La vie vous l’apprenait bien vite, à mesure qu’elle progressait. Elle ne permettait pas au temps de s’étendre, de se tordre et de se distordre à loisir, comme on en aurait pourtant besoin dans l’espoir de pouvoir en consacrer autant qu’on le voudrait à tous ceux qui nous sont chers et à tout ce qui nous tenait en cœur.

Et encore, pour sa part, Isabel ne travaillait pas et n’avait pas d’enfant (pas encore, mais elle espérait tout de même que cela viendrait tôt ou tard – plus tôt que tard d’ailleurs), mais cela ne l’empêchait pas de ne pas voir le temps passer. Le temps qu’elle consacrait à son époux, que ce soit à ses affaires ou simplement à son quotidien, conjugué à tout le temps qu’elle consacrait aux œuvres caritatives dans lesquelles elle était investie, cela occupait très largement son quotidien, en plus d’autres préoccupations qu’il était plus difficile de confesser au tout-venant.

Si bien qu’elle ne trouvait jamais assez de temps à consacrer à ses amis, et elle le déplorait. Elle se doutait bien qu’aucun d’eux ne le lui reprochaient vraiment, pourtant. Ils étaient comme elle, ils avaient leurs vies, sans doute bien remplies, et par conséquent moins de temps également à lui accorder. Mais malgré tout, elle mettait un point d’honneur à entretenir avec soin chacune de ses amitiés. Avec d’autant plus d’attention qu’elle savait combien la vie sans amitié pouvait être solitaire et sinistre.

Ses amitiés les plus anciennes étaient celles qu’elle privilégiait le plus. Elles avaient duré tout ce temps, ce n’était pas pour arriver à leur terme si tardivement. Il fallait simplement s’organiser un peu.

Raison pour laquelle elle avait proposer à Pénélope de la rejoindre afin qu’elles aillent boire un café ensemble toutes les deux. Pénélope était une de ses plus anciennes amies. Elle se connaissaient depuis si longtemps que Pénélope ne saurait plus dire exactement quand. Ce qu’elle savait en revanche, c’est qu’elle prenait toujours le plus grand plaisir à la voir, et cette fois-ci ne ferait bien évidemment pas exception.

Quand elle arriva au café, un établissement cosy et luxueux d’un quartier huppé de Londres, Pénélope était déjà là et l’attendait. Isabel la gratifia d’un sourire et d’une étreinte afin de la saluer comme il se doit.

"Comme je suis heureuse de te revoir, Pénélope ! J’ai l’impression que ça fait une éternité. Comment vas-tu ?"

« Je suis également vraiment contente de te voir Isabel. Oui, une éternité ou deux je dirai. »

Isabel afficha un fin sourire. Elles exagéraient à peine. Dans tous les cas, ça faisait vraiment beaucoup trop longtemps, et la jeune femme regrettait profondément de ne pas trouver plus de temps à consacrer à Pénélope. Mais la vie était ainsi faite, plus on progressait dans la vie, plus il devenait difficile de trouver du temps à accorder à ses proches et à ses amis. Mais l’essentiel était qu’elles ne se perdent pas de vue et saisissent chaque occasion qu’elles avaient de se voir, c’était ce qui comptait.

Cette éternité ou deux aurait au moins un mérite, à savoir celui de permettre aux deux jeunes femmes d’avoir un certain nombre de choses à se dire, car de toute évidence, elles avaient quelques wagons à rattraper. Même si dans le cas d’Isabel, il n’y avait pas tant à dire non plus. La vie suivait tranquillement son cours. Et elle se sentait vraiment épanouie depuis son mariage avec Bill, même si ce mariage s’accompagnaient de plusieurs difficultés. Qu’elle n’osait pas vraiment confier même à ses proches de crainte qu’il l’éloignent de Bill, comme ses parents semblaient mourir d’envie de le faire de leur côté.

« Je vais très bien, je dois dire que tout va à merveilles en ce moment, et j’espère que ça va continuer comme ça. »

Isabel sourit de plus belle. C’était tout ce qu’elle avait espéré entendre de la part de son amie. Elle avait comme l’intuition que Pénélope avait tout un tas de bonnes nouvelles à lui annoncer, et Isabel ne demandait qu’à les entendre. Le bonheur de ses amis faisait automatiquement le sien… mais elle devrait attendre. Car Pénélope lui rendait la question.

« Et toi alors ? Raconte-moi tout ! »

Elle aimerait pouvoir dire de son côté que tout allait à merveille, mais ce n’était pas tout à fait vrai. Il y avait des choses qu’elle voulait voir changer… Mais c’était normal, pensait-elle. En épousant Bill, elle avait aussi accepté de s’unir à ses démons, pour le meilleur et pour le pire. A présent, il fallait… non pas qu’elle ignore la situation, mais qu’elle apprivoise ces démons, pour les rendre inoffensifs. Elle pensait avoir fait du chemin, déjà… mais le retour de Seth dans leurs vies avait un peu compliqué les choses. Et elle s’en voulait, parce que c’était elle qui avait décidé ce retour.

« Eh bien, je vais très bien aussi. Avec Bill tout se passe parfaitement bien. Il est… parfait. » Elle afficha un sourire. « Mes parents continuent d’ignorer mes visites et mes courriers et j’avoue que ça me pèse, mais en dehors de ça, tout va pour le mieux, vraiment. » Mensonge. « Je sens que tu brûles de m’apprendre quelque chose, je me trompe ? »

« J’espère sincèrement que les choses s’arrangeront avec tes parents, vraiment. Que le temps fera son affaire. Je suis certaine que tu leur manques beaucoup malgré tout. Et je suis vraiment contente que ton mariage t’épanouisse autant, tu mérites d’être heureuse. »

Isabel adressa un sourire sincère à son amie. Elle caressait le même espoir, concernant ses parents. Elle sa,vait qu’en dépit de tout ce qu’ils ne supportaient pas chez Bill, et toutes leurs réticences vis-à-vis de son passé carcéral, ça ne changeait rien au fait qu’ils l’aimaient. Comme elle regrettait de ne plus leur parler, elle savait qu’ils avaient coupé les ponts à contrecoeur (les ponts mais pas les vivres, heureusement), et elle était convaincue que ça s’arrangeait.

Il leur suffirait de comprendre que Bill était devenu quelqu’un de bien. Le jour où elle porterait son fils ou sa fille, il faudrait bien que ses parents se fassent une raison, après tout, n’est-ce pas ? C’était ce dont la jeune femme se convainquait… beaucoup trop optimiste. A tort, c’est certain. Mais elle n’était pas en mesure de se faire ce genre de prises de conscience.

En tous les cas, oui, elle était heureuse et épanouie. Et Isabel aimait entendre son amie lui confirmer qu’elle méritait d’être heureuse. Isabel était parfois trop exigeante envers elle-même, mais elle était pourtant de cet avis. Elle méritait d’être heureuse, et elle défendrait ce bonheur envers et contre tout, elle l’avait décidé.

Mais dans tous les cas, son cas à elle allait très, très vite manquer d’intérêt dès l’instant où Pénélope allait lui apprendre cette grande nouvelle qui lui avait brûlé les lèvres jusqu’alors.

« Eh bien… pour tout te dire… je vais me marier. »

A cette nouvelle, les yeux d’Isabel pétillèrent et un large sourire illumina son visage. Elle était terriblement heureuse pour son amie. Si quelqu’un méritait d’être amie, c’était elle, aussi, et elle sentait qu’elle l’était réellement auprès de l’homme qu’elle fréquentait. Et à présent, ils allaient se marier : tout était tout simplement parfait, plus que parfait.

"Félicitations ! Je suis si heureuse pour toi ! Raconte-moi tout ! Comment t’a-t-il fait sa demande ?"

Isabel était une romantique dans l’âme, elle avait envie de tout savoir du déroulé des événements. Elle était assoiffée de plus de nouvelles. Tout ce qu’il y avait de plus beau et de plus positif dans une vie trop souvent morne en diable.

Isabel était toujours avide des grandes histoires romantiques. En vérité, elle était une grande amoureuse de l'amour, c'était sûrement pour cette raison qu'elle s'était si facilement laisser convaincre par Bill. Même si leur histoire semblait vouée à l'échec, même si personne ne l'approuvait, ou peut-être en partie à cause de cela.

Elle avait sans doute rêvé à ce genre d'amour capable de surmonter tous les obstacles. Et il lui avait offert cela sur un plateau d'argent. Malgré tout, sa relation avec Bill restait objectivement imparfaite, et c'était pour cette raison qu'elle cherchait cette perfection ailleurs, chez ses proches.

« Merci, ça me touche vraiment. Il m’a fait une surprise. Quand je suis rentrée du travail, il avait préparé tout un dîner, et avait instauré une petite ambiance romantique. Ensuite il m’a fait une magnifique déclaration, et il m’a demandé ma main. »

Pour ce qui était de se rapprocher d'un modèle de couple idéal, Steve et Pénélope étaient clairement en tête de liste. Isabel les trouvait positivement adorable, et quand elle lui faisait le récit de sa demande en mariage, elle était positivement conquise.

Elle-même n'avait pas une histoire aussi belle à raconter sur le sujet, elle en avait bien peur. Certes, elle avait trouvé la demande de Bill véritablement romantique, mais les conditions étaient faites de contraintes : un parloir ne constitue pas un cadre vraiment romantique, et Bill n'avait pas pu lui offrir de bague. Cela dit, la surprise avait été totale et l'émotion réelle. Elle n'échangerait ce moment pour rien au monde.

« Je m’y attendais pas du tout, on n’avait jamais parlé de mariage, de si c’était ce qu’on voulait, mais je pouvais pas lui répondre autre chose que oui. »

Isabel trouvait cette remarque étonnante. Qu'ils en aient parlé ou non, elle estimait que le mariage n'était pas une étape optionnelle dans un couple. Le fait qu'ils se soient installés ensemble avant même d'être mariés était déjà suffisamment non conventionnel, alors pour elle, c'était forcément une chose qu'ils avaient dû vouloir, tous les deux. Mais elle n'allait pas rentrer dans ce genre de détails. Ce qui comptait, c'est que ça allait avoir lieu.

"Vous avez déjà fixé une date ? Vous avez trouvé un lieu ?"

Elle voulait connaître tous les détails, tous sans la moindre exception.

« Non pas encore. On a juste discuté un peu de ce qu’on voulait, et ce qu’on ne voulait pas. Mais il n’y a encore rien de concret. »

Dans son enthousiasme exacerbé, Isabel manquait très probablement de tact, mais elle ne s'en rendait compte qu'après tout. Elle était toujours très concernée par les histoires de coeur des autres. Peut-être que certains y verront du voyeurisme, mais ce n'est pas ainsi qu'Isabel l'envisage de son côté. Elle est juste fleur bleue, romantique, et elle aime trouver de belles histoires chez les autres, et plus encore chez les belles personnes qu'elle estime mériter plus que n'importe qui de trouver le bonheur.

La demande en mariage devait être assez récente puisque n'avaient été fixées ni date, ni lieu, ni quoi que ce soit de concret. Oh, ils avaient le temps d'y penser, bien sûr, et même, c'était une bonne chose que de prendre leur temps s'ils tenaient à mettre à jour le mariage idéal, mais Isabel se disait que Pénélope, même si elle n'en montrait rien, devait tout de même être singulièrement impatiente.

"Si tu as la moindre question sur les préparatifs ou besoin d'aide, il ne faut surtout pas que tu hésites à me demander. Sache d'avance que ça ne me dérangera absolument pas, c'est même tout l'inverse."

Et puisqu'elle-même était déjà passée par là, elle voyait comment les choses se passaient et surtout quels étaient les aléas auxquels on pouvait être confronté. Quoique, dans son cas, la situation se révélait par bien des aspects plus complexe que pour beaucoup d'autres.

Un mariage avec un ancien prisonnier, ce n'était pour ainsi dire pas dans les plans de sa famille, mais elle savait d'autant mieux gérer les obstacles qui pouvaient se présenter à vous. Et surtout, comme toujours, le coeur sur la main, elle tenait à pouvoir faire quelque chose, peu importe quoi.

"Enfin, je ne veux pas te mettre la pression, surtout. J'espère que tu n'as pas le sentiment que c'est le cas ? Dis-moi si j'en fais trop", se rattrapa-t-elle à la dernière minute.

Il était bien possible que Pénélope ne veuille pas être pressée de questions sur l'organisation de son mariage. Après tout, c'était tout de même beaucoup de travail, ça demandait une organisation démentielle, et c'était un stress certes nécessaire mais réel. Elle aurait de quoi vouloir qu'on la laisse gérer seule et à son rythme.

« Tu n’en fais pas trop du tout, je trouve ça vraiment gentil de ta part. »

Eh bien tant mieux, il ne fallait pas le dire deux fois à Isabel, si son amie ne voyait pas d'intérêt à ce qu'elle s'investisse dans son futur mariage, au sens où elle serait prête à l'aider à n'importe quel moment, elle allait bel et bien faire ainsi qu'elle le disait et se montrer présente si possible.

Et pour elle, ce n'était pas de la gentillesse (même si elle était quelqu'un de naturellement gentil, ce qui aidait forcément), c'était quelque chose de naturel, et sans doute même d'égoïste, au passage, puisque c'était quelque chose qui lui faisait naturellement plaisir.

« Et pour te dire, je pense qu’on aura probablement besoin d’aide. Alors tes conseils pourraient nous être très bénéfiques. Tout comme ton aide. »

"Eh bien avec grand plaisir. Et puisque je suis déjà passé pour là, je pourrais vous avertir d'avance des écueils à éviter et des bons plans sur lesquels se précipiter. C'est l'avantage quand on est obligé d'organiser son propre mariage de A à Z sans l'aide de personne."

Parce qu'à l'époque, son fiancé était toujours en prison, ils s'étaient mariés le jour de sa libération, et même si elle l'avait tenu au courant des préparatifs et lui avait demandé son avis, il était évident qu'elle n'allait pas l'accabler avec ça... De toute manière, il lui donnait globalement carte blanche. Et Isabel comprenait qu'il ne soit pas forcément très intéressé par ces "considérations de bonnes femmes", c'était normal, après tout.

Quant à ses parents, s'ils acceptaient maintenant de lui faire bénéficier d'une fortune confortable, il était hors de question pour eux de débourser le moindre sou de leur poche ce qui cautionnerait un mariage dont ils ne voulaient pas. Isabel avait dû s'arranger seule, en piochant dans ses économies.

Sur le moment, c'était une chose dont elle avait souffert, à présent, c'était un sujet qu'elle savait aborder avec une certaine philosophie. Elle se disait que son mariage aurait sans doute été très différent si elle avait compté après ses parents, il aurait sans doute été bien plus guindé, moins authentique. Il ne lui aurait pas ressemblé. En bref, c'était un mal pour un bien.

« Je ne doute pas du fait que ton aide sera précieuse. »

Pénélope serait en droit d'en douter, pourtant. Si Isabel ne mentait pas le moins du monde, et avait effectivement gagné une certaine expérience (par la force des choses), ce n'est pas pour autant qu'elle pouvait se prétendre experte, d'autant qu'on pourrait arguer que même si elle avait dû se débrouiller avec les moyens du bord, c'est à dire sans l'aide de ses parents, ça ne changeait rien au fait que, ces derniers ne lui ayant malgré tout pas coupé les vivres, elle avait bénéficié de ce genre d'apports financiers qui vous facilitaient grandement la tâche au bout du compte.

C'était une chose dont elle n'avait pas forcément conscience, d'ailleurs. La jeune femme était de bonne volonté, et elle avait souvent l'impression de valoriser le sens du mérite et du travail acharné. Mais elle ne pouvait pas prétendre pour autant que la tâche ne lui avait pas été facilitée par sa naissance, par son patrimoine financier, par son éducation, par son mode de vie, toutes ces choses qu'elle oubliait de faire entrer en ligne de compte alors qu'elles avaient, à l'évidence, leur importance.

Cela ne changeait rien à son enthousiasme, néanmoins, et elle était convaincue que celui-ci était suffisamment total pour que son interlocutrice et amie ne puisse douter une seconde une seule d'à quel point elle était de bonne volonté en cet instant.

« C’est vrai que quand on n’a jamais été vraiment dedans, on ne peut pas savoir tout ce qu’il y a à préparer pour un mariage. »

"Non, je ne te le fais pas dire. Et le diable réside dans les détails, c'est bien connu. C'est de loin où on ne s'y attendrait pas que les mauvaises surprises adviennent."

Elle afficha un large sourire.

"Pour être franche avec toi, je crois bien avoir accumulé à peu près tous les désagréments qu'on peut imaginer pendant l'organisation d'un mariage. Je pourrais écrire tout un livre sur les erreurs à ne plus commettre. Ce ne sera pas très utile pour moi, mais ce serait dommage que toutes les leçons que j'ai pu en tirer ne servent à personne, tu ne penses pas ?"

Elle en plaisantait maintenant, mais elle avait été plus d'une fois au bord de la crise de nerfs à l'époque, tant elle avait parfois l'impression que les circonstances conspiraient contre elle pour l'empêcher de faire convenablement son travail.

« Je suis désolée que tu aies eu à gérer autant de soucis concernant ton mariage, j’espère tout de même que tu en gardes un beau souvenir. »

"Oh mais ne t'en fais pas, je ne le disais vraiment pas pour m'en plaindre", répondit immédiatement Isabel, qui s'en voulut aussitôt d'avoir pu donner cette image d'elle.

Ce n'était pas du tout dans ce but qu'elle avait prononcé ces mots, elle avait juste voulu laisser comprendre à Pénélope qu'elle s'y connaissait en mariage, de même qu'elle savait quelles difficultés elle rencontrerait peut-être. Elle avait prononcé ces mots dans ce sens, et ce sens seulement.

C'était la vérité, malgré tout, que l'organisation du mariage avait été désastreuse, et si c'était le cas, c'était parce qu'elle n'avait reçu le soutien de personne. Elle s'était choisi un mari que sa famille entière désapprouvait alors, tout naturellement, elle s'était retrouvée seule, et complètement livrée à elle-même.

"Bien sûr que c'était le plus beau jour de ma vie. Et malgré tous les désagréments que j'ai rencontrés, crois-moi, je ne les échangerais jamais contre quoi que ce soit au monde."

C'était le cas. Rien ne s'était passé comme elle l'avait désiré, et elle aurait voulu avoir ce mariage de princesse sous le regard ému de ses parents, le mariage, en somme, dont elle avait rêvé quand elle était enfant. Mais la vie n'était pas ainsi faite, et Isabel le savait pertinemment.

« Mais je reconnais que tu dois être bien aguerrie sur tout cela, et tes conseils n’en seront que plus avisés. »

"Ils le seront. Donc tu peux me demander n'importe quoi, me poser toutes les questions que tu as à l'esprit, je suis à ton écoute. Je me souviens que quand j'ai organisé mon mariage, je ne savais même pas par quoi commencer, alors crois-moi, je sais très bien de quoi je parle."

Elle en gardait des souvenirs paniqués. Elle réussissait à en rire maintenant, mais sur le moment, elle n'en menait vraiment pas large - pour ne pas dire qu'elle était tétanisée, et le terme n'était pas forcément trop faible pour résumer ce qu'elle avait ressenti au moment de devoir gérer cela toute seule. Et effectivement, elle n'avait pas pu compter sur Bill, à ce moment-là. Mais ce n'était pas son rôle, en même temps.

« Je te remercie. Mais assez parlé de moi. Dis-moi plutôt, quels sont tes projets ? »

Isabel avait envie de répondre que l'on avait jamais assez parlé de soi. Pas parce qu'elle plaidait en faveur de son égocentrisme, mais parce qu'elle connaissait beaucoup trop de personnes qui avaient tendance à s'oublier au profit des autres.

Isabel était convaincue du fait que c'était bel et bien le cas de Pénélope. C'est souvent le cas avec les personnes douces, agréables et généreuses... C'était dans leur tempérament que de parler des atures avant de parler de soi, quitte à s'oublier dans le processus.

Enfin, Pénélope avait parlé d'elle, en parlant de son mariage, et de son côté, la jeune femme aurait voulu discuter en long, en large et en travers de ce mariage, parce que c'était un sujet qui se révélait exaltant, mais soit... Il était donc temps pour Isabel de parler d'elle-même, ce qui en soi ne la dérangeait pas particulièrement.

"Oh tu sais, en ce qui me concerne, c'est la routine. Je suis toujours investie dans les mêmes projets caritatifs, je m'efforce de soutenir mon époux du mieux que je le peux, que pourrais-je vouloir d'autre ?"

Elle eut un léger rire nerveux. Elle ne mentait pas totalement. Isabel était une femme de son temps. Elle n'estimait pas avoir besoin de vivre hors du sillage de son époux, et c'était déjà une grosse liberté de sa part que de contribuer à toutes les associations qui lui tenaient à coeur afin de contribuer aux causes qui la touchaient le plus.

"Bien sûr, l'étape suivante serait de devenir maman..." Et Isabel en avait très envie, elle en avait tellement envie qu'elle se sentait obnubilée par ce projet. "Mais ce n'est pas à l'ordre du jour..."

Bill ne partageait pas ses projets et son enthousiasme. Et pour cause, il avait déjà eu sa vie de famille, et il avait été particulièrement déçu par son fils adoptif. Il n'avait pas envie de revenir à cette période de sa vie... Isabel était capable de comprendre, elle voulait se montrer patiente et attentive, ne pas insister... Mais c'était parfois plus facile à dire qu'à faire tant elle avait envie, sincèrement, d'accomplir ce qui à ses yeux était un rêve mais aussi l'aboutissement d'un mariage réussi.

« Pourquoi ce n’est pas à l’ordre du jour ? Vous n’êtes pas d’accord sur la question avec Bill ? »

Isabel affiche un sourire qui en dit long sur son sentiment et sa frustration. Oui, Pénélope a vu entièrement juste, et même si cela attriste terriblement la jeune femme, il n'y a pas grand-chose qu'elle se voit y faire.

Elle ne veut pas forcer la main de son époux, elle n'est pas de nature à faire ce genre de choses. Elle ne veut pas lui forcer la main, et elle ne veut pas le quitter, alors elle est coincée.

Comme elle est coincée à plus d'un titre, dans sa vie, mais Isabel refuse catégoriquement de l'admettre. Elle le refuse car elle ne veut pas faire face à son erreur et en contempler toute l'étendue.

Il est beaucoup plus simple de se voiler la face et de prétendre que tout va bien, que tout ira bien. C'est un mensonge, bien sûr... Mais un mensonge qui ne manque pas d'être particulièrement réconfortant quand elle a le sentiment de perdre tout le reste.

"Bill a déjà connu ça... le mariage et la paternité, et on ne peut pas dire que l'expérience a été très heureuse pour lui... je ne peux pas lui en vouloir de ne pas vouloir réitérer l'expérience", dit-elle avec un fin sourire un peu triste. "J'espère qu'un jour il changera d'avis mais..."

Mais elle est capable de le comprendre, du moins c'est ce qu'elle croit, et pour cette raison, elle compte respecter ses choix. Elle sait qu'elle le doit et qu'il ne serait pas juste de faire autrement. Oui, elle doit respecter ses choix, autant que possible. Et ne surtout pas s'en laisser compter.

"Je verrais bien. Si ça ne doit pas se faire alors..." Elle hausse les épaules. "C'est ainsi."

C'est ce qu'elle affirme, c'est ce qu'elle se dit, mais ce genre de chose n'est pas si simple, n'est pas simple du tout, même. Car cela rentre en contradiction avec tout ce qu'elle pensait faire et tout ce qu'elle pensait devenir dans sa vie. Elle ne s'attendait pas à ça, elle ne s'attendait pas à une chose pareille.