Elise avait encore du mal à s'adapter à sa nouvelle vie. Tout était si différent, ici. Le rythme, les gens, la vie... Elle aimait son nouvel appartement, elle l'aimait parce qu'elle y vivait avec Dougal et qu'elle commençait à réussir à le décorer à son goût, mais bien des choses lui manquaient malgré tout, à commencer par les grands espaces verts qui entouraient sa maison, la ferme familial. Le bruit à l'extérieur gâchait difficilement son sommeil. Elle s'efforçait d'être heureuse, car elle savait que c'était en s'en convainquant qu'elle finirait par trouver l'équilibre et le bonheur. Le bonheur était quelque chose qui se construisait, à la ville comme à la campagne... et c'était à elle de faire l'effort de le construire.

La jeune femme partageait son temps entre l'aménagement de l'appartement, qui devait devenir un irréprochable nid d'amour pour elle et Dougal, et l'aide qu'elle apportait à son époux dans ses affaires. Elle mettait son nez dans tout ce qui était administratif et comptable, et même si ce n'était pas le plus stimulant que l'on puisse imaginer, elle y trouvait son compte et elle y prenait, pour tout dire, un certain plaisir. Cela lui passait agréablement le temps, et elle avait le sentiment d'être vraiment utile.

Pour le reste... ses interactions sociales s'étaient plus ou moins limitées au temps qu'elle passait avec Dougal. Jusqu'à il y a peu. Elle avait bien tenté de faire connaissance avec certains de ses voisins, mais elle avait très vite appris qu'en ville, ou en tout cas à Londres, il n'était pas de coutume que de faire plus ample connaissance avec ses voisins, on restait en soi, elle s'y habituerait sans doute.

Elle avait tout de même réussi à se faire une amie, par l'intermédiaire de son mari. Espérance et elle s'étaient vite découvert de nombreux points communs et autant d'atomes crochus. C'est donc tout naturellement qu'elle lui avait proposé de prendre le thé avec elle. Elle avait mis les petits plats dans les grands, vraiment contente de pouvoir recevoir chez elle, surtout que c'était une chose qu'elle n'avait pas réellement eu l'occasion de faire autrefois. Le thé était prêt, et il régnait dans la pièce une subtile odeur de cake au citron quand on sonna à la porte. Elise alla ouvrir, souriante.

-Bonjour Espérance, entre ! Comment vas-tu ? Tu n'as pas eu de mal à trouver notre adresse, j'espère ?

Espérance se sentait partagée, entre l'impatience et le plaisir de passer du temps avec une amie et l'inquiétude de laisser une fois encore sa mère, toujours plus mal en point chaque fois qu'elle passait une tête par la porte de sa chambre pour lui apporter à boire, à manger, lui parler, ou essayer de la convaincre de sortir de son lit...

Mrs Howell avait eu l'air sincèrement heureuse de savoir qu'Espérance s'était fait une nouvelle amie et allait passer du temps avec elle, mais Espérance se demandait si sa mère n'était pas plutôt impatiente de se retrouver seule ? Et si elle faisait une bêtise ?

Non, il fallait qu'elle s'ôte cette pensée de la tête. Après tout, chaque fois qu'elle allait travailler, elle retrouvait sa mère à son retour, certes pas en pleine forme, mais du moins en un morceau... Donc non, il fallait qu'elle pense à elle et accepte de passer un bon moment avec une amie.

Bon... sur tout le trajet, elle songea qu'elle allait peut-être engager une assistante de vie pour s'assurer que sa mère aille bien, pour veiller sur elle, mais au moment de frapper à la porte des McGregor, elle balaya cette pensée. Non, elle avait juste envie de passer un bon moment avec une amie, un point c'est tout. Et le sourire d'Elise l'aida à mettre ces considérations de côté.

-Bonjour Espérance, entre ! Comment vas-tu ? Tu n'as pas eu de mal à trouver notre adresse, j'espère ?

"Aucun mal, je connais un peu le quartier", répondit Espérance en rendant son sourire à sa nouvelle amie.

Elise et Espérance avaient encore beaucoup à apprendre l'une de l'autre, mais leur amitié s'était imposée comme une évidence pure. Et pour cause, elles avaient des parcours différents, mais qui se recoupaient sur plusieurs points. Elles étaient sans doute faites pour s'entendre. C'était même sûr, en fait. Entre nouvelles citadines qui avaient encore du mal à s'adapter, elles avaient de bonnes raisons de s'entendre.

"Et je vais bien, un peu fatiguée, cette soirée va me faire du bien. Et toi ? Tu commences à t'habituer ?" Elle rentra, déposa son manteau sur le portemanteau et s'autorisa un regard circulaire autour d'elle. "Vous êtes bien installés", constata-t-elle avec un sourire.

Elle savait que Dougal ne serait pas là parce qu'il resterait travailler tard, mais ça lui allait très bien. Même si elle appréciait Dougal, c'était Elise qu'elle avait voulu voir.

"Aucun mal, je connais un peu le quartier"

Elise était rassurée de l'entendre. Pour elle, Londres était un véritable labyrinthe où il était difficile de garder tous ses repères... Ou plutôt de se créer des repères, mais Espérance, sans avoir l'air de s'en rendre vraiment compte, était apparemment capable d'avoir les siens. Une phrase aussi simple que "je connais un peu le quartier", Elise espérait être capable de la prononcer bientôt. Avoir ses habitudes et ses lieux de prédilection, ça l'aiderait déjà à se sentir plus intégrée, plus à son aise. Ce n'était pas complètement gagné, mais chaque chose venait en son temps.

"Et je vais bien, un peu fatiguée, cette soirée va me faire du bien. Et toi ? Tu commences à t'habituer ?"

Elle était fatiguée. Normal, elle avait une vie bien remplie. Déjà parce qu'elle était une travailleuse acharnée, chose qu'Elise admirait très largement chez son interlocutrice, et aussi parce qu'à titre personnel, sa vie était loin d'être un long fleuve tranquille. C'était même tout l'inverse. Elle consacrait beaucoup de son temps à ses proches et à sa carrière, et elle ne prenait pas beaucoup de temps pour elle-même, pour juste... respirer. A ce titre, Espérance ne pouvait évidemment qu'être heureuse de contribuer à lui changer les idées, ne serait-ce qu'un peu.

"Vous êtes bien installés"

-Je te remercie, répondit Elise avec un sourire. Il y a encore pas mal de choses à arranger et à rénover, mais je trouve aussi que cet appartement commence à ressembler à quelque chose. J'ai toujours eu tendance à m'étaler, c'est nouveau pour moi de gérer un si petit espace.

Elle ne disait pas du tout cela pour s'en vanter, pas du tout. Mais elle pensait qu'Espérance comprendrait où elle voulait en venir. Forcément, quand on faisait sciemment le choix de s'installer en ville, il ne fallait pas espérer une ferme gigantesque de deux centaines de mètres carrés comme le domaine où elle avait grandi (même si beaucoup de ces mètres carrés étaient accaparés par le bétail.

-Et je vais bien, j'ai encore un peu de mal à me faire au bruit, surtout... C'est fou comme la circulation est presque continue dans cette rue, ça ne s'arrête jamais, même au beau milieu de la nuit.

-Je te remercie, répondit Elise avec un sourire. Il y a encore pas mal de choses à arranger et à rénover, mais je trouve aussi que cet appartement commence à ressembler à quelque chose. J'ai toujours eu tendance à m'étaler, c'est nouveau pour moi de gérer un si petit espace.

Espérance réagit à cela avec le sourire, parce que la jeune femme connaissait bien ce sentiment qu'Elise lui décrivait. Elle n'avait pas grandi dans une ferme gigantesque, mais tout de même, la maison qu'elle occupait dans la campagne galloise pouvait contenir au moins trois fois son appartement, et ça se ressentait.

Espérance n'avait jamais possédé grand-chose ni jamais vraiment aimé s'étaler, mais elle pensait tout de même voir où sa nouvelle amie voulait en venir. Malgré tout, elle avait fait un travail vraiment admirable avec cet appartement. Elle constituait un petit nid d'amour pour elle et Dougal, cosy et confortable, et Espérance était vraiment ravie de les savoir vivre dans un cadre aussi plaisant.

Avec ça, ils réussiraient très certainement à mettre de côté, au moins un tout petit peu, leur mal du pays. Il en faudrait plus pour que ce vague-à-l'âme leur passe définitivement... Elle le leur souhaitait en tout cas. Elle trouvait le couple McGregor sympathique et attachant. Elle ne pouvait bien évidemment que leur souhaiter le meilleur, le meilleur et rien d'autre.

-Et je vais bien, j'ai encore un peu de mal à me faire au bruit, surtout... C'est fou comme la circulation est presque continue dans cette rue, ça ne s'arrête jamais, même au beau milieu de la nuit.

Ah, le bruit ! Là encore, c'était un problème qu'Espérance avait rencontré elle aussi. Est-ce qu'elle avait dépassé le problème en question ? Elle dirait que oui et non. Le bruit, elle l'entendait toujours, mais c'était devenu comme la bande originale de notre quotidien. Comme quoi, l'humain est vraiment capable de s'adapter à tout, à absolument tout.

"Je crois que c'est la même chose dans tout Londres", répondit-elle d'un ton amusé, pas pour décourager Elise mais pour la mettre au parfum. Il allait falloir qu'ils s'y fassent, Dougal et elle. Mais une fois que ce serait fait, tout irait pour le mieux, sans doute. "Mais on s'habitue, tu verras. Au bout d'un moment, tu n'y feras même plus attention." Elle marqua une pause. "Et à part ton installation, sinon ? Tu as fait de nouvelles rencontres ?"

"Je crois que c'est la même chose dans tout Londres."

Elise ne savait pas si elle trouvait cela rassurant ou bien démoralisant. Au moins, elle serait en paix avec son quartier si elle admettait qu'il n'était pas plus bruyant qu'un autre (même si elle estimait qu'Espérance grossissait le trait pour l'encourager). Dans tous les cas, elle était ici, maintenant, il allait bien falloir qu'elle s'y fasse et qu'elle l'accepte, il fallait qu'elle réussisse pour de bon à se familiariser avec tout ça. Même si elle sentait qu'elle aurait besoin de s'évader à la campagne régulièrement pour garder les pieds sur terre autant que possible.

"Mais on s'habitue, tu verras. Au bout d'un moment, tu n'y feras même plus attention."

Elle avait du mal à croire que ce puisse être vrai, pourtant elle savait d'expérience que c'était le cas. Elle aimait le calme de la campagne, profondément. Mais la campagne n'était pas non plus exempte de nuisances sonores en tout genre. Elle s'était habitué au champ du coq à l'aube, au bruit des machines, aux mouvements du bétail... Elle ne voulait pas contredire Espérance. Elle espérait de tout coeur qu'elle avait véritablement raison.

"Et à part ton installation, sinon ? Tu as fait de nouvelles rencontres ?"

-Pas encore, je suis très peu sortie, pour ne rien te cacher.

Sans être asociale, il était difficile pour elle de savoir exactement où se rendre et qui voir. Elle se sentait encore un peu perdue, pour tout dire, mais cela lui viendrait.

-La personne avec qui j'ai le plus parlé en dehors de toi, c'est une vieille connaissance que je me serais bien épargnée de retrouver., ajouta-t-elle alors, avec ce besoin d'en parler tout en sachant que c'était un sujet sans doute trop personnel pour être évoqué avec cette jeune femme qu'elle connaissait encore trop peu.

Elles devenaient doucement amies, ce n'est pas pour autant qu'elles étaient les meilleures amies du monde, encore moins qu'elles devaient tout à coup décider de tout se confier sans aucune exception. Oui, mais elle n'avait personne à qui en parler. Oui, il y avait Dougal, mais justement, son époux était trop directement concerné par cette situation, elle ne pouvait pas se confier à lui comme elle le voudrait.

-Pas encore, je suis très peu sortie, pour ne rien te cacher.

Elle n'était pas surprise. C'était difficile de savoir exactement à quoi s'en tenir quand on déménageait ailleurs. Forcément, il était compliqué de savoir précisément par où commencer, et pour peu que l'on soit casanier, comme c'était évidemment le cas d'Espérance, c'était plus difficile encore. Mais elle s'y ferait.

Les meilleures rencontres étaient bien souvent celles qui se faisaient par le plus grand des hasards. Depuis son installation à Londres, la jeune femme n'avait construit ses relations que de cette manière, que ce soit avec Elise, avec Pénélope... et avec Lyall, donc, auquel elle n'arrêtait pas de penser et qu'elle espérait avoir la chance de revoir très prochainement.

-La personne avec qui j'ai le plus parlé en dehors de toi, c'est une vieille connaissance que je me serais bien épargnée de retrouver.

Oh... Espérance considéra un instant Elise. Elle voyait bien, dans son regard et dans le ton de sa voix, que la jeune femme était troublée. Elle ne plaisantait pas quand elle lui affirmait que cette conversation l'avait incommodée, c'était manifestement le cas.

Et Espérance ne savait pas trop quoi en dire. Est-ce qu'elle pouvait se permettre de lui poser plus de questions ? Elle n'en savait rien. Elles se connaissaient à peine, toutes les deux.

Alors oui, elles s'entendaient très bien, toutes les deux, elles s'étaient trouvées de véritables atomes crochus. Elles s'entendaient très bien toutes les deux, elles avaient des points communs, et lise n'avait pas grand monde à qui se confier.

Alors oui, Elise avait son mari, mais Espérance savait bien que même aux personnes qu'on aime plus que tout au monde, on ne pouvait pas tout dire. Si Elise avait avancé le sujet, c'était sans doute qu'elle avait envie d'en parler, non ? Espérance choisissait en tout cas de prendre le risque de le croire effectivement, au pire, Elise aurait tous les droits de le lui reprocher ensuite, et elles changeraient de sujet.

"Tu as envie d'en parler ?"

Voilà qui lui semblait bien être la manière la plus subtile d'évoquer le sujet. Si elle avait envie d'en parler, Espérance était prête à l'écouter, dans le cas contraire, elles dériveraient sur un sujet bien différent, tout simplement.

"Tu as envie d'en parler ?"

Elise sourit. Il y avait tant de délicatesse et de douceur dans la réponse de sa nouvelle amie. Elle semblait tant redouter de faire un faux pas qu'elle ne cessait de marcher sur des oeufs. Elle n'avait pourtant vraiment pas à s'inquiéter. Elle ne prenait pas mal ce qui ne passait pas à ses yeux pour de l'indiscrétion, mais bien plus pour de la curiosité, et une curiosité qu'elle aurait eue elle-même si elles avaient inversé les rôles. Tout comme il était vrai qu'elle avait voulu susciter cette réaction chez son interlocutrice.

Elles se connaissaient peu, peut-être qu'elles ne se connaissaient pas assez pour jouer la carte des confidences, mais en même temps, pourquoi pas ? Espérance lui avait bien parlé de sa mère et de la situation difficile qu'elle vivait avec elle après tout, et on faisait difficilement plus personnel. Elle avait besoin de parler, et elle n'avait personne avec qui le faire. Espérance était là, et elle semblait prête à l'écouter, sans émettre de jugement, juste attentive et rien d'autre, et c'était quelque chose qui comptait pour Elise, une chose à laquelle elle accordait une réelle importance. Elle savait que si elle s'adressait à Espérance, cette dernière serait être de bon conseil, et surtout ne s'amuserait pas à répéter ses propos au premier venu, et encore moins à Dougal. En bref, elle était l'interlocutrice idéale. Et elle avait l'air entièrement disposée à l'écouter. Est-ce qu'elle devait jouer la carte de la pudeur maintenant ? Elle le pourrait encore, mais elle n'en avait pas l'intention.

Si elle avait abordé le sujet avec ses gros sabots (la métaphore des sabots lui parlait beaucoup), c'est qu'elle avait besoin de vider son sac sans plus attendre, alors pourquoi s'embêter et faire des manières ? De toute façon, toute cette histoire avec Minerva n'était pas un secret d'Etat non plus. Si ce passé n'était jamais évoqué, c'était surtout qu'Elise était plus à l'aise en l'enterrant sous le tapis, en se mentant à elle-même en faisant comme si Minerva n'avait jamais existé, comme s'il n'existait aucune femme au monde que Dougal aime plus qu'elle.

-Dougal était fiancé avant notre mariage, lui apprit-elle sans plus la faire mariner. Je sais qu'il était fou amoureux d'elle. Il l'a demandée en mariage, elle lui a dit oui, et le lendemain... elle s'est rétractée et a juste disparu sans explication. Elle marqua une pause. Et comme par hasard, il faut que, sur le millier de Londoniens qu'il aurait pu croiser, il tombe de nouveau sur elle.

L'attitude d'Elise ne trompait pas, et Espérance comprit bien vite qu'elle avait vu juste : Elise avait effectivement besoin d'en parler, de vider son sac et de dire ce qu'elle avait sur le coeur, tout ce qu'elle avait sur le coeur.

Tenir le rôle de confidente était un peu étrange pour la jeune femme qui, après tout, n'était pas certaine d'être la mieux placée pour cela, mais elle le faisait de bon coeur. Ele sentait qu'Elise avait besoin de vider son sac, et Espérance, de son côté, savait qu'elle serait tout autant capable de se livrer en toute confiance à son amie si l'occasion devait se présenter, même si elles se connaissaient depuis peu toutes les deux. Il y a des connivences qui ne s'expliquent pas, celle qu'il y avait entre elles ne faisait pas le moindre doute.

-Dougal était fiancé avant notre mariage. Il l'a demandée en mariage, elle lui a dit oui, et le lendemain... elle s'est rétractée et a juste disparu sans explication. Et comme par hasard, il faut que, sur le millier de Londoniens qu'il aurait pu croiser, il tombe de nouveau sur elle.

Espérance était un peu sonnée par ce qu'elle venait d'entendre. Elle ne s'attendait pas du tout à une telle histoire. Elle se faisait de Dougal et Elise l'image d'un couple idéal, et il était étrange de se dire que le jeune homme ait pu être amoureux d'une autre au point de la demander en mariage. Tout ceci appartenait au passé, certes, mais on était toujours influencé par l'image présente d'une personne, surtout quand on n'avait pas connu sa vie... d'avant

Elle comprenait combien Elise devait se sentir mal à l'idée que cette femme ne revienne dans leur vie. Il devait être difficile de ne pas se remettre en cause dans ce genre de circonstance. Elise avait une rivale, et la concurrence était finalement injuste.

"Je vois..." Elle afficha un doux sourire réconfortant. "Je ne pense pas que tu doives t'en inquiéter. Dougal n'arrête pas de me parler de toi, je n'ai jamais vu homme plus amoureux. Tu n'as vraiment pas à m'inquiéter du retour de cette femme. Donc, elle habite à Londres ?"

La coincidence était malheureuse. Mais en tout cas, Espérance espérait que la jeune femme ne se laisserait pas déstabiliser.

"Je vois..."

Espérance pouvait-elle vraiment voir ? Pouvait-elle vraiment comprendre ? Ce n'était pas certain, mais son sourire et ses paroles réconfortantes avaient le mérite de soulager un peu la jeune femme qui, au passage, était soulagée de pouvoir parler. Maintenant qu'elle s'était libérée de ce poids, elle réalisait à quel point elle tenait à se confier à tout prix. Elle avait eu besoin de vider son sac. Elle n'aurait fait que mouliner, encore et encore, et ses réflexions l'auraient sans doute menée dans des recoins vraiment très sombres. Elle parvenait à faire abstraction de la jalousie en temps normal, mais poussée dans ses retranchements, cette même jalousie révélait ce qu'il y avait de plus obscur en elle. Et vraiment, ce n'était pas quelque chose de beau à voir.

"Je ne pense pas que tu doives t'en inquiéter. Dougal n'arrête pas de me parler de toi, je n'ai jamais vu homme plus amoureux. Tu n'as vraiment pas à m'inquiéter du retour de cette femme. Donc, elle habite à Londres ?"

Entendre Espérance lui affirmer que Dougal ne faisait que lui parler d'elle lui réchauffait le coeur. Bien sûr, elle ne pouvait pas être sûre et certaine qu'Espérance était sincère et ne lui disait pas juste ce qu'elle avait envie d'entendre, mais Elise lui faisait confiance. S'il y avait bien une chose qu'elle avait rapidement cerné chez son amie, c'est que cette dernière était tout ce qu'il y a de plus sincère. Elle ne prononcerait pas des mots qu'elle ne penserait pas. Alors c'est que ça devait être vrai. Et elle avait besoin de l'entendre, oui, que Dougal l'aimait réellement.

Elle n'avait aucun doute en temps normal sur ses sentiments, elle s'en voulait d'en douter maintenant, mais elle avait bien du mal à faire abstraction de ce qu'il avait vécu à Minerva. Et lui aussi devait avoir du mal à faire abstraction.

-Non, elle vit en Ecosse... normalement, on ne devrait plus avoir affaire à elle, mais...

Mais il y avait un mais. Quelque chose qui n'était pas rationnel du tout, mais qu'elle ne réussissait pas du tout à mettre de côté.

-Mais même si on doit ne plus la voir, j'ai peur que Dougal remette en question toute notre relation. Je ne devrais sans doute pas, mais...

-Non, elle vit en Ecosse... normalement, on ne devrait plus avoir affaire à elle, mais...

C'était une bonne chose, donc. Cette femme vivait en Ecosse, autant dire très loin de Londres. Il n'y avait aucune raison pour qu'elle vienne leur poser problème le reste du temps. Cette rencontre, qu'elle ait été le fruit du hasard ou réfléchie d'une part ou de l'autre, n'était que quelque chose de ponctuel.

Par ailleurs, ce n'était sans doute pas plus mal que cette rencontre ait eu lieu. Dougal avait sûrement eu besoin d'une clôture, ou de quelque chose qui y ressemble, pour mettre le mot fin sur une histoire qui s'était certes achevée, mais pas forcément de la bonne façon.

Malgré tout, il y avait un "mais", et Espérance n'en avait malheureusement pas douté. Avec une situation si difficile, si complexe, il était normal qu'il y ait un "mais".

-Mais même si on doit ne plus la voir, j'ai peur que Dougal remette en question toute notre relation. Je ne devrais sans doute pas, mais...

La peur qu'elle avait ne se fondait donc pas sur quelque chose de forcément sensé. Mais cette rencontre avait révéillé une crainte ancienne, qu'elle avait pu endormir jusqu'ici mais qui reparaissait à présent à la surface. Elle ne devrait pas, en effet, ce n'était pas sain, mais Espérance n'irait pas remettre en question la légitimité des angoisses de son amie. C'était normal qu'elle se sente ainsi. Cette Minerva était l'incarnation de toutes ses incertitudes.

"Tu lui en as parlé ? A Dougal ? De ce que tu ressentais ?"

Elle n'était pas une experte en relations conjugales. Etant donné la manière dont s'était passée sa seule et unique longue relation, elle n'irait donner de vrais conseils à personne à ce sujet en se sentant légitime. En revanche, elle pensait que ce n'était pas forcément craindre de se tromper que d'affirmer que la communication, dans la construction, la formation et la durée d'un couple, était une nécessité absolue.

Oui, la communication était évidemment nécessaire. Et s'ils en parlaient à coeur ouvert, Dougal et elle, peut-être qu'elle découvrirait que ses inquiétudes n'avaient vraiment pas de raison d'être. Et alors, elle serait rassurée. Il n'y avait que son mari et son mari seul qui serait capable de l'apaiser.

Une part d'elle s'en voulait toujours de mêler Elise à tout cela, une autre se sentait soulagée de pouvoir vider son coeur de tout ce qui le tourmentait. Est-ce qu'elle ne mettait pas Espérance dans une situation embarrassante, elle qui était également l'amie de Dougal ? C'était bien possible, et Elise en avait conscience, mais en même temps, elle se disait que parce que, justement, Dougal était l'ami d'Espérance également, cette dernière saurait mieux que personne la guider et la conseiller.

Ce n'était pas forcément son rôle, et il était bien possible qu'elle s'en passerait bien, elle qui n'avait absolument rien demandé à personne, mais Elise restait déterminée à ne pas faire machine arrière à présent qu'elle avait pu se confier à son amie. Même si ce n'était pas forcément son rôle, elle sentait qu'Espérance était réellement à son écoute. Elle ne faisait pas semblant, elle ne prétendait pas, elle était soucieuse d'elle, suffisamment pour se soucier de sa situation. Que pourrait-il bien y avoir de plus important que cela, en fin de compte ?

"Tu lui en as parlé ? A Dougal ? De ce que tu ressentais ?"

Elise hésita. Elle ne savait pas vraiment. Ce n'était pas pour se déculpabiliser ou pour jouer les impossibles naïves, non : c'était la vérité. Elle ne savait pas, en toute honnêteté, si la conversation qu'ils avaient eue tous les deux comptait pour un grand déballage de sentiments. Elle se pensait franchement honnête, elle ne pensait vraiment pas que ce soit une chose qu'on puisse lui reprocher. Mais elle avait laissé parler beaucoup de choses sous une forme qui n'était pas forcément la plus juste : la suspicion, la jalousie. Un dialogue à sens unique où ses craintes et ses états d'âme avaient transparu, elle n'avait pas de doute sur la question, mais est-ce que ça suffisait à expliquer tout le reste ? Peut-être pas.

-Peut-être pas... de la bonne manière.

Elle baissa les yeux. Exprimer sa peur de le perdre, ce serait provoquer potentiellement le départ de Dougal s'il confirmait cette angoisse. Alors elle n'osait pas réellement. Elle était entièrement responsable de ce comportement absolument contreproductif.

-J'ai peur qu'il me prenne pour une folle... ou pire qu'il me donne raison.

Pour qu'elle ose admettre cela à voix haute, il fallait vraiment qu'Espérance ait su gagner sa confiance. Ce n'étaient pas des mots simples à dire pour Espérance. Mais c'était la stricte réalité. Inévitable et bien réelle.

-Peut-être pas... de la bonne manière.

Pas de la bonne manière... Ce qui devait vouloir dire qu'elle s'était exprimée encore sous le coup de l'émotion. C'était compréhensible. Le retour de cette femme dans la vie de Dougal n'était pas seulement perturbant, il était aussi désarmant. Comment savoir y réagir précisément.

Espérance ne jugerait pas Elise ni ne la blâmerait pour avoir peut-être été maladroite dans son discours. Il était normal qu'elle soit décontenancée. Elle avait réagi à chaud, mais maintenant, elle avait l'occasion de réfléchir plus posément à cet événement, et peut-être que cette conversation l'y aiderait aussi ? Il n'était pas trop tard pour avoir cette grande conversation avec son époux, qui lui-même était un ange de patience, Espérance l'avait déjà constaté. Il ne serait sans doute pas réfractaire à l'idée de l'écouter, et lui-même avait sûrement besoin qu'elle mette des mots clairs sur ce qu'elle ressentait afin de la rassurer du mieux qu'elle le pouvait.

Quoi qu'il advienne, et même si son opinion était biaisée, Espérance ne tenait pas le jeune couple pour autre chose que solide. Ils sauraient faire face à cet imprévu de l'existence avec dignité et confiance, et au final, quand la vague serait passé, ils réaliseraient bien que ce n'était pas grand-chose. Il était même bien possible qu'ils en ressortent plus forts et unis qu'ils ne l'avaient jamais été. Tout était dans la communication.

Espérance ne pouvait pas vraiment parler d'expérience, c'est certain, mais elle était quand même convaincue que si elle avait agi autrement, si elle avait été capable à l'époque de mettre des mots sur son ressenti, si elle avait osé la communication, les choses se seraient peut-être passées d'une autre manière... peut-être un peu moins dramatique. Peut-être pas.

-J'ai peur qu'il me prenne pour une folle... ou pire qu'il me donne raison.

C'étaient des inquiétudes qui se comprenaient, mais auxquelles Espérance n'accorderait vraiment pas beaucoup de crédit. Il était sûr et certain que Dougal ne la prendrait pas pour une folle. Et comment pourrait-il lui donner raison ? Elle était quasiment certaine qu'elle se faisait des idées.

"Je sais que c'est facile à dire, mais tu t'inquiètes pour rien. Il ne te prendra certainement pas pour une folle, et même si je comprends tes angoisses, sache que tu as tort.", ajouta-t-elle d'un ton complice.

"Je sais que c'est facile à dire, mais tu t'inquiètes pour rien. Il ne te prendra certainement pas pour une folle, et même si je comprends tes angoisses, sache que tu as tort."

En effet, c'était plus facile à dire qu'à entendre, et si Elise décidait d'être mauvaise langue, elle ajouterait même que c'était bateau comme réflexion. Elle n'était pas dans la tête de Dougal, elle ne pouvait pas réellement savoir de quelle manière son mari vivait cette situation. Mais ce serait franchement injuste de lui en faire la remarque de la sorte, sachant qu'Espérance cherchait surtout à apaiser les maux et la conscience d'une amie en proie en doute.

Elle ne pouvait pas lui reprocher de lui adresser des mots réconfortants alors que c'était exactement ce qu'elle attendait d'elle en lui parlant de tout ça. Si elle lui adressait ces paroles, ce n'était pas dans l'espoir qu'Espérance entretienne ses névroses mais bel et bien parce qu'elle avait envie de l'entendre lui dire qu'elle se faisait des idées, et qu'elle délirait complètement.

Ce qui était très probablement le cas, d'ailleurs, même si elle avait encore un peu de mal à observer les choses sous cet angle. Ce n'était pas juste envers Dougal que de se montrer à ce point défiante. Il se pliait en quatre pour elle, il avait toujours été présent, attentionné, et elle se doutait que beaucoup d'épouses bien mon loties qu'elle voudraient elles aussi avoir un mari aussi patient et charmant que Dougal... Mais c'était difficile de vivre avec la conscience d'être un second choix, et elle ne se faisait pas d'illusion à ce sujet.

-Tu as raison, c'est facile à dire, répondit Elise avec un fin sourire. Ce n'était pas un reproche, c'était un constat. Et tu as aussi raison, il va falloir que je lui en parle comme je t'en ai parlé... Je suis tellement sûre de lui, de nous, tu vois ? Je crois que j'ai surtout peur de mettre trompée.

Elle avait articulé toute sa vie autour de son époux. Et c'était peut-être une erreur de sa part, car si elle perdait Dougal, elle n'aurait plus rien, mais elle n'avait vraiment pas envie de penser de cette manière, elle voulait se convaincre autant que possible de la valeur de ses convictions. Mais certaines choses étaient plus faciles à dire qu'à faire. Dès que les émotions étaient en jeu, tout devenait immédiatement plus compliquées.

-Tu as raison, c'est facile à dire.

Espérance n'entendait pas ces propos comme un reproche, même s'ils auraient tout à fait pu en être, mais davantage comme un constat, et un constat qu'elle était entièrement capable de comprendre, tout comme elle aurait compris le reproche, à vrai dire.

Elle savait bien que dans sa position, elle pouvait bien dire ce qu'elle voulait, ça semblerait toujours un peu... absurde ou déplacé, sans doute. Elle avait bien conscience de cela. Elle se contentait de dire ce qu'elle pensait, mais elle restait extérieure à cette situation. Elle était la confidente, mais elle ne pouvait pas prétendre à un autre rôle que celui-là.

- Et tu as aussi raison, il va falloir que je lui en parle comme je t'en ai parlé...

Elle avait au moins su être de bon conseil, c'était déjà une bonne chose. Bon, les conseils d'Espérance tenaient davantage du bon sens que de quoi que ce soit d'autre, il n'y avait aucun besoin de s'en féliciter durant des heures, mais c'était parfois les conseils les plus évidents qu'il fallait savoir dispenser avec le plus de fermeté, car ils étaient parfois ceux qui échappaient le plus facilement, presque de façon contradictoire, à la raison.

Elle pensait que dans tous les cas, le dialogue était toujours une solution, bien sûr évidente mais bien souvent oubliée ou négligée malgré tout.

- Je suis tellement sûre de lui, de nous, tu vois ? Je crois que j'ai surtout peur de mettre trompée.

Espérance adressa à Elise un fin sourire rassurant. Quand on rencontrait la jeune femme pour la première fois, on pouvait avoir l'impression qu'elle était invincible, que rien au monde n'était réellement susceptible de l'atteindre, mais quand on creusait davantage sous la surface, on découvrait une véritable sensibilité.

Et il était impossible de ne pas se laisser toucher par le discours de cette jeune femme qui pouvait peut-être parfois sembler... inaccessible, ou difficile à décrypter, mais était surtout aux prises avec ses émotions, et cherchait à les maîtriser du mieux qu'elle le pouvait.

"S'il y a une chose dont je suis certaine au sujet de Dougal, c'est que c'est quelqu'un de franc et de sincère. Peu importe ce qu'il pense de toute cette situation, il te le dira. Et même si sa réponse devait ne pas te plaire - ce dont je doute -, vous pourrez tous les deux travailler ensemble à mettre tout ça de côté et à avancer au mieux."

"S'il y a une chose dont je suis certaine au sujet de Dougal, c'est que c'est quelqu'un de franc et de sincère. Peu importe ce qu'il pense de toute cette situation, il te le dira."

Elise s'en voulait un peu de devoir s'entendre répéter les qualités évidentes de son mari par quelqu'un d'autre parce qu'elle-même était aux prises avec trop de sentiments négatifs pour le reconnaître et l'observer par elle-même. Ce n'était pourtant pas comme si elle ne savait pas déjà tout ce qu'Espérance lui disait au sujet de son mari. C'était d'ailleurs parce qu'elle avait conscience de tout cela qu'elle avait accepté de l'épouser en premier lieu : parce qu'elle aimait sa douceur, son intelligence, son ambition... mais aussi sa franchise à toute épreuve, effectivement.

La preuve qu'il était honnête... même si ça l'avait mis mal à l'aise, il lui avait parlé de sa rencontre avec Minerva, il ne l'avait pas passée sous silence. Visiblement, ça lui en avait coûté, elle l'avait bien remarqué, mais il l'avait fait. Alors qu'il aurait tout à fait pu faire comme si de rien n'était en espérant que ça passe tout seul. Beaucoup d'autres auraient très certainement fait comme si de rien n'était en espérant que ça passe tout seul, sans aucune forme de scrupule. Lui non, lui, il avait choisi d'être entièrement transparent avec elle, même s'il se doutait des retombées que cela pourrait avoir sur elle.

"Et même si sa réponse devait ne pas te plaire - ce dont je doute -, vous pourrez tous les deux travailler ensemble à mettre tout ça de côté et à avancer au mieux."

Espérance avait sans doute manqué sa vocation en travaillant dans l'assurance. Même si Elise n'y connaissait pas grand-chose, elle voulait bien croire qu'elle faisait très bien son travail, oui, qu'elle était impliquée et motivée, mais elle était si douée pour écouter et conseiller les gens qu'il était presque assez dommage qu'elle en soit là. Surtout qu'Elise n'était pas sûre qu'Espérance s'épanouisse vraiment dans son métier actuel.

-Tu as manqué ta vocation. Tu aurais dû te lancer dans la psychanalyse. Ou le conseil conjugal. Tu es très douée pour ça.

Et ce n'était pas ironique, c'était quelque chose de sincère.

-Tu as manqué ta vocation. Tu aurais dû te lancer dans la psychanalyse. Ou le conseil conjugal. Tu es très douée pour ça.

La remarque d'Elise la fit sourire. Il y avait peut-être du vrai dans ce qu'elle disait. Les assurances, on pouvait dire que ce n'était pas forcément glamour, ou en corrélation avec son caractère et ses aspirations, mais son travail ne lui déplaisait pas pour autant.

Mettre son caractère empathique au service des autres, elle le pourrait sans doute. Mais plutôt que d'en faire une carrière, elle préférait faire cela sur son temps libre. Donner des conseils, gratuitement, à des personnes qui lui devenaient chères, comme Elise, ça ne coûtait rien à personne, mais ça leur faisait du bien à toutes les deux. Enfin elle l'espérait. Et puis, elle n'était pas si certaine qu'elle serait aussi douée dans l'exercice que ce qu'Elise pouvait bien penser.

La psychanalyse, notamment, était un domaine particulièrement complexe en plus de novateur. Espérance s'en était bien rendu compte au moment de commencer à consulter Lisbeth Benson, que ce n'était pas donné à tout le monde.

Et puis, le simple fait qu'elle-même ait besoin de séances de psychanalyse encore aujourd'hui, alors que son tragique passé conjugal était techniquement loin derrière elle, prouvait bien qu'elle n'était sans doute pas suffisamment équilibrée et bien dans sa tête pour cela. Sans oublier le parcours intellectuel exigeant que cela nécessiterait. Non, vraiment, elle était bien dans son rôle. Son petit travail était confortable.

"Etant donné ma propre expérience maritale, je pense que je ferais une bien piètre conseillère conjugale", répondit-elle avec un fin sourire.

Et elle ne disait pas cela pour partir à la chasse au compliment, pas du tout, ou même pour que l'on s'apitoie sur son sort. Non, c'était seulement un constat. Ce n'était ni dérangeant, ni grave. Ce qu'elle avait vécu avec son ancien mari l'avait bouleversée, pour ne pas dire traumatisée, et avec changé beaucoup de choses dans sa perception des relations sentimentales, et conjugales. Il y a des événements, terribles, desquels on ne revient pas.

D'ailleurs, elle n'était sans doute pas la mieux placée pour donner des conseils à son amie. Mais elle le faisait en tant qu'amie, justement, et certainement pas en qualité prétendue de grande connaisseuse en la matière qui saurait mieux qu'elle.

"Etant donné ma propre expérience maritale, je pense que je ferais une bien piètre conseillère conjugale",

Elise adressa à son amie un regard compatissant, regrettant d'avoir parlé si légèrement l'instant d'avant. Elle se doutait qu'Espérance ne lui en voulait pas, mais elle, pour sa part, regrettait amèrement de s'être exprimée sans réfléchir. Elle connaissait un peu l'histoire d'Espérance, elle savait que cette dernière avait divorcé. De même, elle en savait les raisons. Elle ne connaissait pas tous les détails, non, mais elle en savait assez malgré tout pour comprendre qu'elle en avait bavé.

Elle s'était retrouvée aux prises avec un homme violent et abusif, qui l'avait malmenée et aurait tout à fait pu prendre sa vie si les circonstances ne l'avaient pas sauvées. Oui, sa vie maritale n'avait pas été un succès, mais de toute évidence, son interlocutrice n'y était absolument pour rien. Espérance n'avait rien à se reprocher. Pourtant, Elise sentait qu'Espérance culpabilisait malgré tout. Il n'y avait définitivement pas de quoi. Elle avait été irréprochable dans son comportement. La faute n'était à imputer qu'à une seule personne, et ce n'était pas elle. Parfois, il n'y a pas à entendre les deux sons de cloche, à chercher des excuses aux uns et aux autres.

-Au contraire, je pense que tu es quelqu'un d'avisé. Elise sourit. On a tous le droit à l'erreur. Et en l'occurrence, tu n'étais fautive de rien, et tu as eu le courage de partir. Tu as écouté ton coeur, ce n'est pas donné à tout le monde.

Elle avait une expérience très personnelle, elle en avait bavé en amour, dans sa vie sentimentale et maritale, mais elle en était ressortie digne et fière. Elle était une jeune femme accomplie. Elle travaillait, elle s'assumait seule et veillait par ailleurs aux besoins de sa mère, une femme-courage qui réussirait à trouver sa voie ailleurs également. Elle était jeune, elle était très jolie. Alors Elise était sûre et certaine qu'un jour, elle retrouverait l'amour. Elle tomberait sur un homme bien, quelqu'un qui saurait prendre soin d'elle de la bonne manière, qui réussirait à lui apporter tout ce qu'elle désirait. La stabilité, l'affection, et le bonheur. Ce que Dougal apportait à Elise, même si cette dernière réussissait à avoir des doutes malgré tout.

-Au contraire, je pense que tu es quelqu'un d'avisé. On a tous le droit à l'erreur. Et en l'occurrence, tu n'étais fautive de rien, et tu as eu le courage de partir. Tu as écouté ton coeur, ce n'est pas donné à tout le monde.

Est-ce que c'était vraiment son coeur, qu'Espérance avait écouté à l'époque, ou plutôt son instinct de survie ? Elle aurait tendance à pencher pour la seconde option. Elle était convaincue que si elle était restée avec son mari violent, elle en serait morte à coup sûr. Il y aurait eu le coup de trop, celui duquel elle ne se serait tout simplement pas réveillée.

Elle n'avait jamais vraiment écouté son coeur à cette période, pas même quand elle avait décidé d'épouser son ex-mari. Elle ne l'avait pas épousé par amour mais par convenance, parce que cela semblait plus simple, plus... raisonnable, d'avoir un mari à son bras. Elle s'était convaincue que c'était la chose à faire.

Mais bien sûr, ça ne l'était pas. Cette histoire ne pouvait que mal finir. Et en effet, elle avait mal fini, très mal fini, même. Mais ça aurait pu être pire. Non, Espérance ne considérait pas que l'on doive louer son comportement en quoi que ce soit. Dans tous les aspects de sa courte vie maritale, elle n'avait décidément pas été un exemple, loin de là.

"Tu me donnes bien plus de crédit que je n'en mérite", s'amusa Espérance sans que ce soit un reproche pour autant.

L'air de rien, ça faisait du bien d'être considéré malgré tout avec une certaine estime. Même si elle n'était pas coupable de ce qui lui était arrivé, elle craignait quand même souvent qu'on la blâme, qu'on la juge pour cela.

Certains ne s'en étaient pas privés par le passé. Sa réputation de femme divorcée n'avait pas toujours été simple à endurer. Elle a encaissé, beaucoup, et après son déménagement, ça a mieux été, car quand elle le pouvait, quand elle n'était pas encore suffisamment en confiance, elle se gardait bien d'apprendre à ses interlocuteurs qu'elle était divorcée.

"Mais je prends le compliment." Elle marqua une pause. "J'espère quand même que mon prochain mariage sera le dernier et ne servira pas de nouvelle leçon de vie que je pourrais adresser à d'autres."

"Tu me donnes bien plus de crédit que je n'en mérite."

Elise ne le pensait pas, non, mais elle n'était pas étonnée de la réaction de son amie. Cette dernière était un ange, et elle déployait toujours des trésors de douceur et de patience à l'adresse des autres, au point qu'Elise ne serait pas réellement étonnée qu'il lui arrive, bien souvent, de s'oublier elle-même. Partant de là, bien sûr qu'elle devait considérer qu'elle lui donnait plus de crédit qu'elle n'en méritait. Mais ce n'était pas le cas, quiconque connaissait l'histoire de la jeune femme, même si ce n'était que dans les grandes lignes, ne pouvait que louer son abnégation et sa bravoure.

Tout le monde ne se serait pas si dignement relevé après ce qu'elle avait vécu. Et le pire, dans tout ça, c'est que son calvaire n'était pas totalement fini, puisqu'elle devait maintenant prendre soin de sa mère, qui montrait des signes de dépression très graves, et pour laquelle, tout naturellement, elle s'inquiétait plus que de raison. Elise, de son côté, en avait vu des vertes et des pas mûres, elle aussi, mais en comparaison de ce qu'endurait son interlocutrice, tout ceci paraissait au fond bien léger.

"Mais je prends le compliment. J'espère quand même que mon prochain mariage sera le dernier et ne servira pas de nouvelle leçon de vie que je pourrais adresser à d'autres."

Elise sourit. C'est sûr qu'il serait plus reposant pour Elise de simplement profiter de sa vie sans avoir à revenir sur son passé ou sans avoir à s'inquiéter de son avenir. Forcément, Elise ne pouvait pas savoir de quoi cet avenir serait fait, mais elle se permettait d'être positive pour Espérance. Des choses horribles arrivaient aux meilleures personnes, c'était un fait établi. Mais parfois, aussi, les bonnes personnes récoltaient les belles choses qu'elles avaient semé. Espérance avait suffisamment bataillé comme cela. Elle méritait son moment de douceur et de répit, elle méritait d'avoir cette chance unique et nécessaire de simplement mener la vie qu'elle désirait.

-J'en suis certaine, répondit Elise avec assurance. Ce qui me fait penser que je ne t'ai même pas posé la question indispensable à toutes les conversation constructives. En tout cas selon elle. Elle avait été si accaparée par ses propres préoccupations que ça avait bien failli passer à la trappe. Et les amours ?

-J'en suis certaine. Ce qui me fait penser que je ne t'ai même pas posé la question indispensable à toutes les conversation constructives. Et les amours ?

Ah oui, la fameuse question. Espérance sentit que ses joues rosissaient presque malgré elle, et qu'un bête sourire un peu naïf décorait ses lèvres tandis qu'elle baissait le regard en réponse.

Elle n'allait pas reprocher à Elise d'avoir abordé le sujet, on pouvait même dire que c'était de bonne guerre, en vérité, puisque depuis tout à l'heure, elles discutaient des amours d'Elise sans aucune réserve. Certes, cette dernière était une femme mariée, ce qui rendait donc la chose différente, mais après une telle conversation à coeur ouvert, Espérance se voyait mal nier en bloc et faire comme si de rien n'était.

Même si elles se connaissaient depuis peu de temps, Espérance considérait vraiment Elise comme une amie. Elle pourrait même affirmer qu'elle était une de ses amies les plus proches compte tenu du fait qu'elle ne fréquentait pas grand-monde, trop préoccupée par sa mère et par l'état de cette dernière pour sortir vraiment beaucoup et voir du monde.

Et puis, ce n'était pas forcément un secret... même si, en réalité, il n'y avait pas à proprement parler quelque chose à dire non plus. C'était... plus compliqué que cela, disons. Mais en même temps, il y avait quelque chose, il y avait quelqu'un, et ce n'était pas vraiment comme si Espérance pouvait faire la sourde oreille à ses sentiments, à ce qu'elle éprouvait pour un garçon qu'elle avait rencontré il y a peu de temps. Cela n'avait presque pas de sens, et pourtant, elle le ressentait si profondément, si intensément, qu'elle ne pouvait avoir aucun doute sur la question.

"Eh bien... disons que c'est particulier. J'ai rencontré quelqu'un, mais..." Elle ne savait trop comment le présenter, elle se sentait un peu embarrassée, à vrai dire. "C'est... vraiment bizarre, en fait. Je le connais à peine."

Elle le connaissait à peine, oui, mais au moment de le rencontrer, de parler avec lui, elle avait l'impression qu'ils se connaissaient depuis une éternité, qu'ils se connaissaient bien avant de se rencontrer, et cette connexion qui s'était créée entre eux venait de là.

"Tu crois au coup de foudre ?" demanda-t-elle tout en craignant terriblement de passer pour parfaitement ridicule.

A voir les joues d'Espérance rosir, à voir le regard baissé de la jeune femme, Elise comprit immédiatement qu'il y avait anguille sous roche, et qu'elle avait bien fait de poser la question à son amie. Elle n'avait pas du tout envie de la mettre mal à l'aise, loin de là, mais il semblerait qu'il y ait définitivement des choses à dire sur sa vie sentimentale, alors, de façon évidente, Elise tenait à les entendre, convaincue que si ce ne devait pas être croustillant, ça aurait en tout cas le mérite de permettre à Espérance d'en parler, chose qu'elle ne faisait peut-être pas si souvent que cela.

Espérance écoutait beaucoup, mais elle parlait beaucoup moins, et il était temps d'inverser la vapeur, surtout qu'Elise l'avait largement assommée avec ses propres préoccupations, même si elle n'avait pas donné l'impression de s'en plaindre. Alors, Elise était à l'écoute de ce que son amie avait à lui dire.

"Eh bien... disons que c'est particulier. J'ai rencontré quelqu'un, mais..."

Le sourire d'Elise s'agrandit. Oui, il y avait bien un homme derrière le comportement d'Espérance. Ceci dit, il semblerait que cette histoire soit plus compliqué qu'il n'y paraissait. Elise espérait juste qu'Espérance ne se retrouvait pas empêtrée dans une situation sentimentale insoluble, et qui la ferait évidemment souffrir.

"C'est... vraiment bizarre, en fait. Je le connais à peine. Tu crois au coup de foudre ?"

Oh, c'était donc ça ? Eh bien, aux yeux d'Espérance, c'était encore mieux. Oui, elle croyait au coup de foudre. Elle ne pouvait pas dire l'avoir vécu. Elle connaissait Dougal depuis tellement longtemps, on ne pouvait pas forcément parler de coup de foudre, dans le cas, même si l'évidence de ses sentiments pour lui s'était très vite imposée à elle. Elle trouvait que les histoires de coup de foudre étaient belles. C'était... le destin qui plaçaient deux personnes complémentaires sur le chemin l'une de l'autre. Ce n'était pas donné à tout le monde de vivre ça. Et quand on le vivait, il ne fallait pas passer à côté.

"Oui, j'y crois", répondit Elise d'un ton rassurant. "Dis-m'en plus à son sujet ? Comment est-ce qu'il est ? Comme ça s'est passé ?"

"Oui, j'y crois"

La réponse d'Elise, douce et rassurante, eut le mérite de la faire se sentir un peu moins ridicule. C'est que c'était ce qu'elle avait le sentiment d'être, par moments, elle qui en un regard avait succombé, beaucoup trop facilement, au charme d'un jeune homme dont sur le moment, elle ne savait absolument rien.

Elle qui, bien que romantique dans l'âme, avait cru son cœur verrouillé depuis son divorce, s'était exhortée de ne jamais se laisser avoir par aucun homme... Non, elle ne pensait pas que Lyall cherchait à la manipuler ou encore lui voulait du mal, elle était désarmée par sa sincérité, même. Mais elle ne pourrait que se le reprocher à elle-même si elle se laissait blesser à nouveau, alors qu'elle avait voulu se forger une carapace, techniquement, mais techniquement seulement, hermétique à toute perspective de romance. Techniquement.

Alors oui, ça la rassurait d'entendre qu'Elise croyait au coup de foudre. Elle savait que Dougal et elle se connaissaient depuis l'enfance, elle savait aussi que son mari, donc, avait eu un premier grand amour avant d'être avec elle, aussi le coup de foudre était exclu dans son histoire, mais elle ne négligeait pas pour autant la valeur que pouvait avoir ce dernier, et sur ce point, Espérance se sentait reconnaissante, surtout qu'elle gardait l'impression que son amie ne lui disait pas juste ce qu'elle voulait entendre. Elle exprimait bel et bien ce qu'elle avait sur le coeur.

"Dis-m'en plus à son sujet ? Comment est-ce qu'il est ? Comme ça s'est passé ?"

"C'est plutôt cliché, si tu veux savoir", répondit Espérance, les joues rosissantes, comme si elle avait honte de ce qu'elle avait à partager.

Pourtant, il n'y avait pas de honte à avoir. C'était sa vie malgré tout, c'était elle, c'était son histoire, ou une partie de son histoire, et c'était l'une des plus belles choses qui lui soient arrivées depuis son retour à Londres, ce n'est pas comme si elle pouvait le considérer comme quelque chose de totalement indifférent.

"Il m'a bousculée sans faire exprès au beau milieu de la rue et... je sais pas, ça m'a frappé, tu vois. Il m'a proposé d'aller boire un café, j'ai même pas hésité. On a à peu près le même âge et... plus on se parlait, plus je le trouvais... intéressant. Il est doux, sympathique, intelligent... J'en fais trop, hein ?"

"C'est plutôt cliché, si tu veux savoir"

Elise comprenait bien qu'Espérance diminuait les choses pour dissiper son malaise, mais ça ne prenait pas. La jeune femme tenait à tout savoir, absolument tout savoir sans l'ombre d'une exception. Et ça lui était égal, que ça puisse être considéré comme cliché. Est-ce que ça le serait forcément, dans tous les cas ? Elle estimait que même si ça devait être le cas, ça resterait discutable quoi qu'il en soit. Ce qui était cliché, c'était de l'ordre de la perception individuelle, et il n'y avait que les ratés de l'amour pour vouloir pointer du doigt une situation parce qu'elle serait trop romanesque ou trop romantique. Elise, elle, refusait plus que catégoriquement d'appartenir à cette catégorie de personnes. Elle considérait, bien au contraire, qu'Espérance avait sans doute vécu une histoire que bien d'autres femmes auraient envie de vivre, et dans lesquelles on les dissuadait d'espérer uniquement parce que certains paraissaient prendre un malin plaisir à saper votre enthousiasme "juste comme ça".

"Il m'a bousculée sans faire exprès au beau milieu de la rue et... je sais pas, ça m'a frappé, tu vois. Il m'a proposé d'aller boire un café, j'ai même pas hésité. On a à peu près le même âge et... plus on se parlait, plus je le trouvais... intéressant. Il est doux, sympathique, intelligent... J'en fais trop, hein ?"

En effet, c'était une situation qu'on aurait sûrement pu lire dans un livre ! deux âmes soeurs qui se bousculent sans faire exprès et décident de faire plus ample connaissance sans rien savoir l'un de l'autre. Et au fil de la conversation, réaliser que le premier sentiment  qu'on a eu vis-à-vis de l'autre est confirmé par une compatibilité de caractère. Si c'était un cliché, c'était un beau cliché. Le genre de cliché qu'Elise aurait pris plaisir à vivre, même si elle avait une tendresse toute particulière pour sa propre histoire, ça n'empêchait pas.

-Tu en fais juste assez, répondit Elise avec un sourire encourageant. Je ne vais pas dire que ce n'est pas un tantinet cliché, mais tu sais combien de filles tueraient pour vivre un cliché pareil ? Elle sourit. Tu l'as revu depuis ? Vous en êtes où, maintenant ?

-Tu en fais juste assez.

Non, elle en faisait clairement trop, Espérance ne se leurrait pas du tout à ce sujet. Mais elle était quand même heureuse d'entendre la réaction de son interlocutrice. Elle avait la chance d'être en présence d'être en présence d'une amie aussi douce, rêveuse et romantique qu'elle, et elle savait qu'elle n'avait pas, par conséquent, à craindre son jugement.

Oui, Espérance en faisait sans doute trop, mais c'était... oh, ça aussi, c'était bien cliché, mais c'est son coeur qui en faisait trop. Elle n'avait jamais ressenti ça pour qui que ce soit, et c'était étrange de se sentir à ce point investi pour une personne qu'elle connaissait à peine. Enfin, elle apprenait à mieux le connaître, petit à petit... mais tout de même, son histoire avec Lyall était définitivement ce qu'on pouvait assimiler aux grandes histoires de coups de foudre, et c'était... troublant ?

-Je ne vais pas dire que ce n'est pas un tantinet cliché, mais tu sais combien de filles tueraient pour vivre un cliché pareil ?

Les joues d'Espérance rosirent légèrement. Le pire, bien sûr, c'est qu'Elise avait effectivement raison. Oui, beaucoup rêvaient sans doute de vivre ça, et Espérance l'avait sans doute voulu, même inconsciemment, avant que ça ne lui arrive.

Et possible que cela lui arrive justement pour cette raison, non ? C'était bien possible, en vérité. C'était même très vraisemblable.  Pour accepter que l'on vive un coup de foudre, il fallait bien vouloir croire qu'une telle chose existait. Elle ne voulait pas trop réfléchir à la part d'autosuggestion qu'il y avait dans cette situation.

-Tu l'as revu depuis ? Vous en êtes où, maintenant ?

"On a prévu de se revoir", répondit Espérance. "Je saurais pas trop te dire où on en est... J'essaie de pas... précipiter les choses, ça m'a pas vraiment rendu service par le passé. Mais en même temps, tout va si vite..."

C'était difficile de ne pas aller plus vite que la musique. Il y avait sa raison, son coeur, c'était un brouhaha, un vacarme constant. Impossible de savoir précisément où donner de la tête. Elle se dit qu'il faudrait qu'elle se laisse porter par les circonstances. C'est plus facile à dire qu'à faire, évidemment. Elle attend de voir. Elle sait juste que maintenant que Lyall est entré dans sa vie, elle ne veut pas qu'il en parte.

"On a prévu de se revoir"

Bon, tant mieux, c'était déjà une très bonne chose. La pire configuration qu'Elise aurait pu envisager dans ces circonstances aurait été qu'Espérance ait rencontré ce jeune homme mais n'ait pas obtenu ses coordonnées ou la promesse de le revoir. Quel dommage ça aurait été, vraiment ! Elle avait tant à offrir, c'était évident, et elle avait tout à construire avec ce jeune homme. Leur histoire commençait comme dans les belles romances desquelles on disait souvent, à tort, qu'on en voyait jamais de telles dans la "vraie vie" (pour ce que ça signifie, la "vraie vie"), il fallait qu'elle continue de la même manière. Bon, dans l'idéal, il fallait espérait que son amie s'épargnerait les drames et les déconvenues qui accompagnaient parfois les histoires les plus épiques avec leur coup de foudre traditionnel, mais elle ne voulait pas s'inquiéter de cela en ce qui concernait Espérance...

Elle avait une belle âme, et elle accusait déjà suffisamment de drames dans son existence sans avoir besoin d'en rajouter. On pouvait tout de même lui souhaiter qu'elle trouve le contentement et l'équilibre dont elle avait tant besoin. Elise y croyait, c'était réellement possible. Il fallait que ce soit possible, pour toutes les belles histoires auxquelles elle avait besoin de croire pour donner, évidemment, de la légitimité à la sienne... Qui en manquait parfois, pensait-elle, si on la comparait à la grande romance que Dougal avait vécue avec cette Minerva de malheur.

"Je saurais pas trop te dire où on en est... J'essaie de pas... précipiter les choses, ça m'a pas vraiment rendu service par le passé. Mais en même temps, tout va si vite..."

Elle était vraiment mignonne, quand elle en parlait. Il était impossible de ne pas adresser un regard attendri à la jeune femme quand elle s'exprimait sur les élans de son coeur. C'était évident qu'elle essayait de rationnaliser ce qui ne pouvait pas l'être. Il n'y avait rien de moins rationnel que l'amour, c'est un fait, et il fallait accepter ce genre de choses, même si ça pouvait sembler absurde, même si ça devait paraître particulièrement malvenu voire naïf ou candide. Et accepter qu'il n'y avait aucun mal à cela au bout du compte.

-Est-ce que c'est si grave que ça, au fond ? suggéra Elise. Je veux dire... on arrête pas de prétendre qu'on devrait faire les choses de telle ou telle manière, ne pas se précipiter, faire attention, tout ça... Alors c'est bien joli, mais il y a autant de relations qu'il y a de gens, alors si tu veux un conseil, laisse-toi porter.