Lou pensait tout arrêter. C'était son projet. Elle attendait d'en finir avec Poudlard, puis, comptant sur Prewett pour honorer sa promesse de la protéger une fois ses études finies. Elle cesserait d'être un mangemort et épouserait pleinement son rôle au sein de l'Hydre.

Oui, c'était son projet... mais les choses ne s'étaient finalement pas passées comme ça. Elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait plus. Plus maintenant qu'elle était avec Abraxas. Pour elle, ça avait totalement changé la donne.

On lui reprochera sans doute d'être naive ou de ne pas apprendre de ses erreurs, mais peu importe. C'était l'amour qui l'avait poussé à rejoindre les mangemorts, alors chevaliers de Walpurgis à l'époque, et c'était l'amour qui la poussait encore à reculer d'un pas... pour l'instant du moins.

Cela ne changeait pas ses intentions. Elle pensait toujours que les idées de Tom étaient les bonnes, elle avait cessé de penser, seulement, qu'il était le leader qu'il leur fallait. Si l'Hydre jouait bien ses cartes, son dilemme ses problèmes se résoudraient d'eux-mêmes quoi qu'il en soit. Alors elle restait. Et chacune des réunions des mangemorts était un exploit.

Pour le coup, son comportement naturellement effacé, le fait qu'on la prenne instinctivement pour une personne inutile, un élément du décor, l'arrangeait bien. De cette manière, elle n'attirait pas l'attention, et personne ne se doutait du double jeu qu'elle menait... chose au-delà de préférable quand on savait ce qui était arrivé à Aaron (d'ailleurs, elle allait sûrement devoir le remplacer au pied levé, non ? Si ce n'était pas déjà le cas)... Mais c'était difficile, malgré tout.

Il y avait, heureusement, parmi les mangemorts, des personnes à qui elle tenait très sincèrement, et qui rendaient cette situation plus supportable, mais ce n'était pas simple pour autant de supporter la présence de Tom... Bref, dans tous les cas, c'était passé, maintenant. Elle n'avait plus qu'à rentrer chez elle... mais chez elle, en ce moment, avec les lubies parentales, ce n'était pas mieux qu'ici.

« Tu ne rentres pas ? »

Lou tourna son regard vers Raani, l'une de ses personnes qui rendaient pour elle les réunions de mangemorts plus acceptables, plus supportables.

"Je ne suis pas encore décidée", répondit-elle, puisque c'était vrai. "Et toi ?"

Si Raani n'était pas pressée de rentrer, Lou apprécierait de passer du temps avec elle, leurs conversations lui faisaient toujours du bien.

« Je ne sais pas, disons que cela dépend de ce que tu me proposes. »

Lou afficha un fin sourire. Elle appréciait l'attention que lui portait Raani, l'air de rien, c'était agréable de compter pour quelque chose auprès de certains de ses collègues mangemorts. Il y avait des exceptions, bien sûr (et Abraxas était évidemment la plus belle d'entre elles), mais clairement, elles n'étaient pas si fréquentes.

Elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même, sans doute, puisqu'on la trouvait effacée et inutiles. Possible que ce soit un peu le cas, mais quoi qu'il en soit, même si elle pensait qu'il fallait se méfier de l'eau qui dort en ce qui la concernait, cela lui convenait très bien qu'on l'imagine être bonne à rien et trop discrète. Parce que tant qu'elle l'était, personne ne se souciait ni se méfiait d'elle. Elle était transparente, somme toute, ce qui lui allait parfaitement bien. Elle n'en demandait ni plus, ni moins... Mais aimait tout de même, de temps en temps, être un peu... reconnue ou du moins appréciée parmi ses pairs. Même s'ils ne l'étaient finalement qu'en apparence.

Elle avait tout son temps devant elle dans tous les cas, et elle était contente de pouvoir passer un peu de temps avec son amie. Juste se détendre et boire un verre lui ferait de bien. Plus de bien que de rentrer chez elle, en tout cas. C'est que ces derniers temps, ses relations avec sa famille étaient un peu... tendues... et elles avaient peu de chances de s'améliorer, puisque Lou ne faisait absolument rien pour. Elle était une grande fille dans tous les cas, elle n'avait pas de couvre-feu à respecter, alors...

"Dans ce cas, qu'est-ce que tu dirais d'aller prendre un verre ?" suggéra-t-elle simplement.

Elle n'avait pas d'idées plus démesurée, mais elle n'avait pas besoin de plus, en fin de compte. Cela lui convenait très bien de juste partager un verre avec une personne qu'elle considérait véritablement comme une amie. Peut-être que la conversation aurait un peu trop tendance à tourner autour de leur allégeance, peut-être pas du tout, dans tous les cas, la présence de Raani lui serait forcément bien plus agréable que celle de ses géniteurs, donc pourquoi se l'épargner ?

« J’en dis que c’est une excellente idée. Tu vois, tu fais bien de prendre des initiatives, cela te réussit. »

Lou prit la remarque de Raani avec le sourire, mais elle pouvait tout de même reconnaître qu'il y avait un fond de vérité là-derrière, peut-être un peu trop criant, même. Car la simple perspective de décider de ce qu'il convenait de faire à un moment T lui aurait été impossible il n'y a pas si longtemps, comme si elle ne se trouvait tout simplement pas la légitimité d'imposer une décision aussi anodine que celle qui consistait à suggérer de boire un verre quelque part.

Sur ce point (et plusieurs autres, pensait-elle), elle considérait avoir bien évolué... Cela ne se voyait pas forcément, et elle avait encore beaucoup de travail sur elle-même à faire, mais l'idée que ce ne soit pas si flagrant n'était pas pour lui déplaire. C'était moins éprouvant de s'entendre être considéré comme quelqu'un d'invisible et d'inutile quand on choisissait qu'il ne s'agissait que d'une couverture. C'était usé jusqu'à la corde, de suggérer de toujours se méfier des apparences, mais dans son cas, elle trouvait que c'était approprié.

« Le Chaudron Baveur ça te va ? Je ne pense pas qu’il y ait foule à cette heure-ci. »

Lou hocha la tête. Dans tous les cas, elle ne comptait pas se montrer très difficile, du moment que Raani ne lui suggérait pas de se rendre dans le rade le plus mal famé de Grande-Bretagne. Donc le Chaudron baveur, ça lui allait très bien.

Il ne fallut pas plus longtemps pour qu'elles se rendent sur les lieux en question, et trouvent une table tranquille. En effet, à cette heure, les lieux n'étaient pas peuplés. C'était tant mieux : Lou avait horreur des lieux bondés, où on ne parvenait même plus à s'entendre parler.

"Je ne t'ai même pas demandé comment tu allais.", dit-elle une fois qu'elles furent installées. "Quoi de neuf depuis la dernière fois ?"

Sans doute pas grand-chose... ou pas grand-chose qu'elle décide de lui dire. C'était possiblement une simple présomption, mais comme tout se savait dans leur milieu, on pouvait envisager qu'elle serait déjà au courant s'il s'était passé quelque chose de significatif. Mais tout ne se savait pas toujours, et même les informations les plus insignifiantes pouvaient parfois être intéressantes.

« Ce n’est rien. »

Si Raani le lui disait, Lou savait qu'elle pouvait le croire. Raani était du genre direct, elle n'avait pas sa langue dans sa poche, parfois, c'était décontenançant, mais en même temps, c'était aussi confortable, vraiment, parce que comme ça, elle savait à quoi s'en tenir.

Lou avait eu sa dose de personnes fausses, de personnes qu'elle ne pouvait pas se permettre de croire sur parole, de personnes qui cherchaient à la mener en bateau, alors l'honnêteté de Raani lui faisait du bien. C'était peut-être pour cette raison, aussi, que la jeune femme avait fini par s'en faire une amie.

« Je vais bien, je mène ma petite vie tranquillement. Je n’ai pas de grande nouvelle à annoncer malheureusement. »

Tranquillement, tout restait relatif, quand on portait la marque des ténèbres. On ne pouvait pas prétendre, du moins, au même train de vie que la plupart. Mais c'était une chose qu'ils savaient, au point qu'il n'était sans doute même pas nécessaire de le mentionner au bout du compte.

Si elle allait bien, c'était tout ce qui comptait, et s'il n'était question de ce "malheureusement", Lou se contenterait d'observer que pas de nouvelles, bonne nouvelle. C'était une observation assez bateau, mais en même temps, elle était bien souvent vérifiable. Mais ce "malheureusement" lui mettait le doute. Peut-être que Raani trouvait sa vie trop calme, voudrait qu'elle ait plus de piment, aimerait pouvoir avoir des choses à annoncer, justement.

Lou se faisait peut-être une trop grande interprétation des choses, c'était dans son caractère, elle avait tendance à se poser des questions sur tout, ce qu'elle devait encore corriger de confiance en elle. Parfois, elle finissait par considérer que c'était une qualité, mais pas forcément dans les circonstances actuelles.

« Et toi, des choses à dire ? »

"Tu sais bien que j'ai la vie la plus insignifiante du monde", répondit Lou avec un fin sourire, pas pour se lamenter, mais avec légèreté, parce que c'était ce que tout le monde pensait d'elle, alors elle préférait le prendre avec ce dont elle était capable de dérision, contrairement à ce que beaucoup pensaient peut-être. "Disons qu'il y a un grand changement significatif." Elle marqua une pause, comme pour ménager le suspense. "D'ordre sentimental."

A elle, elle pensait qu'elle pouvait en parler. Et puis, ce n'était plus tout à fait un secret non plus.

A voir les yeux de Raani pétiller, Lou comprit qu'elle avait bel et bien réussi à éveiller l'intérêt de son interlocutrice. En même temps, on peut dire qu'elle avait choisi la voie de la facilité. Elle aurait eu la même réaction si les rôles avaient été inversés.

Même si le sujet, sans être sensible, lui accordait une marge de manoeuvre légèrement limitée, en fin de compte. Elle n'avait pas vraiment décidé de ce qu'elle s'accordait à lui apprendre ou non. Mais en même temps, elle faisait confiance à son interlocutrice.

« Et tu oses prétendre avoir la vie la plus insignifiante du monde ? »

Lou esquissa un fin sourire à cette remarque. Elle aimait le fait de ne pouvoir que le prétendre, sans que ce soit vraiment le cas. En soi, le fait d'avoir un garçon dans sa vie n'était pas quelque chose de si important, compte tenu de tout ce qu'elle vivait en parallèle, entre l'Hydre et les mangemorts, mais c'était ce dont elle pouvat parler le plus librement, et puisqu'elle même ne s'était pas imaginée une seule seconde se remettre en couple après sa rupture avec Tom, ça n'avait rien d'un non-événement.

Non, sa vie n'était pas insignfiante, mais elle continuerait de le laisser croire à ceux qui choisissaient de la considérer avec mépriset indifférence. Elle n'avait pas besoin de leur donner tort. Qu'elle sache qu'ils aient tort lui suffisait largement.

« Je le connais ? Ça dure depuis quand ? Comment ça s’est passé ? Je veux absolument tout savoir, dans les moindres détails. »

"Ça fait cinq mois à peu près."

Elle n'avait pas compté les jours et les heures non plus, mais elle garderait ce moment en mémoire très longtemps malgré tout. Cinq mois. A dire ces mots à voix haute, elle réalisait que ça commençait effectivement à faire un petit moment, mais en sa compagnie, elle ne voyait pas le temps passait. Elle avait l'impression d'être avec lui depuis une éternité, et en même temps que leur histoire avait commencé la veille.

"T'es la première à qui j'en parle", dit-elle avec un léger pincement au coeur en songeant que s'il y avait une personne avec qui elle avait vraiment envie de parler, c'était Ines, sauf qu'elles ne se reparlaient toujours pas. "Et je préférerais que ça reste entre nous." Et elle voulait faire confiance à Raani pour ne pas le répéter. "C'est Abraxas."

« Malefoy ? Depuis quand vous êtes proches tous les deux ? »

La surprise de Raani était évidente, et Lou ne la lui reprochait pas. Elle mettait au défi quiconque d'avoir un jour pu parier sur leur relation tant elle paraissait, de prime abord, improbable. Elle la première n'y aurait pas cru du tout si on lui avait affirmé qu'elle trouverait l'amour en la personne d'Abraxas... et pourtant, c'était le cas.

Et pour tout dire, elle aimait assez le caractère très inattendu de leur histoire. Pour elle, ça ne la rendait que plus belle, en réalité. Ils ne s'étaient pas arrêté sur les apparences, sur les préjugés qu'ils avaient l'un sur l'autre... ils avaient creusé plus profondément. Et ils avaient aimé ce qu'ils avaient trouvé. Lou, en tout cas, avait aimé, sincèrement aimé, ce qu'elle avait trouvé.

Elle était heureuse avec Abraxas, et même si on ne les imaginerait pas ensemble, la beauté de la chose à ses yeux, c'est qu'en fait, si, elle était convaincu que leur couple avait beaucoup de sens. Ils se complétaient, ils s'écoutaient, ils se plaisaient. C'était bien davantage que ce que l'un et l'autre pouvaient dire de leurs relations précédente, de toute évidence.

"Eh bien... Je sais plus exactement quand ça a commencé, mais... ça s'est fait tout seul, en fait. Crois-moi, on était les premiers surpris. On s'est rencontrés par hasard à Pré-au-Lard, on a bu un verre ensemble... Et on parlait, on parlait... Je sais pas, cétait tout naturel, en fait. On s'est vus de plus en plus, mais en tant qu'ami, juste, quand j'allais à Pré-au-Lard. Puis finalement, on a admis qu'il y avait plus de l'amitié entre nous."

Même maintenant, ça lui faisait bizarre de le dire ainsi. Mais elle aimait combien c'était simple, naturel... C'était fluide, ce n'était pas calculé. Ni de sa part à elle, ni de la sienne à lui. Elle se disait qu'à l'entendre de cette façon, elle devait sembler un peu... niaise. Mais ça lui était égal. En parler lui faisait du bien. Elle s'en rendait compte, à présent qu'elle acceptait enfin de mettre une autre personne dans la confidence. Oui, ça faisait vraiment du bien de parler de tout ça. Tout ça rendait son histoire plus réelle. Et plus légitime, aussi.

« Eh bien, c’en serait presque mignon tout cela. »

Presque mignon... En vérité, Lou ne savait pas quoi penser de ce "presque", et elle se sentait un peu mal à l'aise. Elle ne se confiait pas à la légère sur son histoire, elle avait tendance à la garder pour elle. Ne serait-ce que parce qu'elle ne voulait pas vraiment que son histoire récente se retrouve entachée par des racontards ou des on-dit.

Presque mignon... c'était un peu minimiser leur histoire, et elle se sentait un rien infantilisée, pour le coup. C'était bête, elle ne devrait pas prendre la mouche pour si peu, mais elle se sentait un peu... idiote, pour le coup.

« En tout cas, tu as l’air d’être heureuse, alors, je suis contente pour toi, vraiment. »

Elle se détendit en entendant cette réponse. Elle savait qu'elle devait arrêter de se sentir sur la défensive, elle devait arrêter de tout prendre mal, mais c'était difficile. Sa situation récente mélangée à son absence assez crasse de confiance en elle la poussait bien souvent, plus qu'à son tour, à la paranoïa. Mais ce n'était définitivement pas une raison pour le faire payer aux autres, qui eux n'avaient bien évidemment rien demandé à personne.

Quand Raani lui affirmait qu'elle avait l'air heureuse, Lou voulait bien le croire, parce que c'était le cas, elle était effectivement heureuse. Abraxas lui avait fait découvrir d'elle une facette qu'elle ne se soupçonnait pas. Elle réalisait combien une relation sentimentale pouvait être saine, sereine, agréable, douce, réciproque... Elle était amoureuse, vraiment amoureuse, et de quelqu'un qui l'aimait. Il faudrait qu'elle soit folle pour ne pas être sincèrement heureuse de ça.

De même, quand Raani lui assurait qu'elle était heureuse pour elle, Lou acceptait sans mal de le croire, en effet. Elle lui donnait sincèrement le sentiment de se réjouir de son bonheur, et ça faisait du bien de se sentir soutenue. Ce genre de situation confirmait les baises solides d'une amitié à laquelle Lou tenait sincèrement... Même s'il fallait définitivement qu'elle se débarrasse de sa satanée susceptibilité.

"Merci. Et c'est vrai... Je m'étais rarement senti aussi... bien." Faute d'un terme plus approprié pour s'exprimer sur le bonheur qu'elle ressentait à la seule pensée de son petit ami. "Breeef. Je t'ai fait une grosse confidence que j'ai apprise à personne d'autre, tu peux bien me rendre la pareille, pas vrai ?"

« J’adorerai ma chère, crois-moi. Malheureusement, je n’ai pas grand-chose en réserve qui pourrait te satisfaire, tu m’en vois navrée. »

Au fond, Lou s'y attendait, mais elle n'en était pas moins un peu déçue. Pas tant parce qu'elle tenait impérativement à jouer les indiscrètes auprès de son interlocuteur ou parce qu'elle tenait spécialement à ce que son interlocutrice lui invente d'improbables événements de vie pour satisfaire sa curiosité, mais elle devait bien reconnaître qu'après s'être livrée si personnellement, elle se sentait un peu mise à nue... face à une porte fermée.

Oh, elle était convaincue du fait que Raani n'était pas de mauvaise foi... et même si elle gardait peut-être en réserves quelques secrets qu'elle ne voulait pas lui révéler, la jeune femme ne pouvait pas réellement le lui reprocher, s'ils étaient secrets, ce n'était sans doute pas pour rien. Après tout, Lou aussi avait ses propres secrets, qui n'étaient définitivement pas anodins, et même à Raani, à qui elle faisait pourtant confiance, elle serait bien incapable de les révéler (en même temps, cela reviendrait sans doute à signer son arrêt de mort, et elle tenait à la vie, quand même, l'air de rien).

N'empêche, n'importe quoi, même une petite bribe d'information, aurait su la satisfaire, parce qu'elle avait le sentiment qu'elles étaient tout de même proches, suffisamment en tout cas pour que Lou se confie à elle, et dans le même temps, Lou avait parfois le sentiment de ne vraiment rien savoir de Raani. C'était dans sa personnalité, en même temps, c'est vrai. Raani était une femme assez mystérieuse...

Mais oui, par moments, ça pouvait être frustrant pour Lou que de ne pas réussir à extorquer de sa part plus que ce qu'elle consentait à lui donner. Pas par curiosité malsaine, bien davantage dans l'espoir de consolider une amitié à laquelle elle tenait très sincèrement.

"Pas grand-chose, c'est déjà quelque chose", répondit Lou avec un fin sourire en espérant que cela pousserait Raani à tirer la couverture un peu à elle. Lou n'aimait pas que l'attention soit trop focalisée sur sa personne, et elle avait eu le sentiment que c'était beaucoup trop le cas ces dernières minutes. "Tu sais, je ne suis pas franchement difficile."

Elle n'avait pas besoin qu'on l'abreuve d'anecdotes incroyables, elle aimait juste que l'on alimente la conversation de tranches de vie, certaines plus palpitantes que d'autres, c'est vrai.

« J’apprécie les efforts que tu fais pour vouloir me donner l’impression que ma vie mérite d’être racontée, mais je suis désolée, je n’ai rien à dire. »

Raani aurait beau dire, Lou ne la croirait pas pour autant, pour la pure et simple raison qu'elle estimait que toutes les vies méritaient d'être racontées, et elle n'avait aucun besoin d'être exceptionnelles pour cela (et elle doutait fort par ailleurs que celle de son interlocutrice soit si peu exceptionnelle que cela).

Vraiment, Lou n'attendait pas grand-chose, même une simple anecdote satisferait très bien sa curiosité. Si même Lou, que beaucoup, sans être forcément très éloignés de la vérité, considéraient comme la personne la plus insipide qui soit, réussissait à rapidement capter l'attention avec ses histoires qui en soi n'avaient rien de franchement palpitantes, Raani le pouvait au centuple. Avec son charisme et son caractère bien trempé, elle était logiquement bien plus à même de le faire que l'inverse.

« Mais bon, puisque tu sembles déterminée à en savoir plus, je veux bien te dire quelque chose sur moi. Voyons voir… oh oui, j’ai un frère caché. »

Oui, Lou était déterminée à en savoir plus, et elle était ravie de remarquer que sa détermination payait... et quand Raani lui balança, juste comme ça, qu'elle avait un frère caché comme si c'était la chose la plus normale et la plus naturelle du monde, Lou se dit clairement qu'en réalité, la vie de Raani était définitivement fascinante.

Lou ne s'attendait pas du tout à cela. Vraiment, elle songeait plus qu'elles discuteraient peut-être des derniers hommes qu'elle avait fréquenté, d'une de ses anecdotes familiales, va savoir. Mais ça... L'information était telle que Lou ne savait même pas exactement de quelle façon l'appréhender.

Est-ce que c'était un secret absolu ou non ? Est-ce que c'était une histoire heureuse ou sordide ? Forcément, Lou était trop curieuse pour se contenter de cette réponse. Maintenant, elle voulait tout savoir, absolument tout sans exception.

"Et tu m'apprends ça comme ça !"

Ce n'était pas vraiment un reproche, c'était surtout qu'elle ne savait pas trop comment réagir. Elle ne voulait pas mettre Raani dans l'embarras en insistant trop. Mais elle se disait que si elle en parlait, c'est qu'elle acceptait d'en dire plus.

"Tu le sais depuis combien de temps ?"

« Depuis qu’il est né. Il doit avoir quatorze ans maintenant, mais je ne sais pas qui c’est, je ne l’ai jamais rencontré. »

Bon, au moins ce n'était pas, comme se l'était imaginée Lou, une sordide histoire de famille que Raani aurait découverte sur le tard, mais ça n'en laissait pas moins la jeune femme circonspecte, parce que même si elle obtenait gain de cause - Raani lui parlait d'elle et lui apprenait quelque chose de très personnel à son sujet -, ce n'était pas pour autant que les interrogations de Lou étaient moins nombreuses. Elle avait, au contraire, encore plus de questions à l'esprit.

Elle n'arrivait pas à déchiffrer son interlocutrice, à savoir comment elle interprétait cette situation, si elle le vivait bien, ou mal, si elle s'en moquait ou si elle en souffrait, si elle redoutait que cela ait la moindre conséquence sur elle ou si elle s'en moquait.

Elle était honnêtement perdue, et elle n'avait pas envie de tirer des conclusions trop hâtives de ce que son interlocutrice lui disait. Le plus simple était certainement de lui poser davantage de questions, mais Lou ne savait pas vraiment jusqu'où elle pouvait se permettre de l'interroger, à partir de quel moment Raani estimerait qu'elle avait dépassé une certaine barre d'indiscrétion.

En se montrant à ce point laconique, Raani invitait - pas forcément consciemment mais c'était comme ça que Lou le prenait, en tout cas - son interlocutrice à l'interroger d'autant plus. Sans savoir quelles questions étaient les plus pertinentes à poser.

Car en fait, c'était bien simple, elle voulait savoir toute l'histoire. Si le frère était caché, c'est qu'il était illégitime. Tromperies du père, sans doute. S'il avait quatorze ans, alors il devait être à Poudlard. A moins qu'il ne soit un cracmol et que ce soit pour cette raison que l'on ait dissimulé son existence ? Tout semblait envisageable dans ces circonstances. Et s'il avait quatorze ans, il se pouvait que Lou l'ait connu et croisé dans les couloirs de Poudlard, malgré leur sensible différence d'âge.

"Je... enfin, j'ai l'impression qu'il me manque une centaine d'infos. Comment tu l'as su ? Comment tu peux être au courant et ne pas savoir qui c'est ? Est-ce que... tu as déjà essayé de le rencontrer ? S'il est à Poudlard, peut-être que je l'ai croisé, à l'époque ?"

« Je l’ai su par mon père. Ma mère avait un amant, et mon père l’a découvert. Elle s’est enfuie, il a réussi à la retrouver mais elle avait déjà confié l’enfant à son père. Il a essayé d’obtenir des informations, pour savoir qui était cet homme, mais elle n’a jamais rien lâché, hormis le fait que c’était un garçon. Et comme il a fini par la tuer, elle ne risque plus de dire grand-chose à présent. Je ne sais pas s’il est à Poudlard, mais je suis chargée de le retrouver, pour laver l’honneur de ma famille. »

Lou grimaça, elle était autant dérangée par l'histoire que son amie lui racontait que par le détachement que Raani était capable d'afficher face à une histoire pourtant à ce point sordide. C'était sans doute logique, puisque Lou la découvrait à peine alors que Raani, elle, vivait avec tout ça depuis près de quatorze ans, mais elle restait désarmée par cette situation, d'autant plus qu'elle ne savait pas du tout comment y réagir.

Qu'était-on supposé dire après avoir entendu une chose pareille ? Y avait-il quoi que ce soit à dire, d'ailleurs ? Elle était totalement déroutée. Elle avait voulu en apprendre plus sur son amie, et elle se sentait soulagée de savoir que Raani lui faisait suffisamment confiance pour lui confier tout ça, mais cela faisait beaucoup du coup, et elle voyait mal de quelle manière elle devrait, elle pourrait y réagir.

Elle avait envie d'aider, de conseiller Raani, mais elle n'était pas certaine que son amie ait besoin de son avis ou de ses conseils. Il était tout à fait possible qu'il n'en soit rien... Elle n'était pas certaine d'être en position de faire quoi que ce soit pour elle dans tous les cas, mais elle voulait s'y risquer malgré tout, surtout parce qu'elle tenait véritablement à faire une différence auprès de son interlocutrice, pour ne pas lui faire regretter d'en avoir tant dit à son sujet.

"Peut-être... que je pourrais t'aider à le retrouver ?" suggéra prudemment Lou, faute de savoir de quelle manière cette proposition serait accueillie. "Quelles informations est-ce que tu as ? Un garçon de quatorze ans, rien d'autre ?"

Elle n'était pas forcément à l'aise à l'idée d'encourager son amie à débusquer un gamin de quatorze ans, elle comprenait bien que ce n'était pas pour lui offrir des fleurs. Mais il était sans doute important que les deux se rencontrent. Les secrets de famille n'étaient pas faits pour rester enterrés.

« Ne te sens pas obligée de quoique ce soit, mais j’avoue qu’un peu d’aide ne pourrait pas me faire de tort. Non, je n’ai rien d’autre. Sinon, la tâche aurait été bien plus simple. Enfin, en partie. »

Non, Lou ne se sentait pas obligée à quoi que ce soit. Si elle proposait son aide à Raani, c’était de bonne grâce, et parce qu’elle l’appréciait sincèrement, ce n’était pas une aide qu’elle proposerait à n’importe qui, définitivement pas, sans compter qu’elle ne prendrait certainement pas la peine de se montrer aussi attentive et conciliante aux problèmes et aux soucis des autres.

C’était une des leçons qu’elle avait fini par retenir, non sans difficulté pour commencer : il n’était pas question pour elle de se compromettre en quoi que ce soit, elle voulait suivre son intuition et cela passait au-delà des obligations qu’elle pensait avoir envers certains quand, en réalité, ces derniers ne s’étaient jamais fait le moindre souci la concernant ni ne s’étaient jamais véritablement intéressés à qui elle était réellement. Donc oui, elle proposait de prêter main forte à son amie parce qu’elle estimait que c’était la chose à faire, et absolument pas parce qu’elle avait l’impression d’avoir le couteau sous la gorge.

Par ailleurs, il lui avait été si compliqué d’obtenir ne serait-ce que quelques bribes d’informations de la part de son interlocutrice qu’elle n’allait certainement pas s’imaginer que cette dernière voulait simplement abuser de sa gentillesse : ce n’était absolument pas le cas. Elle avait pleinement conscience des enjeux, et de ce que cela représentait pour Raani.

"Si je ne voulais pas t’apporter mon aide, je ne te l’aurais pas proposée. Tu ne m’obliges à rien."

Encore fallait-il arriver à quelque chose, à présent, car les informations qu’elles avaient à leur disposition n’avaient rien de bien transcendante. C’était espérer faire beaucoup avec bien peu, en l’occurrence, mais ça ne voulait définitivement pas dire que c’était hors de leur portée. Au contraire, Lou voulait croire que c’était entièrement dans leurs compétences.

"Je suppose que le plus simple, avant d’élargir nos recherches, c’est déjà de nous intéresser à tous les adolescents de la bonne tranche d’âge qui se trouvent à Poudlard en ce moment – si ton frère ne s’y trouve pas, on sera vite fixées. Ils ne doivent pas être si nombreux aux origines floues, donc ça permettra déjà de réduire nos critères, pas vrai ? Il n’y a vraiment rien d’autre qui te vienne, n’importe quoi qu’on pourrait être en mesure d’exploiter ?"demanda-t-elle, bien décidée à prendre les choses en mains.

Si elle offrait son aide, et puisqu’il acceptait cette aide, elle ne le faisait pas à la légère, elle était bien décidée à se rendre utile.