Q

uand nos vies rencontrent de sérieux bouleversements, on a parfois le sentiment que le moindre retour à la normale serait totalement impossible. Et pourtant, la vie finissait inéluctablement par reprendre son cours. En tout cas, c'était ce qu'Agrippine avait constaté pour elle-même mais il faut dire que la jeune femme n'était dans tous les cas pas du genre à se laisser démonter par les aléas de la vie. Il fallait toujours savoir retomber sur ses pattes, ça pourrait être son moto. Mais c'était vrai quand même que les récents événements l'avaient secouée plus qu'elle ne l'aurait imaginé. Se découvrir un père biologique qui n'était pas celui qui l'avait élevée, ça aurait de quoi remuer n'importe qui. Ca avait remis sa vie en perspective en quelque sorte. Mais pas au point de changer ses habitudes ou sa façon d'être, et donc, Agrippine était très vite revenue à sa bonne vieille routine, au bout du compte.

La jeune femme n'avait pas tout à coup regagné le droit chemin sous prétexte qu'elle s'était découverte être une Dragonneau, elle vivait toujours dans son appartement miteux de l'allée des embrumes, qu'elle aimait d'autant plus qu'il était miteux, justement. Et elle continuait ses petits trafics, sans vergogne. Elle était heureuse dans sa vie actuelle, alors pourquoi en changer, après tout. Elle vivait a vie, avec cette différence qu'elle avait à présent un père qu'elle apprenait à connaître, et peut-être qu'elle apprendrait à aimer avec le temps.  

Et parfois, quand on menait sa vie de tous les jours, on en découvrait de belles sur son entourage, qui lui faisait des entorses plus qu'inattendues à ses habitudes. C'était totalement par hasard qu'elle avait aperçu Ignatius sur le chemin de traverse. En temps normal, elle serait directement venue retrouver son frère, mais il n'était pas seul. Qu'il ne soit pas seul, soit, ce n'était pas non plus quelque chose d'incroyable. ce qui l'était davantage, c'est qu'il était avec une fille. Alors bon, ça pouvait arriver, elle ne disait pas... Mais il avait l'air... sacrément proche de cette femme. Vraiment très proche.

D'aussi loin qu'elle s'en souvenait, Ignatius n'avait jamais été avec aucune fille. Elle n'irait pas prétendre sans preuve qu'il n'avait jamais eu de relation mais quand même, ça y ressemblait fort, alors, forcément, la nouvelle lui avait, disons... troué l'arrière-train. D'autant plus que tant qu'à faire, s'il n'avait pas choisi la plus moche, il n'avait pas non plus choisi la plus... saine d'esprit. Carlotta Pinkstone avait sa petite réputation. Et elle, de son côté, elle avait un milliard de questions.

Qu'elle comptait poser au principal intéressé, raison pour laquelle elle était venue frapper à sa porte. Et aussitôt qu'il lui ouvrit, elle se précipita.

-Salut frangin. Ta copine est là ?

Autant mettre les pieds dans le plat tout de suite.

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A

grippine croisa les bras avec aux lèvres un sourire qui pourrait se traduire par un "On ne me la fait pas, à moi" quand elle entendit la réponse de son frère. Ignatius pouvait bien jouer les innocents autant qu'il le voulait, Agrippine n'était pas dupe. Elle n'était pas née de la dernière pluie. Elle savait parfaitement ce qu'elle avait vu, et elle ne se laisserait certainement pas abuser par le moindre bobard que le jeune homme chercherait potentiellement à lui servir. Il n'échapperait pas à son interrogatoire en règle, et il leur simplifierait la vie à tous les deux, de même qu'il leur ferait gagner un précieux temps, s'il ne tardait pas à passer aux aveux rapidement. Surtout que ce n'était pas la fin du monde non plus. Au contraire, même, Agrippine était totalement emballée par la nouvelle relation de son frère (enfin, nouvelle... première serait plus exacte). Elle voulait connaître les détails par simple curiosité déplacée, ça plus que tout autre chose.

-De qui je parle, tu veux dire, répondit Agrippine d'un ton amusé. Fais pas comme si t'avais déjà oublié, ce serait vraiment pas cool pour elle. Elle se rapprocha de lui, une lueur triomphante dans le regard. Laisse-moi te raffraîchir la mémoire, va. Une jolie brune, la peau foncée, sacrément bien fichue. Quoi ? C'était un constat. Agrippine était fière de son frère. Il avait pas choisi la plus moche. Et tant qu'à faire, il avait choisi un sacré nid à emmerdes par la même occasion. Et c'était ça qui lui plaisait le plus par la même occasion. Accessoirement terroriste, aussi, ajouta-t-elle dans un haussement d'épaules. Le mot était un peu fort aux yeux d'Agrippine. Carlotta Pinkstone n'avait jamais tué personne ni cherché à semer la terreur. Mais c'est quand même vrai qu'elle n'y allait jamais avec le dos de la cuillère quand il s'agissait de défendre ses idées... qui amusaient Agrippine plus qu'elles ne l'intéressaient, au passage. Si t'as pas envie qu'on le découvre, vous avez intérêt à être plus discrets que ça. Je dis ça comme ça, hein, mais maman aurait facilement pu tomber sur vous comme je l'ai fait. Si ça se trouve, elle est déjà au courant.

Agrippine en faisait des tonnes, mais en même temps, c'était comme ça, c'était son truc. Et quand il était question de leur mère, ça ne faisait qu'amplifier les choses. Elle était déjà contente que Wilhelmina Tuft soit tombée de son piédestal aux yeux de son fils, mais elle voulait bien continuer sur cette glorieuse lignée, tant qu'à faire. Qu'il fricotte avec l'activiste Carlotta Pinkstone, si ça pouvait faire enrager leur mère, elle en serait absolument ravie. En attendant, maman au courant ou pas, elle voulait quand même tout savoir : où ? quand ? comment ? pourquoi ? Elle voulait un récit détaillé.

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grippine afficha un sourire amusé quand son frère lui assura qu'il n'avait aucune raison de se cacher. Mouais mouais mouais... En attendant, s'il assumait réellement sa relation avec Carlotta, il n'aurait pas fait semblant quelques secondes plus tôt de ne pas savoir de quoi elle parlait exactement. Mais Agrippine ne le lui reprochait pas... En vérité, Ignatius avait de très bonnes raisons de vouloir se montrer discret à ce sujet : déjà parce que, à sa connaissance, il n'avait fréquenté aucune fille avant, ensuite, parce que le fils de la ministre de la Magie qui partage le lit d'une fille surveillée de très près par le ministère et qui est habituée à faire des séjours en prison... ça la foutait mal. Mais comme il voulait, s'il voulait prétendre se sentir parfaitement à l'aise avec sa situation, c'était très bien, ça voulait dire qu'il n'aurait aucun mal à en parler avec sa soeur adorée, pas vrai ? Vrai. De tout manière, ce n'est pas comme si la jeune femme avait l'intention de lui laisser le moindre choix quoi qu'il en soit. Ca non, ce n'était pas du tout prévu au programme. Elle ne s'était pas déplacée juste pour le confronter, elle voulait connaître le moindre détail croustillant, et elle refusait de s'être déplacée pour rien.

-Tu crois vraiment que je suis juste venue te dire ça ? Fais pas semblant de pas me connaître, ça devient vexant, répliqua Agrippine avec la plus grande légèreté.

Avant d'ajouter quoi que ce soit, elle se dirigea d'un pas léger jusqu'à la cuisine de son frère et s'appliqua à fouiller ses placards. Comment ça, ça ne se fait pas ? Peut-être, mais elle s'en fichait ? Elle considérait que cette discussion valait bien un verre... et de quoi grignoter, aussi, tant qu'à faire. A force de fouilles minutieuses, elle trouva une boite de gateaux qui semblait convenable, ainsi qu'une bouteille pleine d'un liquide ambré. Pas le temps de déterminer ce que c'était précisément, elle leur servit d'office deux verres et, armée de son attirail, elle installa le tout dans le salon avant de se laisser tomber dans un fauteuil avec un soupir d'aise.

-Je veux tout savoir, décréta-t-elle alors, ce qui était la chose la plus évidente au monde. Bien sûr, qu'elle voulait tout savoir ! C'était la moindre des choses, non. Elle était sa soeur, après tout, ils se devaient de tout partager. Tu l'as rencontrée comment ? Vous êtes ensemble depuis combien de temps ?

Elle fut tentée d'ajouter un "Vous l'avez fait ?" Mais connaissait la propension de son frangin au malaise, elle décida qu'il était préférable de garder ce sujet pour elle et de ne plus y penser pour le moment. Le plus simple restait encore d'y aller par étapes. Même si elle ne comptait pas tenir sa langue non plus, il ne faut pas déconner.

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grippine se doutait qu'il ne suffirait pas de demander des détails croustillants pour qu'Ignatius se plie à ses exigences et lui en raconte davantage sur sa relation avec Carlotta Pinkstone. Déjà, il acceptait de lui en parler et de lui dire un minimum d'informations à ce sujet... à ce titre, elle se rendait bien compte qu'elle pouvait s'estimer chanceuse. Ce n'était pas tout le monde qui aurait droit à cela, même si on pouvait considérer que ce n'était pas grand-chose. Agrippine avait appris à considérer, au fil du temps, les quelques gestes du jeune homme à son adresse comme des marques de confiances et d'affection, même si rien n'était jamais si simple. D'autant que là, la curiosité prenait tout de même singulièrement le dessus, forcément.

Donc, ils n'étaient pas ensemble depuis très longtemps. C'était vague, comme information, mais Agrippine réussissait à s'en contenter. Honnêtement, elle l'aurait pris très mal si Ignatius lui avait appris que Carlotta et lui fricottaient ensemble depuis un bon moment déjà... Agrippine ne cachait jamais rien à Ignatius, rien de ce qu'il acceptait d'entendre, du moins, alors elle n'aurait pas apprécié qu'il lui dissimule une relation sentimentale de longue date. Si ça ne remontait pas à loin, ça justifiait qu'il ne lui en ait pas parlé, il ne savait peut-être pas lui-même où tout ceci allait le mener.

N'empêche qu'elle restait tout de même sur sa faim au bout du compte. Ils s'étaient rencontrés au chaudron baveur, ils avaient discuté, et voilà... ça voulait tout et rien dire... Elle se demandait de quoi ils avaient bien plus parler. Elle imaginait que leur attirance mutuelle avait été spontanée, asse évidente au bout du compte. La jeune femme comprenait ça, quand bien même elle avait tendance, de son côté, à s'épargner l'aspect le plus sentimental de la situation pour juste en rester à l'attirance pure. Quelque chose de juste physique, donc. Ce pourrait être compréhensible, en ce qui concernait Ignatius, car il n'avait définitivement pas choisi la plus moche, Carlotta était une très jolie jeune femme. Mais Agrippine n'imaginait pas son frère se cantonner au physique. S'il avait mis si longtemps à se mettre en couple, ce n'était pas pour rien, Ignatius était, de toute évidence, un sentimental.

-Et puis voilà ? répéta-t-elle, l'air de rien.

Merlin, elle avait tellement de questions qu'elle ne savait même pas par quoi commencer. Ce qu'elle savait ,c'est qu'elle avait besoin d'en apprendre un peu plus dans tous les cas... Et qu'elle comptait bien obtenir ce qu'elle voulait (comme toujours), quand bien même elle avait bien compris qu'elle avait tout intérêt à ne pas aller trop vite en besogne, sous peine de se faire claquer la porte au nez.

-Tu l'aimes ? C'est sérieux entre vous ?

Autant commencer par ça. De cette question pouvaient découler toutes les autres. Même si elle aimait chambrer son frère, elle ne voulait pas le mettre dans l'embarras non plus.

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u fond, la réponse d'Ignatius n'étonnait pas franchement Agrippine, surce point comme sur beaucoup d'autres, le frère et la soeur étaient aux antipodes l'un de l'autre. Quand Agrippine enchaînait les relations en refusant par-dessus tout de s'attacher et refusait très clairement de tomber amoureuse (décision qui lui était facilitée par le fait que ce sentiment n'était de toute évidence pas à la portée de sa personnalité brisée), Ignatius, lui, était un grand romantique : il n'avait jamais eu de petite amie, mais il aurait sans doute pu, s'il avait été moins exigeant.

Il était ce genre de personnes qui attendent "la bonne", et donc, s'il était avec Carlotta, c'est qu'il pensait l'avoir trouvée en elle. Ou en tout cas ce qui s'en rapprochait le plus, car Agrippine restait convaincue que Lindsay tiendrait toujours la place d'honneur dans le coeur d'Ignatius. Donc oui, évidemment, c'était sérieux, on ne peut plus sérieux, même. Et s'il n'était pas amoureux d'elle, il était sans doute le plus proche d'une femme qu'il puisse l'être. Et donc... donc, Agrippine ne s'arrêterait pas là. Elle sentait que son frère était gêné, mais tant pis, si elle ne forçait pas un peu les choses, elle ne devrait s'attendre à rien. Ignatius avait besoin qu'on le bouscule, et ça tombait bien, Agrippine était la meilleure pour bousculer les gens.

-Je suis contente pour toi, répondit-elle dans un grand sourire.

Et c'était vrai, si Agrippine ne croyait pas en l'amour pour elle-même, elle y croyait chez les autres, elle y croyait dur comme fer, même. Et elle pensait que quelqu'un comme Ignatius avait justement besoin de quelqu'un dans sa vie, une femme à aimer, et qui de préférence ne soit pas leur mère. Carlotta n'avait rien d'une Wilhelmina bis, elle était son opposée, c'était rassurant. Il s'était peut-être choisi un nid à emmerdes comme on en fait rarement, mais ça lui ferait du bien. C'était comme ça, Ignatius avait besoin qu'on lui secoue les puces.

-Je la connais pas bien, mais je pense que vous allez très bien ensemble. J'ai hâte de faire plus ample connaissance avec elle.

Et évidemment, le sous-entendu était clair. Elle ne connaissait Carlotta Pinkstone que de réputation, mais elle avait la ferme intention d'en connaître plus à son sujet. Elle était convaincue que toutes les deux pourraient s'entendre à la perfection, et si Ignatius ne s'arrangeait pas pour les faire se rencontrer, toutes les deux, elle se débrouillerait autrement pour mieux connaître cette fille qui avait réussi à faire chavirer le coeur de son frère. La famille était une chose compliquée, mais quitte à recomposer un peu leur famille désunie, y intégrer la faiseuse de troubles Carlotta Pinkstone était l'idée du siècle.

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accord, il était sans doute préférable de ne rien précipiter, c'était une chose qu'Agrippine voulait bien admettre. Il avait fallu longtemps à Ignatius pour se mettre en couple, il était normal qu'il préfère attendre avant d'officialiser les choses. Mais Agrippine s'en fichait bien, de ça. Ce n'est pas qu'elle voulait à tout prix mettre son frère mal à l'aise, mais elle s'intéressait sincèrement à sa vie. Elle connaissait Carlotta Pinkstone de réputation, et ça lui avait suffi à la trouver intéressante, intriguante. Elle avait envie de les voir, Ignatius et lui, ensembre, et aussi s'assurer que la jeune femme prenait lui aussi les choses sérieusement. La dernière chose dont Ignatius ait besoin à l'heure actuelle, c'était d'un coeur brisé.

Elle savait bien que toutes ses relations étaient fragilisées par les circonstances, dernièrement : la situation était tendue avec Wilhelmina (ce qui comblait Agrippine de joie, au passage),il avait dû accepter le fait que son père n'était pas le modèle d'intégrité et de vertu qu'il avait cru... et même elle, elle savait bien qu'il avait peur de la perdre. Aucun risque là-dessus, certes, mais c'est sûr que ça devait lui faire du bien d'entretenir une relation toute neuve avec une personne qui ne soit pas de sa famille, et elle espérait de tout coeur que cette relation serait véritablement sérieuse. Ignatius méritait d'être heureux plus que n'importe qui d'autre en ce bas monde. Ce qui faisait donc qu'elle était incapable d'attendre que son frère se sente prêt à les présenter pour vouloir apprendre à mieux connaître cette jeune femme. Elle n'y pouvait rien, elle était juste impatiente. Enfin une excellente nouvelle dans la vie de son frère, comment voulez-vous qu'elle ne soit pas tentée d'y mettre son grain de sel ? C'était plus fort qu'elle, ça.

-Ben ça va, dis tout de suite que je suis terrifiante, tant que t'y es ! répliqua-t-elle avec un sourire aux lèvres qui laissait clairement entendre qu'elle n'était pas vexée le moins du monde.

Elle n'avait aucune raison de l'être, en même temps. Il est vrai qu'on pouvait éventuellement s'inquiéter des intentions de la jeune femme, pourtant ces dernières étaient parfaitement innocentes, vraiment. Elle était pleine de bonnes intentions, aucune arrière-pensée en tête. Sans doute qu'elle bousculerait un peu Carlotta lors de leur rencontre, juste histoire de, mais vu l'énergumène, elle semblait avoir les épaules solides et être parfaitement capable d'encaisser ce qu'elle pourrait bien avoir à lui dire. C'était aussi pour ça qu'Agrippine était si convaincue que ça pouvait coller, avec elle. Elle n'attendait que de l'apprécier, très honnêtement et sans ironie là-derrière.

-Tu lui as parlé de moi ?

Ce qu'elle entendait par là, ce n'était pas le fait qu'il ait glissé au passage le fait qu'il ait une soeur, il savait forcément. Elle se demandait surtout jusqu'où il avait autorisé ses confidences.

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I

gnatius ne répondit pas explicitement à sa question, mais sa réponse suffisait à ce qu'Agrippine s'en fasse sa propre interprétation, et elle ne pensait pas que cette interprétation soit fausse ou sujette à la moindre rectification. Il lui faisait comprendre que lui et Carlotta parlaient de tout. Pour elle, ça voulait dire qu'il lui avait parlé de tout, aussi bien de leur mère, de leur père, que d'elle, et sans faire de détours, sans en passer par des circonvolutions inutiles. La jeune femme était heureuse pour Ignatius, vraiment. Elle ne pourrait sans doute pas s'empêcher de chambrer son frère, parce qu'on ne se refait pas, tout simplement, mais elle pensait que cette relation était pile celle dont le jeune homme avait besoin, surtout à ce moment de sa vie.

Dans tous les cas, ça lui faisait sans doute le plus grand bien d'être investie émotionnellement auprès d'une personne du sexe opposé, mais en plus de cela, il se sentait suffisamment à l'aise pour discuter librement avec elle de tous les sujets qui lui tenaient à coeur. Et qui ne trahirait sans doute pas sa confiance. Ignatius était entre de bonnes mains, et ça rassurait Agrippine. Même si elle était la petite soeur, elle ressentait comme le devoir de veiller sur son frère. Surtout avec les récents événements. Elle se sentait évidemment responsable de son bien-être. Ou de son mal-être, selon. Elle ne pouvait pas être sur ses côtes constamment, elle ne pouvait pas toujours s'assurer qu'il se portait bien, que tout allait au mieux pour lui... Alors savoir qu'il avait une autre épaule sur laquelle se reposer, c'était juste terriblement agréable, à ses yeux. Et puis, ça se voyait, qu'il tenait à elle. Il suffisait de savoir quel sourire il affichait rien qu'en évoquant sa petite amie. Agrippine n'avait jamais connu ça, ni ne cherchait cela, de près ou de loin, mais elle aimait le découvrir chez son frère. Elle, elle avait tout sauf besoin d'une relation exclusive et sentimentale. Mais Ignatius n'était pas dans ce cas, lui, et elle était heureuse qu'il ait trouvé chaussure à son pied. Elle espérait de tout coeur que cela dure, parce que si quoi que ce soit devait se passer, Agrippine sentait d'avance qu'elle allait devoir rammasser son frère à la petite cuillère. Et clairement, elle se l'épargnerait bien. Agrippine avait envie de répéter qu'elle était heureuse pour lui, mais elle comprenait que ce n'était pas forcément une bonne idée. Déjà, il était assez à l'aise pour lui parler d'elle, c'était important.

-Tant que tu n'oublies pas de me parler aussi, répondit Agrippine d'un ton amusé.

Ignatius lui avait bien fait une crise de jalousie concernant sa nuvelle famille, elle pouvait bien se permettre de prétendre lui faire une crise à son tour, pas vrai ?

-Si elle sait déjà tout de notre histoire dans tous les cas, je vois vraiment pas ce que t'attends pour me la présenter.

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A

grippine se contenta d'afficher un sourire en coin quand son frère lui fit remarquer qu'il avait besoin de temps en guise de justification. Ca, ce n'était effectivement pas un scoop. Elle n'irait pas dire que son frère était lent à la détente, parce qu'elle ne le pensait pas du tout, mais elle aurait plutôt tendance à trouver qu'il se montrait un peu trop... prudent, tout l'inverse d'elle, donc, qui ne l'était jamais assez. Oui, Ignatius prenait bien souvent le temps. Pour tout. Pour voir le vrai visage de son père, pour se rapprocher d'elle, pour canaliser ses craintes et sa jalousie, pour se trouver une petite amie... (et encore, elle ne savait pas exactement jusqu'où ils étaient allées, mais elle se doutait que si elle commençait à poser des questions d'ordre intime à son frère, elle allait le perdre pour de bon). Ce n'était pas grave, c'était son rythme à lui, et au moins, il prenait la peine de bien analyser chaque situation, il ne fonçait pas dans le tas au risque de se prendre un mur, avec presqu'au fond de lui l'envie d'effectivement manger un mur. Ce qui était son cas à elle.

Ceci dit, si elle pouvait comprendre qu'il ne veuille pas se précipiter, de même qu'elle pouvait éventuellement comprendre qu'il ne souhaite pas lui présenter sa petite amie tout de suite (que ce soit parce que leur relation était encore récente bien que sérieuse ou parce qu'Agrippine était un sacré numéro - mais Pinkstone aussi, de ce qu'elle savait), elle espérait tout de même qu'il ne la ferait pas trop mariner, elle avait vraiment envie de la voir et de lui parler, cette fille. Même pas par jeu ou pour embarrasser Ignatius... juste pour pouvoir voir son frère heureux, sincèrement heureux. Elle avait envie de le voir comme ça. Si quelqu'un en ce bas monde méritait le bonheur, aux yeux d'Agrippine, c'était lui, personne d'autre, et elle était heureuse qu'il ait trouvé ce bonheur dans les bras d'une jolie brune - en espérant que ça dure et que quelque chose ne vienne pas tout faire foirer. Suggestion pessimiste, mais dans leur famille, c'était juste réaliste.

-Comme tu voudras, mais tu sais bien que je déteste prendre mon temps, moi, répondit Agrippine en croisant les bras. Et puis, si tu mets trop longtemps, je finirais par croire que tu as honte de ta petite soeur.

Bon, là, en l'occurrence, elle s'amusait surtout à titiller son frère plus qu'elle n'était sérieuse. Dans le fond, elle pouvait bien se permettre d'attendre, elle trouverait bien une façon de s'occuper en attendant. Une ou plusieurs, même.

-Attends pas de te marier et d'avoir une ribambelle de marmots pour ça quand même. En plus, ça la foutrait mal si leur marraine avait jamais rencontré leur mère.

D'accord, elle devait arrêter, mais c'était trop tentant. Et il était si facile de mettre son frère mal à l'aise.

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B

ien sûr, Agrippine n'était absolument pas sérieuse en cet instant précis, loin de là. Et pour cause, elle pensait suffisamment bien connaître son frère pour savoir qu'il n'était absolument pas du genre à griller les étapes ou à se montrer trop impulsif. C'était déjà un pas immense pour lui que de s'être trouvé une petite amie - pas seulement l'avoir trouvée mais l'avoir fait tomber sous son charme et entretenir une relation avec elle qui ne soit pas imaginaire -, il n'était pas nécessaire de lui mettre un peu plus la pression, complètement inutilement, en invoquant de façon vraiment sérieuse l'idée qu'il se marie et ait des enfants. Oh, du point de vue d'Agrippine, cela arriverait forcément.

Certaines personnes pouvaient être maladroites et malgré tout être façonnées pour mener une vie de famille. Agrippine ne savait voir un Ignatius plus vieux que la bague au doigt et quelques enfants à nourrir. C'était comme ça, et c'était très bien ainsi, même si Agrippine n'était pas du tout faite du même bois à ce sujet et serait la dernière personne au monde à s'imaginer mariée et avoir des enfants. Elle était prête à parier tout ce qu'elle possédait, d'ailleurs (même si ce n'était pas grand-chose), que ça n'arriverait pas. Bref non, le but n'était évidemment pas de mettre la pression à Ignatius, uniquement de le taquiner.

Et elle était ravie de constater que cela marchait, selon toute vraisemblance, à la perfection. Ils avaient largement le temps de voir venir, donc, et c'était très bien comme cela. Agrippine ne savait même pas si ça durerait, avec Pinkstone, elle le souhaitait à Ignatius, mais en même temps, elle ne le lui souhaitait pas complètement non plus, parce que la jeune femme estimait qu'il fallait faire des expériences, elle trouvait ça aventureux de choisir une personne et une seule et se dire que ça durerait toute la vie. Même leur mère qui se présentait en parangon de vertu n'avait pas été capable de s'y tenir, alors que pourraient-ils y faire, eux. En attendant, donc, elle se contentait d'être contente pour lui, ravie que son frère profite de la vie, tout simplement, sans forcément se poser beaucoup plus de questions, pour une fois. Même si elle était prête à parier qu'il se posait en vérité plus de questions que ce qu'il voulait bien montrer en apparence.

-Forcément que je suis sûre de moi puisque je te laisse pas le choix. C'est une des conditions inchangeables si tu me laisses faire partie de ta vie. Que ça te plaise ou pas, c'est dans le contrat.

D'accord, il n'y avait évidemment pas de contrat, mais en même temps, puisqu'il était la personne la plus importante pour elle, elle était en droit de vouloir être la personne la plus importante pour lui, pas vrai ?

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A

grippine afficha un sourire en réponse aux propos de son interlocuteur. Elle savait bien qu'il n'était pas sérieux : leur relation était particulière, elle avait eu des hauts, beaucoup de bas, mais au bout du compte, Ignatius était la personne qui comptait le plus aux yeux d'Agrippine, et elle voulait croire avoir une place tout aussi importante aux yeux d'Ignatius. Alors oui, il en faudrait plus pour qu'ils ne fassent pas partie de la vie l'un de l'autre. Bon, Agrippine l'aurait honnêtement mauvaise si son frère devait un jour avoir un enfant et décider de choisir une autre marraine. Mais en effet, ils avaient du temps, et la jeune femme n'était pas spécialement pressée d'être tata, même si Ignatius n'avait pas non plus toute la vie devant lui. Il n'était plus dans sa vingtaine, après tout. Mais peu importe ce qu'il ferait ou choisirait, ce qu'Agrippine voulait que son frère retienne, surtout, c'était qu'elle soutenait ses choix, qu'elle serait présente pour lui quoi qu'il advienne.

Non, ce n'était pas pressé, c'était une relation encore neuve, et Agrippine adorait ce qu'elle évoquait chez son frère. Il vivait pleinement sa première vraie relation sentimentale. Alors, certes, il le faisait assez tardivement, mais ce n'était pas très important, ce qui comptait, c'est que cette fille le rendait vraiment heureux, et ça se sentait. Il s'engageait dans une relation forte, sincère et solide, et Agrippine ne pouvait rien souhaiter de plus - ni de moins à Ignatius que cela. D'être heureux, de réussir à façonner son bonheur indépendamment de tout ce autour de quoi il l'avait construit jusqu'ici : à savoir ses parents, concernant lesquels il avait évidemment été dans l'obligation de déchanter au regard de ce qu'il avait découvert a posteriori à leur sujet.

-J'adore te voir comme ça, répondit-elle avec un sourire sincère.

Elle avait déjà vu Ignatius amoureux, parce qu'il avait été amoureux de Lindsay presque toute sa vie, mais cet amour n'avait jamais vraiment eu l'opportunité de le rendre heureux et épanoui. Va savoir s'il était possible de construire une relation véritablement épanouie avec une terroriste notoire, mais ce qui comptait, c'était son ressenti. Cette relation tombait à point nommé dans la vie de son frère, mais au fond, elle n'aurait sans doute pas pu avoir lieu avant. Il fallait que son frère fasse le deuil d'une pression parentale trop forte pour réussir à vraiment aller de l'avant. Elle était si heureuse pour lui, si fière de lui. Son bonheur faisait le sien.

-Tu mérites tellement ce bonheur-là.

Celui qu'il n'était donné de ressentir qu'à ceux qui savaient donner de la valeur aux relations sentimentales, qui ne fermaient pas leur coeur à l'éventualité même de leur existence dans leur vie. Mais même si Agrippine n'en voudrait pas pour elle, elle sentait que son frère avait eu besoin de ça. De connaître l'amour dans toute sa réciprocité.

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C'

était en voyant son frère à ce point rayonnant qu'Agrippine remarquait à quel point Ignatius l'était rarement. Tout compte fait, et même si c'était arrivé plus d'une fois, bien sûr, rares avaient été les occasions pour elle de le voir sourire, et encore plus rarement avec un tel sourire aux lèvres. A voir son frère ainsi, Agrippine ne pouvait qu'être heureuse pour lui, sincèrement heureuse. Et elle espérait de tout coeur que cette histoire ne lui apporterait que du bonheur et ne lui briserait pas le coeur. Si l'amour avait cet effet-là sur lui, elle ne pouvait que l'encourager à y sauter à pieds joints. Bien sûr, c'était une prise de risque, encore plus quand on s'entichait d'une fille telle que Carlotta Pinkstone, mais le jeu avait l'air d'en valoir largement la chandelle. Il était si évident, dans son cas, que la situation lui faisait du bien; Il avait de nouvelles perspectives, qui dépassaient le cadre strict et restreint du ministère ou de la famille Tuft. Il s'émancipait, quelque part. A rebours, tardivement, certes, maiis il le faisait, et c'était là-dessus, sur ce constat, qu'Agrippine préférait se concentrer.

-Bien sûr que je le mérite, je mérite tous les bonheurs du monde, répondit la jeune femme avec légèreté quand ce dernier lui assura qu'elle aussi mériterait un bonheur "comme celui-là". Mais je suis très heureuse tu sais.

Est-ce que c'était vrai ? Oui et non. Elle se sentait bien dans sa vie, elle assumait à cent pour cent ses choix de vie, parce qu'ils avaient fait d'elle qui elle était, et elle ne se verrait pas formuler le moindre regret ou la moindre réserve à ce sujet. Elle se sentait bien, oui, mais elle n'allait pas prétendre qu'elle était au comble du bonheur non plus. Elle restait hantée par un passé douloureux, même si elle savait parfaitement bien le cacher, elle continuait de mener une vie dangereuse et précaire qui, forcément lui épargnait tout sentiment de sécurité, mais ça ne l'empêchait pas de bien le vivre. Sa vie à l'heure actuelle ne reposait que sur des choix conscients que personne n'avait dicté à sa place, et ça, clairement, ça lui faisait plaisir, ça lui faisait du bien. Le plus grand bien, même.

-Mais par contre, les grandes et belles histoires d'amour, très peu pour moi. Toi, t'étais fait pour ça. Tu t'en rendais peut-être pas compte, mais c'est le cas, mais c'est pas donné à tout le monde. Je suis pas faite pour ça. Et c'est pas grave, c'est même très bien.

Elle ne voulait pas tomber amoureuse et était heureuse de constater que cette perspective ne lui pendait absolument pas au nez. Elle voulait bien être romantique en ce qui concernait les autres, mais pour elle-même, elle n'en avait juste rien à faire, voilà tout.

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-J

e le suis, répondit Agrippine avec un sourire sincère quand son frère observa que l'essentiel, c'était qu'elle se sente heureuse. Et c'était le cas, en effet, elle se sentait vraiment heureuse...

Pas complètement, pas tout le temps. Elle portait malgré tout les stigmates d'une enfance meurtrie, et elle ne pouvait pas prétendre que ce n'était pas le cas, mais elle le vivait bien, tout compte fait, parce qu'à côté de ça, elle avait gagné quelque chose qui valait tout l'or du monde à ses yeux. Elle était libre, et rien ne comptait plus à ses yeux que cette pensée, celle qu'elle était bel et bien libre, et capable de faire absolument tout ce qu'elle voulait, sans aucune condition, sans rien redouter. Oui, rien n'était si simple, mais Agrippine n'envisageait pas de se plaindre, la vie qu'elle avait décidé de mener était définitivement la meilleure qu'elle pouvait vivre, et c'était ce qui comptait.

-Bien sûr que si, c'est fait pour toi, Ignatius. Je te connais par coeur, d'accord, je te connais mieux que personne, alors si je te le dis, c'est que c'est vrai, insista la jeune femme alors que son frère remettait ses propos en question. De toute manière, est-ce que je dois te rappeler que j'ai toujours raison ? Parce que oui, j'ai toujours raison, garde bien ça en tête, ajouta-t-elle avec un fin sourire au coin des lèvres.

C'était loin d'être vrai, mais en ce qui concernait son frère, elle voulait tout de même croire que oui, elle le connaissait tout de même mieux que personne. Ils n'avaient jamais eu le même caractère ni les mêmes aspirations, mais elle en savait bien assez sur lui pour savoir ce qui pouvait être bien pour lui ou non. Elle n'avait aucun doute quant au fait qu'Ignatius ferait un jour un parfait mari voire même un parfait père de famille s'il le décidait. Elle n'avait aucun doute à ce sujet. Ignatius valait dans tous les cas bien mieux que ce qu'il était capable de s'imaginer à son propre sujet.

-C'est clair que moi non plus je ne m'imaginais pas qu'on en arriverait là, confirma Agrippine, qui ne savait pas vraiment si Ignatius l'entendait en bien ou en mal. Les choses avaient tellement changé pour eux : c'était à peine compréhensible. Mais c'est une bonne chose pas vrai ? Elle, en tout cas, elle considérait que c'en était effectivement une. Il fallait voir les choses sous le meilleur des angles. Ils évoluaient, et Ignatius encore plus qu'elle, il s'extirpait du giron familial pour devenir sa propre personne, et franchement, on partait de loin. Je suis fière de toi, tu le sais ça ?

Peut-être qu'il s'en ficherait, ou affirmerait que ce n'était pas forcément une bonne chose, mais c'est ce qu'elle pensait néanmoins.

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