Si Lindsay avait bien retenu une leçon de la visite à l'improviste qu'Elros lui avait faite avant son déménagement (outre le fait que, quoi qu'il en dise et même s'il se prétendait neutre, elle sentait bien que James avait su l'embobiner suffisamment pour qu'il se range de son côté et qu'elle passe pour une mère indigne qui se servait de son fils pour blesser le père... ce qui était peut-être un peu vrai mais elle ne le reconnaîtrait jamais), c'était qu'avec tous les bouleversements qu'elle avait rencontrés dernièrement : la rupture, le divorce, la naissance de Gabriel, le remariage, le combat acharné qu'elle menait pour obtenir sa garde complète... elle avait un peu trop négligé ses amis.

Pourtant, c'était bien dans des périodes comme celles-ci qu'elle avait besoin d'eux... Mais elle ne faisait pas assez d'effort, et maintenant que pas mal de choses revenaient dans l'ordre, même si tout n'était pas encore totalement acquis, elle comptait bien se rattraper.

L'amitié qu'elle regrettait le plus d'avoir un peu négligée, c'est celle qu'elle entretenait avec Ignatius. Bon, ce n'était pas comme s'ils ne s'étaient pas vus du tout durant tout ce temps. Il avait été présent comme pour elle après sa rupture avec James, et c'est certainement parce qu'il avait été si prévenant qu'elle avait réussi à se reconstruire un peu, à envisager d'ouvrir son coeur à un autre. Et évidemment, il avait été invité à son mariage.

Mais après, la machine s'était un peu emballée, et au final, ça faisait plusieurs longues semaines qu'elle n'avait donné aucune nouvelle à celui qui était pourtant l'un de ses amis les plus proches. Le plus proche, même, quand elle y réfléchissait.

C'était à peine si ils avaient eu l'occasion de parler depuis que la mère du jeune homme avait été nommée ministre de la Magie, rien que ça... (elle comprendrait que l'on finisse par la taxer d'opportuniste quand on s'attardait sur les relations qui lui restaient à présent, et qui pour beaucoup n'avaient rien à voir avec ses relations d'avant).

Elle avait donc décidé de se rattraper, et elle avait un bon prétexte pour cela, puisqu'elle et Christian (et Gabriel, ça va de soi) avaient emménagé dans leur nouvelle maison. Ils avaient mis du temps à l'aménager à leur goût, mais c'était chose faite, à présent, et donc, Lindsay était impatiente d'inviter Ignatius dans son nouveau chez-elle. Ce serait aussi l'occasion pour elle d'aller aux nouvelles, parce qu'avec tout ça, elle avait peut-être manqué un épisode ou deux de la vie de son ami.

Christian l'avait prévenu qu'il rentrerait tard, un rendez-vous d'affaires qui promettait de s'éterniser. Elle avait donc proposé à Ignatius de dîner avec elle et avait pour l'occasion passé plusieurs heures aux fourneaux. Elle n'était pas convaincue que le résultat s'en ressente, mais l'effort était là en tout cas.

Quand il frappa à la porte, elle venait tout juste de mettre la table.

"Ignatius." Elle l'accueillit avec un grand sourire accompagné d'une étreinte sincère. "Je suis contente de te revoir. Comment vas-tu ?"

« Je suis content aussi. »

Certains pouvaient donner ce genre de réponse et mentir, mais Lindsay savait qu'Ignatius était sincère avec elle, qu'il était vraiment heureux de la voir et de passer du temps en sa compagnie.

Elle appréciait de pouvoir compter sur une amitié aussi ancienne et solide, depuis sa rupture avec James, elle s'était trouvée contrainte de faire le tri parmi ses amis, et elle avait dû constater que beaucoup avaient pris le parti de son ex-mari à son désavantage à elle.

A croire que c'était elle qui l'avait trompé et non l'inverse. Peut-être, peut-être oui, que ça devrait l'inviter à se remettre en question, mais ce n'était pas le cas. En fin de compte, ça l'attristait un peu, mais avec Ignatius, elle savait qu'elle n'aurait pas ce souci, et on peut dire que ça l'avantageait, tout de même.

Ignatius et James ne s'étaient jamais spécialement entendus (même si elle n'avait jamais compris exactement pourquoi), alors elle n'avait pas à craindre qu'il fasse ce genre de volte-face avec elle.

« Je vais bien et toi ? »

Elle le jaugea du regard pour être sûre qu'il ne lui racontait pas de bobard. Il avait l'air de le penser, quand il disait qu'il allait bien, mais elle n'était pas forcément douée pour discerner ce genre de choses. Non, elle, elle était le genre, plutôt, à comprendre que les choses allaient mal quand il était trop tard et qu'il n'y avait plus rien à faire pour les réparer.

Lindsay hocha la tête en réponse. Tout n'était pas parfait dans sa vie, elle était remuée encore par les révélations de Sasha et la conversation qu'elle avait eue avec Elros, mais elle avait quand même toute la matière à être heureuse. Christian était le plus tendre et le plus attentionné des maris et Gabriel était un vrai trésor pour elle.

"Je vais bien aussi", confirma-t-elle dans un sourire.

En tout cas, elle ne se voyait pas l'ennuyer avec ses maigres préoccupations. Même si, des personnes à qui elle voudrait confier ce qu'elle avait découvert sur James, Ignatius était en très bonne place.

« Belle maison ! »

"Merci." Elle était contente que l'endroit lui plaise vraiment, surtout qu'elle tenait Ignatius pour avoir beaucoup de goût. "Je te ferais visiter tout à l'heure. Mais pour l'instant, je te propose de prendre l'apéritif." Elle leur servit deux verres pour faire bonne mesure. "Alors, quoi de neuf ? Raconte-moi tout."

« Oh tu sais, je crois qu’il n’y a pas grand chose à raconter. Toujours un peu la même chose, je travail beaucoup. En même temps, faut que je sois à la hauteur de mon nouveau poste. Il faut que je sois à la hauteur de la nouvelle réputation de ma mère maintenant. »

Tout, dans le discours de son ami, relevait du pur "Ignatius Tuft", sans aucun doute possible. Elle savait que le jeune homme était un bourreau de travail, et qu'il mettait un point d'honneur à veiller à sa réputation, à son image. Et ça ne s'était pas amélioré depuis que sa mère avait été nommée ministre de la Magie, rien que ça.

Elle aimait ce côté consciencieux chez lui. Elle se rendait compte que c'était un trait de caractère qui lui convenait plutôt bien en règle générale, dans la vie (Christian aussi était un bourreau de travail, après tout). Elle avait besoin de s'entourer de personnes fiables, dignes de confiance, de personnes qui savaient ce qu'elles voulaient dans la vie et où elles allaient. Le genre de personne qui n'allaient pas à l'encontre de la morale, de la décence, de tout ce qu'il y a de plus positif dans l'existence. Elle avait ses repères solides, ses piliers, et Ignatius en était, c'était indubitable.

"Je ne me fais aucun souci pour toi à ce sujet", répondit Lindsay, en toute confiance. "Tu te montreras parfaitement à la hauteur, comme d'habitude."

Et un jour prochain, qui sait, ce serait lui qui prendrait la place de sa mère. Lindsay n'en serait pas surprise, en tout cas. Elle hésita à le lui dire, mais elle choisit de ne pas en rajouter. Elle voulait juste lui faire comprendre qu'il avait toute sa confiance et qu'elle l'encouragerait toujours, sans se rendre compte qu'elle ne faisait aucun bien à son ami en agissant comme cela.

Sans rien lui faire espérer, elle ne descendait pas de son piédestal vis à vis de lui... Et peut-être qu'elle en avait un petit peu conscience. Elle aimait peut-être un peu avoir ce genre d'emprise sur Ignatius, même si cette satisfaction se logeait quelque part dans son subconscient. Elle ne s'en rendait pas forcément compte.

"Et à part le boulot ?" demanda-t-elle quand même.

Quand Ignatius venait aux nouvelles, il parlait constamment travail, mais il n'y avait pas que ça, dans la vie.

« Tu sais bien qu’il n’y a que le travail dans ma vie. »

Oui, Lindsay le savait, en effet, mais à chaque fois, cela ne manquait pas de l'attrister malgré tout, même si Ignatius en parlait avec une grande légèreté, comme si cela ne le dérangeait pas du tout... parce que cela ne le dérangeait pas du tout ? Lindsay en doutait un peu.

Il faut dire que la jeune femme était, pour sa part, une romantique dans l'âme. Elle avait toujours vécu ses histoires sentimentales à mille pour cent, quitte à en accuser des désillusions sévères (avec James) ou à peut-être aller trop vite (comme avec Christian, mais pour le moment elle ne regrettait absolument rien le concernant). Elle considérait qu'une vie sans amour était une vie incomplète, et Lindsay désespérait de voir son ami vivre cela un jour.

Jamais il ne lui avait présenté la moindre femme ni n'avait évoqué le moindre projet de mariage ou quoi que ce soit de cet ordre, que l'on attendrait à son âge. Elle voulait qu'Ignatius soit heureux, elle voulait qu'il connaisse la beauté et les tourments du sentiments amoureux.

Et il les connaissait déjà, et c'était de sa faute. Et même si elle parvenait à se convaincre du fait qu'elle n'en savait rien, elle en avait peut-être un peu conscience et refusait de l'admettre pour ne pas avoir à prendre ses distances avec un ami qui lui était trop cher pour accepter de le perdre.

Elle voulut répondre, mais Ignatius embraya aussitôt.

« Et toi alors, raconte-moi tout. Comment ça se passe avec Gabriel ? Et Christian ? »

"Eh bien, écoute, tout se passe vraiment très bien", lui répondit-elle avec un sourire ravi de femme accompli. "C'est sûr que je ne dors pas beaucoup, mais Gabriel est véritablement un amour, et Christian prend son rôle de père très au sérieux." Même en travaillant dur au ministère, et elle appréciait qu'il sache trouver du temps pour sa famille malgré tout. "Je ne pouvais pas rêver mieux."

Si l'on oubliait l'ex-mari sorti du placard et qui s'acharnait à réclamer la garde de son fils, soutenu en cela par l'immense majorité de leurs amis communs dont il avait visiblement retourné le cerveau. Comme si c'était elle qui l'avait largué, comme si c'était elle qui avait été absente tout au long de sa grossesse, comme si c'était elle qui l'avait trompé. Comme si c'était elle qui était.. déviante.

Mais elle préférait ne pas y penser. Il lui restait des amis, des vrais, qui étaient prêts à tout pour elle, et clairement, Ignatius comptait parmi ceux-ci.

Et pour en revenir à lui...

"Tu sais, je pourrais te présenter des amies à moi, je suis sûre que tu aurais du succès."

« Merci Lindsay c'est gentil. Mais ça ira. »

Même si Lindsay n'était pas réellement surprise, connaissant tout de même son meilleur ami de longue date et comprenant très bien, le pensait-elle, comment il fonctionnait (mais pas suffisamment pour voir le réel fond du problème, ou pour admettre son existence), elle se sentait tout de même un peu déçue.

Elle comprenait, bien sûr, et elle n'avait pas l'intention de lui forcer la main non plus, ce serait la pire des choses, mais quand même, elle aurait été ravie, d'ici quelques années, de se targuer d'avoir été celle qui avait participé au bonheur conjugal de cet homme qui méritait tant d'être heureux... Bon, elle serait forcément un peu jalouse d'avoir à le partager, l'amitié pouvait se permettre ce genre de jalousies, mais elle voulait qu'il vive ce genre de bonheur, lui aussi.

Mais cela viendrait en son temps et en son heure... Si sa propre histoire avait dû apprendre quelque chose à Lindsay, c'est que l'on ne retirait jamais rien de bon à tordre la main au destin. Même s'il était par moments tentant de le provoquer, ne serait-ce qu'un tout petit peu.

« Tu sais ne t'en fais pas pour moi. Je me dis que… il y a quelqu'un qui me correspond quelque part et que je serais en la rencontrant. »

Le sourire de Lindsay s'agrandit. Elle s'était attendue à un discours moins optimiste de sa part, à vrai dire. Elle avait beau bien le connaître, elle ne se rendait pas compte, en cet instant, qu'il lui mentait.

Et elle était content de le sentir prêt à faire de nouvelles rencontres, parce que même si de belles rencontres pouvaient se produire quand on s'y attendait le moins (Lindsay avait connu ça avec Christian), quand on était dans le bon état d'esprit pour le rencontrer, comment l'amour ne pourrait-il pas vous tomber dessus ? Eh oui, Lindsay avait toujours été très fleur bleue...

"J'en suis certaine. Tu as tout pour plaire, après tout. Je suis sûre qu'elle ne va plus tarder." Et elle avait intérêt, même, Ignatius ne méritait vraiment pas de rester seul aussi longtemps. Elle ajouta avec malice : "Mais quand ça arrivera, tu n'oublieras pas de garder un peu de temps pour moi, hein ?"

« Tu sais bien que je serais toujours là pour toi ! »

Lindsay accueillit ces paroles prononcées sur le ton de la certitude par un grand sourire. Au fond, elle ne pouvait pas prétendre qu'elle en avait réellement douté.

Et pour cause, Ignatius avait toujours été là, bien présent pour elle, dans les meilleurs comme les pires moments de son existence. Il avait essuyé ses larmes quand elle avait été au plus bas, il avait partagé ses joies quand elle s'était sentie plus heureuse que jamais.

Il était son pilier, sa valeur sûre, et même si elle ne pouvait rien présumer de la situation, elle avait la ferme intention de ne jamais perdre son soutien, tout comme elle avait l'intention d'être toujours présente pour lui, même s'il est vrai qu'entre son mariage et sa maternité, elle avait tout de même moins de temps à lui consacrer qu'elle ne le voudrait.

« Après tout, tu arrives bien à avoir du temps pour moi malgré Christian et Gabriel. »

C'était vrai, et elle tenait à ce que ça continue. Son comportement était peut-être ingrat envers Ignatius, on pourrait lui reprocher de jouer avec ses sentiments, mais le fait est qu'elle ne faisait pas semblait de tenir à Ignatius, c'était le cas. Pour elle, il était comme un frère, et il lui avait mille fois prouvé qu'il était l'une des meilleures choses qui lui soit arrivé dans la vie.

Après tout, il était de ces rares amis toujours présents pour elle quand beaucoup avaient choisi de prendre le parti de James et de lui tourner le dos dans l'affaire.

"Et j'aurais toujours du temps pour toi", répondit-elle d'un ton qui ressemblait à une promesse, ce qui n'était pas sans raison, puisque c'en était bel et bien une. "Et si jamais tu as besoin de moi, je ne veux surtout pas que tu hésites à venir me voir."

Elle ne voudrait pas qu'il ait un jour l'impression de la déranger. Il avait toujours été là pour elle, et elle n'oubliait pas à quel point il l'avait soutenue après sa rupture avec James. Maintenant que tout allait bien mieux dans sa vie, elle voulait être capable de lui rendre la pareille... Il avait toujours été son confident, elle ne voulait pas qu'il appréhende qu'elle soit une confidente pour lui en retour.

"J'ai vraiment de la chance de t'avoir."

« C’est moi qui aie de la chance de t’avoir Lindsay. »

Lindsay afficha un sourire. C'était sans doutep présomptueux de sa part, mais elle était incapable de douter de la sincérité de son interlocuteur quand il prononçait des mots pareils, et elle les accueillait avec d'autant plus de plaisir.

Honnêtement, c'était le genre de discours qui lui faisaient un bien immense, surtout ces derniers temps. Lindsay avait le sentiment que toutes ses amitiés anciennes s'étaient étiolées depuis son divorce. Même s'il ne fallait pas faire de généralités sur la question, elle avait tout de même l'insidieux sentiment que tous ses amis les plus anciens s'étaient rangés du côté de James et lui en voulait de lui refuser la garde de Gabriel, ou même de l'approcher.

Chose que Lindsay trouvait injuste. Certes, ils n'avaient pas l'intégralité de l'histoire, contrairement à elle (et elle était bien gentille de ne pas divulguer les secrets qu'elle avait découverts), mais elle ne savait pas à quel moment elle s'était retrouvée à être la méchante de l'histoire quand c'était son mari qui l'avait trompée et quittée en sachant pourtant qu'elle était enceinte.

Mais c'était ainsi, et parmi la masse de ces amis anciens qui lui tournaient le dos, il en restait un, fidèle au poste, qui ne la lâchait jamais, toujours présent à ses côtés, soutien fidèle et indéfectible. Et elle n'aimait qu'Ignatius d'autant plus pour cela. Mais en tout bien tout honneur, cela va sans dire.

« Je n’hésiterais pas. T’es pas prête de te débarrasser de moi de toute façon. »

"Je devrais réussir à faire avec", plaisanta-t-elle en réponse.

Ce serait en vérité la chose la plus facile de monde que de garder Ignatius dans sa vie et tout faire pour qu'il n'en parte pas, même si ce n'était pas très juste de sa part, certainement. Pour le bien d'Ignatius, elle devrait plutôt, sans doute, s'éloigner, pas par manque d'amitié, mais pour ne pas entretenir les espoirs si souvent bafoués d'un homme qui tenait certainement un peu trop à elle.

Mais elle était trop égoïste, certainement.

"Et sinon, quoi de neuf ? Tu dois bien avoir deux ou trois histoires à me raconter que je ne connais pas encore, non ? Depuis la naissance de Gabriel, j'ai l'impression de passer à côté de tout."

« Eh bien... je ne sais pas trop je t’avoue. »

Lindsay n'en était pas surprise, à vrai dire. Ignatius n'était pas du genre à se repaître de potins, encore moins du genre à en promulguer de manière générale. Cela faisait partie de ce qu'elle appréciait le plus dans son caractère, ce qui faisait qu'elle savait pouvoir lui confier tous les secrets du monde sans qu'il s'amuse à les répandre aux quatre vents...

Mais en cet instant, elle avait envie de s'amuser d'histoires plaisantes et inédites, d'informations croustillantes qui lui avaient peut-être échappé... Elle avait envie, aussi, que son meilleur ami lui en dise plus sur sa propre vie, car elle avait le sentiment d'en manquer trop souvent les bouleversements. Mais peut-être qu'il n'y avait juste pas de bouleversements à manquer.

« Ah si, j’ai appris que Elros était fiancé. »

Bon, eh bien, ce ne serait pas une information sur Ignatius qu'elle glanerait, mais sur leur ami commun. Et c'était une information que Lindsay connaissait déjà.

Tant mieux pour elle, tant pis pour Ignatius. Lindsay devait bien reconnaître qu'elle l'aurait un peu mal pris si elle avait dû apprendre cette information de la part d'une tierce personne.

Déjà qu'elle avait le sentiment de perdre presque tous ses amis (si elle ne les perdait pas, du moins s'éloignaient-ils clairement d'elle) depuis son divorce d'avec James...

Lindsay sourit, elle préféra ne pas se concentrer exactement sur sa conversation avec Elros, qui avait été assez houleuse, puisque ce dernier s'était directement positionné en faveur de James vis-à-vis de Gabriel. Franchement, ça lui faisait du mal.

"Oui, Elros m'en a parlé", répondit-elle avec un sourire. "Tu as déjà eu l'occasion de croiser sa fiancée ?"

Lindsay était pour sa part très curieuse de rencontrer la fameuse Mina. Elle savait qu'elle était beaucoup plus jeune que son ami, et elle ne savait toujours pas quoi penser exactement de cela... Elle se disait qu'elle s'en ferait une meilleure idée quand elle rencontrerait enfin cette jeune (jeune était définitivement le terme) femme.

Elle ne demandait qu'à l'apprécier, il faut dire qu'elle n'avait pas envie de se mettre à dos les amis qui voulaient encore bien d'elle. Elle le savait, elle devait faire preuve d'un minimum d'ouverture d'esprit.

« Non, je n’en ai pas eu l’occasion. Je sais juste qu’elle… eh bien, qu’elle est plus jeune que lui. »

Lindsay se mordilla légèrement la lèvre inférieure. Elle faisait de son mieux pour se montrer le plus ouverte d'esprit possible à ce sujet (le fait que son ex-mari soit déviant aidait à remettre pas mal de choses en perspective de ce point de vue-là), mais elle mentirait en disant qu'elle n'était pas un peu gênée par ce point de détails.

Il y avait souvent, c'est vrai, des couples à la grande différence d'âge qui se créaient, et finalement, c'était pour le mieux. Et au moins, Elros avait choisi sa fiancée, ce n'était pas une histoire de mariage arrangé ou quoi. C'est juste que... il y a très peu de temps encore, cette Mina était élève à Poudlard. Ce n'était pas un détail, ce n'était pas un petit quelque chose de rien du tout que la jeune femme savait occulter d'un battement de cils.

Mais il le fallait bien, parce que qu'elle le veuille ou non, Mina et Elros allaient effectivement se marier. Et déjà qu'elle perdait doucement mais sûrement une grande majorité de ses amis depuis son divorce d'avec James et son remariage qu'ils avaient tous jugé trop précipité avec Christian, elle n'avait pas envie de tenter le diable et d'en perdre encore plus pour la peine.

« Je dois bien avouer que je suis assez curieux de la connaître. »

Elle aussi. Lindsay se disait que si Elros l'avait choisie, et puisqu'il semblait être heureux avec elle, c'est qu'elle devait être quelqu'un de bien, mais quand même, elle avait réellement besoin de faire sa connaissance pour dissiper les doutes et les inquiétudes qui lui restaient. Elle espérait avoir l'occasion de voir l'heureuse élue avant le mariage, ça la rassurerait.

Et peut-être que cette fille, sans doute très mâture pour son âge, lui ferait totalement oublier ce gap générationnel qui ne lui faisait que penser au fait, pour l'instant, qu'elle-même serait totalement incapable de fréquenter un garçon tout juste sorti de Poudlard. Mais en même temps, l'amour ne se commande pas, c'est un fait.

"Moi aussi. Avant le mariage, si possible", ajouta-t-elle dans un fin sourire accompagné d'un léger haussement d'épaules. "Je sais que je suis la moins bien placée au monde pour juger les fréquentations des autres, mais j'espère vraiment qu'il fait le bon choix."

Ignatius était bien l'un des seuls avec qui elle pouvait partager ses réticences.

« Je ne vois pas en quoi tu serais la moins bien placée Lindsay. Nous sommes ses amis, c’est normal qu’on ait un avis sur la question. Même si ça ne nous regarde pas forcément, on ne veut que son bien. »

Elle, elle voyait très bien en quoi elle était mal placée, sa vie sentimentale parlait d'elle-même. Elle s'était totalement trompée en ce qui concernait James. Elle avait vraiment cru trouver l'amour de sa vie, elle avait vraiment pensé qu'ils finiraient leurs jours ensemble, que le fait qu'il soit le père de son enfant signifierait quelque chose... mais finalement... Elle était allée de déceptions en déceptions, et aujourd'hui, elle était particulièrement mal à l'aise.

Alors non, elle n'était pas la mieux placée, en réalité, pour faire quelque remarque que ce soit. Avoir un avis sur la question ? Elle en aurait forcément, c'était impossible autrement. Mais en même temps, elle était l'amie d'Elros, en effet, alors forcément, elle ne pouvait que vouloir son bien, et cela passait par des interrogations et une relative défiance envers cette jeune fille dont elle ne savait pas grand-chose sinon son très jeune âge.

Alors oui, elle n'était pas la mieux placée, mais en effet, puisqu'ils étaient amis, impossible pour elle de ne pas vouloir le bien de leur ami commun, elle n'était juste pas certaine de s'y prendre bien. Les propos d'Ignatius la réconfortaient ceci dit. En même temps, il faut bien dire qu'il avait toujours le don de trouver les mots pour la rassurer. Peut-être qu'elle pourrait lui reprocher d'abonder trop souvent dans son sens. Mais au contraire, elle était heureuse de pouvoir partager ce qui la pesait, peu importe ce dont il s'agissait.

"Parfois, c'est dur de savoir quoi faire pour être le meilleur ami possible", dit-elle avec un fin sourire aux lèvres. "Toi, tu as toujours su comment faire, mais moi..."

Elle le pensait, Ignatius avait toujours été un ami parfait, attentif et attentionné, elle avait parfois l'impression de mal le lui rendre, et c'était la même chose avec Elros, qui, elle le savait, n'était pas forcément emballé par son mariage avec Christian. Elle se demandait parfois si sa malédiction n'était pas juste de ne pas savoir gérer ses relations humaines, en fin de compte.

« Tu te trompes, je ne suis pas toujours comment m’y prendre. »

Lindsay ne pouvait sans doute pas donner tort à son meilleur ami sans faire preuve d’une certaine mauvaise foi, mais elle en avait bien envie tout de même, car elle n’appréciait pas du tout la manière dont elle le voyait se dévaloriser, alors que son amitié lui était si précieuse et indispensable, alors qu’il avait toujours été irréprochable avec elle.

Peut-être qu’il ne savait pas toujours comme s’y prendre, c’est vrai, parce que la maladresse faisait partie de son caractère. Mais quand il le fallait, il savait trouver les mots, il avait toujours été capable de la rassurer, toujours à même de lui faire voir les choses sous un nouvel angle. Sous un meilleur angle.

Alors peut-être en effet qu’il ne savait pas toujours s’y prendre, mais en revanche, il agissait toujours avec le cœur, et c’était le plus important. Lindsay appréciait plus que jamais de l’avoir à ses côtés. Surtout qu’en sa présence, elle savait ne pas avoir besoin de garder ses pensées uniquement pour elle.

« Je n’ai aucune idée de quoi faire réellement concernant Elros, ça me fait bizarre de me dire qu’il va épouser une fille qui sort de Poudlard alors que ça fait… si longtemps qu’on a fini nos études. Mais en même temps s’il l’aime, c’est difficile d’aller contre son avis. »

Elle se sentait un peu soulagée de voir qu’elle n’était tout de même pas la seule à être dérangée par cet important écart d’âge. Elle ne pouvait pas mettre son grain de sel dans cette histoire, et ce ne serait pas le premier mariage intergénérationnel de l’histoire… celui-ci avait au moins le mérite d’être consenti et d’être né de l’amour.

Mais… Lindsay n’avait qu’à s’imaginer, elle, avec un jeunot de dix-sept ans tout juste sorti de Poudlard pour que cet écart la mette un peu plus mal à l’aise. Elle savait qu’elle passait déjà pour la rabat-joie de service au sein de leur groupe d’amis, parce que dans l’ensemble, ils ne comprenaient pas son comportement envers James. Elle n’avait pas spécialement envie d’en rajouter, mais…

« On ne peut que faire de notre mieux dans tous les cas. Et me concernant, tu es la meilleure amie que je puisse rêver d’avoir. »

Elle sourit. Elle ne savait vraiment pas comment elle avait fait pour mériter un ami comme lui, mais elle avait bien conscience d’être terriblement chanceuse, en revanche.

« Je sais que tu n’es pas très objectif, mais quand même… En ce moment, j’ai quand même l’impression de tout faire de travers, y compris en amitié. J’ai le sentiment que je serais capable de me noyer dans un verre d’eau. »

Et pourtant, elle était loin, vraiment très loin d’être au bout de ses peines.

« Heureusement que je t’ai pour point d’ancrage. »

« Et je serais toujours là pour toi bien sûr. »

Lindsay sourit. Elle le savait mais jamais elle ne se lasserait de l’entendre. Elle avait vraiment besoin que son ami soit là pour elle. Elle avait même conscience de parfois se reposer un peu trop sur lui sans jamais suffisamment le lui rendre, ou pas aussi bien qu’elle le lui devrait.

Ignatius ne le lui reprochait jamais mais elle en avait quand même conscience. Et elle espérait bien que, dans les temps à venir, elle réussirait à se rattraper, et à lui prouver que ça pouvait être réciproque, qu’elle pouvait être aussi présente pour lui que lui pour elle.

« Et tu ne fais pas tout de travers Lindsay. Tu fais les choses en ton âme et conscience, tout simplement. Si les autres ne sont pas capables de le comprendre, c’est qu’ils ont un problème. La preuve, je n’ai jamais trouvé que tu fasses quelques choses de travers me concernant. »

Ignatius manquait cruellement d’objectivité, mais c’était loin de déranger Lindsay. C’était même l’inverse. Elle n’attendait pas de son ami qu’il la démoralise ou qu’il s’oppose à elle, elle aimait cette absence d’objectivité chez lui quand il était question d’elle. Elle la réconfortait. Ce n’était pas très juste, ce n’était pas vraiment très sain non plus, mais c’était constitutif de leur amitié. C’était quelque chose dont elle avait foncièrement, fondamentalement, définitivement besoin.

Oui, elle faisait les choses en son âme et conscience, mais ça ne voulait pas dire qu’elle faisait les choses bien. Et c’était aussi une bonne chose que certains de ses amis soient là pour la bousculer, pour lui prouver que tout ce qu’elle faisait n’était pas forcément conforme à ce qu’il faudrait.

Mais c’était aussi comme ça qu’elle avait choisi ses amis : il y avait ceux qui la propulsaient loin de sa zone de confort, il y avait ceux qui la maintenaient dans un confortable cocon. Ignatius était doué dans ce dernier rôle. Et ce n’était pas pour rien que Lindsay avait pour habitude de se réfugier auprès d’elle au moindre instant.

"Tu as bien conscience de manquer cruellement d’objectivité, pas vrai ?" sourit-elle. "Mais je t’autorise à continuer, ça me va bien", ajouta-t-elle sur le ton de la plaisanterie, même si c’était au fond très sérieux. "Tu n’imagines pas à quel point ça me fait du bien de t’avoir."

Elle le pensait. C’était la vérité.