Frédéric Hart était un homme violent et colérique, une brute épaisse aveuglée par une haine infondée. S’il parvenait à donner le change en société, rien ne parvenait à effacer sa véritable nature. Et pourtant, cet homme si brutal avait une grande peur, une peur sans nom qu’il ne parvenait jamais à contrôler : celle du sang. Ce fut cette phobie mal maîtrisée qui sauva la vie d’Evelyn, sa femme, le jour où cette dernière accoucha de Xena.

Pour frapper, Frédéric n’avait pas besoin d’être saoul. Il lui suffisait de regarder sa femme pour sentir la colère monter en lui. Alors il cognait, cognait et cognait encore. Le 1er décembre 1920, rien n’avait préparé Evelyn à ce déluge de haine, pourtant habituel. Alors enceinte de sept mois, elle s’était rapidement retrouvée prostrée dans un coin, subissant l’assaut de cette bête qu’elle avait épousé. Et puis elle avait senti le liquide amniotique couler le long de ses jambes, goûter sur le carrelage. Puis le sang, qui avait teinté de rouge le sol blanc.

En quelques instants à peine, l’être horrible qu’était son mari s’était retiré, terrifié, laissant Evelyn dans le sang, dans la douleur et dans la peur. Comment était-elle parvenue à se relever et à se traîner jusqu’à l’hôpital ? Elle n’en savait rien. Toujours est-il qu’elle donna naissance à sa fille prématurée dans la nuit, à Sainte-Mangouste.
La vie de Xena commença donc dans la douleur. Née avant terme, il lui fallut des soins intensifs pour survivre et elle manqua mourir à plusieurs reprises. Néanmoins, elle survécut, se battant déjà pour sa survie. Elle eut tout le temps, par la suite, de regretter cela. Après des mois d’hospitalisation, Xena finit par quitter l’hôpital avec sa mère. Elles quittaient un enfer pour un autre.

Pendant quelques années, Xena fut épargnée par la violence de Frédéric. Pas Evelyn. La naissance de sa fille avait, pour une raison obscure, décuplée la rage de son mari. Plus d’une fois, elle se demanda s’il savait. S’il était au courant que cette enfant n’était pas de lui. Que sa haine n’avait jamais rien pu créer entre eux. Elle n’eut jamais de réponse, que des coups.

Quand Xena commença à grandir, elle eut droit à sa part de haine également. Très vite, elle apprit à vivre dans le silence, à se cacher, à obéir, aussi. Tout faire vite, tout faire bien, éviter les coups, tout faire vite, tout faire bien. Elle se mit très vite à détester celui qu’elle pensait être son père. Sans s’en rendre compte, elle finit par reprendre à son compte la haine qu’il distillait dans leurs vies, à elle et à sa mère. Pour finir, Xena se mit à haïr Evelyn à son tour. Elle haïssait cette faible femme qui, bien que sorcière, n’avait jamais eu le courage se rebeller, n’avait jamais eu le courage de fuir, de quitter cet enfer en l’emmenant avec elle.

A onze ans, Xena détestait déjà le monde entier. Solitaire et silencieuse, elle fut envoyée à Poudlard pour y vivre une scolarité de marginale dans la maison Serpentard. Sans intérêt pour quoi que ce soit, elle fut une élève moyenne dans tout. Profitant de l’école, elle rentra peu chez elle durant ses sept années d’études, laissant sa mère assumer seule la violence de Frédéric.

Sa sixième année touchait à sa fin quand elle fit la connaissance de Tobias Rowle, son père biologique. Ce fut lui qui la chercha, et qui la trouva. Il l’accosta un jour pendant les vacances d’été, alors qu’elle rentrait chez elle. Il lui expliqua tout. Sa relation avec sa mère, sa décision de tout arrêter pour ne pas compromettre sa place dans la société, son désintérêt total pour la vie d’Evelyn. Il lui expliqua aussi la perte de son enfant, son seul fils, Adrien. Il avait besoin de quelqu’un pour le remplacer. Pour l’aspect officiel des choses, il pouvait compter sur sa fille, Hélène. Mais il avait besoin de quelqu’un prêt à d’autres sacrifices autrement plus coûteux.

Il n’y eut ni mensonges, ni contrefaçons. Il n’essaya pas de lui faire croire qu’il regrettait son comportement, qu’il venait pour renouer les liens et pour l’aider par pure charité. Tobias Rowle n’était pas homme à s’embarrasser de tels faux-semblants. Le marché était simple : il offrait à Xena une nouvelle vie, une toute nouvelle situation, elle ne manquerait plus jamais de rien et elle aurait sa place dans la société. En échange, elle acceptait de lui obéir au doigt et à l’œil et d’œuvrer pour les avantages des Rowle dans l’ombre.

Xena accepta. Elle ne voyait pas Tobias comme un héros, car il n’en était pas un, mais elle décida de lui accorder sa confiance. Il n’avait pas menti. Il ne lui avait pas dit que tout irait bien, car ce n’était pas vrai. Alors elle accepta. Elle quitta sa mère sans un regard en arrière, l’abandonnant sans remord. Elle s’installa sur le Chemin de Traverse et, une fois sa dernière année terminée, elle s’engagea dans la Police Magique sur la demande de son père. Quelques années après, Tobias l’initia au monde secret de l’Hydre.

Xena ne croit ni en la supériorité du sang ni en l’égalité des êtres. Elle ne croit qu’en elle et en la haine qui l’habite. Elle sait que son père ne l’aime pas, qu’il n’est pas un homme bon, et qu’il la considère tout au plus comme un outil un peu utile. Mais il n’a jamais levé la main sur elle. Il ne l’a jamais faite souffrir. Alors elle lui voue une loyauté sans faille. S’il lui demandait de mourir pour lui, elle le ferait sans hésiter.