Une âme à sonder [pv Dennis :333]

Une âme à sonder

A

ujourd'hui, Gregory ne travaillait pas. C'était un luxe qu'il s'offrait et qu'il était facile de prendre en ces périodes de fin d'année où ses patients étaient quoi qu'il en soit trop accaparés par leurs réunions familiales pour prendre le temps de s'asseoir sur le divan et de consulter leur psychanalyste. Ce qui l'arrangeait, car lui aussi avait envie de profiter de sa famille... Qui plus est, Gregory savait que cette période était souvent prolifique dans son milieu. Car la dinde et la bûches avalées, les vieux secrets de famille faisaient surface, et ses patients en avaient pour leur argent au moment de ressasser en détails les épisodes désastreux qu'avaient comporté leurs réunions familiales. Mais donc, ce serait pour plus tard. Pour le moment, Gregory était installé sur le canapé du salon et relisait un ouvrage de médecine qu'il avait déjà écorné tant il y était revenu, mais auquel il trouvait un intérêt sans cesse renouvelé au fil des ans. A plus forte raison qu'à mesure que sa méthode et ses connaissances s'affinaient, il accordait de l'importance à des détails qui, jusqu'alors et à son corps défendant, lui avaient échappé.

Il était plongé dans sa lecture méticuleuse quand on frappa à la porte. Gregory devait bien reconnaître en être surpris. La famille n'attendait personne. Leurs rendez-vous étaient toujours bien notés et retenus, qu'ils soient professionnels ou personnels. C'était un sujet que le psychanalyste prenait particulièrement au sérieux. Mais on n'était jamais à l'abri d'un imprévu. Que ce soit un patient qui aurait confondu les dates (et cela arrivait bien souvent, il faut le dire), un vendeur à la sauvette ou une arrivée improviste comme il ne les aimait guère.

Il alla ouvrir mais prit soin avant cela de regarder à travers le judas afin de s'assurer qu'un gêneur ne se trouvait pas de l'autre côté. Et pour tout dire, au moment d'ouvrir, il n'était pas spécialement certain de bien faire, mais au moins identifiait-il le jeune homme à l'air penaud qui lui faisait face et que lui surplombait de toute sa suffisance.

-Dennis Bishop, c'est bien ça ?

Il n'attendait pas vraiment de réponse. Il savait que c'était lui. Ce gamin avait été dans le même orphelinat qu'Amy, il l'avait rencontré à l'époque. A force de séances et d'entretiens, il avait bien compris que Dennis et Amy avaient vécu le même traumatisme. Et pour cette raison, ce gamin l'intriguait. D'une manière ou d'une autre, il devait participer au processus de guérison de sa fille, et c'était une chose que Gregory gardait bien évidemment à l'esprit.

-Entre. Si tu cherches Amy, elle est sortie avec sa mère, mais tu peux l'attendre avec moi.

Et se faire analyser dans la foulée, car c'était bien sûr de ça qu'il était question.

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Dennis n’avait aucune idée de ce qu’il était en train de faire présentement. Enfin, si, il avait une idée bien précise de la bêtise qu’il était en train de faire. C’était idiot, ça l’avait pris comme ça, il avait eu envie de voir Amy, il avait eu envie de… de passer du temps avec elle. Et il avait décidé de quitter son appartement pour se rendre chez elle, chez ses parents plus précisément. Ça faisait au moins une bonne demi-heure que le jeune homme se trouvait devant la porte de l’appartement de la jeune femme, n’osant pas frapper. Plusieurs fois il avait commencé à rebrousser chemin, avant de revenir encore en arrière et de se retrouver devant la porte de l’appartement.

Il n’allait pas bien en ce moment, pas bien du tout. Ses angoisses prenaient énormément d’ampleur. Le jeune homme ne saurait dire si c’était l’approche des fêtes de fin d’année ou non, mais clairement il n’allait pas bien. Il ne dormait pas beaucoup et quand il parvenait à dormir, le jeune homme ne dormait pas d’un sommeil du juste… et même les potions qu’il prenait dans le but de l’aider ne semblaient pas si efficace que ça. Enfin, si, un peu, sinon ça serait bien pire. En attendant, Dennis ne se sentait vraiment pas bien et il avait juste envie de voir Amy, il ne savait même pas pourquoi, mais parce qu’il se sentait toujours un peu mieux à ses côtés, parce qu’elle était la seule capable de le comprendre.

Cela lui prit du temps, mais finalement, le cœur battant il parvint à frapper à la porte. Sauf que ce ne fut pas Amy qui ouvrit la porte, mais… son père. Il ne l’avait pas beaucoup vu, il se rappelait de lui quand ils étaient venus avec sa femme à l’orphelinat, avant de lui voler Amy (même si déjà à l’époque, ils s’étaient quelque peu éloignés, par la force des choses). Dennis s’était dit que les parents de la jeune femme seraient en train de travailler et qu’il la trouverait seule chez elle, comme à son habitude, parce qu’elle ne sortait pas. Mais non… il se trouvait devant le père de la jeune femme et il était complètement paumé. Surtout que ce dernier l’appela par son nom et son prénom, visiblement conscience de qui il était. Il lui demanda même de rentrer, précisant que Amy était sortie avec sa mère et qu’ils pouvaient l’attendre ensemble.

« Eh bien, heu… » Dennis bégaya un peu, ne parvenant pas vraiment à articuler plusieurs mots ensemble. Le jeune homme avait simplement envie de prendre ses jambes à son cou, de dire non, qu’il voulait rentrer chez lui. Ce n’était pas contre son interlocuteur, mais il n’avait vraiment aucune envie de passer du temps en sa compagnie, il ne voulait pas, il ne pouvait pas… « Je… je… ne veux… pas vous déranger. »

Ou plutôt, il avait envie de s’en aller, mais ses jambes étaient clouées, incapable de bouger. Il voulait s’en aller, mais il n’y parvenait pas.

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regory pouvait bien donner à Dennis une vague illusion de choix, tout ceci n'était bien sûr qu'illusoire. L'invitation qu'il donnait au jeune homme ne pouvait être refusée, ou, dans le cas contraire, Dennis devrait s'attendre à en payer les conséquences. Ce jeune homme intriguait beaucoup le psychanalyste. Il ne serait pas spécialement étonné de découvrir qu'une part de ce que Amy avait refoulé le concernait directement. Est-ce que ça signifiait qu'il en était responsable ? N'allons pas jusque-là, le scientifique n'avait en tout cas pas l'intention de tirer de conclusions trop hâtives... Mais il comptait en tirer bel et bien, et pour cela, il allait falloir qu'il sonde l'esprit de ce garçon qui, dans son attitude, aussi bien sa posture que son débit de parole, ne lui faisait évidemment que trop penser à sa fille adoptive.

-Tu ne déranges pas, bien au contraire, affirma Gregory avant d'entraîner le jeune homme à l'intérieur, une main posée dans son dos pour le faire avancer, afin de ne plus vraiment lui donner la possibilité de se dérober. Voilà un moment que j'attendais d'avoir l'occasion de parler avec toi, ajouta-t-il en refermant la porte derrière eux. Installe-toi, je t'en prie, dit-il en désignant les fauteuils vacants dans le salon.

Gregory devait bien reconnaître qu'il avait été tenté de pousser le vice jusqu'à proposer à Dennis de prendre immédiatement place dans son bureau afin de procéder à une psychanalyse en règle, mais il était inutile de le braquer inutilement. De toute évidence, Dennis Bishop n'avait en rien besoin de cela pour se braquer quoi qu'il en soit. Et ce mythe du divan sur lequel le patient s'allonge avant de dérouler le fil de sa vie, sans être erronné, tenait plus de la mise en scène, cela n'influençait en rien - ou à peine - sa pratique. Gregory était capable de vous psychanalyser dans n'importe quel contexte et dans n'importe quelles circonstances. Et ce n'étaient certainement pas son épouse et sa fille qui diraient le contraire, puisqu'elles avaient été les premières à pouvoir le constater, à l'heure où Gregory ne s'épargnait jamais une seule minute de les sonder. Mais pour leur propre bien, bien sûr, dans l'espoir de les aider à s'en sortir pour de bon.

-Alors, dis-moi, Dennis, depuis quand Amy et toi avez-vous repris contact ? demanda-t-il en servant d'autorité un verre d'eau à Dennis sans lui avoir demander au préalable s'il avait envie de boire quoi que ce soit. Je reconnais avoir été surpris d'apprendre qu'elle avait franchi ce pas. C'est une chose que sa mère et moi lui recommandons de faire depuis très longtemps, ajouta Gregory, toujours sur le même ton.

Ses yeux bleus électriques ne lâchaient pas le jeune homme du regard, prêt à sonder sa moindre parole au crible.

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Dennis avait envie de prendre ses jambes à son cou, il avait envie de s’en aller tout simplement. Mais le père de Amy ne lui laissa pas réellement le choix. Il posa une main dans son dos et l’entraina vers le salon, refermant la porte derrière eux et l’invitant à s’assoir. Il n’avait aucune envie de le faire… mais en même temps, le jeune homme ne pouvait pas réellement partir maintenant qu’il était là. Alors tremblant, le jeune moldu s’installa dans un des fauteuils en priant pour que le père de Amy ne lui parle pas trop. Mais il savait d’avance que ça n’allait pas être le cas.

L’homme commença à le questionner, servant des verres d’eau. Dennis attrapa le sien, d’une main tremblante, manquant presque de faire tomber le liquide, mais il avait besoin d’avoir quelque chose dans les mains, quelque chose lui permettant de « s’occuper » un peu. D’ailleurs, il but une gorgée, prenant son temps pour le faire, alors qu’il devait sans doute répondre aux questions de son interlocuteur. Apparemment, les parents de Amy l’avaient poussé pendant longtemps à reprendre contact avec lui. Il devrait surement les remercier pour cela, parce que ça lui faisait vraiment plaisir de pouvoir avoir la jeune femme dans sa vie. Mais il était quand même sacrément mal à l’aise.

« Je… eh bien, je ne sais plus trop. Je crois que c’était vers… mars ou… avril… je sais plus. » Se concentrer sur quand ils avaient repris contact, ce n’était pas mal en soit. Ça évidemment à Dennis de penser au fait que l’homme sous ses yeux était surpris qu’elle l’ait fait, alors qu’il avait poussé sa fille à le faire. Parce qu’il était surpris, parce qu’il se demandait ce qu’il savait, parce qu’il… se demandait ce qu’il pensait de tout cela. « Elle… Amy… elle, elle vous a dit… quoi… au juste ? »

Il ne pensait pas qu’elle ait pu dire tout ce qu’ils avaient vécu, elle n’avait pas parlé du monde magique, ce genre de chose. Mais Dennis se demandait ce qu’elle avait pu dire à son sujet. Parce que si ses parents l’avaient poussé à reprendre contact avec lui, c’était surement pour une raison bien précise. Et peut-être parce qu’ils se disaient qu’il pouvait l’aider alors que clairement, Dennis n’était pas certain du tout de pouvoir aider qui que ce soit. Il n’arrivait déjà pas à s’aider soi-même. Cependant, il tenait vraiment à Amy et il avait le sentiment d’être un peu plus fort quand elle se trouvait avec lui. Depuis qu’elle était revenue dans sa vie, le jeune homme avait appris l’existence du monde magique, découvert que Jedusor était un sorcier psychopathe et ça ne l’avait clairement pas rassuré. Mais en même temps, il se disait qu’il n’était pas seul pour affronter ses cauchemars et que c’était bien ce qui lui avait causé du tort toutes ces années, le fait de ne pas pouvoir compter sur quelqu’un capable de réellement le comprendre.

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ela faisait donc un moment que Dennis et Amy se revoyaient. A quelle fréquence exactement ? Difficile à dire, pas assez sans doute compte tenu du fait que sa fille passait tout de même bien plus de temps dans le confort de sa chambre qu'à affronter le monde extérieur. On pourrait reprocher aux Benson, peut-être, de ne pas surveiller suffisamment les allées et venues de leur fille, même si du haut de ses dix-neuf ans, elle avait largement l'âge d'être autonome et en pleine disposition de ses moyens, en vérité. Mais il est vrai que sa fragilité pouvait prêter à interrogations. Mais justement, Gregory considérait qu'il était important qu'Amy conquiert son autonomie, chose qui ne pourrait pas être possible si elle se sentait épiée et surveillée constamment. Ce qui ne voulait pas dire que le père ne s'intéressait pas de très près à tout ce qui concernait sa fille. Preuve en était de la situation présente. S'il tenait à ce point à cuisiner Dennis à ce point, ce n'était pas pour rien. Il était ce point important sur lequel il fallait appuyer avec insistance, celui par qui toute la situation d'Amy pourrait bien finir par se dénouer, à la vérité.

-Tu es associé à presque tous les souvenirs qu'elle veut bien nous confier du temps qu'elle a passé à l'orphelinat, observa posément le psychanalyste en réponse à la question de son jeune interlocuteur.

Tout en prononçant ces mots, il sondait le regard de son interlocuteur. Avait-il posé cette question innocemment ? A la vérité, Gregory en doutait un peu. Il était humain que de vouloir savoir ce que l'on disait de soi, bien sûr, mais Gregory devinait que cette situation, cette interrogation, dissimulait encore autre chose, un quelque chose qu'il ne demandait qu'à creuser. Il était proche d'obtenir les réponses qu'il voulait, il le sentait. Tout se jouait sur un instant, un instant que les deux meilleurs amis d'enfance avaient manifestement partagé, et que Gregory voulait les pousser, les forcer même à revivre, par tous les moyens possibles.

-Je sais qu'il y a eu un moment de scission. Après lequel vous avez cessé de vous parler. J'ignore si tu as contribué à son traumatisme ou si tu en as été le témoin. Ce que je sais, c'est qu'elle ne t'en tient pas rigueur. Il marqua une pause. Ce que je sais de toi, Dennis, c'est que tu la renforces et la fragilise en même temps, et je veux comprendre pourquoi.

Tout comme il voulait s'assurer, par la même occasion, que Dennis ne serait pas susceptible de faire du mal à sa fille. Il lui laissait le champ libre, certes, mais ce n'est pas pour autant qu'il accepterait que le jeune homme détruise par sa simple présence des années de thérapie. Amy progressait, même si ces progrès étaient lents. Et il ne réduirait pas ces efforts à néant.

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Gregory répondit à sa question en affirmant qu’il était associé à presque tous les souvenirs que Amy voulait bien confier au sujet de sa vie à l’orphelinat. Dennis ne savait pas réellement si c’était une bonne ou une mauvaise chose. En soit, il avait envie de se dire que c’était une bonne chose, parce que c’était la preuve que son amitié avec Amy avait de l’importance. Mais en même temps, eh bien il n’était pas forcément à l’aise avec le fait que la jeune femme ait pu parler de lui à ses parents. Parce qu’il ne savait pas ce qu’elle avait pu dire à son sujet, parce qu’il ne savait pas à quel point elle s’était confié, parce que… eh bien, tout simplement parce que ça le mettait atrocement mal à l’aise.

Et l’homme en prime ne se retint pas pour affirmer qu’il était au courant qu’il y avait eu un moment de scission entre eux. On pouvait dire ça, Tom Jedusor avait brisé quelque chose en eux. Quand l’homme mentionna le fait qu’il ne savait pas s’il avait contribué à son traumatisme, ou s’il avait été juste témoin, Dennis se senti pâlir. L’homme envisageait potentiellement l’idée qu’il soit responsable du fait que Amy n’aille pas réellement bien ? C’était normal, il ne pouvait pas lui en vouloir bien sûr, mais c’était difficile pour lui d’entendre de tels propos. Parce qu’il espérait en effet qu’il ne faisait pas de mal à Amy, qu’il ne faisait que lui faire du bien… mais visiblement, ce n’était pas ainsi que son père voyait les choses.

« Je… » Dennis se sentait mal d’entendre de tels mots. Enfin, il appréciait bien sûr que l’homme sous ses yeux affirme qu’il renforçait Amy, il espérait bien en effet qu’il lui faisait du bien autant que sa présence à elle lui faisait du bien. En fait, c’était en la retrouvant qu’il s’était rendu compte d’à quel point il avait besoin d’elle. Pendant longtemps, il avait cru qu’ils avaient bien fait de ne plus réellement se parler, parce qu’ils ne pouvaient pas penser à autre chose que ce qui était arrivé dans cette grotte. Mais en même temps, eh bien ils ne pouvaient pas ne pas penser à tout ça, alors ça ne changeait rien du tout qu’ils se voient ou pas. Ou si… Dennis se rendait bien compte qu’il avait réellement besoin de Amy et peut-être plus qu’elle n’avait besoin de lui. Parce que l’homme sous ses yeux disait bien qu’il la renforçait, mais aussi qu’il la fragilisait. « Je la… je la fragilise ? » Demanda-t-il, la voix blanche.

D’accord, Dennis devrait sans doute se concentrer sur autre chose et ne pas juste répondre ça, mais c’était la seule chose qui lui venait à l’esprit en cet instant précis. De toute façon, Dennis n’aimait pas parler quand il n’était pas à l’aise et on ne pouvait pas réellement dire qu’il l’était souvent. Si… il l’était avec Amy, mais au final c’était peut-être une erreur.

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émotion de Dennis semblait tout à fait sincère alors qu'il assimilait les propos de son interlocuteur. Bien sûr, le psychiatre n'occultait pas la possibilité que le jeune homme soit un manipulateur-né. C'était une chose qu'il décryptait assez facilement, à force d'expérience dans ce domaine, mais un oeil exercé ne suffisait pas toujours à cerner au premier coup d'oeil les plus grands menteurs. Ceci dit, il avait tout de même l'intention de laisser à Dennis le bénéfice du doute. Il semblait véritablement perturbé, troublé, à la perspective de faire plus de mal que de bien à Amy, à l'idée de la fragiliser. Ce qui étonnait Gregory, c'est qu'il ne soit pas parvenu à cette conclusion lui-même, comme s'il ne constatait pas de lui-même l'impact négatif qu'il pouvait naturellement avoir sur son amie, ce qui était tout à fait normal, et peut-être même réciproque au vu de leur passé commun.

-C'est ce que j'ai dit, confirma simplement et très posément Gregory dans un hochement de tête.

Il n'était pas dans les habitudes de Gregory de se laisser émouvoir par le comportement de ses interlocuteurs (de ses patients, avait-il envie de dire, mais Dennis n'était pas son patient... techniquement). Il avait appris à mettre de la distance entre lui et ceux à qui il s'adressait, c'était préférable. Tout investissement émotionnel pouvait vous détourner de votre objectif. Parfois, il vous était impossible de lutter, ça avait été le cas quand Gregory avait fait la rencontre de Lisbeth, mais de manière générale, il savait s'en tenir à cette forme de distance qu'il estimait nécessaire à tout dialogue, s'il voulait venir efficacement en aide aux personnes auxquelles il s'adresser. Et de toute évidence, oui, Dennis Bishop avait besoin de son aide.

-Tout ce qui a trait à son passé et à l'événement traumatique qu'elle a vécu la fragilisera toujours. Elle pourrait s'en libérer par le dialogue, bien sûr, en acceptant de verbaliser son expérience. Mais tant qu'elle restera silencieuse, et trouvera un réconfort dans la compagnie d'une personne ayant subi les mêmes traumas qu'elle, elle ne progressera pas, elle stagnera. Voire, elle régressera.

Il fixa Dennis avec intensité. Avec de telles paroles, on pourrait s'imaginer qu'il cherchait à dissuader son interlocuteur de jamais reparler à sa fille. Ce n'était pas le cas... ou du moins pas encore. Il voulait bien admettre que la présence de Dennis pouvait être bénéfique à Amy, mais ce n'était pas du tout une certitude à l'heure actuelle. Deux être brisés guérissaient rarement au contact l'un de l'autre. Bien au contraire, ils auraient plutôt tendance à encourager leurs névroses respectives.

-Bien sûr, tout ceci pourrait changer si l'un de vous deux acceptait de confier à un tiers ce qui vous est arrivé.

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Dennis se rajoutait de la peine sans doute en répétant les mots de l’homme sous ses yeux, mais il avait besoin de les assimiler. Cela dit, entendre Gregory affirmer que c’était bel et bien ce qu’il avait dit ne faisait que planter une deuxième fois le couteau. Dennis n’avait aucune envie de fragiliser Amy, il n’avait pas envie de lui faire du mal, il avait au contraire envie de l’aider, de lui permettre d’avancer. Il s’était retenu de passer du temps avec elle pendant très longtemps, beaucoup trop longtemps même d’ailleurs, parce que sa présence ne faisait que lui rappeler ce qu’ils avaient vécu. Il avait fini par croire qu’il ne devait plus la voir, qu’il devait s’éloigner d’elle afin de parvenir à se soigner. Son départ de l’orphelinat l’avait aidé à ce qu’ils s’éloignent, mais force lui avait été de constater que ça n’avait rien arrangé du tout. Le fait qu’elle soit de retour dans sa vie ne signifiait pas non plus qu’il allait mieux – surtout avec les révélations que Amy lui avait faites sur la nature de Jedusor –, mais au moins ils se soutenaient. Alors si au final, il ne lui faisait que du mal…

Dennis écouta dans le silence les propos du père de Amy. Il parla du traumatisme de son enfance, du fait qu’elle était beaucoup trop fragilisée par ce qu’elle avait vécu encore. Il précisa qu’elle ne pourrait pas avancer si elle continuait d’être silencieuse, qu’elle trouvait son réconfort auprès d’une personne qui avait vécu le même traumatisme. Elle ne pouvait pas avancer et il était même possible qu’elle recule. Dennis avait les larmes aux yeux, alors que son regard était pointé vers le sol. Il était incapable de soutenir le regard de son interlocuteur et il était surtout incapable de supporter ce que l’homme était en train de lui dire. Il n’avait pas envie de faire plus de mal à Amy encore, il avait envie qu’elle parvienne à s’en sortir. En soit, Dennis parviendrait peut-être même à trouver une sorte de réconfort si Amy s’en sortait, même si de son côté il devait ne pas parvenir à le faire. La simple idée qu’elle soit mieux, qu’elle se sente mieux, ça lui ferait du bien.

Le jeune homme sentit un nouveau frisson parcourir son échine en entendant l’homme affirmer que la situation pourrait changer si l’un d’entre eux parvenaient à se confier sur ce qu’ils avaient vécu. Est-ce qu’il devait en parler à quelqu’un ? À cet homme ? Pour qu’ils puissent avancer, pour que Amy puisse être sauver ? Peut-être que s’il parvenait à se confier au père de Amy, il parviendrait à la sauver ? Mais ce n’était pas qu’il ne voulait pas, même s’il voulait le faire…

« Je… » Son cœur battait la chamade, il avait envie de pleurer. S’il était capable de bouger, il prendrait ses jambes à son cou tout simplement pour s’enfuir. « J’aime… j’aimerais… je voudrais bien mais… je… je ne peux pas. »

Il n’arrivait même plus à respirer.

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a réponse de Dennis ne parvenait même pas à être décevante tant elle était attendue aux yeux du psychiatre. Si ces quelques mots avaient pu suffire à dénouer enfin ce noeud qui depuis trop longtemps empêchait sa fille adoptive d'avancer, voilà longtemps qu'il aurait poussé Dennis à s'installer sur son divan, même si ce devait être en partie contre son gré. Certains pourraient en douter tant il semblait avoir parfois tendance à considérer sa fille adoptive comme un simple sujet d'analyse, mais le fait est que ses sentiments envers elle était sincère, il l'aimait comme si elle était sa chair et son sang, et il voulait absolument son bonheur. Alors oui, il serait capable d'employer des méthodes peu orthodoxes, voire moins qu'orthodoxes s'il pouvait avoir la certitude en compensation que sa fille gagnerait un bonheur qu'elle semblait ne pas avoir connu depuis des temps immémoriaux, si elle l'avait seulement connu un jour.

Alors oui, il s'était douté du fait que Dennis Bishop allait lui donner du fil à retordre, mais ce n'était certainement pas le genre de choses qui allaient l'arrêter. Ce serait bien, bien mal lui ressembler. Non, Gregory Benson n'était pas de ceux qui renoncent. Il voulait se targuer du fait que tous les patients qui passaient la porte de son cabinet en ressortaient si ce n'est guéris de leurs traumatismes, au moins soulagés d'un poids. Amy était, avec Lisbeth, la personne qui lui avait donné le plus de fil à retordre, mais il ne lâcherait rien. Il était convaincu du fait que Dennis, d'une manière ou d'une autre, était la clé, celle qui ouvrirait le coeur et l'accès aux souvenirs d'Amy, alors il comptait bien insister, d'autant qu'il sentait bien, derrière les hésitations du jeune homme, qu'il ne serait pas forcément si difficile de le faire craquer, au bout du compte.

-Très bien, c'est une chose que j'ai déjà entendue, en effet, admit-il en jaugeant le jeune homme de haut en bas. Quand Amy voulait se dérober à son jugement, elle agissait de l'exacte même manière, elle affirmait qu'elle ne pouvait pas accéder à sa requête, chose que, bien sûr, le psychiatre ne pouvait pas entendre de la sorte. Si tu ne peux pas me dire ce qui s'est passé, tu peux sans doute me dire pourquoi tu ne peux pas me parler de ce qui est arrivé. Est-ce une impossibilité physique et morale ? Est-ce que tu cherches à protéger Amy ou à te protéger ?

Il ne l'épargnait pas avec ses questions, et n'avait aucune intention de le faire, à aucun moment. Il fallait, impérativement, que Dennis y mette du sien, sans quoi il ne permettrait pas à Amy de se libérer de ses démons. S'il tenait vraiment à elle, il saurait que c'est la chose à faire.

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Dennis frissonnait de tout son corps, il avait juste envie de partir. Il n’en avait pas la force, il se retrouvait complètement déstabilisé, il était tout bonnement incapable de se lever et de s’enfuir, alors que c’était tout bonnement ce dont il avait envie en cet instant précis. Il aimerait fuir, il aimerait s’en aller, et arrêter cette conversation dans la seconde. Mais en même temps, ce n’était pas une bonne chose sans doute de fuir cette conversation. Dennis passait son temps à fuir, à se cacher, mais c’était évident que ce n’était pas comme qu’il allait s’en sortir, qu’il allait pouvoir avancer. Et en même temps, Dennis ne se sentait pas capable d’avancer quand de simples questions étaient capables de déstabiliser aussi facilement.

Le regard du jeune homme se baissa vers le sol quand le père de Amy affirma qu’il avait déjà entendu ce qu’il avait dit. Sans doute que Amy avait tendance à répondre de la même façon que lui ? Cela ne serait pas réellement étonnant, tant ils avaient vécu des choses horribles tous les deux et se retrouvaient traumatisés de la même manière. Et sans doute que s’il parvenait à s’exprimer un peu plus, il pourrait permettre à Amy de s’en sortir… ? Il aimerait bien qu’en quelques mots, il puisse permettre à Amy d’avancer, que l’homme sous ses yeux soit enfin à même de comprendre ce qu’ils avaient pu vivre, afin d’aider sa fille. Mais même s’il avait envie de ne pas être une faiblesse pour son amie, qu’il avait envie de lui permettre d’avancer, ce n’était pas pour autant facile pour lui de parler. Et clairement, Gregory ne prenait vraiment de gant.

« C’est… » Il tentait sincèrement à dire quelque chose. Parce qu’il pensait à Amy et se disait que si lui parvenait à dire quelque chose, il pourrait aider son amie. Il détestait de devoir parler de tout cela, il avait juste envie de faire comme d’habitude, fermer les yeux et essayer d’oublier ce qu’il a vécu. « C’est… c’est trop tard… trop tard… pour nous protéger. »

Dennis prit son visage dans ses mains, ne pouvant pas contenir les tremblements de son corps. C’était beaucoup trop dur pour lui, s’il était capable de bouger, sans doute qu’il aurait déjà prit ses jambes à son cou pour s’enfuir et arrêter de penser à tout cela. Mais dans tous les cas, il ne pouvait pas bouger, il en était incapable. Il laissa un temps sans parvenir à dire quoi que ce soit, quand bien même il essayait de le faire. Finalement, le visage toujours dans ses mains, il parvint quand même – non sans une grande difficulté – à prononcer quelques mots.

« Il… il… nous… il nous… a détruit. »

C’était la seule chose qu’il serait capable de dire, ça ne semblait pas beaucoup, mais c’était quand même énorme pour lui.

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-A

bsurde.

La réponse de Gregory était particulièrement tranchante, presque méprisante. Il réagissait à vif, c'était une certitude. Mais s'il réagissait ainsi, ce n'était évidemment pas sans raison, c'est parce qu'il n'acceptait pas l'idée qu'il ne puisse rien faire pour sa fille. Il était obligé de croire qu'il était capable de venir en aide à Amy, et pour cette raison, il se devait de rejeter en bloc les réflexions de son interlocuteur. Il avait beau prononcer ces mots, Gregory refusait de le croire. Dennis était un garçon paumé, et Gregory, lui, était un psychiatre expérimenté. Il saurait forcément quoi faire. Il devait savoir quoi faire... c'était une obligation.

-Tu es en vie. Amy est en vie. Et même si vous vous trouvez tous les deux dans un état psychologique déplorable, vous êtes autrement en bonne santé. Choisir la défaite est facile, c'est un refuge que l'on choisit quand on a l'esprit faible. Oui, il venait tranquillement de dire à Dennis qu'il était faible. Mais en même temps c'était ce qu'il pensait effectivement. Mais mon esprit est loin de l'être, et par conséquent je suis certain que des solutions existent. Mais bien sûr, pour cela, il faudrait que j'en sache davantage sur l'origine du problème. J'ai besoin que vous soyez plus loquace que cela, Dennis. Si vous ne souhaitez pas faire l'effort de vous protéger vous-même, faites-le au moins pour ma fille. Vous tenez à elle, n'est-ce pas ?

Il utilisait des mots forts, c'est vrai, mais aux yeux de Gregory, il était sûr et certain que son interlocuteur avait besoin d'un déclic, et c'était par conséquent ce que son interlocuteur allait lui apporter.

-Ce qui a été fragilisé n'a pas été détruit, c'est encore réparable. Dites-moi qui est ce "il".

Gregory était presque menaçant dans son propos, mais c'était parce qu'il était terriblement tendu. C'était la vie et l'équilibre d'Amy qui étaient en jeu. Chaque jour, Gregory redoutait que sa fille ne commette une erreur qui serait irréparable. C'était une pensée insoutenable, et il avait besoin, pour y pallier, de croire dans le pouvoir qui serait le sien de changer le sien. Il avait terriblement besoin de le croire. Au point de peut-être faire passer cela pour une certaine forme de caprice, mais peu importe. Il devait entendre toute la vérité, celle qu'Amy ne disait pas mais que Dennis lui apprendrait peut-être pour sa part.

Gregory devrait le ménager. De telles confessions représentaient déjà beaucoup pour Dennis, mais le psychiatre ne se sentait pas capable de telles largesses - il avait besoin d'en entendre plus, et ce n'était pas quelque chose de négociable à ses yeux, certainement pas. Il tenait à connaître toute la vérité et il ne reculerait devait rien pour l'obtenir.

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