Il faut parfois des drames, des impondérables, pour changer à tout jamais le cours de votre existence... et si ces drames ne se déroulent pas... alors votre vie prend le tournant qu'elle aurait peut-être dû toujours prendre, contre votre gré.

Pomona était fiancée. Et Morgan, dans cette dimension, ne devait pas mourir. Miyria était bel et bien partie, mais sans elle, la jeune femme ne s'était pas sentie capable de poursuivre ce qu'elles avaient commencé. Au contraire, son départ l'avait découragée.

Malgré son attachement envers Henry, la jeune femme n'avait pas sauté le pas et n'était jamais partie s'installer chez son oncle. Loin de ce dernier, et sans soutien, elle n'avait jamais été admise au bureau des Aurors, n'avait jamais fait la connaissance de Christopher McDowell... pas plus que de Seth.

Sa vie était sur les rails que ses parents avaient consolidé au fil es ans, mais son âme demeurait indomptables, ses convictions et son sens de la justice ne changeaient en rien.

Pomona était tout juste diplômée de Poudlard, elle savait qu'elle n'avait pas à planifier son avenir, parce qu'il était décidé. Elle estimait Morgan, mais ne l'aimait pas. Elle n'aimait personne. Elle était résigné à sa future vie de femme au foyer parce qu'elle n'avait pas eu l'impulsion, le courage nécessaire pour prendre les voiles.

Pourtant, l'appel de la liberté était bien présent. Elle enviait terriblement Henry, qui s'était détourné de sa famille et avait, pour la peine, poursuivi ses rêves. Faute de s'être découvert une passion pour la criminologie, elle poursuivait ses ambitions d'ethnologue, sans franchir le pas qui pourrait potentiellement lui permettre de les mener à bien. Elle manquait de courage. Ce courage qui lui était nécessaire pour mener un combat qu'elle avait laissé en suspens. Elle avait conscience de la menace, elle en connaissait la proportion et les retentissement. Mais au lieu de lutter, elle était restée à son poste confortable d'observatrice et avait réussi à se convaincre du fait que c'était ce qu'elle voulait vraiment pour elle.

Ce qui ne l'empêchait pas de ne pas être heureuse, ce qui ne l'empêchait pas de ne pas réussir à supporter ses parents. Et cette soirée ne faisait pas exception à la règle, alors que ses parents avaient organisé l'une de ces réceptions collet monté auxquelles elle était contrainte de participer. Ce qu'elle faisait sans enthousiasme et sans chercher à se mêler aux autres.

Toute la soirée, elle l'avait passée à observer la faune en place, en griffonnant dans son carnet, qu'elle n'avait pas négligé et qui était presque noirci dans son intégralité à l'heure actuelle. Asociale au maximum, ce qui n'avait rien d'inhabituel. Prendre sur elle, oui, mais elle avait ses limites.

Et quand les invités s'en allèrent enfin et qu'il ne resta plus qu'elle et ses parents, elle eut dans l'intuition qu'elle allait en entendre parler...

Lors des réceptions dédiées aux sangs purs (en même temps, qui d'autre inviteraient-ils en une telle occasion ?), surtout quand il était le maître de cérémonie, Bradley se sentait comme un poisson dans l'eau. Il allait d'un invité à l'autre, avait toujours le bon mot, trouvait toujours le sujet de conversation qui ravirait son interlocuteur, bref, il était né pour ça, et il adorait briller par son charisme, son éloquence et sa conversation. C'est vrai, il organisait sans doute ces événements pour se faire mousser plus qu'autre chose, mais et alors ? Il était important de conserver une image lisse et parfaite. La répercussion sur la famille Fitz et leur réputation en valait la peine. Ils n'étaient pas parmi les plus riches et les plus influents, alors ils devaient se faire leur place d'une autre manière, et elle pensait vraiment qu'ils s'en sortaient très bien à ce titre. Tout le monde avait l'air satisfait, et ils n'avaient globalement reçu que des compliments (ce qui ne voulait pas dire grand-chose, ce milieu était très hypocrite, et il n'était pas le dernier des hypocrites non plus de son côté - ceci dit, il pensait ne pas être mauvais pour distinguer la vérité du mensonge). Il n'y avait qu'une ombre au tableau... que personne n'avait pointé du doigt mais que Bradley n'avait su s'empêcher de remarquer, et qui n'avait pas oublié de l'agacer : sa fille.

Bradley avait de plus en plus de mal à comprendre Pomona à mesure que le temps passait. Elle avait toujours été un peu secrète et misanthrope, mais Bradley était parvenu à longtemps faire abstraction, parce qu'en contrepartie, elle était une enfant brillante, d'une intelligence rare, qui se montrait d'une intégrité à toute épreuve qui était loin de lui déplaire. Seulement, pour avancer dans la vie, il était primordial qu'elle s'ouvre un peu aux autres... et de ce point de vue-là, elle ne faisait aucun effort. Il l'avait observé du coin de l'oeil toute la soirée, elle s'était contentée de gribouiller dans son espèce de carnet, là, tout en restant dans son coin. Pour ce qui était de délivrer de leur famille une image convenable, on faisait mieux. Heureusement, Esther et lui donnaient bien le change, mais ils ne pouvaient pas faire disparaître Pomona du tableau pour que celui-ci soit parfait... Quoique...

Quand le dernier invité eut quitté la pièce, et bien que gagné par la fatigue, Bradley choisit de ne pas attendre le lendemain et s'approcha de Pomona. Il n'aimait vraiment pas le tournant que prenait son comportement depuis un moment déjà. A vrai dire, il lui était un peu trop familier. Parfois, dans ses paroles et dans son attitude, il y avait quelque chose qui lui faisait irrésistiblement penser à Henry... et forcément, ça ne lui plaisait pas, pas du tout même.

-Donne-moi ça, dit-il en tendant la main en direction du carnet afin qu'elle le lui remette.

-Donne-moi ça.

Pomona considéra du regard la main tendue de son père, qui attendait qu'elle y dépose son précieux carnet, mais elle n'esquissa pas le moindre mouvement pour autant.

Ce carnet avait une valeur très spécifique pour elle, même si à bien y regarder, ce n'était jamais qu'un amoncellement de bouts de papiers noircis de son écriture. Mais ce qui y était inscrit, en revanche, avait de la valeur pour elle, quand bien même personne d'autre n'était sans doute capable de déchiffrer son charabia, quand bien même ce charabia n'avait rien de compromettant non plus.

Ou tout du moins, il n'avait rien de compromettant à ses yeux, car elle se contentait d'y lister ses observations sur tous les individus qui croisaient sa route. Mais ce que Pomona considérait comme des faits, son père risquait fort de les prendre pour des considérations péjoratives, et après tout le temps qu'elle avait consacré à ses notes, elle ne voulait pas que son géniteur gâche tout en les arrachant, en les brûlant ou va savoir quoi d'autre, en fin de compte. C'était à elle, c'était son jardin secret.

« Tu pourrais quand même faire l’effort de t’intéresser un peu à ces soirées. »

Comme d'habitude, sa mère était la première à se ranger du côté de son père. Ce n'était pas du tout une nouveauté, loin de là, c'était toujours comme ça. Elle ne se souvenait pas d'une seule occasion où l'un n'avait pas pris le parti de l'autre et réciproquement, comme si leur mariage devait forcément dépendre d'une totale approbation mutuelle quoi qu'il advienne.

Est-ce cela qu'ils attendaient d'elle et de son futur mari ? Dans ce cas, elle pensait qu'ils ne mettraient pas longtemps à être déçus... mais en même temps, elle supposait qu'elle était déjà plus ou moins une déception pour eux, au quotidien. Alors un peu plus, un peu moins.

Raison pour laquelle elle n'hésita pas à répondre à sa mère avec, il est vrai, un soupçon d'effronterie.

"Mais je n'ai fait que ça toute la soirée", dit-elle en désignant son carnet, qu'elle ne confiait toujours pas à son père. "M'intéresser."

Au fond, c'était vrai, ce n'est pas parce qu'elle n'y participait pas qu'elle ne s'y intéressait pas. Au contraire, elle avait justement tendance à trouver beaucoup d'intérêt à ce genre de rassemblement. Juste... pas celui qu'on attendait d'elle. Elle avait rempli pas moins de cinq pages dans la soirée, qui analysait leurs convives, elle n'appelait pas ça du désintérêt.

Pomona fixait sa main tendue sans pour autant y déposer le carnet qu'il avait expressément exigé de récupérer, et dans lequel elle n'avait eu de cesse que de griffonner toute la soirée. Autant dire qu'une telle attitude ne pouvait que lui déplaire, par principe. Non seulement elle avait fait montre d'un comportement à peine acceptable, mais à présent, elle se permettait de désobéir à un ordre direct... Dans ces moments-là, elle avait la fâcheuse tendance à lui faire penser à son frère au même âge, lui aussi jouait les fortes têtes, et lui aussi passait son temps à écrire... et vu sa carrière actuelle, même si Bradley faisait mine de s'y intéresser le moins possible, il n'avait jamais arrêté. Cette comparaison ne faisait jamais qu'exacerber son agacement déjà plus que vif. Honnêtement, elle n'avait pas intérêt à mettre plus longtemps ses nerfs à rude épreuve, ou bien il allait exploser. Pomona était une jeune femme brillante et d'une intelligence incroyable, mais ses qualités avaient clairement tendance à passer pur des tares, dans des situations comme celle-ci, où heureusement, il était ravi de pouvoir compter sur le soutien indéfectible de son épouse.

C'est pour des moments comme celui-là qu'il estimait pouvoir se targuer sans mentir de fonder un socle parental fort avec Esther. Quand il s'agissait de l'éducation de leur fille et du comportement qu'elle devait adopter en haute société, ils tombaient toujours d'accord. Et ça ne concernait pas que l'éducation de leur fille. Ils formaient un binôme parfait, c'était aussi simple que cela, et ils se complétaient à la perfection de n'importe quelle situation. Celle-ci en était un exemple probant aux yeux de Bradley qui appréciait d'autant plus le soutien de son épouse qu'ils ne seraient pas trop de deux face à la forte tête que pouvait être leur fille.

D'ailleurs, Pomona ne se laissa pas du tout abattre par son ordre et la remarque réprobatrice d'Esther, puisqu'elle se permit de leur répondre avec un effronterie qui, une fois de plus, renvoya Bradley directement à la pensée de son frère. Merlin, pourquoi fallait-il qu'elle lui ressemble autant ! Dans une situation comme celle-ci, ce n'était vraiment pas un compliment. Au lieu de s'excuser et de promettre de mieux se comporter la prochaine fois, voilà qu'elle répliquait plutôt qu'elle n'avait jamais fait que s'intéresser, tout le temps de la soirée, prenant son fichu carnet pour témoin.

-Ca suffit, s'exaspéra Bradley en arrachant le cahier des mains de sa fille. Cahier qu'il ne tarda pas à parcourir du regard, s'attardant sur les dernières pages, où elle avait en effet consigné toutes sortes d'observation, pour certaines à ses yeux déplacées, sur leurs convives. Qu'est-ce que c'est que ça, exactement ? demanda-t-il, exigeant des explications tout en tendant le carnet à Esther pour qu'elle puisse y jeter un coup d'oeil.

-Ca suffit.

Pomona se redressa d'un bond quand son père lui arracha son précieux carnet des mains, les poings serrés. S'il était une chose dans laquelle elle refusait que ses géniteurs viennent s'immiscer, c'était bien cela, mais ils n'avaient visiblement aucun respect pour ces secrets.

Pas qu'il s'agisse réellement d'un secret, ceci dit, car tout ce qu'elle consignait dans ces carnets étaient des faits plus qu'autre chose, mais quand bien même...

Elle fut tenter de récupérer son carnet de force, mais elle savait qu'elle ne ferait qu'empirer son cas, alors elle regarda, impuissante, son père le feuilleter, sachant d'avance ce qu'il allait en déduire, même si ce n'était pas le but.

Qu'est-ce que c'est que ça, exactement ?

Pomona leva les yeux au ciel. Les textes ne parlaient-ils pas d'eux-mêmes ? C'était le cas, à ses yeux, et elle n'avait vraiment pas envie de s'en justifier. De toute manière, ils ne comprendraient pas, quoi qu'il en soit.

Elle était prête à se défendre s'il le fallait, mais pas à perdre du temps dans un argumentaire qu'ils n'auraient pas envie d'écouter et encore moins envie de comprendre.

Sa mère feuilletait le carnet à son tour, et sa sentence, comme à son habitude, fut sans appel. Une fois n'est pas coutume, elle se rangeait du côté de son père.

« N’as-tu donc aucun respect pour les personnes que nous avons reçu ce soir ? »

C'était une question rhétorique, ou bien ? Dans ces soirées mondaines, Pomona estimait que personne n'accordait véritablement de respect à personne. On se leurrait, on se mentait, on faisait des ronds de jambe stupide, ce n'était pas du respect, c'était de l'hypocrisie.

"Arrêtez, vous ne supportez pas les trois-quarts des personnes que vous avez reçues ce soir", présuma-t-elle, sûre de ce qu'elle affirmait. Elle les avait suffisamment observés pour en être convaincus. "Ce que j'ai écris n'est pas irrespectueux, ce sont des faits, c'est tout." Mais des faits irrespectueux, arguera-t-on. Qu'y pouvait-elle, si ces gens étaient ce qu'ils étaient. "Vous me le rendez, maintenant ?" ajouta-t-elle en tendant la main.

Elle avait comme l'intuition que ça n'allait pas être si simple, mais elle, elle voulait juste s'enfermer dans sa chambre et qu'on la laisse tranquille.

Une fois n'est pas coutume, Esther se rangeait à son opinion, tant mieux, Bradley n'en attendait pas moins d'elle. Non pas qu'il attende forcément de sa femme qu'elle dise amen à toutes ses décisions et n'ose rien contester ni le contredire, bien au contraire, Esther avait son caractère, et il adorait ça. Mais le fait est qu'ils avaient toujours été sur la même longueur d'ondes, ce qui rendait normalement plus simple leur rôle de parent, puisqu'il n'y en avait pas un pour saper le travail de l'autre... Enfin, encore faudrait-il qu'ils n'aient pas engendré une petite insolente. Plus le temps passait, plus Pomona semblait leur échapper, et il devenait de plus en plus difficile de lui trouver des circonstances atténuantes. Bradley commençait à perdre patience, en tout cas, et d'autant plus que tout, absolument tout dans son comportement lui faisait penser Henry, ce qui forcément n'arrangeait absolument rien à l'affaire. En tout cas, Bradley ne pouvait que cautionner le propos de son épouse : ce qu'il venait de lire en diagonale dans ces pages, c'était la marque d'un évident manque de respect, et il ne pouvait certainement pas tolérer cela sous son propre toit, de la part de sa propre fille, qui plus est.

Et elle ne s'arrêta pas là, en lieu et place de s'excuser, ce qui aurait été la moindre des choses, elle les attaqua, affirmant que leur respect envers leurs invités n'était jamais que factice. Le pire, c'est qu'elle avait raison. Beaucoup de ces personnes, s'il jugeait bon de les côtoyer pour sa propre image, ne lui inspiraient qu'un ennui profond, quand ce n'était pas un sérieux dédain. Mais il fallait jouer le jeu malgré tout. C'était dans l'ordre des choses, un point c'est tout. Mais à la différence, c'est que eux faisaient l'effort de se montrer aimables et agréables et de garder leurs réflexions pour eux, ils ne se sentaient pas l'obligation de les consigner dans cet espèce de... journal.

-Certainement pas, répliqua catégoriquement Bradley quand Pomona demanda à récupérer son carnet. Comme si ça pouvait être aussi simple.

Bradley envisagea un instant de détruire le carnet sous les yeux de sa fille, mais il se ravisa. Pas parce qu'il voulait protéger le travail qu'avait fourni la jeune femme pour rassembler toutes ces informations. Pour lui, ce n'étaient jamais que des enfantillages, mais il sentait bien qu'il pourrait avoir un moyen de pression sur sa fille, de la sorte.

-Je ne sais pas qui t'as mis ces idées en tête... En fait, il avait une bonne idée du responsable, et ça l'agaçait d'autant plus, évidemment. Mais il est temps de te mettre du plomb dans la cervelle. L'ennui te fait faire n'importe quoi. Je pense qu'il est grand temps que l'on négocie à nouveau tes fiançailles.

Elle y avait échappé de justesse la dernière fois, soit, ce n'est pas pour autant qu'elle y couperait.

-Certainement pas.

Sans surprise, son père ne voulait pas lui rendre son carnet. Pomona se doutait bien que ça n'allait pas être aussi simple que cela. Elle avait bien envie d'insister, mais elle avait peur qu'il en arrache ou brûle les pages si elle réitérait sa demande.

Si elle voulait récupérer son précieux carnet, il faudrait qu'elle feinte, tout simplement, et ça pouvait attendre. Ce qui est sûr, c'est qu'elle ne voulait pas perdre ce qui était le résultat de mois, d'années de travail.

-Je ne sais pas qui t'as mis ces idées en tête...

Pomona se retint de justesse de lever les yeux au ciel, mais c'était franchement tentant. Parce qu'elle savait très précisément ce qu'il entendait par là.

Son père avait une idée très précise de ce qu'il pensait. Il était convaincu que son oncle, Henry, avait une mauvaise influence sur elle. Elle n'était pas d'accord, pour sa part. Elle était capable de prendre ses décisions seule, elle ne se laissait influencer par personne, elle était maîtresse de ses pensées, et il s'avérait juste qu'elles étaient raccords avec celles de son oncle, c'est tout.

Mais il est temps de te mettre du plomb dans la cervelle. L'ennui te fait faire n'importe quoi. Je pense qu'il est grand temps que l'on négocie à nouveau tes fiançailles.

Le sang de Pomona se glaça à cette perspective. Elle regarda alternativement ses parents, figée, incapable de dire quoi que ce soit, de s'exprimer convenablement. Elle avait envie de protester, mais elle savait d'avance que ça ne servirait à rien.

Après avoir échappé de justesse à ses précédentes fiançailles, elle s'était reposée sur ses lauriers.... mais elle avait eu tort, et maintenant, elle risquait d'en payer le prix fort, et ça l'inquiétait beaucoup. Elle aimerait pouvoir trouver du soutien auprès de son père, mais ce dernier n'hésita pas à se ranger à son opinion.

« Plus que temps. J’ai eu une longue conversation avec Mrs Lestrange ce soir. Ne trouves-tu pas que Caleb Lestrange et un charmant jeune homme. »

Pardon... ? Caleb Lestrange ? Franchement ? Et puis quoi encore ? De tous les maris potentiels qu'ils pourraient lui choisir... Morgan, au moins, avait le mérite d'être quelqu'un de bien. Mais Caleb Lestrange... Sérieusement ?

C'était hors de question, c'était absolument hors de question.

"Un charmant toutou, oui...", grimaça-t-elle, profondément agacée. Elle le pensait vraiment, Caleb ne servait qu'à suivre Jedusor, et le jour où elle se compromettrait avec un des petits sbires de l'ennemi numéro un n'était pas arrivé, et n'arriverait jamais (hum...). "Je n'ai aucune envie de me marier, si vous voulez garantir votre héritage, vous n'avez qu'à faire un autre enfant."

Esther se rangea bien vite à l'opinion de son époux, et Bradley ne put s'en sentir qu'infiniment satisfait. Ceci dit, il n'était en rien surpris par son comportement. C'était ainsi, ça avait été ainsi dès le jour de leur première rencontre, ils étaient sur la même longueur d'onde, se comprenaient sans avoir besoin de se dire quoi que ce soit. Alors, forcément, au moment de prendre des décisions d'une seule voix, ils s'entendaient à la perfection... Autant dire qu'ils avaient été faits pour être des parents ensemble... Par contre, Pomona n'avait peut-être pas, pour sa part, été taillée pour être leur fille. Elle manquait, à plus d'un titre, de ce qui devrait être essentiel à tout Fitz qui se respecte (du moins un Fitz qui ne serait pas passé du mauvais côté de la barrière, comme Henry)... mais manifestement, il pouvait toujours courir. Enfin, il n'était sans doute pas trop tard pour mettre un peu de plomb dans la cervelle de leur fille. Et qui sait, à deux, ils arriveraient peut-être à quelque chose.

Esther et Bradley étaient du même avis, c'était probablement l'oisiveté et le sentiment de se croire tout permis qui communiquaient à leur fille une telle effronterie. Y remédier ne serait pas si difficile que cela. Il n'y avait qu'une chose à faire, et une seule : lui trouver un mari, la rappeler aux responsabilités qui devaient être les siennes. Elle y avait échappé par la force des choses, c'est vrai, mais ce n'est pas pour autant qu'elle devait s'attendre à échapper à ce qui était ni plus ni moins qu'un devoir pour elle. Il s'était écoulé un temps suffisamment raisonnable depuis le décès de Morgan Cialmhar pour qu'il soit concevable de lui trouver un autre époux sans que cela soit pris pour de la délicatesse. Les apparences étaient sauves, il était donc grand temps de passer aux choses sérieuses.

Esther, d'ailleurs, avait déjà fait son petit bonhomme de chemin pour trouver à leur fille le prétendant idéal. Bradley savait qu'il pouvait très clairement compter sur elle de ce point de vue. Elle s'entendait parfaitement avec toute la haute société sorcière, et c'était parfait ainsi. Cela leur permettait ainsi, quand bien même ils n'étaient pas au plus haut de l'échelle sociale, de proposer à leur fille un prétendant de choix. La famille Lestrange avait excellente réputation parmi les sangs purs, et il était assez évident que si Pomona devenait Pomona Lestrange, elle ferait l'entière fierté de ses parents. Et puis, ce ne serait pas la promettre à n'importe qui. Pour les quelques fois où Bradley avait eu l'occasion de voir Caleb Lestrange, il lui avait toujours fait la meilleure des impressions. Un jeune homme poli, charmant, propre sur lui. Que demander de plus ? Un peu de bonne volonté de la part de leur fille, sans doute... La réaction de Pomona fut aussi vive qu'inappropriée.

-Modère ton langage, Pomona, et cesse de croire que le choix t'appartient. Passer à côté d'une telle opportunité, ce n'est pas de l'obstination, c'est de la bêtise.

-Modère ton langage, Pomona, et cesse de croire que le choix t'appartient. Passer à côté d'une telle opportunité, ce n'est pas de l'obstination, c'est de la bêtise.

En une phrase, une seule, son père avait à peu près toutes les raisons qui faisaient que Pomona s'obstinerait à dire "non". Parce que oui, le choix lui appartenait. Elle se moquait bien que son père prétende le contraire. Elle avait le choix de s'en aller, si elle le voulait. Pour aller où et faire quoi, elle n'en savait rien, mais l'idée l'avait effleurée plus d'une fois, ça c'est une certitude.

Elle était peut-être bête, peut-être que son obstination tenait de l'idiotie, mais cela ne dissuaderait pas Pomona de faire comme elle l'entendait... Elle s'estimait intelligente, peut-être à tort, suffisamment en tout cas pour échapper à l'influence de ses géniteurs s'ils devaient poursuivre sur leur lancée.

Quand on avait voulu la marier à Morgan, elle n'était qu'une adolescente. Elle ne choisissait pas, elle subissait. Maintenant, c'était différent, elle n'avait pas envie de pénétrer ce cercle infernal encore une fois. Et c'était une chose qu'elle aurait voulu que ses parents comprennent et respectent.

« Ma chérie… »

Sa mère chercha à temporiser les choses, en déposant une main sur son bras. Pomona n'allait pas prétendre être insensible à l'affection que ses parents lui portaient (et que sa mère avait toujours mieux su lui signaler que son père). Mais leurs décisions étaient en telles contradictions avec cette affection qu'elle se demandait parfois si elle n'était pas seulement affectée dans le but de tout lui faire accepter.

Elle avait avalé suffisamment de couleuvres comme cela.

« Tu es notre fille et nous sommes fiers de toi. »

Comme celle-ci... Elle ne savait pas vraiment en quoi elle les rendait hypothétiquement fiers, puisque dès qu'elle acceptait ne serait-ce qu'un peu de s'exprimer à titre individuel, on l'envoyait sur les roses.

Alors oui elle était leur fille... mais fiers d'elle, elle doutait fort qu'ils le soient. Au mieux, ils admettaient qu'elle n'était pas la dernière des idiotes parce qu'elle avait eu une scolarité exemplaire, elle se demandait si ça ne s'arrêtait pas là.

« Mais il est temps que tu grandisses, que tu prennes tes responsabilités. Tu ne peux pas continuer à t’éparpiller comme tu le fais. Un mariage avec Caleb Lestrange t’apportera tout ce dont tu as besoin. »

"Tout ce dont j'ai besoin", répéta-t-elle, un peu amère. "Et de quoi est-ce que j'ai besoin, exactement ?"

Bradley s'emportait sans doute un peu trop, il voulait bien l'admettre. Il faut dire qu'il était assez difficile pour lui de constater avec quel dédain leur fille rejetait tous les préceptes qu'ils avaient pris tant de soin à lui inculquer. Tout ce qu'ils faisaient, c'était pour son bien, et au lieu de les remercier pour l'excellent mariage qu'ils lui garantissaient (et tout de même, ce n'était pas rien, beaucoup de famille de sang pur de moyenne fortune souhaiteraient pouvoir se lier aux Lestrange), elle rejetait l'idée en bloc. Il voulait bien tenter de se montrer compréhensif, il tolérait même ses lubies tant qu'elles n'interféraient pas avec les projets établis pour elle, mais là, elle allait trop loin, définitivement trop loin...

Si Esther n'était pas intervenue, le ton serait sans doute encore monté davantage, et Bradley la remercia intérieurement d'être là pour pondérer les choses. Elle savait toujours s'arranger pour lui remettre la tête sur les épaules quand la situation s'arrangeait. La vérité, c'est qu'il manquait d'objectivité par rapport à cette situation. Le comportement de Pomona, les conversations de ce genre... il avait déjà vécu tout ça, en spectateur, peu avant que Henry ne quitte le domicile familial pour ne jamais y revenir... et Bradley craignait que Pomona ne s'engage sur une voie de laquelle elle ne reviendrait pas... Mais Esther avait raison, la douceur valait tout de même mieux que l'intimidation... même si cette seconde méthode ne semblait pas toucher davantage leur fille, qui agissait en véritable enfant pourrie gâtée. A croire qu'ils auraient dû se mpntrer plus stricts, avec eux. Bradley rejoignait son épouse quand elle affirmait qu'ils étaient fiers de leur fille. Oui, il avait été plus d'une occasion de l'être, parce que Pomona était une jeune femme brillante et d'une intelligence redoutable, mais en cet instant, il ne voyait rien de tout ça.

-De stabilité, d'équilibre... et de te mettre du plomb dans la cervelle, manifestement, répondit Bradley quand sa fille les interrogea sur ce dont ils auraient, selon lui, besoin. Fallait-il vraiment qu'elle pose la question ?

A ses yeux, c'était pourtant évident. Oui, elle n'avait pas forcément l'impression qu'ils agissaient à son profit, mais il fallait qu'elle apprenne qu'entre ce que l'on désire et ce dont l'on a besoin, il y a un fossé immense, qu'il serait malvenu pour elle de franchir sans prendre toutes les précautions nécessaires. Oui, ils étaient ses parents, ils savaient mieux qu'elle ce qui était bon pour elle, un point c'est tout. Peut-être pouvaient-ils mettre ça sur le compte de sa jeunesse. Il est vrai que Pomona était une idéaliste... à sa manière pourtant très pessimiste, mais il était temps pour elle de grandir et de se faire une place de marque dans la société. L'opportunité ne se présenterait pas deux fois, il fallait qu'elle la saisisse.

-De stabilité, d'équilibre... et de te mettre du plomb dans la cervelle, manifestement.

Pomona serra les dents. Cette situation l'agaçait décidément terriblement. Il était assez agaçant de constater l'énergie avec laquelle ses parents défendaient leurs décisions en affirmant agir pour son bien à elle quand ils s'appliquaient en parallèle à la priver de ce qui lui faisait effectivement et concrètement du bien, sans aucun conteste possible, à commencer par son carnet.

De la stabilité, de l'équilibre, elle en obtenait en écrivant, en observant, en consignant. La jeune femme fonctionnait ainsi. C'était comme ça, c'était dans son caractère, et elle n'arrivait tout simplement pas à faire autrement. Et ça lui convenait très bien. Elle pourrait tout à fait rester stable et équilibrée tout en ne se mariant pas. Après tout, son oncle était un célibataire endurci, et un écrivain renommé.

D'accord, elle était une femme, et dans son cas, ça compliquait tout de même un peu l'affaire. Mais elle s'en sentait capable. et elle voudrait que ses parents l'en croient capable. Sauf que, évidemment, ne faire qu'évoquer son oncle ferait entrer son père dans une colère noire et n'arrangerait définitivement pas son cas.

Et pour ce qui était de se mettre du plomb dans la cervelle... Là, clairement, elle préférait ne rien dire sous peine de devenir véritablement désagréable. Pomona avait conscience de sa valeur, et sa cervelle se portait très bien, merci pour elle.

« À moins que tu ne sois attachée à quelqu’un… Tu n’as aucune raison de refuser ce mariage. Et il aurait lieu. »

Oui, donc, dans tous les cas, il fallait qu'elle se marie. Mais elle s'en fichait, elle, du mariage, elle s'en fichait des hommes, elle s'en fichait de l'amour (et dans une autre vie, elle se dirait qu'elle aurait peut-être eu tout intérêt à s'en moquer).

Bon, c'était bien gentil de suggérer que si elle était déjà attachée à quelqu'un, ça changerait la donne. Mais elle n'était pas sûre que ça tiendrait la route dans les faits.

Elle poussa un nouveau soupir. Cette conversation ne menait nulle part. Et il y avait peu de chances que cela change. Elle avait juste envie de s'en aller, mais elle savait qu'on ne la laisserait pas partir. Si elle devait le faire, il ne faudrait pas que ce soit sous leurs yeux.

"Et si j'étais attaché à quelqu'un, qu'est-ce que ça changerait exactement ?"

C'était bien gentil de tenir compte de ses sentiments, mais si l'heureux élu était un moldu ? Un cracmol ? Ou même un enfant de moldu ? Dans tous les cas, difficile de trouver meilleur parti que Caleb Lestrange, pas vrai ?

L'attitude et le manque manifeste de volonté de son interlocutrice agaçaient profondément Bradley. Certes, il connaissait sa fille (ou du moins autant que possible, car la jeune femme était tout sauf facile d'accès), mais tout de même, il trouvait qu'elle n'essayait même pas. Elle n'affichait pas ne serait-ce que l'ombre d'un effort. Pourtant, tout ce qu'ils s'évertuaient à faire, en cet instant, ce n'était jamais que pour son bien, et il apprécierait qu'elle soit à même de s'en rendre compte. Pomona ne le réalisait peut-être pas, mais plus tard, elle serait heureuse de disposer du soutien, de la fortune et du confort que ce mariage lui procureraient. Un soutien, une fortune et un confort que Mr et Mrs Fitz n'étaient pas à même de lui apporter autrement, en dépit de tous leurs efforts.

Ils n'avaient pas choisi n'importe qui, qui plus est. Si Caleb Lestrange avait été un homme cruel et peu fréquentable, en dépit de son héritage et de sa réputation, jamais ils n'auraient convenu de noces telles que celle-ci, mais Caleb Lestrange paraissait être un jeune homme plus que fréquentable : charmant, bien éduqué, fortuné, au sens de la famille affirmée... que demander de plus ? L'amour, peut-être ? Mais il pouvait tout à fait venir avec le temps, après tout.

Et à propos d'amour, Esther suggéra que la réticence de la jeune femme lui venait peut-être du fait que son coeur était déjà pris. Bradley devait bien l'admettre, il n'avait absolument pas envisagé que ce puisse être le cas. A tort, peut-être, il estimait sa fille totalement imperméable à ce genre de considération, et c'était en partie pour cela, d'ailleurs, qu'il tenait à arranger son mariage. Ils ne seraient pas toujours là pour subvenir à ses besoins. Il était important à ses yeux qu'elle ait un partenaire de vie auquel se confier, sur lequel se reposer à l'avenir.

-C'est le cas ? demanda Bradley sans répondre à la question de sa fille. Inutile de lui monter la tête si elle se contentait de simples interrogations.

Ceci dit, elle avait réussi à semer le doute dans son esprit, et pas un moindre doute, loin de là. Que se passerait-il s'il apprenait qu'elle fréquentait quelqu'un. Il ne savait pas s'il serait heureux ou déçu, à vrai dire. Le parti qu'elle se serait choisi avait peu de chances d'être aussi avantageux qu'un Lestrange. Après, si elle était heureuse, si le jeune homme était quelqu'un de bien... Eh bien, dans ce cas, ils renonceraient à leurs projets, ils le feraient vraiment. Bradley s'était marié par amour, il ne ferait pas preuve de l'hypocrisie de ne pas lui laisser la chance qu'il avait eu lui-même. Ce qui ne signifiait pas qu'elle s'en sortirait avec des mensonges, bien au contraire.

-C'est le cas ?

Pomona poussa un soupir. C'était typiquement le genre de réactions auxquelles elle s'était attendue. Pas de réponse directe à ses questions et, à la place, une capacité manifeste à tourner autour du pot. Elle avait posé une question simple, elle attendait une réponse simple...

Mais non, avec ses parents, il fallait toujours que tout soit plus compliqué que nécessaire...Plutôt que d'admettre leurs torts, plutôt que de reconnaître qu'ils étaient pieds et poings liés, empêtrés dans de vielles traditions dont elle même n'avait cure, ils caressaient maintenant l'espoir intérieur qu'elle ait trouvé d'elle-même un homme bien né pour en faire son futur époux... même si son prétendant pourrait sans doute difficilement rivaliser avec le prestige de la famille Lestrange.

Eh bien ils pouvaient toujours courir. La gente masculine (pas plus que la gente féminine, s'il est vraiment nécessaire de lever ce malentendu) ne lui inspirait qu'un intérêt tout rationnel, fondé sur des arguments sociologiques et ethnologiques. Loin d'elle l'idée ou l'envie de se marier, et ses parents auraient beau lui mettre tous les prétendants du monde sous le nez, ce n'est pas pour autant que la perspective de mariage allait finir par l'enchanter.

Alors non, ce n'était pas le cas, et c'était ce qu'elle avait envisagé de répondre en premier lui. Et puis elle songea qu'il serait plus intéressant de confronter ses géniteurs à leurs contradictions, de front directement.

Alors au lieu de répondre par la négative comme elle en avait eu l'intention pour commencer, elle hocha la tête.

"Il s'appelle Alan", mentit-elle avec détachement. Le prénom lui était venu comme ça. Elle ne connaissait aucun Alan... Elle ne savait pas ce que ça voulait dire du côté de son subconscient que ce soit le premier nom qui lui soit venu à l'esprit, mais elle s'interrogerait là-dessus plus tard, pour le moment, ce n'était pas forcément nécessaire. "C'est un moldu."

Et donc, ça c'était la cerise sur le gateau. Elle tait assez impatiente de voir la tête que feraient ses parents en entendant ça. Certes, il était très possible qu'ils ne la croient pas, après tout, où l'aurait-elle rencontré, ce moldu ? Pas grave, elle voulait ne serait-ce qu'éveiller un léger doute chez eux. Ce serait déjà un bon début dans tous les cas.

Pomona hocha la tête, et Bradley, d'office, se sentit contrarié. Il aurait été beaucoup plus simple qu'elle réponde par la négative et accepte d'entendre leurs arguments. Ils étaient parvenus à lui dégotter le meilleur parti possible, et elle allait peut-être tout gâcher à cause d'une simple amourette adolescente... Certes, Bradley serait de mauvaise foi en affirmant que les sentiments n'avaient pas leur place dans le mariage alors que lui-même avait épousé la femme de sa vie. Mais il pensait tout de même savoir mieux que Pomona ce qui était le mieux pour elle. Du haut de son jeune âge, elle avait peut-être le sentiment de vraiment avoir voix au chapitre, d'avoir conscience de ses sentiments réels.

Le jeune homme pour qui, semble-t-il, battait le coeur de Pomona, avait un nom puisqu'elle le nomma Alan. Soit... Première information intrigante. Elle n'avait jamais parlé du moindre Alan. Mais... ceci dit, la jeune femme ne parlait jamais de rien ni de personne à ses parents... Cela faisait longtemps qu'ils ne parlaient plus, qu'ils ne dialoguaient plus, tous les deux... tous les trois. Alors elle aurait pu rencontrer un Alan, un Eric, un Seth... il ne se serait rendju compte de rien... absolument rien du tout.

Elle ajouta que c'était un moldu. Là, c'était trop. Bradley la regarda, circonspect. S'il l'avait prise au sérieux jusqu'alors, il n'était pas certain de le devoir, à présent... Elle les provoquait, c'était évident... non ? Certes, les Fitz n'étaient pas aussi attachés à la pureté de leur sang que d'autres nobles familles qui pouvaient se targuer de posséder d'irréprochables arbres généalogiques... mais tout de même. Ils avaient, disons... des standards. Et Bradley n'avait pas l'intention d'y déroger...

Et ce n'était pas qu'un affaire de volonté ou de traditions... s'il tenait à trouver un mari à sa fille, ce n'était pas pour la contrarier ou pour le plaisir de la voir se ranger, c'était pour son bien. Il tenait à lui garantir la meilleure vie possible, il tenait à ce qu'elle ne manque de rien, et pour cela, il lui fallait un homme riche, bien installé... et évidemment, un sorcier. Mais en même temps, il ne réussissait pas à s'ôter de la tête le fait que la jeune femme les menait en bâteau juste pour tester leur réaction.

-Tu mens, décréta-t-il, catégorique, à son tour pour tester sa réaction.

Rien ne lui garantissait qu'elle mentait, mais il l'espérait. Alors, forcément, il voulait en avoir confirmation. Alors il espérait qu'elle lui confirmerait qu'elle mentait. Ainsi, il pourrait la catégoriser, la remettre à sa place. Dans le cas contraire ? Eh bien, cela signifierait qu'ils faisaient face à un problème d'envergure... qu'ils allaient devoir résoudre au plus vite, avant que la situation ne s'envenime une bonne fois pour toutes.    

-Tu mens.

Pomona avait-elle été si peu convaincante que son père ne lui laisse même pas le bénéfice du doute ? C'était bien possible, et elle n'irait pas prétendre être une menteuse hors pair, même si elle était plutôt forte quand il était question de dissimuler ses émotions (ce qui n'était pas la même chose malgré tout). Dans tous les cas, elle avait sa réponse, pour peu qu'elle ait été sincère, elle ne pensait pas que ses parents auraient réagi d'une autre façon.

Elle ne pouvait tolérablement aimer que dans la mesure où cet amour serait conforme aux attentes parentales. En soi, elle aurait pu s'en contenter, puisqu'elle ne se pensait de toute manière pas capable de tomber amoureuse de qui que ce soit et se l'épargnait bien, au passage, mais l'hypocrisie qui se dévoilait dans leur discours avait le don de lui hérisser le poil. Ils se complaisaient si bien dans leurs contradictions que c'en était presque insupportable. Non, en fait, ça l'était totalement.

Qu'elle mente ou pas n'était finalement pas la question. Ils étaient tous des menteurs, dans cette pièce. Pas un pour rattraper l'autre, tous à se prétendre parangons de vertu et exemples de tolérance parentale quand ils n'acceptaient rien d'autre de leur fille que ce qui les arrangeait. Ce que sa mère lui confirma en prononçant les quelques mots suivants.

« Tu épouseras Lestrange. »

Voilà qui était chose dite. Elle épouserait Lestrange. Pour eux, c'était chose dite, actée, il n'y avait aucun besoin d'y réfléchir ou de peser le pour et le contre de la situation. Elle pouvait bien décider de se taire et d'approuver, en ce cas, une seule issue s'offrirait à elle, et c'était la dernière des vies qu'elle ait jamais voulu. Ou bien elle devait changer son fusil d'épaule. Et en ce cas, elle n'avait guère de temps devant elle.

Résignée, elle poussa un soupir.

"Puisque vous me laissez le choix", ironisa-t-elle. "On fera comme vous voudrez. Maintenant, j'aimerais qu'on me laisse seule."

Ce n'était pas une suggestion, elle se redressa aussitôt et quitta la pièce sans un regard à ses parents. Elle savait ce qu'elle devait faire, ou en tout cas ce qu'elle souhaitait faire, à présent. Elle allait quitter cet endroit, partir sans se retourner, c'était le mieux qu'elle puisse faire pour elle-même.