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ames venait tout juste d'avaler ce qui devait déjà être son quatrième café de la journée. Il lui fallait au moins ça pour tenir sur ses deux jambes et donner le change face aux clients de la librairie (qui heureusement n'étaient pas bien nombreux aujourd'hui)... même s'il s'arrangeait autant qu'il le pouvait pour disparaître dans l'arrière-boutique et laisser ses collègues gérer le service clients comme il se doit, lui-même ne s'en sentant clairement ni la motivation, ni les camacités à l'heure actuelle.

De la soirée de la veille, James n'avait qu'un souvenir relativement flou, et il avait du mal à faire la distinction entre ce qui s'était réellement passé et ce qu'il avait juste... imaginé. Il se souvenait d'une conversation animée, de son projet (un peu fou, c'est ce qu'il s'était dit au réveil) de composer ensemble un recueil de nouvelles qui répertorierait les meilleures anecdotes professionnelles de Derek. Il se souvenait aussi, de façon un peu trop cuisante pour s'imaginer l'avoir rêvé, avoir parlé d'Ethan... Pour le reste. Il n'avait plus grande idée à vrai dire de comment il était retourné chez lui. Au moment de se réveiller dans son lit (heureusement que son réveil était réglé pour sonner toujours à la même heure le matin sans qu'il ait besoin d'y songer la veille), il ne se rappelait plus de quelle façon il s'y était endormi. Il avait dû s'y effondrer directement en rentrant, compte tenu du fait qu'il avait visiblement dormi tout habillé.

Le réveil avait été douloureux. Il avait été en pilote automatique toute la matinée, la tête grosse comme une pastèque, la nausée au creux de la gorge et l'envie de retrouver son lit fissa. Malgré tout, il avait profité de la mise en place de la boutique pour dénicher quelques livres qui pourraient leur servir d'inspiration, à Derek et à lui... si Derek acceptait de se pointer. Il se souvenait de lui avoir parlé, en revanche, sa réaction lui échappait un peu. Il verrait bien. S'il venait...

Et effectivement, Derek finit par pointer le bout de son nez. Un sourire amical, comme si rien de grave n'avait eu lieu la veille. C'était plutôt rassurant, à vrai dire. James lui adressa un sourire.

-J'ai une enclume à la place du crâne et toute la caféine du monde parvient à peine à me tenir éveillé, si ça peut répondre à ta question, répondit James en conservant ce léger sourire, encore un peu réservé. Et toi, tu te remets de notre soirée ? Il semblait en meilleure forme que lui, en tout cas. Qu'est-ce que tu dirais d'un café ? Il venait de s'en prendre un mais un de plus un de moins. Il pouvait bien s'éclipser en salle de repos, pour le moment, il n'y avait vraiment pas grand monde. Et ses collègues, qu'il avait pour habitude de couvrir quand ils étaient dans le même cas que lui, ne lui en voudraient pas. J'ai quelques livres à te montrer, qui pourraient nous intéresser, ajouta-t-il en voulant garder un ton naturel.

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ames voulait bien croire que, en effet, il ne faisait illusion auprès de personne en dépit de ses efforts, mais il ne risquait pas de le prendre mal, puisqu'il en avait entièrement conscience. D'ailleurs, ses collègues n'avaient pas manquer de le souligner en le voyant débarquer le matin même. Ceci dit, ils s'étaient tous montrés très indulgents. Il faut dire qu'il ne les avait pas habitués à le voir dans cet état, et la plupart d'entre eux étaient bien plus fêtards que ne l'était James (ce qui n'était pas bien difficile). Disons qu'il bénéficiait de l'indulgence que confère l'exception... Une indulgence qui n'allait pas jusqu'au fait de lui accorder une journée de repos, cela dit, bien que cela lui aurait été plus que clairement salutaire. Enfin. Ce n'était rien, juste une gueule de bois, et il y survivrait, comme tout le monde, et d'ici quelques jours, ce serait comme si de rien n'était... enfin, à part pour les mots qu'il avait prononcés et sur lesquels il ne pouvait malheureusement pas revenir, mais ça...

Derek n'en menait semble-t-il pas large non plus, même si James avait quand même le sentiment qu'il était en meilleur forme que lui (d'un autre côté, il devait avoir davantage d'heures de sommeil dans les pattes, ce qui n'avait rien de négligeable du tout). Dans tous les cas, le café était de mise, y compris pour James qui se soucierait plus tard de l'éventuelle overdose de caféine qu'il était en train de s'infliger à lui-même.

Alors qu'il allait lui proposer quelques ouvrages sur lesquels jeter un oeil, un sourire amusé étira les lèvres de James quand Derek demanda si ce n'était pas trop long. Au fond, la question était légitime, et pouvait aussi les aiguiller sur le genre de contenu qu'ils voulaient produire. Des nouvelles très courtes, qui pourraient se lire dans le désordre et au gré des envies pour ne pas barber ses lecteurs... C'étaient des pistes à ne pas négliger. Tout dépendrait de s'ils voulaient attirer des lecteurs comme Derek... ou comme James... Encore faudrait-ils qu'ils aient des lecteurs tout court un jour.

-J'ai sélectionné quelques livres sur lesquels on pourra prendre exemple, en lui montrant les ouvrages en question. Y en a des plus ou moins longs. C'est tous des recueils, mais qui ont choisi des approches différentes. Si certains de semblent trop longs et trop barbants, tu peux juste les survoler et analyser la table des matières pour te faire une idée de la manière dont c'est organisé. Je me suis fait une sélection d'ouvrages sur différentes méthodes d'écriture mais je dois t'avouer que je n'ai pas encore eu le courage d'y jeter un oeil. Il marqua une légère pause. Je suis pas convaincue que la nuit m'ait vraiment porté conseil, mais je sais que si on va pas à bout de ce projet, je vais le regretter.

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ames esquissa un fin sourire quand son ami observa que les nuits comme celle qu'ils avaient passé la veille ne portait jamais conseil. Il ne pourrait clairement pas dire le contraire. Non seulement ces nuits-là ne devaient pas porter conseil, mais elles pouvaient aussi éventuellement... apporter un certain nombre de problèmes. Derek s'adressait à lui tout naturellement, comme s'il ne lui avait pas avouer son secret le plus inavouable quelques heures auparavant, au point que James n'était pas certain de devoir y revenir, ce qui laissait soupçonner que la nuit précédente n'avait pas forcément été si terrible. Oui mais...

Bref, pour le moment, autant se focaliser sur leur projet commun, qui continuait de le séduire, l'air de rien. Il n'irait pas jusqu'à dire que c'était une idée de génie, mais c'était certainement, en revanche, une chose dont il avait besoin. Se focaliser sur un projet nouveau, différent, se donner des objectifs, peu importe lesquels, ne pouvait que lui faire du bien. Et en l'occurrence, c'était un très bon objectif... et qui pourrait bien aboutir. Enfin, l'espoir fait vivre... Ils ne seraient pas les premiers à espérer être édités et dont les espoirs seraient déçus.

-Ne te préoccupe pas de ça, je te les offre, répondit James.

Non, il ne fallait pas croire que les libraires avaient le privilège de piocher tous les livres qu'ils voulaient, pas du tout, mais James paierait ces livres avec plaisir. Après tout, c'était lui qui en bénéficierait le plus, puisque ce serait lui qui gérerait la partie écriture... En espérant qu'il ait les épaules.

-Je te dois au moins ça. Pour rattraper mon comportement d'hier soir. En plus, mes souvenirs sont assez flous mais je suis assez certain d'être parti sans payer, pas vrai ?

Ce qui ne lui ressemblait pas, mais alors pas du tout. Ne serait-ce que voler un grain de raisin sur un marché le plongeait déjà dans des abîmes de culpabilité, c'était dire. Mais il avait tout de même le souvenir d'avoir quitté le pub en trombe, et sa préoccupation sur le moment n'avait définitivement pas été de déposer quelques noises sur le comptoir avant de s'en aller. Et au-delà de ça. C'était une manière de montrer sa gratitude à Derek.

Ses souvenirs avaient beau être flous, il était assez convaincu que la patience et la douceur de son ami sur le moment avaient été particulièrement exemplaires, et il ne saurait jamais assez se montrer suffisamment reconnaissant pour cela. Très sincèrement, il lui devait beaucoup, et il ne ferait pas mine de ne pas en avoir conscience, même si Derek dirait certainement que ce n'était rien, et qu'il n'y avait définitivement pas de quoi en faire tout un plat.

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ames se contenta de hausser les épaules à la remarque de Derek. Pour le nombre de fois où James faisait des folies (autant dire que ça n'arrivait quasiment jamais), il pouvait bien se permettre d'acheter tous ces livres et de dépenser un peu, pour une fois. C'était... une sorte d'investissement sur leur projet futur, qui leur rapporterait peut-être quelque chose, qui sait ? Alors ce n'était pas grand-chose. Son relevé de comptes tirerait peut-être un peu la tronche à la fin du monde, mais il aurait tout le temps d'y penser plus tard.

En ce qui le concernait, ça ne le dérangeait de toute façon pas, et quoi qu'il en soit, il estimait bel et bien que c'était le moins qu'il puisse faire pour Derek... Et il n'était pas vraiment, ou pas seulement, question de la patience dont il avait fait preuve la veille face à son état d'ébriété avancée, pas plus qu'il n'était question des quelques consommations qu'il avait négligé de payer. Disons que ça, c'était un à-côté, pas grand-chose à côté de ce pourr quoi James tenait réellement à remercier son ami, même si quelques livres n'y suffisaient pas spécialement dans ce contexte.

-Une chance que tu sois pas un grand algébriste, alors, plaisanta alors James, ravi que Derek accepte qu'il lui fasse cette faveur sans discuter.

Le libraire laissa passer un temps de pause. Et maintenant ? Ils pourraient rediscuter plus longuement de leurs projets, même s'il serait plus simple d'y revenir une fois qu'ils auraient jeté un oeil plus concret à tous ces bouquins, et même s'ils n'avaient peut-être pas encore tout le cerveau disponible pour ce genre de choses. Ou bien James pouvait crever l'abcès une bonne fois pour toutes. Au point où ils en étaient, ils ne pourraient que prétendre que Derek ne savait rien, et ce serait absurde. Derek était là, il n'avait l'air ni dégoûté, ni différent de d'habitude, alors...

-Ecoute... Merci. Pas juste pour... m'avoir porté à bout de bras hier soir, ou pour avoir payé nos verres. Il marqua une légère pause. Réengager le sujet en étant complètement sobre lui demandait très clairement un effort certain. Mais en même temps, c'était un passage nécessaire. Et il en avait presque moins peur que ce qu'il s'était imaginé - même s'il restait anxieux malgré tout, il ne faut pas exagérer non plus. Merci d'être encore là après ce que tu as appris hier. Tu vas peut-être me dire que c'est pas grand-chose et que c'est normal, mais crois-moi... ça l'est pas.

D'autres de ses amis, et qui étaient pourtant autrement des personnes qu'il adorait, n'auraient certainement pas réagi de cette façon-là. Et il ne les aurait pas blâmés pour cela.

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a sobriété, même si elle s'accompagnait forcément d'une certaine forme de fatigue pour l'un comme pour l'autre, n'avait pas changé l'état d'esprit de Derek. James s'en était douté, sans quoi il devinait que son ami n'aurait certainement pas pris la peine de faire le déplacement et aurait sans doute préféré faire comme si rien ne s'était passé (c'est ce que James aurait fait de son côté, du moins). Il lui assurait qu'il était présent, qu'il acceptait, ce qui était au fond plus important que de comprendre. Et l'idée de ne plus avoir à cacher ce secret si profond à son ami, ça lui faisait un bien immense, réellement.

Derek avait raison, ça ne changeait pas grand-chose. Du moins pour les autres. C'était une chose qui n'avait concerné que lui... et Lindsay à l'époque, qui au fond était bien la seule à avoir le droit d'être en colère envers lui. Mais quand il était question de l'intimité d'autrui, beaucoup se découvraient un droit de regard qui ne les concernait pas le moins du monde, et qu'ils n'avaient aucune légitimité de s'octroyer. Derek n'était pas comme ça, Derek valait mieux que cela. Au fond, James aurait dû le savoir. Mais il acceptait... l'intolérance. Il ne s'en indignait sans doute pas assez, parce qu'il était passé par là. Il ne se voyait pas accuser ou pointer du doigt ceu qui réagissaient comme lui-même aurait pu le faire, aveuglé qu'il avait pu être de préjugés complètement absurdes. On s'en foutait, de tout ça. Ou on devrait s'en foutre. C'était plus difficile quand ça devait conditionner une partie de votre vie, mais au fond... quelle importance... Ethan n'était plus là, alors au bout du compte, quelle différence ça faisait.

Il lui parla de la famille, combien elle était importante, qu'il fallait tout faire pour elle. Il en parlait pour lui faire comprendre qu'en tant qu'ami, il était comme un membre de sa famille. Et c'était touchant, mais il ne pouvait que remettre en cause son propre sens de la famille. On pouvait dire bien des choses de Lindsay, mais c'était James qui en premier lieu avait été un mauvais père, un mauvais mari. On ne pouvait pas réellement dire qu'il ait eu le sens de la famille. Ceci dit, il était encore temps de se rattraper. Et aussi de rendre aux autres ce qu'ils lui donnaient. Il voudrait être capable d'être un aussi bon ami que Derek l'était pour lui. Et il n'en était pas vraiment sûr, en réalité.

-J'ai bien choisi ma famille, il faut croire. Il marqua une pause. Ils pouvaient s'en arrêter là, ce ne serait pas plus mal. Mais la boîte de Pandore était ouverte. Et James, lui, avait besoin de me parler. Ethan... Il baissa la voix. C'était lui, ma famille. Et il est juste parti, comme ça...

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ames aurait simplement pu occulter le sujet Ethan, mais au fond, il n'en avait pas envie, plus maintenant. Il savait qu'il n'avait nul besoin de se justifier de quoi que ce soit auprès de son ami, qu'il acceptait sans en demander davantage, mais il tenait tout de même à ce qu'il comprenne. Quitte à ce qu'il sache la vérité, autant qu'il l'apprenne dans sa totalité. Enfin, en lui épargnant les détails les plus embarrassants, bien sûr, mais ils n'étaient pas les plus embarrassants. C'était justement ça qui lui tenait à coeur. Son histoire, ce n'était pas juste une histoire d'expérimentation sexuelle, c'était une histoire d'amour, une vraie, comme il avait découvert alors ne pas en avoir réellement vécue avec Lindsay contrairement à ce dont il avait voulu se convaincre... comme il doutait fort de pouvoir en vivre de nouveau - et ça valait mieux. Alors les termes "l'homme avec qui tu as eu une relation", même s'ils étaient tout à fait respectueux, ne convenaient pas en ces circonstances. Ethan n'était pas juste l'homme avec qui il avait eu une relation, il était l'homme de sa vie. Et maintenant il était parti.

James hocha la tête en guise de confirmation, à la fois pour faire comprendre à Derek qu'Ethan était bien l'homme en question, mais également pour lui faire comprendre qu'ils avaient effectivement rompu. Il n'avait même pas envisagé l'hypothèse que quelque chose de plus grave ce soit passé, et pourtant, ce n'aurait même pas été si absurde dans le monde de fou dans lequel ils vivaient. Lindsay et Gabrielle devenues veuves à peu de temps d'intervalle, sa séparation avec Ethan dans la foulée... Difficile de croire en un amour serein et heureux quand on voyait ce genre de choses... James n'y croyait plus, d'ailleurs;

-Lindsay était au courant. Pas au début. Quand je l'ai quittée, c'était pour lui, mais elle ne le savait pas, elle savait juste qu'il y avait quelqu'un d'autre... Puis c'est devenu... ingérable. On recevait des lettres de menaces, quelqu'un a tout appris à Lindsay, et elle a menacé de s'en servir contre moi si je devais réclamer la garder de Gabriel.

Il poussa un profond soupir. C'étaient beaucoup d'informations d'un coup, prononcées de manière désordonnées, mais peu importe. S'il ne crachait pas tout le morceau d'un coup, il n'aurait sans doute pas le courage de tout lui dire par la suite.

-La veille je disais à Ethan que je renonçais à la garde de Gabriel pour nous protéger. Le lendemain, il s'en allait s'en laisser d'adresse. Il marqua une pause. C'est pour ça que je vis à l'hôtel. On habitait ensemble.

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ames afficha un fin sourire en partie désolé quand son ami observa qu'il n'avait pas du tout réalisé que le libraire était confronté à tant d'ennuis. Il n'allait certainement pas lui reprocher de n'avoir rien su et rien vu, James n'avait été transparent avec personne en dehors d'Ethan (et Gabrielle quand elle avait encore toute sa tête) à ce sujet, et il s'en voulait parfois de tenir les personnes qui lui étaient le plus proches à l'écart sur des sujets à ce point importants. D'un autre côté, comment faire autrement ? Tout partait d'un premier secret inavouable... et à partir de là, c'était l'escalade. Donc non, Derek n'avait pas à s'excuser de n'avoir rien deviné de ce qui se tramait dans sa vie, s'il n'en avait rien su, c'est que James avait tout fait pour que rien ne se sache... Et aujourd'hui, même si cette situation le libérait d'un poids, elle n'effacerait évidemment pas les mois et les années de silence qui avaient accompagné cette révélation qu'il avait eue à son propre sujet.

James fit doucement non de la tête quand son ami lui demanda s'il avait une idée de qui avait pu envoyer ces lettres et parler à Lindsay. Il avait eu quelques suspicions, qui toutes s'étaient révélées infondées, et à ce jour, il était incapable de répondre à cette question. Il ne savait tout simplement pas. Il n'avait pas la moindre idée de l'identité de ce maître chanteur devenu silencieux depuis le départ d'Ethan, pas plus que de ce qu'il avait cherché à accomplir. Si le but avait juste été de séparer le jeune couple, c'était en tout cas réussi.

James s'en voulut un peu de la manière dont il avait présenté les choses quand Derek observa qu'Ethan était parti "juste comme ça", sans doute indigné... James, même s'il souffrait de son départ, ne réussissait pas à être en colère contre lui. Il voulait croire qu'Ethan n'était pas parti pour échapper à ce harcèlement constant mais justement pour l'empêcher, lui, de sacrifier sa relation avec son fils. Il avait préféré sacrifier leur relation à la place.

-Il savait que j'aurais difficilement pu vivre sans connaître Gabriel. Il me connaît - il me connaissait bien, dit-il, incapable de ne pas prendre la défense d'Ethan malgré tout.

Après quoi Derek enchaîna en suggérant de l'héberger chez lui. Acte généreux ? Marque de pitié ? Démonstration amicale ? Il n'en savait trop rien, mais cette proposition lui réchauffa le coeur. D'une part parce que ça lui prouvait définitivement que Derek n'avait pas peur de l'héberger chez lui en sachant ce qu'il savait (c'était con mais d'autres auraient sûrement été plus réticents), d'autre part parce qu'il avait grand besoin de s'échapper de cette satanée chambre d'hôtel en réalité.

-Tu es sûr que ça ne te dérange pas ?

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on, puisque Derek semblait tout à fait disposé à l'héberger le temps d'une nuit sans que James ait le sentiment que ce soit uniquement parce qu'il le prenait en pitié mais seulement parce qu'il savait être un très bon ami, le libraire ne voyait vraiment pas en quoi il refuserait. Derek était seul chez lui, sans doute que l'absence de sa fille lui pesait, comme elle pesait souvent, et cruellement, à James ces derniers temps, ce ne serait pas un mal que de conjuguer leurs solitudes pour en faire quelque chose de positif... en évitant tout de même au passage de se mettre la tête à l'envers comme ils l'avaient fait la veille au soir (ce qui ne serait pas franchement difficile, James avait largement passé l'âge d'enchaîner les soirées arrosées... et à vrai dire, il n'était pas convaincu que ça ait été de son âge un jour).

Oui, c'était une bonne idée. Bon, ça ne le sauverait que le temps d'une soirée avant de retourner à la morosité de sa chambre d'hôtel, mais c'était toujours ça de pris. Et qui sait, s'ils ne tombaient pas juste littéralement de sommeil sur les coups de dix-neuf heures, peut-être pourraient-ils même en profiter pour travailleur plus attentivement à leur projet commun, qui sait ? Ce serait plus simple de s'y mettre dans un cadre plus convivial, ça c'était une certitude, même si pour mettre de l'ordre dans tout ça, il faudrait que James ait achevé de mettre de l'ordre dans ses idées, et ce n'était pas encore gagné, pour le coup.

-Bon, avec plaisir, dans ce cas. Je t'avoue que cette chambre d'hôtel me file un cafard monstre.

Bon, c'était toujours moins pire que s'il avait décidé de rester chez lui (qui en fait était chez Ethan), où le moindre meuble, le moindre objet, aurait eu raison de sa déprime totale et manifeste, mais ce n'était quand même pas le cadre idéal pour se remettre d'une rupture brutale et douloureuse, quand on avait déjà le sentiment au quotidien que sa vie partait à vau-l'eau.

-Il est vraiment temps que je me trouve un nouvel appartement, mais tant qu'à faire, je préférerais ne pas emménager dans un endroit qui me plaît à moitié. Et j'avais oublié à quel point trouver un appartement digne de ce nom est un enfer.

A l'époque, au moment de louer son premier appartement avec Lindsay, il était plein d'idéaux, au point qu'il se sentait capable de vivre dans une bête mansarde sous les toits, puis en emménageant chez Ethan, il ne se posait pas de questions, il était avec lui, et c'était ce qui comptait. Là, il ne vivait que pour lui-même (et pour Gabriel, mais même s'il comptait lui réserver une chambre dans son prochain appartement, ce n'est pas comme s'il l'aurait toujours sous son toit).

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ames afficha un sourire amusé en entendant Derek affirmer qu'il se sentait seul dans son appartement après tout ce temps passé sur le terrain. Impossible qu'il soit complètement honnête quand il lui assurait qu'il regretterait presque la compagnie des gobelins, mais ce qui est certain, c'est que son ami réussissait parfaitement à le dérider, et ça faisait honnêtement beaucoup de bien à James, qui avait définitivement besoin de compagnie, ces derniers temps.

Le poids de la solitude était traître, car il se manifestait parfois alors qu'on ne se croyait pas seul du tout, et James l'éprouvait comme une immense chape de plomb qui lui écrasait l'âme. Le retour de Derek n'aurait pas pu mieux tomber, vraiment. Il avait fallu cette soirée chaotique pour qu'il réalise à quel point il avait besoin de l'avoir à ses côtés, mais c'était définitivement le cas, et même si sa présence ne résolvait pas, comme par une magie autre que celle qui leur était familière, tous les problèmes qui lui tombaient dessus. Elle avait du moins le mérite de l'en détourner, non pas de les dissimuler, mais de l'aider à passer outre, et il en avait le plus grand besoin.

James adressa à Derek un "merci" sincère quand ce dernier lui assura qu'il le tiendrait au courant s'il entendait parler d'une quelconque opportunité immobilière. Le libraire était absolument convaincu du fait qu'il le ferait bel et bien, et ça lui allait droit au coeur, même s'il espérait tout de même ne pas avoir besoin d'attendre encore trop longtemps avant de trouver un endroit qui lui convienne. Redémarrer de zéro demeurerait certainement impossible tant qu'il resterait cloîtré dans une sinistre chambre d'hôtel.

-J'arriverai sûrement pas à boire la moindre goutte d'alcool avant un bon mois, répondit James avec un sourire. Je suis définitivement et officiellement beaucoup trop vieux pour ce genre de choses.

Même si la "vieillesse" - qui restait tout à fait relative, entendons-nous bien - était en réalité une bonne excuse et rien d'autre, car même dans sa jeunesse la plus fringante (si tant est que James ait un jour expérimenté quoi que ce soit de tel), le libraire n'avait jamais été franchement réputé pour sa remarquable descente. Il tenait encore moins bien l'alcool qu'avant, mais ça ne voulait vraiment pas dire grand-chose à ce stade.

-J'ai hâte de me mettre au travail, mais je ne te garantis pas de faire long feu ce soir, même si mon corps est présentement constitué à quatre-vingt-dix pour cent de caféine, il y a de bonnes chances pour que je tombe de fatigue bien avant l'heure.

Ce qui achèverait donc d'asseoir sa réputation de petit papy. Ceci dit, quand on était à un stade où l'on pouvait s'en amuser, c'est que ça n'avait définitivement rien de grave.

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ames pourrait rétorquer à Derek qu'il connaissait des libraires qui, pour leur part, tenaient parfaitement l'alcool - Ethan en était un exemple... mais il était préférable d'éviter de l'évoquer encore ou il serait capable de fondre en larmes comme le dernier des idiots. Mais ça ne changeait rien au propos de son interlocuteur. Quand on avait vent de sa personnalité et de son parcours, on ne s'étonnait pas, non, du fait qu'il ne soit ni un grand buveur, ni un grand fêtard.

Au moins, oui, il avait une culture littéraire prononcée, et serait capable de venir à bout de tous ces ouvrages (ce qui ne voulait toujours pas dire qu'il serait capable d'en écrire un lui-même qui sache éveiller l'intérêt de qui que ce soit. On était forgé par son parcours, c'est une certitude, mais il était vrai aussi que notre parcours était en partie forgé par qui l'on était. En bref, le plus simple était encore de l'admettre, et d'en rire quand il était question d'examiner ses propres failles. Et c'était là un exercice dans lequel James n'était pas si mauvais, loin s'en faut.

Et il rit de plus belle, d'ailleur,s quand Derek suggéra d'augmenter sa dose de caféine le soir même pour lui permettre de tenir le coup, au moins jusqu'à une heure un peu raisonnable et pas trop pathétique. A ce stade, il faudrait carrément envisager de lui injecter du café en intraveineuse. Mais bon, une fois motivé par son projet et le coeur à l'ouvrage, tout irait sans doute de source, en réalité.

-Je finis à dix-sept heures trente. Et j'ai bien peur que tu aies raison, il vaut mieux que je ne t'aie pas dans les pattes tout l'après-midi, répondit James.

En réalité, il serait vraiment ravi de passer du temps avec Derek, il était convaincu que sa journée de travail en serait beaucoup, beaucoup moins éprouvante... mais pour ce qui était de son efficacité, on repasserait. Déjà qu'il carburait à deux à l'heure depuis le matin, ce n'était pas franchement le bon plan.

-D'ailleurs il va falloir que j'y retourne... Ma motivation est en-dessous de zéro. Il haussa les épaules. Mais bon ! Quand faut y aller...

Faut y aller. Même si c'était à contrecoeur, même si c'était à reculons... Avec un peu de chance, l'après-midi passerait raisonnablement vite.

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