C

ertains, en découvrant ce à quoi Eileen avait occupé la grande majorité de ses vacances, seraient certainement déprimés, ou tristes pour elle, mais la vert et argent, pour sa part, était loin de se plaindre de l'été qu'elle passait jusqu'alors. Certains avaient besoin de bouger, de voyager, de voir leurs amis pour passer un été digne de ce nom, ce n'était pas son cas. Elle, pour sa part, se satisfaisait parfaitement de rester enfermée dans la bibliothèque familiale, à dévorer autant de livres qu'elle le pouvait.

La seule chose qui lui manquait vraiment, c'étaient ses parties de bavboules. Malheureusement, les bavboules étaient un jeu qui nécessitait d'être à plusieurs... Et Eileen était loin, bien loin de vouloir se donner la peine de se trouver un partenaire de jeu. Alors soit, elle passait un été solitaire, à l'ombre du manoir familial, protégée de toute distraction sociale (exception faite des disputes incessantes de ses parents et des quelques réceptions d'usage auxquelles on la forçait à participer et auxquelles elle ne prenait vraiment pas le moindre plaisir).

Poudlard ne lui manquait pas, ses camarades lui manquaient encore moins, et dans l'ensemble, elle s'épargnait leur présence sans l'ombre d'un scrupule. Et pourtant, c'était bien pour retrouver l'un de ses camarades en question qu'elle avait bien daigné quitter sa grotte et se rendre sur le chemin de traverse.

Bon, d'accord, elle n'avait pas fait le déplacement uniquement pour voir Darryl. Elle était de ces personnes qui ne sortaient pas de chez elles à moins d'avoir réellement un excellent prétexte à le faire. Et en l'occurrence, le prétexte idéal était vite trouvé : elle devait faire ses achats pour l'année scolaire à venir, et elle avait la ferme intention d'en profiter pour voir son ami. Car oui, elle aimait passer du temps avec Darryl. C'était assez inexplicable au vue de sa régulière inaptitude à supporter la moindre présence humaine, mais Darryl avait le mérite d'être intelligent et de savoir tenir une conversation sans que tout ce qui sorte de sa bouche doive se réduire à un tissus d'imbécilités.

Elle avait donc fait tous les achats qui lui étaient nécessaires avant de retrouver Darryl où ils s'étaient donné rendez-vous, et parvint même à laisser une esquisse de sourire s'afficher sur ses lèvres quand elle le salua.

-Salut, je t'ai pas fait attendre, j'espère.

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D

arryl ne lui reprocha pas son retard. Eileen n'en avait pas attendu moins de sa part, à vrai dire. Elle le connaissait bien, ou du moins suffisamment, pour savoir qu'il n'était pas de nature à s'offusquer sous prétexte qu'on l'aura fait patienter un peu trop longtemps. Ce n'est pas pour autant qu'elle aimait tirer profit de sa patience envers elle. Elle détestait être en retard, parce que, pour sa part, elle n'aimait pas attendre du tout. Et donc, elle partait du principe qu'il ne fallait pas faire aux autres ce qu'on ne voulait pas qu'on lui fasse. Enfin, Darryl ne lui reprochait rien et elle n'était pas si en retard que cela, alors il était inutile de s'épancher plus longtemps sur la question.

Elle était là, maintenant, et ils allaient pouvoir bavarder un peu tous les deux, ce qui lui convenait très bien. Non pas que les bavardages lui plaisent en quoi que ce soit en temps normal, mais avec Darryl, ça passait. Parce que ses paroles n'étaient pas vides d'intérêt, parce que son cerveau n'était pas comme en arrêt définitif comme ce semblait être le cas pour la grande majorité de ses camarades de classe. Elle hocha la tête en adressant à ses emplettes un regard désintéressé quand Darryl lui demanda si elle avait pu trouver tout ce qu'il lui fallait.

-Normalement oui, j'ai tout l'attirail qu'il faut. Je suis prête à affronter la prochaine année scolaire et son cortège de crétins décérébrés.

Eileen ne mâchait pas ses mots, et on pourrait se dire qu'elle exagérait. Mais le fait est que pas vraiment. Elle n'avait ni estime ni affection pour la grande majorité des élèves avec qui elle se voyait contrainte d'affronter son quotidien en temps normal, et puisque le leur cacher ne changeait pas à leur comportement de parfaits crétins, elle préférait au bout du compte dire les choses telles qu'elles étaient. Ce qui ne facilitait pas toujours ses parties de bavboules, mais passons.

-Comment ça se passe, tes vacances ?

Elle partait du principe qu'il n'y aurait pas grand-chose de passionnant à dire sur les siennes, mais il n'en serait pas forcément de même pour Darryl. Et si ses vacances étaient aussi monotones que les siennes, ils trouveraient un moyen de les égayer un peu, c'était l'avantage.

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E

ileen n'était pas vraiment surprise d'entendre Darryl lui apprendre qu'il n'avait pas grand-chose à lui apprendre de ses vacances. Elle s'était doutée, en effet, que à moins d'un événement exceptionnel indépendant de sa volonté, il ne trouverait sûrement pas beaucoup de choses à lui raconter. Elle ne le lui reprocherait certainement pas. Ce serait très hypocrite de sa part d'ailleurs si elle se le permettait étant donné qu'elle-même ne faisait rien de palpitant non plus de ses vacances.

A vrai dire, cette conversation avec son interlocuteur avait de bonnes chances de devenir le point d'orgue de son été, ça voulait tout dire. Ce qui ne signifiait pas qu'elle s'en plaignait. Elle pouvait bien passer deux mois entier dans sa chambre à simplement lire et élaborer quelques stratégies pour le club de bavboules et elle serait entièrement satisfaite. Elle se disait que ça devait être à peu près pareil pour son ami, et que ce n'était pas parce qu'il n'avait pas de grandes informations à lui communiquer qu'il se plaignait réellement de son été. C'était juste un constat, cela limitait ce qu'ils pouvaient se dire sur la question. Mais bon, ça semblait une question un peu inévitable. Après tout, ils ne s'étaient pas vus pendant plusieurs semaines, il était assez logique qu'ils veuillent savoir à quoi ils avaient consacré ces semaines, chacun de leur côté, même si ça ne devait être à rien quoi qu'il en soit.

-A ton avis ? J'ai fait le tour du monde et mis au point un vaccin contre la dragoncelle, répondit-elle dans un très fin sourire quand son interlocuteur lui demanda comment se passait ses propres vacances.

Même avec ses amis (pour le peu d'amis qu'elle avait), elle avait du mal à laisser son cynisme au vestiaire, c'était un peu comme une seconde peau, pour elle. Et bien plus confortable que la peau dans laquelle elle se traînait quand elle faisait ce qu'on appelait être elle-même. Bref, tout ça pour dire que son été était effectivement ennuyeux au possible.

-J'ai passé ces dernières semaines enfermée dans ma chambre à relire de vieux bouquins en faisant semblant de pas entendre mes parents s'engueuler, la routine, quoi, répondit-elle plus honnêtement cette fois.

En somme, tout comme Darryl, elle ne faisait effectivement rien de particulier, et ça lui allait très bien comme ça.

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E

ileen haussa les épaules en réponse aux propos de son interlocuteur. Elle ne pouvait qu'être d'accord avec lui, bien sûr, ce n'était pas cool pour elle, mais elle ne voulait pas donner l'impression de s'en plaindre. Déjà, elle n'aimait pas se plaindre, ensuite, elle savait que ça n'y changeait rien. Parler des disputes incessantes de ses parents avec la désinvolture qu'elle s'appliquait à afficher, c'était pour elle une manière de prétendre que ça ne la touchait pas... et elle se disait qu'à force de le dire, elle finirait par le penser une bonne fois pour toutes, et ça ne lui ferait plus de mal du tout.

La plupart des gens ne se souciaient pas suffisamment d'elle pour discerner le vrai de faux et se moquaient sans doute éperduement de ses états d'âme, aussi la jeune femme estimait que c'était une bonne approche, même si Darryl, de son côté, la connaissait suffisamment pour ne pas être dupe... ce qui ne l'empêchait pas de jouer avec lui le même numéro qu'avec n'importe qui... par habitude, disons. Dans tous les cas, ce n'était pas comme si ni elle, ni lui allaient véritablement modifier quoi que ce soit à la situation, donc autant en parler avec indifférence, au bout du compte.

-En un sens, ouais, admit Eileen dans un léger soupir.

C'est sûr, au moins, de retour à Poudlard, elle n'aurait plus à supporter les disputes incessantes de ses géniteurs. Ceci étant dit, elle ne savait pas si abandonner deux crétins pour en retrouver toute une floppée saurait bel et bien lui rendre service. Disons qu'il y avait une ou deux personnes un peut moins crétines dans le lot pour compenser. Et Darryl en faisait partie. Et puis, c'est vrai que quand elle se focalisait sur ses cours, au moins, elle avait tendance à réussir à faire abstraction du reste, même si elle n'était pas exactement ce que l'on pourrait qualifier d'élève brillante.

-Je meurs d'impatience d'entendre tous les profs me rabâcher que réussir nos BUSE est le seul moyen de ne pas rater nos vies, et j'ai vachement hâte de retrouver le troupeau d'imbéciles de mon équipe de bavboules. Vivement, vraiment.

Oui, elle n'était jamais contente. Mais pour sa défense, elle en rajoutait tout de même un peu.

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E

ileen adressa à son interlocuteur le regard le plus blasé du monde quand ce dernier affirma que donc, oui, elle avait hâte de retourner à Poudlard et que nombre d'aventures palpitantes les attendraient à leur retour au château. Fort heureusement, elle connaissait Darryl depuis bien assez longtemps pour savoir qu'il n'appartenait pas à cette catégorie de personnes qui pouvaient réellement prononcer ces mots en en pensant chaque mot et en étant totalement sincères dans leur propos. Eileen n'était clairement pas un parangon d'optimisme, mais sur ce point, on pouvait dire que Darryl et elle s'étaient plutôt bien trouvés.

Pour ce qui était de voir tout en noir, ils étaient globalement sur la même longueur d'onde. Raison de plus pour la vert et argent de ne pas mâcher ses mots d'ailleurs. Bon, elle-même pouvait reconnaître qu'elle abusait tout de même un peu et qu'elle avait tendance à en rajouter, mais en même temps, le sarcasme n'avait d'intérêt que si l'on décidait d'en jouer la carte au maximum. Et c'était un jeu auquel Eileen aimait bien jouer, pour tout dire. Elle avait tendance à trouver cela... eh bien... divertissant, on va dire.

-C'est vrai, admit effectivement la jeune fille quand son ami lui fit remarquer que le seul troupeau d'imbéciles de Poudlard (ou de l'humanité) n'était pas constitué des membres de son club de bavboules.

Clairement, elle serait bien la dernière à pouvoir le contredire à ce sujet, en effet. Elle était de ces personnes qui n'accordaient aucun crédit à la nature humaine. Elle trouvait tout le monde stupide... Elle trouvait tout le monde naïf... Elle trouvait tout le monde... déplaisant. Enfin presque tout le monde. Mais parmi le troupeau des élèves, il y en avait de nombreux qu'elle n'avait aucun besoin de fréquenter, et elle se l'épargnait bien.

Mais en acceptant de présider le club de bavboules, elle avait accepté par la même occasion de se livrer à un pénible exercice social, qui honnêtement l'ennuyait profondément. Malheureusement, il s'avérait qu'elle n'avait tout simplement pas le choix. Ou si, elle aurait le choix d'arrêter les bavboules. Sauf que non. Elle aimait beaucoup trop les bavboules pour décider d'arrêter. Quelque part, ça l'emmerdait, mais c'était comme ça. Il semblerait qu'elle se soit trouvé une passion, un putain de passion saine qui l'obligeait à fréquenter des gens... Elle devait faire avec, c'est tout.

-Mais les autres, j'ai pas besoin de me les coltiner trois fois par semaine.

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O

ui oui, elle le savait bien, elle avait choisi d'être la présidente d'un club, elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même si elle devait gérer la présence, pour ne pas dire l'existence, des membres de ce fichu club. Elle savait pertinemment que c'était sa plus grande contradiction : jouer les misanthropes de bas étage et participer à la vie scolaire de Poudlard de telle façon qu'elle présidait un groupe d'étudiants, ça n'avait aucun sens. Elle le savait, mais elle avait renoncé à s'en justifier... Difficile dans tous les cas de justifier ce qu'elle ne comprenait pas forcément elle-même de son côté dans tous les cas.

Le fait est qu'elle adorait les bavboules, c'était comme ça, c'était une vraie passion... mais une passion qui obligeait à avoir des partenaires de jeu, ou tout du moins des adversaires, car jouer aux bavboules toute seule, ce serait con et contreproductif. Bien sûr, elle aurait pu juste faire partie du club sans le présider, mais en prendre la tête s'était presque fait à ses dépens, et tant qu'à faire, quitte à devoir appartenir à un groupe, elle préférait avoir un certain contrôle sur ce groupe. Au moins, elle était libre de prendre les décisions qu'elle voulait. Qu'elles plaisent ou qu'elles plaisent pas, c'était du pareil au même. Dans un cas comme dans l'autre, c'était elle qui avait le dernier mot. Et ça, on ne va pas se le cacher, ce n'était pas déplaisant du tout.

-C'est pas non plus comme si ça se bousculait au portillon pour rejoindre le club, remarqua-t-elle dans un haussement d'épaules. Et je vois pas l'intérêt de remplacer une bande de crétins ahuris par une autre bande de crétins ahuris. Oui, elle ne laissait le bénéfice du doute à personne, c'est comme ça. Enfin, à personne ou presque. T'as qu'à le rejoindre, toi, le club, au moins j'aurais une bonne raison de pas tirer la tronche.

Même si, dans le fond, elle tirerait sans doute la tronche quand même. Oui, ça lui arrivait quand même de sourire parfois, presque par accident. Mais la plupart du temps, quand même, ben elle n'avait pas envie de sourire, alors elle ne souriait pas. Peut-être aussi que c'était une manière, même involontaire, de se donner un genre. C'était en tout cas beaucoup plus simple de faire fuire les gens en étant aussi aimable et accessible qu'une porte de prison, ça c'est un fait.

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ileen était comme n'importe qui ou du moins la plupart des gens, voire pire quand elle était exposée aux critiques, mais de la part de Darryl, elle les acceptait. Elle savait que de sa part, les remarques n'étaient jamais désobligeantes, seulement bienveillantes, rien d'autre. Et la jeune fille acceptait, de fait, de se laisser chambrer. D'autant qu'il fallait bien qu'elle reconnaisse à Darryl qu'il y avait du vrai dans tout ce qu'il disait.

Du très vrai, même. Oui, Eileen Prince était un véritable dragon, en effet, et elle cultivait précieusement ce tempérament. Cela lui permettait de faire le vide autour d'elle. Les gens qui s'accrochaient malgré tout étaient par conséquent des personnes qui tenaient bel et bien à elle, et qui ne la décevraient pas. Elle n'avait pas besoin de plus. Encore moins au sein du club de bavboules... Elle n'en voyait pas l'intérêt. Pour elle, les bavboules, ce n'était pas une question d'amitié, juste de jeu. Si on commençait à vouloir en faire un club de vacances, alors les performances devaient forcément en être altérées.

-Je voudrais te croire sur parole mais je suis sûre que même la promesse de me voir te décrocher un sourire ne suffirait pas à te convaincre, répondit-elle simplement. Alors je suppose que je vais devoir me faire une raison, ajouta-t-elle dans un haussement d'épaules.

En vérité, elle ne voudrait pas de Darryl dans l'équipe, pas s'il devait y venir uniquement pour elle, et pas parce qu'il était réellement motivé. Donc non, elle ne le pousserait pas dans ses retranchements, ils n'avaient pas besoin de ça pour passer du temps ensemble, pour avoir des points communs et de vraies conversations. Darryl était même l'une des seules personnes au monde avec lesquelles Eileen avait de vraies conversations, et elle avait envie de penser que ça ne changerait pas de sitôt.

-Tu vas devoir trouver une autre façon de me mettre de bonne humeur, du coup.

Ce qui n'était pas gagné, étant donné l'énergumène qu'elle était. Encore que, pour le coup, elle n'avait pas besoin qu'il la déride. Même si elle n'était pas vraiment expressive et ne le montait pas réellement, elle était toujours de meilleure amie quand l'occasion lui était donnée de parler avec son meilleur ami. Ce qui ne voulait pas dire qu'elle allait tout à coup à vomir des arc-en-ciel.

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ileen pourrait donner tort à Darryl pour lui faire plaisir, mais elle ne se donna pas cette peine, quand ce dernier affirma qu'elle aurait certainement été affligée par ses performances s'il avait décidé de rejoindre son club. Etant donné qu'elle était capable de s'affliger de performances pourtant parfaitement acceptables, il y avait de quoi le parier, oui, ou du moins ne serait-ce pas réellement très surprenant, en tout cas.

Quand il était question de bavboules, la vert et argent exigeait des standards auxquels il était particulièrement difficile de répondre, et auxquels elle-même, quand bien même elle était tout sauf mauvaise (il ne manquerait plus que le contraire), n'était pas forcément à même de répondre véritablement convenablement. C'était comme ça, même avec ses amis, Eileen n'était pas vraiment du genre à accorder des traitements de faveur. Leur amitié dépendait peut-être du fait qu'ils partageaient le moins possible ce genre d'activités, au bout du compte, et pour leur bien à tous les deux, il valait mieux qu'il continue d'en être ainsi qoi qu'il en soit. Ils s'en remercieraient mutuellement plus tard. Ou pas.

Quand Eileen le mit implicitement au défi de leur trouver une activité, ou en tout cas de réussir à laa faire sourire, elle s'était quelque peu attendue à ce qu'il abandonne avant même d'essayer, car très clairement, Eileen n'était pas un parangon de joie, d'enthousiasme et de bonne humeur, loin de là. Et le pire, c'est qu'elle prenait un malin plaisir à l'entretenir, comme si le fait de tirer la tronche pouvait véritablement rendre sa personnalité plus appréciable (spoiler alert : ce n'était pas le cas du tout). Mais bon, Darryl était l'une des rares personnes, malgré tout, à être potentiellement capable de réussir l'impossible, alors Eileen acceptait de lui laisser le bénéfice du doute.

-Tu penses vraiment réussir à me tenir par l'estomac ? observa-t-elle avec une réticence un peu trop appuyée pour qu'elle ne passe pas pour théâtrale.

Eileen n'était pas de ces personnes qui vivaient pour manger (quelle idée), ceci dit, elle appréciait un bon repas quand il se présentait. Pas dit malgré tout que cela suffise à lui détendre les zygomatiques, en revanche.

-Tu peux toujours essayer, cela dit, ajouta-t-elle dans un haussement d'épaules. Tu m'invites où ? - Parce que c'est toi qui payes, évidemment, pas vrai ?

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our la blague, et parce que Darryl lui offrait de choisir l'endroit où ils se poseraient pour boire un verre ou manger quelque chose, Eileen aurait bien pu décider de jeter son dévolu sur un endroit excessivement cher et où elle n'aurait même pas vraiment trouvé son compte, en vérité. Elle ne s'en serait pas privée avec... à peu près tout le monde, mais Darryl faisait partie de ces rares privilégiés qu'elle n'avait pas non plus envie de faire tourner en bourrique à ce point.

Elle ne le montrait pas franchement, c'est le moins que l'on puisse dire, mais si elle avait choisi de compter le vert et argent parmi ses amis, ce n'était pas pour rien. Des amis, elle n'en avait presque aucun. Alors oui, elle tenait à Darryl, même si elle avait une drôle de manière d'afficher son amitié, et par conséquent, elle n'avait aucune envie de le vexer, de le blesser, et encore moins de le perdre. Elle savait qu'avec son fichu caractère, c'était bien susceptible d'arriver à tout moment... ceci dit, elle comptait un peu sur le fait que Darryl n'avait pas un caractère facile de son côté non plus. Elle scruta les alentours en quête de ce qui lui faisait le plus envie et se décida finalement.

-Fortarôme, alors, décréta-t-elle en pointant la devanture du glacier du doigt, sans aucune forme, pour autant, d'enthousiasme particulier. Je te préviens, dit-elle en se mettant en route sans attendre que Darryl s'oppose à sa suggestion (et il serait dans son bon droit de le faire, après tout, il restait celui qui payait, et dans le fond, elle n'aurait pas non plus fait sa mauvaise tête s'il avait décidé de l'envoyer balader et de ne rien lui offrir). Mon humeur est encore très loin d'être au meilleur fixe, tu vas devoir carburer sévère pour faire mieux, même avec une bonne glace dans le ventre. Elle le considéra un instant du regard. Tu devrais peut-être acheter une tenue de clown et apprendre le jonglage, ça aurait des chances de marcher, observa-t-elle en haussant les épaules, d'un ton toujours si neutre qu'on pourrait s'interroger un instant sur le fait qu'elle était sérieuse ou non.

Elle ne l'était pas. Et Darryl la connaissait assez pour le savoir, mais ce n'était pas pour autant qu'elle allait changer sa manière de s'exprimer en sa présence.

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E

ileen afficha une fausse moue vexée quand Darryl refusa sans surprise d'investir dans une tenue de jonglage juste pour ses beaux yeux. Elle devait bien reconnaître que la seule perspective de le voir se ridiculiser ainsi serait presque capable de la faire sourire, mais elle n'en demandait pas tant. Si elle acceptait d'être tout à fait honnête - chose qui lui demandait tout de même un certain effort -, le simple fait qu'il soit là, présent pour elle, disposé à lui parler et à l'écouter, c'était déjà énorme pour elle, et ça arrangeait largement son humeur. Eileen restant Eileen, il lui en faudrait bien plus pour qu'elle le reconnaisse, mais tout de même, c'était dire, déjà, si le vert et argent était un privilégié parmi les privilégiés à ses yeux, car ils étaient très peu à pouvoir prétendre à un tel traitement de faveur autrement.

Oui, il pourrait abandonner et rentrer chez lui, mais il ne le ferait pas, elle le savait aussi. Il fallait peut-être louer sa proverbiale patience, dans tous les cas, leur amitié avait prouvé qu'il était à l'épreuve de ses saillies à peine drolatiques et surtoutconstantes, et donc, même si elle devrait admettre quel miracle cela représentait, elle était surtout certaine du fait qu'elle connaissait suffisamment le seuil de tolérance de son meilleur et plus ou moins seul ami. Et cela tenait finalement à une seule et unique chose : il l'aimait bien. Et elle aussi, elle l'aimait bien, il n'y avait pas grand monde concernant qui elle pouvait affirmer une telle chose, mais il en faisait partie. Elle l'appréciait sincèrement... raison pour laquelle elle essayait autant que faire se pouvait de ne pas le pousser à bout. Selon ses critères bien à elle, du moins... qui n'auraient pas convenu à grand-monde, on ne va pas se mentir.

-Ouais, j'ai cru remarquer ça. Je sais pas comment tu fais, d'ailleurs, ça reste un vrai mystère pour moi. N'importe qui d'un tant soit peu sensé aurait lâché l'affaire depuis longtemps. Ce n'est pas pour remettre en question ton intégrité mentale, mais tu dois avoir un sacré grain pour rester dans mon entourage.

Et ce n'était pas du tout un reproche. C'était même tout l'inverse. De sa part, ça ressemblait bien plus à un compliment, pour tout dire, et un compliment honnête en plus.

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E

ileen ne mentait même pas quand elle affirmait qu'il fallait avoir un grain pour la supporter, parce que c'était effectivement le cas. Elle n'était pas désagréable innocemment, elle avait entièrement consience de l'être, et le faisait de bon coeur, avec l'intention claire et nette de tenir les autres à l'écart d'elle. Donc oui, pour insister quand même, Darryl n'était peut-être pas très net, pourtant, la vert et argent ne le considérerait jamais comme quelqu'un de cinglé, au contraire, elle le trouvait intelligent, terre à terre, et certainement pas illuminé...

Il avait juste... une manière très spéciale de choisir ses fréquentations. Et elle ne parlait pas que d'elle-même. Quand on voyait que Darryl réussissait à se faire un ami du tout aussi insupportable Alphard Black - mais insupportable dans un autre genre (le genre tête à claque) -, on pouvait simplement se dire qu'elle prenait des décisions très contestables en matière de relations. Mais ça arrangeait bien Eileen. Parce que Darryl, elle l'aimait bien, il était l'un de ces très rares êtres humains qui ne lui tapaient pas automatiquement sur le système dès l'instant où ils ouvraient la bouche. Et ça, pour elle, c'était précieux.

-Ou bien c'est ce monde qui est cinglé et on est les deux seules personnes lucides et normalement constituées au milieu d'une bande de primates arriérés et complètement dégénérés, observa-t-elle de son habituel ton presque sans émotion qui laissait imaginer qu'elle ne plaisantait pas, ou qu'elle était incapable de le faire sans prendre ce ton sérieux qui laissait place à l'équivoque.

Mais pour tout dire, elle était plutôt sérieuse. Certes, elle n'était définitivement pas quelqu'un de normal, et elle en avait pertinemment conscience, de même qu'elle ne pensait pas que son meilleur ami était complètement normal non plus, parce qu'elle ne s'intéressait de toute manière qu'aux personnes exceptionnelles, mais être normal selon les standards actuels, elle n'était pas certaine que ça veuille dire être sain d'esprit.

Elle avait plutôt l'impression qu'une armée de tarés ahuris gouvernaient ce fichu monde, et ceux qui s'y faisaient une place de choix étaient tout aussi cinglés. C'était en avoir conscience qui, au final, vous isolait de la norme et faisait de vous de véritables marginaux. Donc ce n'était pas forcément si mal d'être marginal. C'était quelque chose qu'Eileen cultivait avec soin, en tout cas.

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e mépris qu'affichait Eileen à l'adresse de ses pairs (exception faite de quelques rares individus qui avaient ses faveurs - et dont Darryl faisait partie) pouvait sans doute lui donner l'air singulièrement prétentieux. Elle devait certainement passer pour pédante à l'excès, et méprisante au possible. Méprisante, elle ne pouvait pas nier l'être effectivement, mais ce n'était pas réellement parce qu'elle se sentait au-dessus des autres. Considérer qu'Eileen était prétentieuse ou avait une immense estime d'elle-même serait ne vraiment pas la connaître.

Eileen était intransigeante avec les autres, mais elle l'était encore plus envers elle-même. Et il n'y avait sans doute personne au monde pour la haïr plus qu'elle ne se détestait elle-même. Elle avait à sa propre encontre une profonde aversion. Alors elle était capable d'accepter et de reconnaître les propos de son meilleur ami quand il observait que tout le monde est le primate arriéré et dégénéré d'un autre. Ce qui était vrai, et Eileen était loin d'estimer être la personne la plus intelligente et évoluée au monde. Déjà, elle considérait que Darryl était bien plus intelligent qu'elle, ensuite, il y en avait également d'autres. Car oui, il y en avait quelques-uns, tout de même pour avoir son estime et admiration, des personnes qu'elle adorait, qu'elle admirait, et auxquelles elle rêverait de ressembler tout en sachant qu'ils ne leur arriveraient pas à la cheville.

-En effet, admit-elle donc simplement, puisqu'elle aurait été de mauvaise foi en disant le contraire. Certes, elle n'avait aucune difficulté à faire preuve de mauvaise foi, c'était quelque chose de relativement habituel chez elle. Du moment que je ne suis pas ton primate dégénéré personnel, je peux faire avec.

Elle se moquait bien d'être considérée avec dédain par les autres... Enfin non, pas totalement. Les remarques des autres l'atteignaient tout de même, mais elle réussissait à feindre l'indifférence. Elle avait toujours été considérée comme une marginale, une anomalie, alors elle était tout de même habituée.

Mais l'opinion de Darryl était de ces rares opinions qu'elle prenait en considération et elle n'aimerait définitivement pas le décevoir ou lui déplaire. Elle n'avait pas besoin de son estime, mais du moins de son amitié, et qu'il ne tente ni de corriger, ni de modifier son caractère. Juste de l'accepter pour ce qu'elle était, comme elle l'était.

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ileen afficha l'un de ses sincères sourires que l'on voyait bien rarement chez elle et qu'elle n'accordait presque qu'à son meilleur ami, quand ce dernier, justement, la qualifia comme telle. Honnêtement, ce n'était pas le genre de mots auxquels elle s'était attendue à ce qu'on l'associe un jour. Le simple fait qu'on la considère comme une amie tenait d'ores et déjà du miracle en soi. Elle n'avait jamais eu beaucoup d'amis, et ça depuis toujours, pour ne pas dire qu'elle n'en avait pas eu du tout.

Est-ce que c'était son sale caractère qui avait engendré cet état de fait, ou bien son sale caractère lui était-il venu du fait qu'elle avait été si longtemps rejetée ? Trop tard pour jouer au jeu de l'oeuf ou la poule, en l'occurrence. Ce qu'elle retenait, c'est qu'elle avait en face d'elle un ami, un vrai, et qu'elle estimait vraiment précieux. Darryl ne ressemblait à aucun autre de ses camarades de classe. Par bien des aspects, elle le trouvait plus intéressant, plus intelligent, plus lucide quant au monde qui l'entourait.

Non, il n'y avait rien de romantique dans l'intérêt qu'elle lui portait pour autant. Mais de l'amitié, il y en avait, par contre. Une amitié qu'elle avait souvent du mal à partager, car même si Darryl n'était pas non plus entouré d'une floppée de camarades à longueur de temps, il en avait d'autres, des amis. Et ses choix la dépassaient complètement, à certains moments.

-Je m'en contente pas mal aussi, reconnut-elle sans verser pour une fois dans le cynisme et l'ironie qui lui ressemblaient tant. Même si je dois accepter d'être rangée au même titre qu'Alphard Black. Elle marqua une pause. Sérieusement, comment tu fais pour le supporter ?

C'était un vrai mystère. Elle ne saisissait vraiment pas l'amitié qui liait Alphard à Darryl. On pourrait certes lui rétorquer que ce n'était pas plus facile d'être ami avec elle qu'avec lui. Mais quand même.

N'importe qui qui avait passé plus de deux minutes dans la même pièce que le jeune homme avait bien dû reconnaître que le jeune homme était une vraie tête à claque... Et d'autant plus une tête à claque qu'il réussissait à en être fier. Il n'y avait vraiment rien à sauver chez lui. Et pourtant, Darryl continuait de le tolérer dans son sillage.

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