-Est-ce que c'est si grave que ça, au fond ?

Oui ? Non ? Dans le fond, Espérance n'en savait rien, ce serait plus simple de répondre à cette question si toute cette situation reposait sur quoi que ce soit de rationnel, mais ce n'était pas le cas, ce n'était pas le cas du tout. C'étaient ses émotions qui s'exprimaient, c'étaient ses émotions qui décidaient, et elle ne pouvait affirmer que ces dernières la menaient dans la bonne direction. Il faudrait pour cela qu'elle connaisse son cap, rien que ça, et ça n'avait pas l'air d'être prévu au programme.

Mais est-ce que c'était grave ? Pas forcément. En fait, c'était plus déroutant qu'autre chose, au final. Se laisser emporter dans une sorte d'inconnu, manquer cruellement de repères, ne tout simplement pas savoir exactement quelle direction on empruntait, c'était vertigineux. Mais le vertige en soi n'était pas forcément... désagréable ?

Je veux dire... on arrête pas de prétendre qu'on devrait faire les choses de telle ou telle manière, ne pas se précipiter, faire attention, tout ça... Alors c'est bien joli, mais il y a autant de relations qu'il y a de gens, alors si tu veux un conseil, laisse-toi porter.

Et dire que plus tôt, c'était Elise qui prétendait qu'Espérance devrait remplir le rôle de conseillère conjugale ! Pourtant, c'était bien elle qui lui délivrait en ce moment les conseils les plus précieux qu'elle pouvait souhaiter entendre. Elle avait évidemment besoin d'être confrontée à ce genre d'observations, elle avait besoin qu'on la freine ou au contraire qu'on l'incite à se précipiter, qu'on pousse son embarcation au plus loin.

Elle passait son temps à vivre pour les autres, sa mère en premier lieu. Est-ce que ce serait si mal de vivre pour elle-même, pour une fois ? Non, pas du tout. Ce serait libérateur. Et si elle devait se prendre un mur ? C'était un risque, et la déception serait cuisante, mais peut-être moins éprouvant que de se poser des milliers de questions sans se donner l'occasion d'obtenir la moindre réponse.

Elle ne savait vraiment pas comment faire, ni quoi faire, en revanche, elle savait qu'il fallait qu'elle agisse, et que c'était important. Il faudrait qu'elle se focalise là-dessus, autant que possible, c'était après tout ce qui importait pour le moment, et c'était assez de tout mettre constamment en sourdine : ses pensées, ses sentiments.

"Tu sais quoi ? Je crois que tu as entièrement raison. Et c'est ce que je vais faire, je vais suivre tes conseils." Elle sourit. "Tu vois, tu n'as pas besoin des leçons de qui que ce soit pour aiguiller une vie sentimentale."

"Tu sais quoi ? Je crois que tu as entièrement raison. Et c'est ce que je vais faire, je vais suivre tes conseils.
Elise afficha un sourire aussi ravi que radieux. Elle se doutait qu'il ne devait pas être simple pour Espérance de se laisser aller. Pour toutes les qualités que possédait sa nouvelle amie, cela se voyait tout de même qu'elle était du genre à beaucoup réfléchir, peut-être un peu trop pour son propre bien, ce qui pouvait éventuellement mener à des situations relativement désastreuses. Ou tout l'inverse. Il n'y avait pas trop de mal à trop réfléchir, et Elise était bien souvent du même genre de son côté. Mais quand on s'aventurait sur le champ des sentiments, on ne pouvait plus se contenter de penser, de tourner et retourner les sujets dans tous les sens, il fallait, d'une manière ou d'une autre accepter de lâcher prise, de se laisser faire et de voir ce que ça pourrait bien donner.

"Tu vois, tu n'as pas besoin des leçons de qui que ce soit pour aiguiller une vie sentimentale."

Elise afficha un humble sourire, elle n'était pas du tout convaincue, elle songeait plutôt qu'elles avaient autant besoin l'une que l'autre des conseils de l'autre. A l'évidence, elles étaient paumées, toutes les deux. Et elles avaient surtout toutes les leçons du monde à tirer de la compagnie l'une de l'autre au-delà de toute autre considération, et c'était ce que la jeune femme faisait le choix de retenir en ce qui la concernait. Elle avait l'impression cette conversation leur avait fait du bien à toutes les deux, Elise se sentait plus facilement capable de parler avec son mari et de tirer leur situation au clair, et peut-être qu'Espérance, de son côté, allait abattre ses barrières et décider de se laisser porter par le courant. En fait, c'étaient leurs caractères qui se complétaient plutôt bien, tout simplement.

-C'est toujours plus simple de se mêler de la vie des autres que de réussir la sienne, c'est bien connu. Elle marqua une pause. Dougal ne va pas tarder à rentrer. Tu veux l'attendre ou...

Elise n'avait pas l'intention de chasser son amie, mais elle devait remarquer que le temps avait passé à une vitesse folle, et son mari allait en effet bientôt rentrer du travail.

-C'est toujours plus simple de se mêler de la vie des autres que de réussir la sienne, c'est bien connu.

Espérance répondit par un sourire amusé. Impossible de donner tort à son interlocutrice à ce sujet, c'était effectivement le cas. Quand on avait la tête dans le guidon, quand on était directement concerné par une situation, on avait forcément du mal à prendre la distance nécessaire pour savoir analyser complètement sa situation.

Au fond, au moins, elles savaient être de bon conseil l'une pour l'autre, et donc on pouvait considérer qu'elles s'étaient bien trouvées. En attendant, il y avait une différence entre le fait de se mêler de la vie des autres, et de s'intéresser à la vie des autres quand il était question de guider, d'aider, de conseiller.

Elles devenaient de très bonnes amies, toutes les deux, et cette conversation lourde de sens leur avait prouvé qu'elles pouvaient compter l'une sur l'autre, et cela, à l'évidence, c'était important. Une chose qu'elles ne pouvaient pas occulter, une chose qu'elles ne pouvaient pas négliger. Et Espérance considérerait cette amitié comme précieuse. Quand elle aurait besoin de conseils et de réconfort, il était évident qu'elle se rendrait immédiatement auprès d'Elise pour bénéficier de ses lumières, tout comme elle n'hésiterait pas à lui apporter les siennes si besoin.

- Dougal ne va pas tarder à rentrer. Tu veux l'attendre ou...

"Non, je vais y aller et vous laisser entre vous. Tu me tiendras au courant, d'accord ?"

Dans tous les cas, Espérance n'aurait pas voulu s'imposer. D'autant moins que sa mère avait besoin de soutien et qu'il fallait qu'elle soit là pour elle, à ses côtés. Elle avait assez abusé du temps et de la compagnie d'Espérance.

Par ailleurs, vu les circonstances, Elise et Dougal avaient besoin de passer du temps l'un avec l'autre tous les deux, pour mettre les choses à plat. Elise allait forcément devoir parler avec son mari, et Espérance lui souhaitait que tout se passe pour le mieux, mais elle n'avait pas son rôle à jouer dans cette affaire. Même, elle serait forcément de trop, à coup sûr.

Elle apprécierait de passer du temps avec Dougal, qui était une personne qu'elle aimait beaucoup, mais ce serait plus simple quand les choses auraient été mises à plat au sein du couple.