprimer ce qu'elle avait à dire, elle n'y passait clairement pas par quatre chemins, mais dans certains cas de figure, en revanche, elle n'en menait d'un coup plus très large. Et là, c'était le cas. Parce que s'il y avait bien une personne qu'elle plaçait au-dessus du lot et lui faisait bien vite perdre toute envie de rire ou de s'amuser, c'était bien son père.

Elle l'adorait, elle l'admirait, mais elle savait aussi que la pire chose qui pouvait se produire dans sa vie, c'était de le mettre en colère ou de le décevoir... Et elle avait assez peur que ce soit ce qui arrive. Elle avait peur du jugement de son père, et de ce qu'il penserait de la situation.

Mais quand il faut y aller, il faut y aller. Quelques mois seulement qu'elle avait fini ses études, mais elle savait que c'était déjà beaucoup à l'échelle des Black, et elle ne pouvait pas être sûre que son paternelle ne soit pas en train de lui négocier dans son dos des noces dont elle ne voudrait pas. C'était agréable de vivre dans sa bulle, avec Orion, et de se laisser oublier que le monde continuait de tourner, mais c'était quelque chose qui pouvait durer qu'un temps, et à un moment donné, ça ne pouvait plus marcher... En plus, Alphard était au courant de leur petit manège, alors ça précipitait quand même sérieusement l'échéance.

Walby lâcha la main qu'elle avait tenue jusque-là en entrant dans la demeure des Black. Même si la nouvelle allait tomber, elle préférait le dire que de le montrer. Elle adressa un sourire encourageant à Orion, elle se doutait qu'il devait être tout aussi nerveux qu'elle. Elle ne serait pas étonnée qu'il le soit davantage qu'elle d'ailleurs. Mais ça irait. En regardant la situation avec une distance objective, ça avait les meilleures chances de bien se passer. Mais il allait falloir se jeter à l'eau.

Elle espérait au fond d'elle avoir un peu de répit, que son père ne serait pas là quand ils arriveraient, mais Pollux était bien présent. Et donc, le moment crucial allait arriver.

-Bonjour père, dit-elle poliment.

Une entrée en matière classique, c'est la suite qui allait être plus compliquée.

Rares (pour ne pas dire inexistantes) étaient les occasions au cours desquelles Pollux Black ne travaillait pas. C'était bien simple, même quand il faisait mine de se préoccuper d'autre chose, son esprit avait tendance à vagabonder en direction de la Gazette, qu'il se devait de contrôler d'une main de maître et sans commettre le moindre impair. Ils étaient la source d'information première dans le monde des sorciers de Grande-Bretagne, il fallait donc que tout demeure toujours irréprochable, sans la moindre bavure, jamais. Alors même quand il était chez lui, et s'occtroyait un jour supposément de congé, il ne se contentait pas simplement de se reposer afin d'être d'aplomb le lendemain.

En l'occurrence, un verre de whisky pur feu dans une main, une plume dans l'autre et le dernier exemplaire de La Gazette sur les genoux, il établissait le rapport minutieux de l'exemplaire de la veille, relevant les coquilles, les erratums, les approximations, afin d'adresser à qui de droit son retour tout sauf cordial au moment de croiser ses employés. Les erreurs à relever étaient certes minimes, mais tant qu'elles existaient, alors c'était la réputation du journal qui pouvait s'effondrer, et c'était tout à fait hors de question.

Il était tout à son ouvrage et à sa concentration quand il entendit la porte d'entrée s'ouvrir. Il ne releva pas la tête, se doutant qu'il devait s'agir de Walburga. Depuis que cette dernière était venue à bout de sa scolarité, Pollux l'estimait oisive, elle allait et venait sans qu'il ne sache suffisamment à quoi elle s'occupait, et il savait bien qu'il allait devoir tirer cela au clair, et plus largement se soucier de son cas. Cygnus était marié de frais, il était temps de focaliser son attention sur la deuxième née, même s'il n'avait pas encore, pour le moment, épluché son carnet d'adresse (ou son arbre généalogique à la recherche de la recrue idéale). Il ne releva finalement les yeux que quand Walburga la salua, le tout pour constater qu'elle n'était pas seule. Orion était présent également.

-Bonsoir. Il adressa à Orion un regard appuyé. J'ignorais que nous aurions un invité, dit-il, soulignant l'impolitesse qu'il pouvait y avoir à venir ici sans s'être préalablement annoncé.

Mais Orion avait peut-être de bonnes raisons d'être ici, et Walburga d'avoir voulu le mener sous leur toit, après tout.

J'ai l'impression de ne jamais avoir été à ce point nerveux de toute ma vie, j'ai du mal à garder contenance. Je veux avoir l'air détendu, je veux rassurer Walby et lui assurer que tout se passera bien, mais la vérité, c'est que si je la sens anxieuse, je pense que ce n'est rien en comparaison de ce que j'éprouve, personnellement. J'ai le coeur qui bat à mille à l'heure et les mains moîtes. J'ai l'impression qu'aucune épreuve ne pourrait être pire que celle-ci. Je n'étais pas aussi nerveux quand j'ai dû passer mes ASPIC (surtout les oraux), je me sentirais davantage capable de mener un combat acharné contre un troll et sans baguette que de devoir faire face à... mon beau-père, du coup ?

J'ai toujours eu beaucoup de considération et d'estime pour Pollux Black. Pour moi, cet homme est un exemple à suivre, un modèle de rigueur et d'intégrité, le genre de personne que j'espère devenir plus tard. Mais c'est justement parce que je l'estime beaucoup que j'ai peur de sa réaction. Je n'ai pas envie de décevoir ou d'engendrer un esclandre. Mais nous n'avons pas le choix. J'ai l'impression que c'est tout notre avenir qui va se jouer dans quelques minutes, et c'est une idée qui me met très mal à l'aise. Sauf que je ne peux pas y couper pour autant, évidemment.

Nous avons beaucoup discuté de la situation. En toute logique, tout devrait bien se passer... il n'y a rien qui justifierait le contraire, en tout cas. Dans l'entourage de Walby, je suis un parti particulièrement intéressant, et puisqu'aucune nouvelle fiançaille n'a été organisé, ni pour l'un ni pour l'autre, il n'y a normalement aucune raison pour que Pollux Black nous oppose un refus. Mais voir les choses de façon rationnelle, ça se fait à distance. Maintenant que je suis face à cet homme, je suis tout sauf vraiment rassuré. Quand il me voit, il donne le ton. J'ai l'impression que ma voix est celle d'un autre quand je prends la parole afin de m'adresser à mon interlocuteur, mais je n'ai pas le choix, et surtout je ne dois surtout pas reculer maintenant.

-Bonjour monsieur, dis-je très poliment. J'espère que ma présence ne vous dérange pas.

Je devrais rentrer dans le vif du sujet, apprendre avec assurance à cet homme les raisons de ma présence. Mais les mots restent bloqués dans ma gorge. Plus facile à imaginer qu'à faire.

-Bonsoir. J'ignorais que nous aurions un invité.

Walby se disait qu'elle aurait peut-être dû annoncer la présence d'Orion, mais elle s'était fait tout un film à l'idée de prévenir son père. Elle s'était dit qu'il allait se poser des questions, qu'il allait l'interroger, qu'il allait tout de suite deviner, et elle ne voulait pas avoir cette discussion en l'absence de celui qu'elle espérait pouvoir considérer comme son fiancé.

C'était absurde, elle en avait conscience, parce que son père n'aurait sûrement rien remarqué puisqu'ils se voyaient beaucoup, avec Orion, dans tous les cas. Mais ce qui était fait était fait. La situation avait un caractère exceptionnel, et c'était très bien, dans le fond, parce qu'il fallait qu'elle soit exceptionnelle, pour qu'ils s'en souviennent tous. Au-delà de l'embarras, ce moment allait peut-être changer leur vie.

-Bonjour monsieur. J'espère que ma présence ne vous dérange pas.

Elle tourna vers Orion un regard attendri quand le jeune homme parla très poliment, assurant qu'il espérant ne pas déranger, que sa présence n'importunait pas. Il était décidément parfait. Elle savait que le stress devait être terrible pour lui, et elle n'était pas beaucoup mieux, mais elle aimait qu'il réagisse comme ça, sans être pétri d'assurance et de certitudes, mais au contraire, un peu mal à l'aise, pas du tout convaincu de ce qui allait se passer par la suite. Elle, elle avait de plus grande certitude mais la boule au ventre.

-Si Orion est là, osa-t-elle déclarer. C'est qu'on.. hum... Elle se racla la gorge. Elle attrappa la main de son petit ami pour la serrer le plus fort possible dans la sienne. C'est qu'il a quelque chose à te demander.

Elle pourrait préparer le terrain, lui annoncer qu'ils sortaient ensemble, lui apprendre comment ils s'étaient déclarés leurs sentiments, comment les fiançailles d'Orion leur avait fait prendre conscience de ce qu'ils représentaient l'un pour l'autre et d'à quel point ils avaient peur de se perdre, mais Walby préférait entendre immédiatement Orion faire sa demande officielle. Elle restait une fille plus romantique qu'elle ne le prétendait. Pour elle, le moment de voir le garçon qu'elle aimait demander sa main à son père, c'était un moment crucial, vraiment important. Et elle espérait que tout se passerait pour le mieux.

Pollux n'était jamais dérangé par la présence d'Orion Black. Il faut dire que le jeune homme s'était toujours montré absolument irréprochable envers lui : poli, décent, discret, il portait fièrement les couleurs de la famille sans trop en faire. En somme, il était un jeune homme qui pouvait tout à fait fréquenter sa fille sans qu'il s'inquiète de la mauvaise influence qu'il pourrait éventuellement avoir sur elle. Mais cela n'ôtait rien au fait qu'il était, en cet instant, parfaitement pris au dépourvu. Ce n'était pas la première fois que le jeune homme passait du temps sous leur toit, mais c'était bien, à sa connaissance, la première fois que Walburga ne l'avertissait pas de sa présence. Et au-delà de cela, il y avait dans cette situation quelque chose de bien trop protocolaire pour pouvoir être considéré comme entièrement innocent.

Il eut à peine le temps de faire non de la tête quand Orion le salua avant de s'assurer que sa présence ne l'importunait pas. En effet, sa présence ne l'importunait pas du tout. Il appréciait la présence du jeune homme ainsi que sa conversation, même s'il était souvent bien... timide. En tous les cas, il pouvait bien s'imposer sur leur toit tant que le fait de ne pas prévenir ne devenait pas une habitude. Mais la chose ne s'arrêta pas là, et avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, sa fille prit la parole.

Pollux ne mit pas longtemps à comprendre. En même temps, il n'était pas besoin d'être très perspicace pour deviner ce qui se tramait alors tandis que, prenant la main de son "ami" dans la sienne, elle lui affirmait qu'Orion et elle avaient quelque chose à lui demander. Dans son esprit, tout devenait très clair, y compris l'attitude des deux jeuns gens, par certains aspects assez maladroite.

Walburga et Orion ensemble ? Ce n'était pas du tout illogique, bien au contraire, même, mais Pollux ne l'avait pourtant jamais envisagé. La nouvelle était un peu déroutante, surtout parce qu'il n'y avait pas été immédiatement préparé, mais elle ne le prit au dépourvu qu'un instant. Si ses présomptions étaient justes, eh bien... soit. Walby avait le mérite de lui amener un parti qu'on pouvait difficilement considérer comme... insuffisamment digne d'elle. On pourrait difficilement faire plus pur que le sang qui coulait dans les veines de son futur gendre. Rien ne transcenderait jamais le sang des Black. Et la branche d'Orion ne souffrait qui plus est d'aucune déplorable tare.

-Je vous écoute, dit simplement Pollux, prétextant ne rien avoir deviné.

Il n'allait certainement pas leur simplifier la tâche. C'était à eux d'assumer leurs choix et leurs responsabilités, à présent.

J'ai les mains moites et la gorge sèche. C'est l'instant de vérité. On en a beaucoup parlé, avec Walby. On sait très bien que si l'on s'en tient au scénario, il n'y a pas la moindre raison pour que les choses se passent mal. Au contraire, et une fois que ce sera di, qu'on aura fait les choses dans les règles de l'art, alors tout ira bien. On se sentira bien tous les deux, et on pourra même fêter ça. Je pense que ça ne m'empêchera pas pour autant de me sentir embarrassé en présence de - je l'espère - mon futur beau-père, mais au moins, la messe sera dite. Pas la vraie messe, d'accord, mais vous m'avez compris.

On a l'intention de Pollux Black, maintenant, il faut qu'on gagne son intérêt. Walby engage les choses, mais ce n'est pas à elle de faire le travail. La suite repose entre mes mains, je le sais pertinemment. Et j'ai révisé mon texte. Sous l'effet du stress, je perds mes mots, mes moyens, mais je sais faire ce que je peux. Je prends une grande inspiration et me racle la gorge. J'ai l'impression de passer un exposé devant toute une classe, une réminiscence désagréable. Je fais de mon mieux pour conserver une contenance. Ce n'est vraiment pas évident...

-Monsieur, dis-je en prenant un ton sûrement trop protocolaire, forcément trop cérémonieux, mais ce n'est pas grave. La situation l'exige, et je veux vraiment faire ça dans les règles de l'art. Tant d'autres y sont parvenus avant moi, nos pères avant moi. Je peux le faire, je peux le faire. Je suis ici pour demander la main de votre fille. Voilà, c'est sorti, j'ai le coeur au bord des lèvres sous l'effet du stress. Je l'aime et je vous promets de prendre le plus grand soin d'elle et de pourvoir à tous ses besoins.

Je me sens encore plus mal du fait que Walby est juste à coté et que je parle malgré tout d'elle à la troisième personne, mais c'est comme ça que ça fonctionne. Je ne dis plus rien. Mon regard va de Pollux à Walby, de Walby à Pollux. Mon souffle est retenu, j'attends de savoir ce qu'il en est, le temps s'étire, gagne en densité. Je n'ai jamais été aussi anxieux.

-Je vous écoute.

Walby était absolument convaincue que son père avait parfaitement compris de quoi il retournait. A présent, il se contentait de jouer avec leurs nerfs afin de les obliger à passer aux aveux. C'était une méthode qui lui ressemblait bien, et le genre de comportement dont elle avait elle-même hérité, même si elle s'en défendait la plupart du temps, plus par orgueil qu'autre chose (mais l'orgueil était aussi un truc de famille). Walby le sentait venir, mais elle décidait d'en prendre son parti.

De toute manière, ce n'était pas pour elle que le plus dur était à faire. La partie la plus dure, elle la laissait à Orion. Mais elle était assez certaine que ça allait bien se passer, à juste regarder son père, et elle devinait qu'elle n'aurait pas à lui sortir une flopée d'arguments pour le convaincre. En même temps, Orion Black était un excellent parti, son père était bien obligé d'en convenir. Le fait qu'il ait compris et ne proteste pas, qu'il les laisse parler, qu'il les fasse mariner, pour elle, c'était révélateur, ça voulait dire ce que ça voulait dire, à savoir que son père allait leur donner sa bénédiction. A moins qu'Orion ne fasse une immense bourde dans les secondes à venir, mais la jeune femme avait confiance, elle savait que ça n'arriverait pas. Et heureusement, d'ailleurs.

-Monsieur. Je suis ici pour demander la main de votre fille. Je l'aime et je vous promets de prendre le plus grand soin d'elle et de pourvoir à tous ses besoins.

Le coeur de Walby battait plus fort. Orion avait été absolument parfait, comme à son habitude, irréprochable comme toujours. Il y a encore un an de ça, on lui aurait dit qu'Orion se tiendrait ici et maintenant, à demander sa main à son père, elle ne l'aurait pas cru, elle ne se serait même pas autorisée à l'imaginer, d'ailleurs, mais maintenant que c'était chose faite, eh bien... ça coulait tout simplement de source. Ce garçon la rendait heureuse, elle pensait que ça se voyait comme le nez au milieu de la figure, et au-delà de ça, il était capable de lui offrir tout ce qu'une femme de son rang pouvait espérer, donc à partir de là. Walby avait très, très envie de dire quelque chose mais elle tint sa langue. Le regard tourné vers son père, elle était suspendue à son verdict.

La nervosité du jeune Orion était palpable, mais Pollux ne comptait pas faire quoi que ce soit pour le calmer ou le rassurer. Bien au contraire. Sa démarche nécessitait une certaine forme de courage et de résignation, et l'homme tenait à ce que le jeune homme en fasse preuve. Il ne pourrait être question pour lui que sa fille s'entiche d'un lâche, qu'il ait le nom, la fortune et la réputation était une chose, mais il fallait également qu'il ait le tempérament adéquat, afin de se montrer véritablement digne de sa fille, de la chair de sa chair.

Et Orion ne se démonta pas un seul instant, loin de là. Il était de toute évidence tout à son aise, mais quand bien même rien dans le comportement de Pollux n'était là pour l'encourager (mais pas non plus pour le dissuader, il faut tout de même le noter), il alla jusqu'au bout de son discours, et lui demanda, comme le père avait fini par s'y attendre au regard des circonstances, la main de sa fille.

Il l'aimait, lui dit-il. Soit, l'amour était une considération accessoire dans tout mariage, mais il appréciait l'idée que sa fille puisse être fiancée à quelqu'un qui serait vraiment attentif à ses besoins et qui saurait faire montre d'une considération totalement sincère à son égard. Alors en soi, c'était un bon point. Il assura de prendre le plus grand soin d'elle, de satisfaire à tous ses besoins. Il pouvait émettre quelques réserves à ce sujet, mais il le pensait tout de même sincère. Il lui donnait tout l'air de l'être, en tout cas.

En vérité, Pollux n'avait pas la moindre raison de s'opposer à cette demande. S'il n'était pas le parti que Pollux avait envisagé pour Walburga, il était certainement meilleur que tous ceux que l'homme avait envisagés pour sa fille. Ce serait faire la fine bouche et la sourde oreille à l'évidence que de ne pas le remarquer et de ne pas laisser sa chance à ce jeune homme qui semblait par ailleurs armé de la meilleure volonté du monde en dépit de son stress très évident. Malgré tout, il ne répondit pas de suite, ménageant très volontairement le suspense. Il tourna son regard vers Walburga.

-Et toi, qu'est-ce que tu en penses ?

S'imaginer que Pollux attendait après l'avis de Walburga pour la marier était un leurre, malgré tout, il tenait à l'entendre, quand bien même il se doutait de sa réponse. Quand bien même sa décision était d'ores et déjà prise en réalité.

J'ai le coeur qui s'agite si fort dans ma cage thoracique que j'ai le sentiment qu'il cherche à s'en échapper et que ce fichu tintamarre va s'entendre et me desservir. Je ne m'attendais pas à ce que ce soit facile, mais en situation, le sentiment que j'éprouve est vraiment complexe à gérer. C'est que j'ai le sentiment de jouer ma vie dans ces quelques minutes. En réalité, je pense que c'est un peu le cas, effectivement. Je ne mourrai pas d'un refus, mais je me sentirai totalement perdu, incapable de savoir ce que devrait être notre prochain mouvement. Je serais bien incapable de vivre sans Walburga. Notre mariage aurait pu attendre, si nous n'étions pas poussés dans nos retranchements, mais maintenant ou bien plus tard, c'est avec elle que je veux être, et je ne vais pas que qui que ce soit nous en empêche.

La main de Walby serre plus fermement la mienne et me communique de la force. Malgré tout, le temps que Pollux consacre à nous toiser sans dire un mot me donne le sentiment de durer une éternité, et je le vis très mal. J'ai envie de m'enterrer sous le sol en attendant le verdict, mais une absence totale de bravoure dans ces circonstances bien particulières ne nous rendrait décidément pas service, et je ne pense pas devoir rester là-dessus.

Il ménage le suspense jusqu'au bout. Il reste si impassible que j'ai du mal à savoir et à comprendre ce qu'il pense exactement. Je ne sais pas s'il est en train de me juger, de me jauger, s'il est surpris ou non... Et le pire, c'est que quand il reprend la parole, c'est pour ne pas s'adresser à moi directement, et demander à Walby ce qu'elle en pense.

Je ne sais pas ce que je dois penser de cette question, je ne m'attendais pas à ce qu'il cherche à connaître l'avis de sa fille. Je suis, cela dit, heureux qu'il le lui demande, parce que de toute évidence, ça va plaider en ma faveur, en notre faveur. Si vraiment il s'intéresse en toute sincérité au bien-être de sa fille, alors je pense qu'il peut être rassuré. Je l'aime, elle m'aime, je prendrai soin d'elle quoi qu'il advienne. Tout va bien se passer. Mais en attendantla réponse de Walby, je retiens mon souffle tout de même.

La réaction de son père dérouta un peu Walby. Elle avait imaginé tout un tas de scénarios possibles, mais celui-ci lui avait échappé, et donc, elle n’avait guère eu le temps de l’envisager ou de s’y préparer, elle se sentait totalement désarmée face à la réaction pour elle inattendue de son père. Il les avait regardé successivement, sans mot dire, sans réagir, sans lui laisser deviner ce qu’elle pourrait bien ressentir et penser… Et finalement. Il lui posa la dernière question à laquelle elle s’attendait. Pour certains, elle paraîtrait peut-être tout à fait normale et cohérente, mais pas pour elle, et elle tombait des nues, en cet instant.

-Et toi, qu'est-ce que tu en penses ?

On pouvait se dire qu’il était très logique de demander l’avis de la principale intéressée, mais ce n’était pas le cas du tout. Non, c’était tout le principe, dans leurs familles, on ne leur demandait pas leur avis. Walby n’avait qu’à regarder ses frères pour en avoir la confirmation. Cygnus était peut-être heureux en mariage, mais il n’avait pas choisi sa femme pour autant. Et maintenant, Alphard était fiancé, lui aussi. Pour eux, c’était dans l’ordre des choses. C’était comme cela que les choses fonctionnaient dans leurs familles, tout simplement, et il ne fallait surtout pas y déroger.

Ce qu’elle en pensait ? Si vraiment, elle n’était pas d’accord avec cette idée, elle ne serrerait pas si fermement la main d’Orion dans la sienne. Pour elle, il était certain qu’elle ne se donnerait pas cette peine, qu’elle ne se donnerait aucune peine, en réalité. Elle était convaincue qu’Orion ne l’aurait jamais obligée à faire quoi que ce soit. Alors ce qu’elle pensait ? Elle pensait que s’ils gravitaient dans d’autres sphères et si le contexte était différent, ils ne se précipiteraient pas jusqu’au mariage. Mais ils n’avaient pas le choix. Ils se devaient d’agir de cette façon, c’était même indispensable. Avant que des décisions ne soient, presque inévitablement, prises à leur place.

-Si je m’y opposais, nous ne serions pas ici, répondit-elle avec fermeté. Puis, trop impatiente d’avoir une réponse de son père. Alors, qu’en dis-tu, père ?

Orion eut le bon ton de ne pas parler au nom de sa promise (qu'il s'était promis tout seul, certes, mais c'était une enfreinte aux règles et aux conventions auxquelles il pouvait consentir d'autant plus que lui-même n'avait pas vraiment attendu d'être promis à Irma ou même marié à elle pour devenir le père de son premier enfant... autant dire que même si la rigueur était de mise en son foyer, force lui était de ne pas être trop regardant sur certains protocoles au regard de sa propre histoire - même s'il ne tolèrerait pas qu'aucun de ses enfants s'autorise les largesses dont lui-même avait fait preuve).

En cet instant, ce n'était pas lui qu'il voulait entendre, mais bel et bien Walburga, même si ce qu'elle avait à dire ne changerait plus rien à sa décision. Orion lui avait demandé la main de sa fille, il comptait la lui accorder. Il se permettait simplement de mener les deux tourtereaux en bateau et appréciait de constater qu'il ne perdait pas vraiment la main dans ce domaine. Mais il pouvait compter sur l'aplomb et le franc parler de sa fille pour garder la tête froide et lui adresser très précisément la réponse qu'il attendait effectivement de sa part.

Sans surprise, elle rejoignait l'opinion de son donc fiancé. Ces deux-là étaient comme cul et chemise depuis très longtemps. Qu'ils finissent par tomber amoureux ou réaliser qu'ils l'étaient tombait sous le sens. Tout se combinait parfaitement. Walburga s'était trouvé un excellent parti, ce qui était une excellente chose. Et il préférait, bien évidemment, savoir sa fille bénéficier d'un mariage heureux et épanoui. Même s'ils se permettait d'avoir un rôle prédominant et presque dictatorial dans la vie de ses enfants, on ne lui retirerait pas le fait qu'il avait toujours voulu leur bonheur, à chacun d'entre eux. Cela avait toujours été le cas, et le serait toujours. Si Walburga pouvait devenir une épouse comblée en plus de demeurer digne de leur patrimoine génétique, alors il était amplement satisfait de la situation en l'état.

-Ma foi, vous semblez décidés, répondit Pollux, mettant doucement fin au suspense. Il tourna son regard vers Orion. Un "bienvenue dans la famille" aurait sans doute été d'usage, mais... eh... il faisait déjà artie de la famille, techniquement, alors autant se l'épargner, et en passer par une formule moins procédurière mais tout aussi sincère. Je serai ravi de t'avoir pour gendre, Orion.

C'était sincère. Il l'aimait bien, ce gamin, et il prendrait soin de Walburga. A partir de là, tout était pour le mieux.

La réponse de Walby n'est pas inattendue du tout, bien sûr, mais elle me fait malgré tout plaisir. Cela me fait du bien, de l'entendre prendre ma défense, et la défense de notre relation. J'ignore si nous avons réellement besoin d'un tel plaidoyer, je crois bien que notre cause est entendue dans tous les cas et que Pollux Black prend juste un malin plaisir à nous voir tourner autour du pot. Je pense que ça l'amuse parce qu'il sait qu'il a bon... pas droit de vie et de mort sur nous, d'accord, mais au moins une sacrée influence, et que nous on y peut pas grand chose de notre côté. On doit se plier à ses exigences, se conformer à sa décision. Mais tant que Walby tient sa main dans la mienne, tant qu'elle clame haut et fort qu'elle est sûre de son choix, que ce n'est pas une lubie ou une chose qu'elle va finir par regretter, alors je suis rassuré.

Le temps qui s'écoule entre la question de Walby et la réponse de Pollux me donne l'impression de durer toute l'éternité. Au fond, je sais parfaitement qu'il n'en est rien, mais il est difficile de réellement m'en convaincre. Le temps se tord et se distend au gré du tempérament parfaitement sadique du paternel, qui tient notre destin entre ses mains fermes. Mais finalement, le verdict tombe. Toutes les tensions que j'avais accumulées retombent tout à coup, je n'avais pas réalisé qu'il y en avait tant.

Nous sommes décidés. Il a raison de le souligner, puisque c'est la stricte vérité, et que je suis définitivement convaincu de ce que je veux. Le mariage, c'est certes une décision précipitée que nous n'aurions pas prise si vite en d'autres circonstances, mais je suis incapable de me dire que je pourrais avoir le moindre regret à ce sujet. Bien au contraire, même, je sais que si les choses se sont passées ainsi, c'est qu'elles le devaient. Traitez-moi d'idiot, de naif ou d'idéaliste, peu m'importe. Je crois au destin. Et je l'ai au creux de ma main. La réponse de Pollux, qui plus est, me réchauffe le coeur. Il ne se contente pas de me donner son aval, sa bénédiction. Il ajoute qu'il est ravi de m'avoir pour gendre. Que pourrais-je demander d'autre ? C'est plus que ce que j'avais escompté.

-Je vous remercie, monsieur, soyez certain que vous ne le regretterez pas.

Une promesse que je me sens prêt à faire sur l'honneur tant je suis sûr de moi.

-Ma foi, vous semblez décidés.

Décidés, le mot était encore faible, Walby ne s'était jamais sentie à ce point déterminée de toute sa vie. Alors oui, elle pouvait quand même bien reconnaître qu'elle ne se serait pas du tout imaginé se fiancer, là, tout de suite, autrement qu'en fonction de la décision de son père, mais ça ne l'inquiétait pas du tout, de se marier à Orion. Elle était sûre et certaine que tout allait bien se passer, elle était convaincue qu'Orion, rapidement, trouverait sa place au sein de sa famille, et pour ce qui était de leur ménage à deux futurs (et plus ensuite), elle ne s'inquiétait pas le moins du monde. Elle avait de toute façon bien assez de caractère pour remettre certaines choses à leur place si ça devait se révéler nécessaire, après tout.

Je serai ravi de t'avoir pour gendre, Orion.

Ces mots que son père avait prononcés en se tournant vers Orion soulagèrent définitivement Walburga. Elle n'avait pas douté de sa décision, elle avait été quasiment sûr que son père accepterait, mais elle avait eu du mal à déterminer si son père saurait se montrer... conciliant ou pas avec Orion. Mais il était prêt à lui faire une place. De la part du très strict et très sévère Pollux Black, de tels propos faisaient plaisir à entendre. Walby tourna son regard vers Orion, qui lui-même semblait détendue. Le plus dur avait été fait à présent. Ne leur restait plus qu'à célébrer l'événement, pas vrai ? Enfin ça, ça restait à voir.

-Je vous remercie, monsieur, soyez certain que vous ne le regretterez pas.

C'était tellement évident que Walby estimait qu'Orion n'avait même pas besoin de le dire, mais ce n'en était pas moins agréable à entendre. Elle savait qu'il veillerait sur elle et ne voudrait que son bonheur. C'était déjà le cas avant même qu'ils se mettent ensemble, après tout. Il n'y avait aucune raison pour que ça ait changé. Au contraire, la situation actuelle renforçait leurs sentiments.

-Merci papa, compléta-t-elle avant de venir prendre brièvement son père dans ses bras. Elle hésita. Bon, ça c'était fait. Maintenant, laisser son père avoir un espace de parole, ce serait prendre Orion au piège. On va te laisser travailler, hein, ajouta-t-elle avec confiance. T'en fais pas, je laisse la porte de la chambre ouverte, ajouta-t-elle sans laisser à son père le temps d'en placer une.

Avant d'entraîner Orion le plus vite possible vers sa chambre à l'étage. Elle n'avait aucune envie d'entendre son père déblatérer sur la vie de couple ou elle ne savait quoi d'autre de gênant.