Depuis le retour de Cedrella, Charis sentait comme un poids s'échapper de ses épaules, largement compensé par le poids de plus en plus manifeste de son ventre. Il devenait de plus en plus difficile à la jeune femme de se porter elle-même, mais elle était ravie. Le visage radieux de la femme enceinte, elle le portait enfin, avec plus de fierté que jamais, et pour cause, elle n'entrevoyait plus le moindre nuage dans son ciel. Il n'y avait plus que des opportunités.

Elle allait devenir maman, et si elle avait toujours le sentiment que Caspar la négligeait en dépit de ses quelques efforts, même si Callidora avait "choisi" de le devenir en même temps qu'elle, elle savait s'en réjouir car toutes les personnes qui comptaient vraiment pour elle seraient à ses côtés.

Le départ de Cedrella avait été si brutal, avait bouleversé son quotidien si subitement qu'elle n'avait pas eu la distance de constater à quel point il avait changé de nombreuses choses en profondeur. Elle était capable de le constater, à présent. Sans la force rebelle de Cedrella, Charis s'était laissée happer par une relation de plus en plus toxique avec Callidora, et il avait été temps que ça cesse.

Oh, ne vous méprenez pas, elle adorait toujours autant Callidora, elle restait sa grande soeur et un véritable modèle pour elle, mais il était tellement plus simple de sourire, de parler, de rire avec Cedrella... Abandonner un temps les apparences et se retrouver comme dans leur enfance, quand tout paraissait plus évident, plus simple, plus accessible. Combien de temps est-ce que ça durerait ? Impossible de le dire, mais pour le moment, Charis, dans tous les cas, se portait bien, et c'était le coeur léger qu'elle avait décidé de rendre visite à sa soeur comme elles en avaient l'habitude toutes les deux.

Mais quand la jeune femme frappa à la porte et que l'elfe de maison l'invita à l'intérieur, ce ne fut pas Callidora qui vint l'accueillir, mais son époux. Charis adressa un sourire à Harfang.

"Bonjour Harfang, Callidora n'est pas là ?"

Oh, elle était contente aussi de voir Harfang, elle s'entendait très bien avec lui. Elle déplorait certes la légèreté de ses moeurs, mais il s'était toujours montré agréable et courtois envers elle, et elle aimait leurs conversations, aussi cela ne la dérangerait pas tant que ça de rester seule avec lui.

"Non, elle s'est absentée."

A cette nouvelle, Charis se sentit partagée, à la fois déçue et soulagée. Elle estimait important qu'elles aient une conversation. D'une part parce que leur dernière discussion n'avait pas révélé le meilleur d'elles-mêmes, d'autre part parce qu'elles avaient encore beaucoup de choses à se dire, toutes les deux, sans l'ombre d'un doute.

Mais tout de même, connaissant mieux que personne le tempérament de sa grande soeur, retarder d'un peu, même un tout petit peu, l'échéance d'une nouvelle conversation, ça ne lui déplaisait pas. Encore fallait-il qu'elle rentre bientôt, ce qu'Harfang eut l'air de suggérer, même s'il ne semblait pas exactement sûr de ce que sa femme était allé faire exactement.

"Tu peux l'attendre ici, si tu veux."

Elle hésita une fraction seconde. Cette situation méritait-elle qu'elle attende ici ? N'y gagnerait-elle pas à repasser plus tard, quand elle serait certaine que Callidora serait bel et bien chez elle ? Peut-être bien, mais en attendant, elle était où elle était, et elle n'avait pas forcément envie de faire l'effort de repasser plus tard. Qui plus est, c'était l'occasion pour elle de parler un peu avec Harfang, et ce n'était pas pour lui déplaire.

Elle appréciait la compagnie de Harfang, même s'ils avaient très rarement l'occasion de se parler, encore moins seul à seul. Son caractère était aux antipodes de celui de Callidora, c'est vrai, mais pour la peine, il ressemblait davantage à celui de Charis... ou non. Des trois soeurs Black, Cedrella était peut-être celle dont le caractère se rapprochait le plus. Dans tous les cas. Ce serait une bonne chose de parler un peu avec lui, d'autant qu'ils n'avaient pas eu vraiment l'occasion de discuter ensemble des récents événements.

"Eh bien avec plaisir, dans ce cas." Elle lui adressa un fin sourire. "J'espère que je ne te dérange pas en plein travail."

Elle ne pensait pas que ce soit le cas, sinon il serait à Gringotts, et c'était une manière pour elle de lui poser des questions sur sa vie, et sur comment il allait. Comme pour Caspar, le travail occupait forcément une grande partie de sa vie, c'était donc une façon de s'assurer que tout allait bien dans ce domaine (l'interroger sur sa vie de famille serait dans tous les cas déplacé).

"Oh non, ne t'en fais pas, je ne faisais absolument rien de particulier. Tu tombes même à pique, pour tout dire, tu me préserves d'un ennui mortel."

Charis afficha un sourire amusé. Avec le temps, elle avait appris à connaître son beau-frère. Dans son premier temps, son tempérament l'avait un peu intriguée, et quelque part incommodée, mais cela remontait à longtemps. Charis appréciait sincèrement Harfang, y compris son sens de l'emphase. Il exagérait bien souvent son propos, mais c'étaient des formules de langage qui n'avaient jamais vocation à être embarrassantes, et la jeune femme appréciait sincèrement cela.

Elle devinait sans mal qu'il était plus facile de supporter Harfang Londubat en tant qu'ami qu'en tant qu'époux, et à ce titre, elle comprenait parfois l'agacement que la seule évocation de son mari semblait inspirer à sa grande soeur. Il n'empêche, elle préférait une conversation simple et légère qu'une discussion tendue et lourde de sens, et à ce titre, c'était une bonne chose qu'elle soit tombée sur Harfang et non sur Callidora. Même si, évidemment, elle n'y couperait pas.

"Alors, comment vas-tu ? Tu es plus rayonnante chaque fois que je te vois."

Charis sourit, c'était une chose qu'elle aimait entendre depuis sa grossesse. De manière générale, on lui assurait qu'elle la portait bien, et elle était du même avis. Elle avait attendu impatiemment de devenir mère. Ce n'était pas chose faite encore, mais elle en était malgré tout plus proche que jamais, et elle en était heureuse, vraiment heureuse.

"Tu confonds "rayonnante" et "grosse", je crois", s'amusa à répondre Charis malgré tout, quand bien même elle appréciait honnêtement le compliment.

L'un n'empêchait pas l'autre. Plus le temps passait, plus Charis avait le sentiment que son ventre allait exploser. Mais en attendant, elle était vraiment heureuse. Elle voulait se réjouir des événements présents. Du fait d'être bientôt maman comme du fait d'avoir retrouvé sa petite soeur.

Tout rentrait dans l'ordre, tout allait comme elle l'avait toujours voulu. Ou presque. Elle manquait certes toujours de la présence de son époux, mais elle ne le lui reprocherait bientôt plus. Quand elle aurait tout son temps à consacrer à son fils ou à sa fille, ce serait peut-être elle qui jouerait les abonnées absentes après tout, elle le savait bien.

"Mais je vais très bien, je te remercie. Et toi ?"

"Très bien"

Harfang ne lui donna pas plus de détails, mais la jeune femme n'eut aucun mal à le croire sur parole. Parce qu'elle savait qu'Harfang était un homme honnête... frivole, certes, léger, c'était bien possible, mais en temps normal, quand quelque chose n'allait pas, il le disait. Et de manière générale, il allait toujours bien. Parce que même s'il n'était pas totalement droit dans ses bottes, il était du moins fidèle à lui-même, et ça c'était quelque chose de vraiment important.

Alors elle ne lui demanda pas plus de précisions sur ce "très bien". Elle était contente, simplement, de savoir qu'il se portait ou mieux parce qu'elle ne voulait jamais que son bien.

"Tu sais, j'en ai une autre à la maison. Si je te dis que tu es rayonnante, c'est que tu l'es"

Charis ne put s'empêcher de sourire, ce qu'elle ne manqua pas de regretter presqu'aussitôt. Elle éprouvait toujours un semblant de culpabilité quand il était question de s'en prendre à sa grande soeur, peut-être parce qu'elle y prenait plus de plaisir qu'elle ne le devrait, quand bien même c'était indirect.

Elle savait dans tous les cas que Harfang exagérait toujours quand il était question de sa chère et tendre femme. Comme elle le lui rendait bien, on va dire que c'était plus ou moins un échange de bons procédés, et au final, c'était assez innocent. Surtout que même si Callidora et elle étaient très différentes et vivaient leurs grossesses complètement différemment, il était assez évident qu'elle était plus pragmatique, mais Charis, sans objectivité, trouvait tout de même que la grossesse lui allait parfaitement bien.

"Quoi de neuf, alors ? J'ai appris que Cedrella était de retour."

"Oui", répondit Charis, ravie de ce changement de conversation. S'il fallait parler de quelque chose de neuf dans sa vie, il était assez normal qu'ils évoquent le retour de Cedrella. Et ça risquait de beaucoup faire parler dans leur cercle familial pendant un bon moment encore. "Elle a enfin retrouvé la raison. Et je veux croire que c'est pour de bon."

Elle était peut-être un peu trop optimiste, ça elle ne pouvait pas le nier, bien évidemment. Mais elle ne voulait que tirer du positif du retour de Cedrella. Il faut dire qu'elle lui avait terriblement manqué.

"Elle revient au meilleur moment, si tu veux mon avis"

Charis afficha un sourire. Elle vouait bien entendre son avis, mais elle ne savait pas vraiment si elle était d'accord ou non avec ce dernier. Elle revenait au meilleur moment, peut-être... mais en même temps, il n'y aurait pas dû y avoir de meilleur moment.

Elle n'aurait jamais dû partir, tout simplement. C'était un reproche qu'elle ne devrait peut-être pas faire à Cedrella, parce que ça ne changerait pas quoi qu'il en soit. Ils ne pouvaient pas refaire le passé, en revanche, ils pouvaient voir l'avenir en face, et c'était ce qui important. Charis ne voyait pas où Cedrella voulait en venir, mais elle comprit mieux quand Harfang reprit la parole.

"Juste à temps pour la naissance des deux énergumènes."

Oui, effectivement, de ce point de vue-là, il avait parfaitement raison. Charis se détendit un peu, un minimum, du moins. Le terme "énergumène" n'était pas forcément celui que Charis aurait choisi, mais elle ne lui en voulait pas de l'utiliser.

C'était fou, elle avait peine à s'en rendre compte elle-même, mais oui, la naissance de son enfant et de celui de Callidora approchait à grands pas. Charis avait beau être lourde comme il n'est pas permis, son corps avait beau lui rappeler constamment qu'elle était enceinte, elle réussissait vraiment à s'oublier, parfois, et à oublier qu'elle allait donner la vie incessamment sous peu. Pour cette raison, Cedrella arrivait effectivement au bon moment. Elle concentrait ses réflexions et ses pensées sur d'autres choses, et cela ne lui faisait pas de ma, c'est sûr.

"J'ai encore du mal à me faire l'idée que le grand moment se rapproche à ce point. J'ai hâte de devenir maman, mais je dois bien avouer que ça commence à m'angoisser un petit peu." Elle adressa un fin sourire à Harfang. "Pas trop stressé de redevenir papa, toi ?"

La différence, c'est que c'était une chose qu'il avait déjà vécue. Mais Augusta était une grande fille, maintenant. Harfang n'avait pas dû s'attendre à ce qu'il ait de nouveau à devenir le papa d'un tout petit bambin. La pression sociale reposait avant tout sur Callidora et sur elle, mais Harfang et Caspar avaient son rôle à jouer là-dedans.

"Honnêtement ? Pas du tout"

Charis voulait bien croire sur parole Harfang quand il lui disait cela. Avec sa confiance légendaire, il ne lui donnait pas le sentiment de s'inquiéter, même un seul instant. Il paraissait sûr de lui, comme à son habitude, et elle savait qu'il était, en règle générale, quelqu'un de franc.

Si vraiment il avait eu quelque doute que ce soit, Charis pensait qu'il l'aurait partagé, d'une façon ou d'une autre. Pas forcément en se montrant sérieux, sans doute plus sur le ton de l'humour. Il avait de la chance. C'est sans doute son rôle auprès d'Augusta qui lui donnait cette confiance, le fait qu'il soit déjà père, même si ça remontait. Elle aimerait bien bénéficier de sa confiance, mais il est vrai que les pères n'avaient pas les mêmes angoisses, les mêmes appréhensions... que les mères.

Au-delà de l'angoisse de l'accouchement, on en attendait moins de leur part. Harfang n'était pas un cas isolé. Caspar ne lui donnait pas davantage l'impression d'être angoissé. C'était à peine si Caspar lui donnait l'impression de réaliser qu'il allait être père, d'ailleurs, pour tout dire.

"Je ne dis pas que je réalise totalement non plus, de toute évidence, c'est pas quelque chose qu'on avait prévu, mais je n'ai aucune intention de m'angoisser."

Cette nuance lui faisait tout de même du bien à entendre, à vrai dire. Qu'il admette ne pas réaliser totalement, elle était aisément capable de l'entendre, c'est ce qui distinguait les pères, aussi, à n'en pas douter. Les mères portaient l'enfant, leur corps leur rappelait sans discontinuer la naissance à venir. Les pères n'avaient pas ce "privilège"... souvent douloureux et contraignant, c'est un fait.

Pour ce qui était de ne pas avoir prévu la grossesse, Charis n'en doutait pas non plus. Si Caspar et elle avaient voulu leur enfant, elle se doutait bien que Callidora était passée à autre chose depuis un moment déjà... Honnêtement, Charis s'étonnait même qu'une grossesse accidentelle ait su avoir lieu alors qu'elle avait été assez convaincue du fait que le couple Londubat n'était plus intime depuis longtemps. Mais ce qui se passe derrière des portes fermées, nul ne le sait.

"J'aimerais être capable de suivre ton exemple." Elle marqua une pause. "Si jamais tu as des conseils à me donner... je ne dirais définitivement pas non."

Même si elle se doutait de sa réponse.

"Crois-moi, je suis la dernière personne dont tu veuilles et doives entendre les conseils."

Charis esquissa un léger sourire. Elle n'était pas de cet avis, quoique Harfang puisse en dire. C'est vrai que son beau-frère pouvait passer pour un cancre, mais Charis le connaissait assez, dans la vie quotidienne, pour savoir qu'il était intelligent, et ce que certains prenaient parfois pour de la légèreté voire de la naïveté tenait plus du cynisme qu'autre chose.

Ce naturel cynique, Charis n'en avait pas une once en elle, mais c'était justement leurs divergences de caractère qui pouvaient leur permettre de se donner des conseils qu'ils n'envisageraient pas d'appliquer par eux-mêmes sans y être invités.

"Tu sais, c'est une bonne chose d'avoir peur. Moi je ne me fais aucune inquiétude pour toi, vraiment. Tu verras, tu seras une mère exceptionnelle. Et si tu t'inquiètes maintenant, c'est justement pour cette raison. Quand tu porteras ton enfant dans tes bras, tu ne te poseras plus de questions. Tu sauras, c'est tout."

Avoir peur était peut-être une bonne chose, masi ce n'était pas une émotion agréable à ressentir malgré tout. Et la peur, surtout, c'était quelque chose d'irrationnel, on y coupait pas. Mais les réponses de Harfang à toutes ses craintes réussissaient à les soulager un peu.

Est-ce qu'elle serait une mère exceptionnelle ? Impossible de le savoir ou de le parier tant qu'elle n'aurait pas son enfant dans ses bras. Et ce qu'elle avait hâte, vraiment ! Elle se disait que tout serait différent alors, quand une autre vie dépendrait d'elle. Et elle espérait, de tout coeur, que ce serait effectivement quelque chose d'à ce point certain, d'à ce point évident. Elle l'espérait de toute son âme. Mais tant que sa progéniture ne serait que fictive, elle continuerait de s'inquiéter. Ce qui faisait peut-être d'elle une bonne mère, certes, mais quoi qu'il en soit une boule de stress.

"Toi, tu l'as su tout de suite ? Avec Augusta ?"

Question piège, car elle savait pertinemment que Harfang n'avait jamais été si proche de sa fille que cela. Mais justement, ça l'interrogeait, y compris concernant sa future progéniture. Il ya parfois une grande différence entre ce que l'on éprouve et ce que l'on montre, ça elle le savait.

"Tu sais bien que je ne suis pas le père de l'année"

Charis esquissa un léger sourire. Elle voudrait bien rassurer son beau-frère en affirmant qu'il n'était pas un si mauvais père que ça, mais les faits parlaient d'eux-mêmes. Bien sûr, elle n'avait pas eu l'occasion de voir Harfang se comporter au quotidien avec sa fille, mais les fois où il les avait vus avec Augusta, ils ne lui avaient jamais semblé proches ou complices.

Et Callidora ne s'était jamais privée de se plaindre du désintérêt de son mari concernant l'éducation de leur fille. Toutes ces informations mises bout à bout ne laissaient pas beaucoup de doute quant au fait qu'il n'était effectivement pas un père exemplaire.

Mais il y avait une différence entre le fait de ne pas savoir convenablement assumer son rôle de père, dans une société qui ne facilitait définitivement pas la tâche et mettait les hommes de côté dans l'éducation de leurs enfants, et le fait d'éprouver un amour sincère, direct et instinctif pour son enfant quand il était notre chair et notre sang.

C'était une chose qui inquiétait profondément Charis. Ne pas éprouver cet amour total et inconditionnel pour son fils ou sa fille. Bien sûr, ça semblait impossible compte tenu du fait qu'elle avait le sentiment de déjà aimer son enfant alors qu'il ou elle n'était pas encore né. Mais... cette appréhension restait profonde. Et elle était d'autant plus impatiente de voir son enfant naître. Afin de mettre un terme définitif à ses craintes trop nombreuses.

"Mais oui, je crois bien que je l'ai su tout de suite."

Nouveau sourire. Elle ne pensait pas qu'il le lui affirmerait tel quel mais ça lui faisait du bien de l'entendre. Même si c'était aussi la preuve qu'éprouver un amour inné pour son enfant n'empêchait pas forcément de ne pas savoir exercer son devoir parental. Mais elle savait qu'elle s'en sortirait. Même si son enfant devait avoir un père absentéiste, ce qui serait sans doute le cas concernant Caspar.

"Je dois reconnaître que ça me rassure un peu", admit-elle alors simplement. Même s'il en faudrait encore davantage pour calmer son anxiété. Cela ne se ferait pas si vite ni si simplement, évidemment. "D'ailleurs, concernant Augusta. J'ai l'impression qu'elle ne va pas très bien, en ce moment."

"C'est une ado..."

Charis sourit doucement. Augusta n'apprécierait sans doute pas de l'entendre, mais en effet, ça ne faisait pas beaucoup de doute, l'adolescente avait toutes les caractéristiques de ceux de son âge que l'on disait en crise. A vouloir se rebeller à tout prix contre l'autorité parentale, à rechercher sans cesse le conflit.

C'était assez déstabilisant parce que la demoiselle avait longtemps été une jeune fille douce et disciplinée. Toute cette période lui paraissait lointaine. En même temps, Charis avait le sentiment de ne pas avoir vu sa nièce grandir, ce qui, là encore, était assez perturbant. Par plein d'aspects, elle réussissait à la rendre fière malgré tout, car elle était une jeune fille vive et intelligente. Une jeune fille... une jeune femme, même. Mais elle manquait de discipline. Et elle ne savait pas si son caractère incombait uniquement à son âge ou s'il fallait creuser plus loin. Il y avait eu tant de bouleversements au sein de leur famille dernièrement, ce n'était pas spécialement étonnant.

"Je pense que ça lui passera."

Charis ne voulait pas se montrer pessimiste... mais elle n'était pas sûre que ça lui passerait si vite. Enfin, elle voulait penser qu'en devenant adulte, elle prendrait de la distance par rapport aux situations auxquelles elle faisait face. Mais en attendant... En attendant, il y avait tout de même de bonnes chances pour qu'elle leur impose toujours son fichu caractère. Elle n'était pas la plus à plaindre, Augusta ne vivait pas sous son toit. Mais elle se sentait concernée. Augusta était sa nièce, la prunelle de ses yeux. Forcément que ça comptait pour elle.

En tout cas, ce n'était pas son rôle de contredire Harfang sur la question, même si elle espérait qu'il ne prenait pas la situation trop à la légère non plus. Il la rassura assez vite sur la question en posant tout de même une question que ne lui aurait pas posée un parent qui ne se serait pas le moins du monde senti concerné.

"Elle a fait ou dit quelque chose ?"

Charis hésita, elle ne voulait pas non plus inquiéter inutilement son interlocuteur. D'un autre côté... il était sans doute préférable qu'elle en parle. Si ce n'était pas grand-chose, autant faire ce qui s'imposait tout de suite.

"Je crois qu'elle m'en veux d'avoir réussi à convaincre Cedrella de revenir. Elle s'imagine que je l'ai manipulée."

"Et c'est faux ?"

La question de Harfang prit Charis de court. Elle s'était attendue à ce que son beau-frère recadre le dialogue, observe le fait qu'Augusta exagérait bien la situation. D'accord, elle ne se faisait pas d'opinion exacte de ce que son interlocuteur pensait du retour de Cedrella...

Lui était d'avis qu'il n'en pensait pas grand-chose tout court en réalité, si bien qu'elle était assez étonnée de l'entendre réagir de la sorte. Et un peu déstabilisée. Elle ne cherchait pas l'approbation à tout prix de son beau-frère, mais elle s'était un peu attendue à l'obtenir d'office en réalité.

"Toi et Callidora n'y êtes pour rien du tout dans la séparation entre Cedrella et Weasley ?"

Charis baissa le regard. Il n'y avait pas de jugement dans la question de son interlocuteur, cela n'empêchait pas la jeune femme de le ressentir comme tel malgré tout et presque malgré elle, sans doute parce qu'elle n'était pas aussi à l'aise avec ce qu'elle avait fait que ce dont elle avait voulu se convaincre.

C'était simple, quand Cedrella n'était pas sous son toit, d'agir en son nom et en son intérêt sans attendre de connaître son avis. Après tout, Cedrella n'avait qu'à se plier à ce qu'elles décidaient, et elle réaliserait son bonheur et son erreur à son retour.

Sauf que depuis son retour, Cedrella n'était pas heureuse du tout, et Charis le ressentait profondément. Quant à ses erreurs... elle risquerait difficilement de les oublier puisque Callidora les lui agitait sous le nez à longueur de temps. La situation, depuis le retour de Cedrella, n'était pas comme la jeune femme avait imaginé qu'elle le serait. Elle avait pensé que les trois soeurs retrouveraient leur complicité d'antan, mais ça semblait ne pas pouvoir être le cas. Le lien se retissait doucement avec sa petite soeur, mais ce n'était plus pareil, ce n'était plus la même chose, et elle le sentait. Et ça l'angoissait un peu par la même occasion. Harfang mettait le doigt sur une chose qu'elle n'avait pas très envie d'entendre. Tout était de sa faute.

"Tout ce que j'ai fait pour Cedrella, je l'ai fait dans son intérêt. Pas pour lui causer du tort ou gâcher sa vie", se défendit-elle tout en admettant la faiblesse de son argumentaire.

Harfang avait beau prétendre qu'il le savait, et Charis avait beau comprendre qu'il ne cherchait pas à la culpabiliser, elle avait bien du mal à ne pas prendre son propos à coeur. Elle n'aimait pas que l'on remette en cause l'affection qu'elle avait pour sa soeur alors qu'elle avait et pour Charis, et pour Callidora, un amour équivalent. Et oui, pour protéger ceux qu'elle aimait, pour leur propre bien, il fallait parfois consentir à des méthodes qui pouvaient sembler hasardeuses, mais qui restaient malgré tout nécessaires.

Harfang n'en donnait pas toujours l'impression, mais était attentif et de bon conseil, et Charis l'écoutait toujours avec attention, mais elle avait quand même parfois le sentiment que son beau-frère n'avait pas vraiment le sens des réalités, ce qui par moments pouvait réellement lui porter préjudice. Alors elle voulait s'obstiner à croire que c'était elle qui avait raison, en cet instant. Même si ça ne manquait évidemment pas de mauvaise foi.

"Je sais que tu tiens à Cedrella et que t'as l'impression que c'est pour son bien. Mais tu dois bien reconnaître que sa réintégration ne se passe pas comme tu l'avais imaginé, non ?"

Elle avait "l'impression"... de mieux en mieux. Elle restait certaine que ce n'était que pour son bien. Cedrella Black n'aurait eu aucun avenir avec Septimus Weasley. C'est vrai qu'elle et Callidora avaient donné un petit coup de pouce au destin, mais dans tous les cas, c'était de cette façon-là que les choses devaient se passer dans tous les cas.

En revanche, là où elle pouvait bien accorder un minimum de crédit à Harfang, c'est quand il lui faisait observer que sa réintégration ne s'était pas exactement bien passée. C'était effectivement le cas. Elle le regrettait, mais il fallait voir les choses en face malgré tout. Quand elle avait imaginé les retrouvailles avec Cedrella, elle s'était imaginée que sa petite soeur s'excuserait et que tout redeviendrait comme avant. Mais ce n'était pas le cas... La rancoeur s'était fait une bonne place de tous les côtés.

"D'accord, je te le concède. Mais ce n'est que le début, c'est normal. Cedrella a besoin d'un temps de réadaptation. Et Callidora..."

Elle n'avait pas d'excuse valable concernant son aînée.

"Callidora est inexcusable. Il va être temps que tu l’admettes. Elle ne mérite pas que tu lui trouves des excuses."

Charis baissa les yeux. Elle n'aimait pas entendre les propos de son beau-frère, mais elle ne pouvait malheureusement pas lui donner tort... Les deux soeurs se précipitaient, lentement mais sûrement, vers ce qui ressemblait à s'y méprendre à un point de non-retour, et encore, Charis était loin de tout savoir, d'avoir réellement tout compris de ce qui se tramait dans son dos depuis pourtant beaucoup trop longtemps.

Elle ne réalisait pas que l'on se jouait d'elle, en revanche, elle était aux premières loges pour constater combien l'on se jouait de Cedrella. Elle n'était pas innocente dans cette affaire bien sûr. Elle avait accepté de jouer elle aussi, et elle avait même pris le soin de mettre en place certaines des règles qui incombaient à ce jeu sordide, mais elle avait de plus en plus de mal à s'associer à tous ces agissements.

Le jeu ne semblait pas en valoir la chandelle, sous aucun aspect, pas le moindre. Et quand son regard se posait sur sa soeur, sur sess deux soeurs même, elle avait le sentiment de voir une inconnue, des inconnues. Est-ce que c'était elle qui avait tant changé ? ou bien ses soeurs ? Ou encore les deux en même temps ? Ce qui était certain, c'est que quelque chose s'était métamorphosé en profondeur, et elle n'aimait pas ça. Elle n'aimait pas ça du tout.

"Qu'est-ce qu'elle t'a fait ?" demanda directement Charis, ce qui était une manière de détourner l'attention d'elle, de ses propres sentiments et de ses propres angoisses. "Dernièrement tu es... intransigeant, envers elle."

Le couple n'avait jamais transpiré l'harmonie, c'est vrai, mais ces derniers temps, il n'y avait pas besoin de faire preuve d'un esprit d'analyse bien poussé pour réaliser que l'animosité d'Harfang pour son épouse était montée encore d'un cran. Il la détestait, c'était assez évident... plus qu'avant.

Qu'est-ce qui avait changé depuis ? Callidora était tombée enceinte, Cedrella était revenue. Est-ce que ça avait un rapport avec l'un ou l'autre ? Elle était bien incapable de le savoir ou d'en avoir le coeur net. Mais elle voudrait bien comprendre malgré tout. Quelque chose lui échappait, c'était clair et net. Oui. Mais quoi ?

"Oui, si tu veux mon avis, mon erreur a été de ne pas l'être plus tôt. Je ne peux pas t'en parler, mais il s'est effectivement passé quelque chose. Je préférerais que ce soit Callidora qui t'en parle, même si je doute qu'elle le fasse."

Le discours de Harfang ne laisse aucune place au doute. Il s'est passé quelque chose. Et de toute évidence, c'est quelque chose de grave. Charis n'irait pas jusqu'à dire qu'il était je m'en foutiste, mais ce n'était tout de même pas son genre de prendre les choses à ce point au sérieux...

Plutôt que je m'en foutiste, il faudrait sans doute le qualifier de désabusé. Il a tout vu, tout observé, et il avait fini par considérer que la meilleure des armes était l'indifférence. Donc ce qu'avait dû faire Callidora devait être grave, d'une façon ou d'une autre, et cela laissait Charis complètement perplexe.

Elles avaient déjà fait beaucoup de choses répréhensible, elle et Callidora, alors elle ne pensait pas que sa grande soeur puisse lui avoir caché quoi que ce soit. A moins...

Le plus grand secret que possédait Callidora, à la connaissance de sa petite soeur, du moins, c'était celui de son allégeance envers Lord Voldemort. Se pouvait-il qu'il s'agisse de cela ? Il avait peut-être eu vent de ses activités clandestines, et soit elle avait assumé la vérité, soit elle avait inventé un mensonge pour couvrir ses arrières.

Dans un cas comme dans l'autre, si sa théorie était la bonne, Callidora ne l'avait pas dénoncée et l'avait protégée. Oui, c'était finalement la théorie la plus probable. Et c'était alarmant. Il faudrait qu'elle ait une conversation avec Callidora. Mais en attendant, elle voulait chercher, subtilement, à confirmer ou invalider sa théorie.

"Tu sais, il n'y a rien que Callidora fasse qui ne vienne d'une intention sincère."

Elle était sûre et certaine de cela. Elle ne voulait pas croire que Callidora puisse être le monstre que tout le monde finissait par lui dépendre. Elle avait pu l'observer, sous des angles que d'autres ne connaissaient pas, et ne connaîtraient peut-être jamais. Ce qu'elles avaient fait à Cedrella, par exemple, pouvait sembler inexcusable, mais elles l'avaient fait avec la meilleure des intentions.