Il se créait en prison une sorte de sentiment de solidarité silencieuse que rien ne pouvait altérer ensuite. L'expérience commune qui liait les détenus faisait d'eux une communauté, plus fière et plus soudée qu'on ne le soupçonnerait... Ce devait paraître absurde, peut-être, vu de l'extérieur, mais c'était pourtant le cas.

Pourtant, Despina ne pouvait pas réellement prétendre avoir quoi que ce soit en commun avec les deux anciens prisonniers (et qui devraient l'être encore) auxquels elle s'était le plus attachée. Jester était un criminel, un assassin, le genre à être capable de tuer de sang froid pour voir le sang couler. Despina, même si, en désespoir de cause, s'était senti prête à prendre une vie et le désirait toujours, ne se serait jamais, ô grand jamais imaginée se prendre d'affection pour, n'ayons pas peur des termes, un psychopathe.

Quant à Carlotta, l'activiste téméraire, c'était la même chose. Même aujourd'hui, et même si elle était admirative de sa force de volonté et de son acharnement, elle n'allait pas prétendre comprendre l'intérêt de son combat : elle ne le comprenait pas, non... Mais elle n'en restait pas moins l'une des personnes les plus précieuses qu'elle avait dans son entourage.

En fait, c'était très simple... Elle finissait par se sentir comme détachée de ceux qui avaient fait partie de sa vie auparavant. Sa famille, ses anciens amis... C'étaient comme s'ils ne pouvaient plus être capables de la comprendre, dorénavant. Et à ce titre, elle ne pensait pas seulement à ceux de ses proches qui lui avaient totalement tourné le dos et ne voudraient plus jamais entendre parler d'elle : elle pensait aussi à son père, qu'elle aimait profondément, et qui la défendait envers et contre tout.

Il n'empêche, il ne pouvait pas complètement comprendre ce qu'elle avait traversé. Elle ne se sentait vraiment comprise et intégrée qu'auprès des parias comme elle dorénavant. Cela la prêtait à s'interroger sur la vie qu'elle serait capable d'offrir à Amos, mais ça, c'était encore une autre question.

C'était en l'occurrence avec Jester qu'elle avait rendez-vous ce soir-là, et elle avait été particulièrement impatiente de le retrouver. Et elle sentit, au moment de le revoir, que lui aussi.

« Salut Despina ! Définitivement, la lumière du jour te va à merveille ! »

"Je te retourne le compliment", répondit Despina avec un fin sourire.

Même si les ravages de la prison sur elle n'étaient pour certains pas réversibles. Sa peau restait émaciée, ses traits tirés, sa silhouette squelettique, ses cheveux blanchis...

« Comment tu t’en sors ? »

"Je ne vais pas prétendre que je mène la grande vie, mais ça va. Carlotta m'aide beaucoup." Elle afficha un fin sourire. "Et j'ai réussi à revoir Amos." Le revoir, pas le récupérer, malheureusement. "Et toi, comment tu t'en sors ?"

« Je suis vraiment content pour toi ! »

Despina afficha un fin sourire en entendant cette réflexion. Sa situation n'avait rien de si heureuse quand on la regardait de près, mais elle avait rencontré une telle amélioration depuis sa sortie d'Azkaban qu'elle ne pouvait qu'apprécier le fait que l'on se réjouisse pour elle, tout comme elle-même continuerait de se réjouir du sort de tous les évadés qui obtenaient une seconde chance.

Bien sûr, cette seconde chance rencontrait les limites imposées par les circonstances ,et ces limites n'étaient pas si heureuses, mais Despina avait envie de réussir à se réjouir malgré tout, parce qu'elle estimait que c'était la meilleure des choses à faire. Bien sûr, il y avait des zones d'ombre : le fait qu'elle ait revu Amos ne signifiait pas qu'elle avait encore l'occasion de le garder avec elle, mais elle avait bon espoir que cela finisse par arriver malgré tout.

« Je ne m’en sors pas trop mal. C’est évident qu’on ne retrouvera jamais notre vie d’avant, mais j’ai assez de contact pour parvenir à m’en sortir. J’ai un endroit où vivre, de quoi vivre, tant que je reste discret, ça devrait aller. »

Elle accorda à Jester un franc sourire à cette réponse. Despina était elle aussi heureuse pour son ami. Les choses n'allaient pas être évidentes, mais ils allaient s'en sortir, elle en avait à présent la plus pure certitude, et ça la rassurait très franchement.

Elle savait qu'il saurait faire ce qui était nécessaire pour s'en tirer. Elle ne demanda pas plus de précision au sujet des contacts de Jester. Elle ne demandait pas à savoir, elle lui faisait confiance, tout simplement, et la discrétion allait dans les deux sens.

« En parlant de contact… je dois t’apprendre que j’ai eu l’occasion de recroiser ton mari ma chère. »

Despina grimaça à cette nouvelle : c'était bien évidemment la dernière chose qu'elle avait eu envie d'entendre... A l'évocation de son mari, elle perdait son sourire... Et elle n'était pas prête pour ce que son ami devait ajouter ensuite, et qui devait avoir le don de la contrarier encore davantage.

« J’ai un petit problème concernant notre marché… ça va être compliqué pour moi de faire ce que je t’avais promis de faire. »

"Je te demande pardon ? Comment ça, compliqué ?" Cette fois, Despina avait définitivement perdu le sourire. "Il t'a retourné le cerveau, c'est ça ? Merde, j'aurais dû m'en douter..." Elle croisa les bras contre sa poitrine. "Qu'est-ce qu'il t'a dit exactement pour te convaincre ?"