Le soleil n'était pas levé depuis très longtemps, mais il faisait déjà très chaud. L'été s'était étendu sur l'Angleterre avec une rapidité étourdissante. En quelques jours, la pluie et les manteaux coupe-vent avaient laissé place à un temps radieux. Installée au bord de ma piscine, je profitais de cette délicieuse sensation que me donnait la chaleur du soleil sur ma peau claire. Ici, je pouvais enfin porter des débardeurs, je n'avais pas à cacher la marque qui noircissait mon avant bras. Il n'y avait personne pour m'espionner, personne pour me juger. J'aimais les vacances. Rentrer à la maison était devenu un plaisir après la mort de mes parents. Pourtant, tout cet espace vide et inutilisé me donnait le cafard. Voilà pourquoi j'avais saisie l'opportunité de présenter ma villa comme quartier général des Chevaliers de Walpurgis. Contre toute attente, cette idée avait intéressé Tom. J'en avais vaguement touché un mot à Caleb lors de notre discussion au bord du lac le dernier jour de cours, mais ça n'était pas allé plus loin. Je n'aurais aucune certitude que ma demeure sera utilisée tant que notre maître n'aura pas fait une visite minutieuse des lieux. Non pas qu'il devait avoir un intérêt quelconque pour la décoration, mais par simple principe. C'était lui le chef et pas conséquent il prenait les décisions tout seul. Accepter ma proposition sans avoir d'abord montré qu'il ne se fiait pas seulement à mes paroles aurait été une marque de négligence et s'il y avait bien un adjectif qui n'allait pas à Tom, c'était négligent.

J'avais tout pour me détendre, allongée sur ma chaise longue, un verre de thé glacé à la main. Mais mon regard refusait de quitter le petit bout de papier que je tournais et retournais machinalement entre mes doigts. C'était la réponse de Tom à mon invitation. On ne pouvait pas faire plus sobre ni plus innocent que son message. Il annonçait son arrivée pour jeudi à 11h, c'est à dire aujourd'hui dans deux heures. Incapable de trouver le sommeil la nuit dernière, j'étais descendue dans le jardin pour observer les étoiles. Ma tante m'avait rejointe à 5h du matin. Elle n'avait pas prononcé un mot ni esquissé le moindre mouvement vers moi. Elle s'était contenté de s'installer sur l'autre chaise longue à mes côtés. Une fois le soleil levé, elle était repartie dans la maison dans ce même silence qu'elle savait précieux. Je n'aimais pas le bruit ni les conversations inutiles. Pearl n'avait fait acte de présence parce que malgré la noirceur de son âme elle m'aimait et elle savait quelle tension chassait mon sommeil. Cette journée était importante. Je ne voulais pas la gâcher en me conduisant comme une idiote.

Mon regard glissa finalement sur la montre argentée qui brillait à mon poignet. Il était déjà 9h30 et j'étais encore en maillot de bain. Avec un soupir de résignation, je me levais alors et enfilais mes sandales pour rejoindre l'intérieur de la baraque. Les volets étaient tous grands ouverts et la maison rayonnait de propreté. Tous les meubles étaient des pièces de collection d'une valeur inestimable issu du début de mon arbre généalogique. Ce dernier était d'ailleurs inscrit sur une gigantesque tapisserie ornée de feuille d'or sur l'un des murs du salon. Il n'y avait nul part de photos de famille, pas plus que de bouquets de fleurs ou autres niaiseries comme on pouvait trouver dans les maisons moldues. Par contre, on pouvait trouver sur certains murs des collections de baguettes ayant appartenu à des membres de la famille, des objets assez rares comme un rappel-tout, des mugs portant les blasons des quatre maisons de Poudlard et aussi une carte de l'allée des embrumes où s’affichait en temps réel les déplacements des sorciers à tel ou tel endroit avec leurs noms complets et leurs métiers respectifs. Ce dernier objet avait été enchanté par ma tante Pearl qui s'en servait pour vérifier que personne ne pénétrait dans sa boutique pendant qu'elle n'était pas là. Je ne doutais pas que cette carte éveillerait la curiosité de Tom.

Après avoir fait une dernière inspection des lieux pour vérifier qu'aucun grain de poussière n'avait survécu à mon grand nettoyage, je filais au troisième étage où se trouvait ma chambre. Après une petite douche rapide et une tenue correcte enfilée à la va-vite, je vérifiais que mes cheveux étaient convenablement coiffés. Une fois persuadée qu'il n'y avait aucun défaut, il me fallu détacher avec soin les photos de Vincent et de Caleb que j'avais attachées sur le mur à côté de mon lit. Tom n'en avait peut être rien à foutre de nos vies, mais je ne supportais quand même pas l'idée de m'afficher de façon niaise et sentimentale devant lui. J'aimais mon aspect dur comme un roc et je n'étais pas prête à le laisser tomber. Finalement un bruit de sonnette retentit. Il était là. Mon estomac se noua un peu plus, mais je refusais de le laisser paraître. Plutôt que de courir comme une imbécile vers la porte, j'agissais avec logique et calme en transplanant devant la porte. Tom avait traversé la grille au bout du jardin comme je lui avait dit de le faire avec le mot de passe et il avait déjà traversé la moitié de l'allée principale qui menait à la maison. Lorsqu'il arriva à la porte, je l'avais déjà ouverte et je m'étais déjà écartée de l'encadrement. Un signe de tête respectueux précéda mon salut formel.

« Bonjour maître. Entrez, faites comme chez vous. »

Un léger bruit attira mon attention dans le salon. Ma tante était sortie de sa chambre en transplanant et elle attendait patiemment de faire la connaissance de Tom. Je savais qu'une association entre les Chevaliers et Pearl n'aurait que de bons résultats. Après tout, elle était devenue une reine de la magie noire et des potions en tous genres. Son utilité dans nos rangs crevait les yeux et je savais que Tom était loin d'être aveugle au potentiel.

Comme je m'y attendais, Tom ne se montra ni trop courtois ni pas assez, juste ce qu'il fallait de politesse pour être un bon invité. L'arrivée de ma tante en revanche sembla le surprendre et lui déplaire, même si son petit sourire innocent ne révélait en rien ses pensées. Droit comme un piquet, il analysait la première pièce du sol au plafond alors que je canalisais ma respiration un peu nerveuse. Mon regard allait et venait de mon maître au seul membre qu'il restait de ma famille. la tension était palpable entre les deux diables, comme deux prédateurs se jaugeant afin de savoir si l'entretient valait le coup. Si j'étais incapable de déchiffrer les pensées de Tom, la petite lueur qui s'alluma au fond des yeux de Pearl me rassurèrent un minimum. Elle appréciait ce qu'elle voyait. La voix de mon maître me fit légèrement sursauter, mais je fis comme si de rien n'était. Mon calme était faux mais incroyablement persuasif.

« Je pensais que nous serions seuls. »

Cette simple phrase n'était pas méchante à première vue, mais Tom venait de sous-entendre que la présence inattendue de ma tante le dérangeait. Il eu tout de même le bon sens de la saluer, ce qui rattrapa un peu la maladresse de ses précédents propos. Non pas que je m'inquiète pour Tom qui était parfaitement capable de se débrouiller seul, mais je savais ma tante très à cheval sur le protocole et les distinctions obligatoires dans les anciennes familles de sang-pur. Un manque total de respect jetterait un froid sur notre entrevue. La voix claire et posée, je fis les présentations.

« Mon maître n'est pas sans savoir quels évènements ont perturbé ma vie de famille. Ma tante Pearl appartient aux anciennes traditions et à la pratique de la magie noire. Elle ne posera aucun problème. »

Bien entendu Tom ne me demandait pas tant de penser que d'agir. J'aurais du l'informer de la présence de ma tante. Maintenant, je ne pouvais plus rien y faire à part attendre que ma tante se défende par elle-même. Par ailleurs, c'était à mon maître de juger de la fidélité de Pearl, pas à moi. Finalement je pris la peine de refermer délicatement la porte d'entrée. Je tenais mon rôle d'hôte très au sérieux et j'avais préparée la visite au détail près. Ma tante resta bien droite au milieu du salon, d'un mouvement fluide de la main elle s'inclina devant Tom. Surprise, je la regardais faire. Jamais je n'aurais imaginé la voir montrer autant de respect à une personne ayant le tiers de son âge et de son expérience ! Un bon point pour la famille Gordon. La voix de Pearl était toujours douce et tellement calme qu'elle en devenait apaisante. C'était souvent lorsqu'elle était la plus calme possible qu'il fallait la craindre. Plus elle était douce, plus ses paroles s'avéraient être du poison. Mais là, elle était simplement accueillante.

« Bienvenue dans la villa Gordon. Elena ne parle jamais de vous, mais je vois bien qu'elle vous témoigne un profond respect. Je respecterai donc son choix en faisant de même. »

Au fond, ses paroles me touchèrent. Ma tante venait de me faire un discret compliment, et ce genre d'attention était rare chez elle. Je goûtais à chacune de ses paroles comme de l'or pur. Je fus rassurée : elle allait tout mettre en oeuvre pour que ça se passe pour le mieux.

Attendre dans le silence, c'était pas aussi dur que je le pensais. Après sept années coincée en compagnie de serdaigles, je m'étais habituée au calme pesant d'une situation gênante. Quelque soit mon attitude hautaine et assurée avec la majorité de mon entourage, je n'étais plus la même en compagnie de Tom. Comme chaque Chevalier de Walpurgis, et parfois plus qu'eux, je savais me montrer soumise à ses décisions et ses principes de façon complète et totale. Quel plus bel honneur pour une subalterne comme moi, que de rendre service à tout le groupe en leur fournissant un quartier général, un refuge ? La pièce sembla plaire à mon invité même s'il ne le montra pas vraiment. L'absence de grimace sur son visage équivalait à peu près à un sourire chez une personne n'ayant aucun trouble d'attachement social. Non pas que cette incapacité à se lier à quelqu'un soit un défaut, même si je n'en étais personnellement pas capable. Cette pensée m'entraîna malgré moi vers une autre, plus douce et plus chaleureuse où le visage de Caleb me revenait en mémoire, souriant. Pourquoi avais-je perdu tant de temps aux côtés d'un crétin peureux comme Vincent ? Comment avais-je pu ignorer la merveilleuse personnalité de mon actuel ami ? Parfois, malgré mon intelligence très développée, il m'arrivait d'être vraiment sotte. Les paroles de Tom me ramenèrent brutalement à la réalité, bien moins agréable. Je comprenais parfaitement ce qu'il voulait dire à propos de la sécurité, de la baie vitrée et de la capacité à transplaner. En fait, j'avais déjà envisagé que ces questions soient évoquées. J'avais donc déjà tout prévu.

« Mon maître sera sûrement rassuré d'apprendre que plusieurs sortilèges de défenses vont être rajoutés sur la périmètre de ce domaine, que cette baie-vitrée peut aisément coulisser dans le mur adjacent et laisser place à une épaisse façade en briques et qu'à ce jour un réseau de cheminée étroitement surveillé sera ouvert vers celle-ci. »

Ma main glissa sur le rebord en bois lisse de la grande cheminée. En fait, je n'étais pas peu fière de mes initiatives en matière de protection. Même si je savais que tôt ou tard Tom trouverai un défaut dans mes préparatifs, ce n'était pas ici qu'il se trouvait.

« Cela fonctionnera avec une simple poudre de cheminette, comme partout ailleurs, à la seule exception près qu'il faudra prononcer un mot de passe - qu'il reste encore à choisir - en plus du lieu. Grâce à ce moyen de transport privé, il sera possible de pénétrer ici dans la plus grande discrétion, sans avoir à transplaner. Ma tante, comme nous tous, se pliera à cette règle, assurément. »

Ma voix tremblait un petit peu moins qu'avant même si je n'avais pas cette autorité naturelle dont je pouvais faire preuve avec d'autres. C'est donc avec un profond respect que je m'inclinais devant Tom. Je n'avais pas envie de lui donner l'impression que je voulais me montrer plus maligne que lui en anticipant ses pensées. Mon geste, loin de vouloir le faire passer pour un idiot, avait pour unique but d'accomplir au mieux la mission qui m'était impartie. Aurais-je mieux fait de me montrer plus maladroite et d'accomplir quelques erreurs ? Je l'ignorais.

Un peu surprise, je fixais la porte restée entrouverte qui donnait sur la grande allée qui menait au portail. Mon regard glissa sur la démarche de Tom jusqu'à ce qu'il traverse la grille et soit hors de portée. Cette discussion s'était globalement bien passée et j'avais encore du mal à croire que ma proposition venait d'être officiellement acceptée. La villa Gordon autrefois symbole d'humiliation et d'impureté retrouvait enfin toute sa grandeur et sa noblesse. Ici, là où j'avais grandis, allaient s'accomplir de grandes choses, je pouvais le sentir. Un frisson parcourut mon échine et me donna la chair de poule. J'étais toute excitée. Et comme si ça ne suffisait pas à mon bonheur, ma tante avait pour le moment fait son effet sur Tom qui avait accepté de la rencontrer pour décider de ce qu'il serait bon de faire ou pas à son propos. Tout ce passait exactement comme je le prévoyait ! Cette joie associée à une fierté sans pareille me donnait des ailes. Au fond, j'espérais un peu que Daniel et Vincent en crèveraient de jalousie en apprenant la nouvelle. Et Caleb... J'aurai aimé lui envoyer un hibou pour lui annoncer la bonne nouvelle mais je ne pouvais pas me permettre de laisser filer une telle information dans la nature sans la coder minutieusement. Et puis, au fond, peut être qu'il s'en ficherait complètement. Je ne pensais pas mon camarade capable de se désintéresser ainsi de moi, surtout après notre discussion avant les vacances où il avait clairement défendu son interet particulier pour ma personne. Pourtant, je n'avais guère envie de l'ennuyer avec mes sottises. Avec un soupir, je pris la peine de refermer délicatement la porte d'entrée puis je fis le trajet inverse pour aller m'écrouler sur le canapé crème. Mes yeux ne tardèrent pas à se fermer et des souvenirs heureux vinrent hanter mes rêves. Les souvenirs d'un instant de bonheur, au début de l'été, au bord d'un lac. Demain, je saurai quoi faire et quoi dire. Oui, demain, tout sera bien plus clair.