Warwick est anxieux en se présentant sur le Chemin de Traverse. Il est déjà venu une fois pour retirer de l’argent et acheter une tenue, mais il était alors accompagné de Will et Carlotta… Aujourd’hui, il est seul. Il porte une robe de sorcier, ses poches sont alourdies par une bourse pleines de Mornilles et par une baguette factice, mais il ne se sent pas à sa place quand même. Il approche de la librairie et relit une fois l’écriteau pour être sûr d’être au bon endroit -à moins que ce ne soit une façon de retarder l’inévitable.

Il sait bien que son camouflage est parfait, mais il ne peut s’empêcher d’exulter intérieurement lorsque l’employé de la librairie lui sourit et le salue poliment lorsqu’il entre. Bien-sûr, il ne s’attendait pas à un contrôle d’identité en règle à son arrivée… Mais il se sent bizarrement rassuré quand même. Il circule un instant dans les rayons pour ne pas se comporter comme un missile guidé, feignant de s’intéresser à des livres auxquels il ne comprend rien. Qu’est-ce que ça peut bien être, un scroutt à pétard ? Il note mentalement les questions qu’il devra poser à Will et Carlotta lorsqu’il retournera les informer du succès, ou non, de sa première opération en territoire sorcier.

Un livre attire temporairement son attention et conduit le jeune sergent à froncer du nez. Pour une gouvernance magique par les sorciers de sang pur ? Qui que soit ce Tibérius Yaxley, Warwick est prêt à parier qu’il ne partagerait pas vraiment ses opinions. Heureusement, c’est un auteur en théorie bien plus recommandable que le jeune homme est venu voir.

Il se range dans la file d’attente qui s’est formée devant l’écrivain de renom. C’est impressionnant de voir qu’il agit exactement comme sur l’étrange photo que Carlotta lui a montrée dans le journal, à la différence près que ses traits sont tirés. Après quelques minutes d’attente, Warwick arrive devant Henry Fitz, et manque de donner son vrai nom dans le feu de l’action. Mais tant qu’il ne sera pas sûr de pouvoir se fier à son interlocuteur, mieux vaut s’en tenir à sa couverture, d’autant que les autres clients pourraient l’entendre.

-Lorenzo Rossi. J’adore ce que vous faites.

Peut-être aurait-il pu prendre le temps de lire le résumé du bouquin avant de venir, mais il est un peu tard pour y penser. Il se penche vers l’auteur et ajoute plus bas :

-Et à vrai dire, j’aimerais vous dire un mot en privé, entre amateurs de littérature, de fan à idole…

Encore un ton plus bas, il conclut :

-Je crois que nous partageons une certaine vision de la notion de résistance, et j’aimerais vous en parler plus en détails…

       

Warwick est tout d’abord déçu d’entendre le refus poli de l’écrivain. Pourquoi refuse-t-il ? Est-ce par méfiance ? Ou peut-être l’allusion de Warwick n’a-t-elle tout simplement pas été assez claire ! Le jeune homme se maudit de rencontrer déjà un obstacle, mais il ne peut pas insister ici -de toute façon, ce ne serait pas la meilleure façon d’obtenir l’attention d’Henry Fitz, qui a tout l’air d’un homme raffiné en comparaison au jeune sergent.

Il accepte donc le livre signé avec un sourire. Il lui semble que la dédicace est plus longue que celle des clients précédents. Est-ce un message ? le cœur de Warwick se met à battre plus fort mais il se fait violence pour ne pas ouvrir immédiatement le livre. S’il s’agit bien d’un message, c’est que l’auteur se sent épié, et Warwick ne voit pas de raison de mettre cela en doute. S’il se fait juste des idées, il ne coûte rien de garder espoir encore un moment. Il sort de la boutique le livre sous le bras, saluant poliment le libraire avant de s’éclipser.

Une fois seul dans une ruelle, le jeune homme s’autorise à s’arrêter et à regarder à l’intérieur de l’ouvrage. L’excitation de Warwick est à son comble : une heure et une adresse ! Son allusion n’est donc finalement pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Ne reste plus qu’à survivre jusqu’à 22h, ce qui ne risque pas d’être aisé puisqu’il semble à Warwick que chaque seconde le rapproche de la crise cardiaque.

Carlotta et Will se sont débrouillées pour l’expédier sur le Chemin de Traverse depuis Pré-au-Lard, mais le jeune Moldu ne peut faire le trajet retour par ses propres moyens, et il est inenvisageable de faire le trajet à pied. Quant au train, il ne peut l'amener directement à Pré-au-Lard, et sa bicyclette est restée aux alentours du village, dans la campagne où il l’a dissimulée avant de s’aventurer en territoire sorcier.

Il parvient cependant à acheter un plan qui semble fonctionner sans magie, une bonne vieille carte papier comme il les aime, et s’emploie à passer le temps comme il le peut. Son accoutrement l’empêche de se réfugier dans le monde Moldu, et il doit se contenter d’enchaîner les thés en terrasse, en faisant attention à ne jamais trahir sa couverture.

Il est 22h à peine passées lorsque Warwick toque à la porte de ce qu’il devine être le foyer d’Henry Fitz. Il entre sans perdre de temps.

-Re-bonjour monsieur, ou plutôt devrais-je dire bonjour pour de vrai.

Il tend la main pour serrer celle de son interlocuteur sans se demander si cette coutume est aussi de mise chez les sorciers.

-Je m’appelle Warwick, et ma situation est un peu particulière, mais je vous remercie d’avance d’avoir pris le temps de m’accueillir chez vous pour parler. Je vous ai menti sur mon identité toute à l’heure pour des raisons de prudence que, je pense, vous comprendrez, au vu de votre attitude prudente elle aussi. Je vous ai contacté car on m’a soufflé que vous pourriez me renseigner sur la résistance contre ceux qui prônent la pureté du sang.

       

-Je veux bien du thé, accepte Warwick avec un sourire poli en s’installant à la table qu’on lui a indiquée.

Pourquoi pas, après tout ? Le jeune homme est Anglais, et fier de l’être, on peut le dire. On ne passe pas sept ans dans l’armée pour le salaire et la reconnaissance : il faut avoir la fibre patriotique.

Si le jeune homme avait fait ses classes à Poudlard, sans doute aurait-il pu trouver curieux qu’un homme qu’il connaît à peine, dans un tel contexte, lui propose à boire d’entrée de jeu. Mais le Moldu est loin d’imaginer tous les effets que les potions des sorciers peuvent avoir, et il ne trouve aucune raison de craindre un empoisonnement classique -quel intérêt aurait Henry Fitz à le tuer ? Et de toute façon, si le sorcier voulait lui nuire, il n’aurait qu’à lui lancer un sort.

Il profite que son hôte s’absente pour préparer le thé et observe la maison. Comme chez Carlotta et Will, il se fait la réflexion que les maisons de sorciers sont curieuses. Lorsque vous y entrez pour la première fois, vous vous dites tout d’abord que vous êtes chez un Moldu. Mais plus vous vous attardez à l’intérieur, plus les détails qui vous avaient jusque là échappé vous frappent. Une photo qui vous salue de la main par ci, une affiche d’une équipe de Quidditch, ce curieux sport auquel Warwick n’a rien compris lorsque Carlotta lui en a expliqué les règles de base. Et cela, c’est sans compter les autres objets curieux tapis dans les maisons de sorciers : chaudron, balai, objets qui bougent tous seul, qui parlent, qui fument, qui clignotent… Une vraie maison de fous. Mais après tout, ce que vit Warwick ne paraîtrait-il pas fou à ses semblables ?

Il accepte la tasse de thé lorsque son hôte revient et en prend une première gorgée en attendant que l’écrivain ouvre la conversation. Il ne voudrait pas paraître impoli en bombardant l’homme d’informations, et le stress lui a de toute façon desséché la gorge.

       

Warwick finit sa tasse avant de répondre. Henry Fitz passe à l’offensive avec les premières questions -d’un autre côté, ils sont là pour ça. Mais Warwick n’est pas encore tout à fait sûr de vouloir tout révéler d’un coup. Il faudra que cela soit donnant-donnant, car il a bien compris que les Moldus étaient loin d’être bien perçus par l’essentiel de la communauté sorcière. Aussi peut-il commencer par taire ce détail jusqu’à avoir eu la certitude qu’Henry est bien intentionné. Il répond, en pesant chaque mot :

-Comme vous vous en doutez, je n’ai pas pris cette décision à la légère. J’ai mes raisons personnelles de chercher à rejoindre la Résistance…

Mais à chaque nouveau mot, il semble à Warwick qu’il perd un peu plus le contrôle de son corps. Comme s’il était tout à coup ivre, et en même temps extrêmement lucide sur lui-même. Ses velléités de prudence et de discrétion font long feu alors qu’il réalise qu’il ne pourra rien cacher à son interlocuteur et hôte :

-Je suis un soldat, monsieur. J’aime mon pays et j’ai juré de le servir.

L’intégralité de son histoire se déverse de sa bouche sans qu’il puisse la retenir, comme s’il vomissait, comme si son corps se purgeait finalement de quelque chose qui, renfermé à l’intérieur, ne pouvait qu’être nocif.

-J’ai assisté à un affrontement entre plusieurs sorciers. Deux contre un, pour être précis. J’ai fait des recherches, je me suis renseigné. J’ai découvert des rumeurs sur l’existence de votre monde. Des témoignages de Moldus ayant assisté à des phénomènes étranges, comme moi.

La panique s’empare du jeune homme lorsqu’il comprend ce qu’il lui arrive. L’écrivain lui a-t-il lancé un sort ? Pourquoi ne peut-il pas s’arrêter ? Le jeune homme mobilise toute sa volonté pour retenir les informations critiques, sans le moindre succès.

-On m’a finalement indiqué comment me rendre à Pré-au-Lard. Ça a confirmé tout ce que je pensais avoir découvert.

Warwick n’a pas mentionné Will et Carlotta. Peut-être plus important encore, il n’a rien dit d’Espérance. La force surnaturelle qui le pousse à parler semble n’agir que pour répondre aux questions qui lui sont posées. Il n’y a plus qu’à prier pour qu’Henry Fitz ne se montre pas trop curieux dans un premier temps -mais s’il est bel et bien un résistant, il sera sans doute exhaustif.

-J’ai servi dans l’armée tant que cela permettait de protéger mon pays. Aujourd’hui, c’est une menace d’un genre nouveau qui semble peser sur nous. Je veux m’investir dans la résistance, m’y engager pour contribuer à lutter contre ces organisations fascistes qui menacent les moldus et les sorciers d’Angleterre. Je me suis battu pour que nous puissions tous vivre égaux et en paix, même si j’ignorais alors l’existence de votre monde ; j’ai perdu des amis dans ce but. Si ces sorciers malintentionnés l’emportent, ces sacrifices auront été vains ; je ne laisserai pas cela arriver.

Il se tait finalement, essoufflé d’avoir parlé sans s’arrêter aussi longtemps, et épuisé par ses efforts dérisoires pour retenir la vérité. Il est à la merci d’Henry Fitz : ça passe ou ça casse.

       

La pointe d’indignation que Warwick ressent le rassure sur son état : il est toujours lui-même. D’ailleurs, il arrive sans peine à penser ; c’est juste sa parole qui ne suit pas -ou qui suit trop, plutôt.

Henry Fitz ne paraît pas croire en ses capacités à participer à un conflit sorcier. Bien entendu, Warwick sait que ce sera dur -ces quelques temps passés dans le monde magique lui ont déjà fait réaliser combien il est différent des sorciers. Mais il reste persuadé que ses compétences, quoique différentes pourront servir. Il décide de le dire à Henry -enfin, il se persuade qu’il décide, car il sent l’étrange sortilège dont il est victime l’obliger à ouvrir la bouche de toute façon :

-Monsieur, je commence à être parfaitement conscient de ce à quoi je m’expose. J’ai assisté à un combat de magie : je vois un peu à quoi cela ressemble. Mais, sauf votre respect, je ne pense pas que vous puissiez imaginer à quoi ressemble la guerre chez les Moldus. J’ai vécu des choses très dures. Le champ de bataille, c’est un tel chaos… On se sent dépassés, on a l’impression d’affronter des forces supérieures. Mais on fait quand même ce qu’on a à faire, vous voyez ? Je suis bien conscient que ce sera difficile, et que ça ne sera pas sans risque ; mais je veux me rendre utile.

Il faudra tout de même qu’ils aient une discussion à propos de ce sortilège qui oblige Warwick à parler. Si le jeune sergent comprend bien que l’écrivain soit prudent, il n’apprécie pas vraiment d’avoir été envouté à son insu. Cela lui fait d’ailleurs réaliser combien il est démuni face à la magie. Il lui faudra apprendre beaucoup, apprendre à se méfier de tout -et, il en est conscient, se fier à des sorciers de confiance pour certaines choses.

Mais il est sûr de pouvoir aider. Il connaît le monde moldu. Il connait ce que c’est de faire la guerre, peut-être plus que n’importe quel sorcier. Et puis, une paire de bras supplémentaire, ça ne fait jamais de mal, si ? Warwick ne pense pas être la perle rare, ou l’arme secrète qui renversera la situation de la résistance. Lorsque l’on passe sept ans dans l’armée, on comprend que les héros ne sont bons que pour les histoires : sur un champ de bataille, tout le monde a un rôle à jouer, et le meilleur fusilier ne peut rien accomplir sans sa section ou son peloton, sans même parler de la logistique et du soutien autour. Dans la vraie vie, la guerre se gagne lorsqu’un groupe de personnes parfaitement normales, qui ont tout simplement l’entrainement nécessaire et le cran de faire leur boulot, s’unissent. Aucun héros ne remporte de bataille seul lorsqu’une mitrailleuse crache neuf cents balles par minute dans sa direction.

       

Warwick laisse Henry Fitz parler sans l’interrompre une seule fois, sonné par les paroles de l’écrivain. Il lui semble qu’il commence seulement maintenant à entrapercevoir l’étendue de ce à quoi il s’apprête à se frotter. Il avait déjà compris avec Will et Carlotta que la magie permettait des choses qu’il aurait été incapable d’imaginer, mais il réalise maintenant l’usage belliqueux de ces aptitudes et son dénuement total en termes de contremesures. Et la magie semble capable de choses effrayantes. Les sorciers n’ont peut-être pas de bombardiers lourds ou de bombe A, mais ils semblent pouvoir obtenir des effets que le canons le plus imposant ou la drogue la plus vicieuse seraient incapables de produire…

Peut-être pourrait-il compter sur l’aide d’autres sorciers s’il parvenait à intégrer la résistance, mais il se retrouverait tout de même dans une situation délicate, contraint, en cas de confrontation, à neutraliser son adversaire rapidement et avant que celui-ci n’ait pu faire ne serait-ce qu’un mouvement de baguette… Certains équipages de blindés Alliés s’étaient retrouvés dans cette situation, dépassés au point de n’avoir pas le droit à la moindre erreur… Manque de bol, Warwick était dans l’infanterie, et les pertes se chiffraient de toute manière à une dizaine de chars alliés pour chaque allemand descendu, un concept peu viable lorsqu’on n’avait qu’une seule vie pour lutter contre une organisation entière.

En revanche, son interlocuteur admet également avoir drogué sa boisson, une nouvelle que Warwick n’apprécie pas, même s’il s’en doutait. Il repousse sa tasse, dégoûté, comme si cela pouvait encore faire une différence.

Réfléchir au rôle qu’il pourrait endosser ? Warwick ne demandait que ça, mais il craignait d’avoir peu de compétences utiles, en dehors de sa connaissance du monde moldu et de son entraînement.

-J’accepterai avec plaisir le rôle que vous pourrez me donner, monsieur, mais je ne sais pas faire grand-chose d’autre que me battre et diriger des hommes au combat monsieur…

Il baisse la tête, contrarié de devoir reconnaître ses limites mais contraint de les admettre, tant à cause de son sens moral que du philtre de vérité :

-Et je peux difficilement le faire sans armes…

       

Warwick réalise le potentiel que ses connaissances ont dans un conflit qui, comme il l’avait pressenti, s’avère concerner autant le monde magique que le monde moldu. Sa position intermédiaire, à cheval sur les deux dimensions, pourrait revêtir une importance capitale, dont il devra convaincre les autres résistants.

L’idée de bénéficier d’armes sorcières éveille l’intérêt du jeune sergent plus qu’il ne le montre dans un premier temps. Il ignore quelle relation les sorciers ont à l’armement, mais il sait que de nombreux civils Moldus sont mal à l’aise à l’évocation de ce sujet. Seulement, Warwick sait qu’on ne participe pas à une guerre avec des fleurs. Pour autant, Carlotta et Will lui ont bien expliqué qu’il était impossible qu’il puisse se servir d’une baguette. Peut-être la résistance disposent-ils d’autres équipements ? Car tout soldat qu’il est, Warwick ne possède pas d’arme à titre personnel ; les armes qu’il est habitué à utiliser sont celles de l’armée. Problème auquel il faudra d’ailleurs remédier s’il parvient finalement à intégrer la résistance, mais les propos d’Henry Fitz lui font comprendre que la chose est loin d’être certaine.

L’émotion de l’écrivain à l’évocation de la perte du leader de la résistance n’échappe pas à Warwick, en dépit des efforts fournis pour la dissimuler. Le cœur du soldat se serre à son tour ; il ne peut que compatir à la perte d’un compagnon aimé et estimé. Car il n’y a pas de doute : si l’homme est aussi ému, c’est que le leader de la résistance a été tué. Un doute saisit Warwick : il espère ne pas avoir pris contact avec un animal déjà décapité qui lance ses derniers soubresauts à la face du monde comme une manière de nier son inévitable agonie.

-Désolé pour votre chef, commente sobrement Warwick, désireux de présenter ses respects à cet homme qu’il n’a pas connu sans pour autant remuer le couteau dans la plaie. Je suis prêt à rencontrer vos supérieurs, vos compagnons, et tous ceux avec qui il me faudra m’entretenir. J’ai quelques jours devant moi pour tout cela, avant de devoir reprendre mon emploi dans le monde moldu. Emploi que je suis disposé à quitter si vous m’acceptez finalement dans vos rangs.

       

Warwick hésite un peu lorsqu’Henry Fitz lui demande son adresse. Que doit-il dire ? Il passe l’essentiel de son temps à la caserne, mais il ne veut pas courir le risque de recevoir le message du sorcier à cet endroit, pour peu qu’il soit absent à l’arrivée du message en question et que quelqu’un d’autre l’intercepte. Les gens ne comprendraient pas -encore qu’il valait sans doute mieux passer pour fou que de voir la vérité répandue partout, dans un premier temps du moins.

Il ne doute pas que Will et Carlotta, si la pauvre est encore là à l’arrivée du message, accepteront de le lui transmettre, mais il craint de les compromettre en disant qu’il les connaît alors même que la sorcière a déjà des ennuis pour son affinité particulière avec les Moldus. Il se contente donc de répondre :

-Je vis à Pré-au-Lard, en ce moment… Si vous y envoyez votre message, je m’arrangerai pour trouver votre émissaire.

Il n'est pas sûr de pouvoir réellement dire qu'il vit à Pré-au-Lard, puisqu'il n'y possède pas de logement, mais il espère pouvoir crécher quelques jours chez Carlotta et Will ; dans le pire des cas, il pourra également camper à condition de se procurer un minimum d'équipement. Quelques jours à la dure ne lui font pas peur, et il ne veut pas s'éloigner du monde sorcier tant qu'il n'aura pas reçu le message d'Henry.

Henry Fitz l’encourage ensuite à poser des questions. Délicate attention, mais il a déjà abreuvé Carlotta et Will de toutes les interrogations qu’il pouvait avoir. Alors bien-sûr, il ne connaît qu’un infime fragment de ce qu’est la vie de sorcier, mais disons que les questionnements qui lui sont venus spontanément ont pour la plupart trouvé leur réponse. A l’exception d’un sujet, bien entendu. Il sourit :

-J’aurais sans doute mille questions à vous poser sur la Résistance, mais j’imagine que la plupart n’auront pas de réponse avant que vos supérieurs ne m’aient approuvé. Peut-être pouvez vous tout de même me dire un peu comment vous fonctionnez. Je n’ai pas réussi à définir dans quelle mesure votre organisation était clandestine, en dehors de la discrétion nécessaire pour éviter les représailles de vos ennemis. Et je n’ai aucune idée du genre d’action que vous menez ; ma connaissance de la résistance, qui a eu un certain rôle dans la guerre que j’ai connue, se limite à mon monde. D’autant qu’à l’époque, je n’étais pas dans la résistance moi-même, mais dans une armée régulière.

       

Warwick écoute les explications d’Henry Fitz, guère surpris ou vexé de voir qu’il ne peut pas avoir toutes les informations qu’il aurait voulu. Ce soin du secret trahit un certain professionnalisme, dont il ne va pas se plaindre puisqu’il compte lier son destin à la mystérieuse organisation.

-Eh bien, vous avez une certaine notoriété dans le monde des sorciers, commence Warwick, presque amusé par son propre euphémisme. Et il semble que vos écrits vous rangent du côté des résistants dans l’imagination collective, même si je dois bien avouer ne pas avoir eu le temps d’en lire un seul, en dépit de ce que j’ai pu affirmer ce matin.

Un système contrôlé par des élites ? Le discours peut presque sonner communiste. D’un autre côté, chez les Moldus aussi, ceux à la tête de la nation ne sont pas les plus soucieux de son bien-être et de sa population. Et puis, il n’a pas parlé de classes, ou on ne sait quoi encore. C’est sans doute le climat actuel qui le rend en quelque sorte parano, avec cette défiance généralisée envers leurs anciens alliés. A vrai dire, Warwick ne sait pas exactement quoi en penser, même s’il n’est pas particulièrement emballé par ce qu’il sait du modèle soviétique. Le jeune homme n’est pas très politisé : on ne demande pas à un soldat d’avoir de grandes idées. Le gouvernement en place change régulièrement, et cela ne change que peu de choses à la vie d’un soldat.

Pour autant, il faut avouer que l’idée d’une organisation clandestine compensant les lacunes du système est on ne peut plus excitante. Warwick a juré de faire ce qu’il fallait pour le Royaume-Uni et sa population ; si les voies habituelles sont impuissantes, il faut en emprunter d’autres. Et apparemment, la confrontation directe fait partie des méthodes de la Résistance. Ça tombe bien, Warwick a quelques bases dans ce domaine. Voilà au moins la certitude que ses compétences seront utiles, en dépit des limitations déjà évoquées par Henry. Quant aux informations, il fera son possible pour contribuer de ce côté.

-Plus nous parlons, plus je suis convaincu de vouloir vous rejoindre, et de pouvoir apporter ma pierre à l’édifice. J’attendrai votre message avec la plus grande impatience, sourit Warwick. Comment comptez-vous me le faire parvenir, au fait ? Que je sache quoi attendre.

       

Warwick ne peut retenir un sourire à l’évocation du hibou et du transplanage. Il a bien fait d’abreuver Will et Carlotta de questions avant d’aller voir Henry Fitz. Le Moldu moyen aurait eu bien du mal à comprendre leur discussion ; le jeune homme réalise à ce moment-là que, sans s’en rendre vraiment compte, il s’est d’ores et déjà différencié des autres Moldus. Il a un pied dans le monde magique, désormais, et comprend des choses que ses semblables ne peuvent imaginer.

Il va donc bientôt pouvoir rentrer à Pré-au-Lard. Le trajet en train va encore une fois être on ne peut plus long et pénible, mais le jeu en vaut la chandelle, puisqu’Henry Fitz vient de convenir de le recontacter.

Les pensées de Warwick s’égarent du côté d’Espérance. Elle qui l’avait supplié de ne pas se mettre en danger, elle lui arracherait sans doute la tête si elle savait tout ce que l’écrivain lui avait dit. Bien entendu, elle n’a pas forcément besoin de connaître tous les détails.

-On se méfie de vous ? Le gouvernement cherche à vous faire tomber ? Ne vous inquiétez pas pour le transplanage, je commence à devenir un expert, ajoute Warwick en souriant. Il plaisante, bien-sûr, encore qu’entre les premiers essais et les courses à Londres, il a eu l’occasion de pratiquer un peu -en tant que passager, bien entendu. J’attendrai votre envoyé de pied ferme, je n’ai rien de mieux à faire.

Bien-sûr, ça pourrait paraître risqué de s’en remettre à un envoyé, mais Warwick est décidé à se laisser porter. Il ne peut pas vraiment résister aux sorciers tant qu’il n’aura pas été formé, il s’en rend compte, alors autant faire confiance à ceux qu’il veut rejoindre. A ce propos, il lui semble que sa langue est à nouveau sous son contrôle… Il lance :

-Je m’appelle Lorenzo, je suis un sorcier et je n’ai jamais été dans l’armée.

Il laisse passer un petit moment, indifférent à l’expression de son interlocuteur, et explique tranquillement :

-Je voulais vérifier, les effets de votre thé magique commencent pour de bon à se dissiper.

Peu importe à vrai dire : il a dit à l’écrivain tout ce que celui-ci voulait savoir, et ne compte pas lui cacher quoi que ce soit -enfin, sauf en ce qui concerne ce que sait Espérance, c’est-à-dire pas grand-chose heureusement, par rapport à lui.

       

Warwick reste silencieux un instant lorsque Henry lui demande qui l’a si bien informé sur le monde sorcier. Il scrute les traits de l’écrivain pour tenter de percer ses pensées à jour, sans succès. Il aimerait beaucoup avoir un peu de ce thé de vérité dans l’immédiat, pour s’assurer qu’Henry ne compte pas s’en prendre à ses informatrices.

Mais après tout, comme il le lui expliquait, il aurait pu le supprimer dès son arrivée, alors il était sans doute temps de lui faire confiance. De toute manière, l’envoyé de Henry allait le retrouver à Pré-au-Lard, où il vivait chez Will et Carlotta.

-Lorsque je vous aurai livré le nom de mon contact, j’espère que vous ne lui tiendrez pas rigueur de m’avoir appris ce qu’elle m’a appris.

Il a bien compris qu’il ne pourrait défendre personne contre la résistance si cela devenait nécessaire ; il va devoir s’en remettre à son interlocuteur.

-C’est Carlotta Pinkstone et Will Tilley qui m’ont tout appris. Vos avez peut-être entendu parler de Carlotta dans la Gazette, elle a fait parler d’elle.

Inutile de cacher les méfaits de son alliée, ils sont sans doute largement connus dans le monde magique à l’heure qu’il est.

-Enfin, pour être plus précis, c’est un sorcier à qui j’ai parlé une poignée de minutes, et qui n’a manifestement même pas saisi que j’étais un Moldu, qui m’a lâché votre nom comme quelqu’un qui avait l’air de connaître la résistance, selon les rumeurs.  Il faut dire que ce type n’en avait rien à carrer de ce que je disais, ajoute-t-il avec un sourire, il était juste pressé de me répondre pour que je le laisse tranquille. Et lorsque j’ai pris contact avec Will et Carlotta, elles m’ont aidé à me déguiser et m’ont permis de vous atteindre.

Plus il y pense, plus il se dit que son parcours a jusqu’ici été auréolé de chance. Il n’est tombé que sur des sorciers au mieux bienveillants, au pire indifférents. Son côté pessimiste ne peut se dire qu’une telle chance ne dure jamais, mais il ne peut s’empêcher d’espérer que ses projets soient réellement destinés à aboutir. Peut-être cette chance exceptionnelle est-elle un signe que le Seigneur veille sur lui et approuve sa volonté de servir la résistance ? Voilà qui le rassurerait bien s’il en avait la certitude, mais Ses voies restent impénétrables. D’ailleurs, est-ce que les sorciers croient en Dieu ? Ce n’est peut-être pas le bon moment pour demander, même s’il sent contre sa poitrine la croix qu’il porte autour du cou.

       

-Pas très rassurant non… D’un autre côté, les rumeurs sont inévitables lorsque l’on est célèbre comme vous. Mais c’est plus déstabilisant quand ces rumeurs se révèlent véridiques.

Henry mentionne ensuite Carlotta, et Warwick ne peut s’empêcher de prendre la défense de sa récente alliée.

-Je suis au courant pour ses ennuis oui, mais il serait bien malvenu de ma part de porter un jugement, qu’il soit positif ou négatif, sur elle. Je ne connais pas assez votre monde pour juger, et j’y suis moi-même un intrus.

Il se doute que la remarque d’Henry concernant Carlotta n’est pas plus péjorative que cela -après tout, n’est-il pas en train de faire la même chose qu’elle, sinon pire, en révélant l’existence de la résistance à un simple moldu ? Moldu diablement tenace, Warwick pense pouvoir le dire sans se vanter, mais moldu tout de même. Il préfère cependant présenter la jeune femme sous un bon jour -c’est le moins qu’il puisse faire pour elle, et il ne peut s’empêcher de se dire que plus de sorciers la verront d’un bon œil, moins elle aura de chances d’être sévèrement jugée par ses pairs au terme de son séjour dans la redoutée Azkaban.

Il se lève ensuite et se laisse raccompagner à la porte. Décidément, il va lui falloir un peu de temps pour s’habituer pour de bon à cette robe et ce chapeau, mais au moins l’illusion est-elle parfaite si on ne s’y attarde pas. Il sent le poids presque rassurant de sa baguette dans sa poche -sentiment de sécurité certes illusoire, puisque le morceau de bois ouvragé ne lui servirait pas à grand-chose en cas d’ennui, à moins qu’il ne parvienne à le mettre dans l’œil de son adversaire.

Comme il aimerait pouvoir transplaner ! Il serait même prêt à faire le pari fou de chevaucher un balai. Tout pour ne pas avoir à prendre un train qui l’amènera une fois de plus au village moldu le plus proche de Pré-au-Lard, un détour nécessaire qui lui vaudra plusieurs kilomètres de marche en pleine cambrousse pour rejoindre le village de sorciers.

-Merci pour votre accueil. J’attendrai vos collègues avec impatience. Prenez soin de vous.

Il commence à prendre la pleine mesure des risques auxquels les membres de la résistance s’exposent, et la formule ne lui paraît pas de trop. Pour autant, et même si Rose et l’Espérance le tueraient si elles l’entendaient, il ne peut s’empêcher de se sentir gagner par l’impatience : il passe enfin aux choses sérieuses.