À un moment ou à un autre, Louisa savait qu'elle allait devoir se résoudre à se présenter en cours, à se montrer plus assidue et à ne pas passer ses semaines à passer plus de temps à faire l'école buissonnière que sur le banc de l'école. Plusieurs professeurs avaient demandé à la voir, elle se doutait que l'info était remontée jusqu'aux oreilles de sa mère, et elle avait fait tout son possible pour ne pas la croiser, mais ça ne durerait pas longtemps... Elle allait devoir mettre ses idées en ordre une bonne fois pour toutes, et reprendre du poil de la bête. Elle-même n'avait pas envie de risquer bêtement sa scolarité pour toutes ces histoires... mais comment ne pas être bouleversée ? Comment faire pour ne pas constamment y penser ? Elle en était totalement incapable. Ça passerait peut-être, avec le temps... mais qu'est-ce que ça veut dire exactement, le temps, quand apparemment on peut en faire ce qu'on veut, aller et venir à sa guise... quand apparemment, une strate temporelle a déjà décidé de votre destin ? Le passé était apparemment malléable, mais Louisa avait le sentiment que le futur était irréversible, et même, c'était une obligation. Parce que des vies en dépendaient. C'était désagréable de se dire qu'on n'avait pas le choix... Ça ne lui aurait pas déplu en soi, mais sans rien savoir, sans se dire que ses espoirs adolescents deviendraient une épée de Damoclès affreusement tranchante... Oui, elle était loin de savoir arrêter d'y penser. Ça lui revenait constamment en tête, comme une rengaine chantée, répétée indéfiniment à son oreille. Affreusement désagréable.

Elle avait pris d'abord la bonne résolution de se rendre à son cours de potions mais, à la dernière minute, elle avait changé d'avis... Non, finalement, elle n'avait vraiment pas envie de s'enfermer dans un cachot sordide pour entendre ce bon vieux Slughorn faire de la lèche aux gosses de riches... Alors elle avait rebroussé chemin, et elle parcourait maintenant les couloirs du sous-sol en sens inverse, en espérant ne pas croiser un élève retardataire qui irait la cafter auprès de son professeur. Pendant plusieurs longues minutes, elle n'avait croisé personne, les lieux étaient déserts, et elle avait relâché l'attention. Alors elle fut surprise quand elle rencontra finalement quelqu'un. Elle eut peur que ce soit un de ses camarades, ou encore son prof, en retard, mais non, la figure face à elle était plus amicale. Une des rares figures que Louisa trouvait amicale, en fait. Il s'agissait d'Adrian, et elle se détendit aussitôt en comprenant que ce n'était vraiment pas lui qui le vendrait.

-Salut Adrian. Pitié, dis-moi que t'as pas croisé Slughorn.

« Euh… non je ne l’ai pas croisé. Pas depuis que j’ai terminé mon cours avec lui en tout cas. »

Louisa poussa un soupir soulagé en entendant que le jeune homme n'avait pas croisé la route de Slughorn. Bon, apparemment, la mission était accomplie et elle avait apparemment échappé à la vigilance du professeur de potions. Quelle idée d'avoir même cherché à faire le déplacement jusqu'aux sous-sols. Elle aurait mieux fait de rester enfermée dans sa salle commune. Mais bon, ce n'était pas si grave, au final. Elle aurait pu tomber sur pire que sur Adrian en compensation, d'ailleurs. Malgré leurs quelques années de différence et le fait que le jeune homme ne soit pas à Poudlard depuis très longtemps, elle l'aimait bien. Il faisait partie de cette catégorie de personnes qui n'exaspéraient pas la jeune fille, et qu'elle appréciait beaucoup, même. Parce qu'il ne se la racontait pas, comme autant d'autres... Et parce qu'il ne se faisait pas remarquer, tout ce qu'elle pouvait bien affectionner, donc. Plutôt que de supporter une heure de cours, elle préférait de très loin oublier un peu ses soucis en compagnie d'Adrian. Enfin, si ce dernier avait du temps à perdre avec elle. Peut-être qu'il devait aller en cours, lui, elle n'en savait rien.

« Pourquoi ? »

Louisa ne reprochait pas à Adrian sa curiosité. Elle la comprenait, cette curiosité, elle aurait pu poser la même question s'ils avaient inversé les rôles. Elle avait dû légèrement passer pour une furie, à l'interroger d'emblée sur la présence ou l'absence de Slughorn à l'heure où elle devrait sûrement être en cours avec lui. La bleue et bronze voulut bien répondre, surtout qu'en fait, maintenant qu'elle l'avait sous les  yeux, elle se rendait bien compte qu'elle avait besoin de parler un peu, même si elle ne pourrait pas tout dire. Et elle ne pouvait malheureusement plus vraiment compter sur Rhian et Cenlyn pour cela, même si elle aimerait vraiment le pouvoir, pour se décharger du poids trop grand qu'on avait placé là, sur ses  épaules, alors qu'elle n'avait rien demandé à personne, vraiment rien.

-Je devrais avoir cours avec lui, là, lui avoua-t-elle dans un haussement d'épaules indifférent. J'allais y aller puis je me suis souvenue en chemin que j'en avais rien à battre, ajouta-t-elle dans un sourire complice. C'était plus simple, en même temps, de jouer les pseudo-rebelles que d'avouer que sa situation, ces derniers temps, avait le don de l'oppresser au point que ça en devienne invivable. Tu dois aller en cours, là, toi ?

Parce que dans le cas contraire, parler avec lui serait peut-être plus sympathique que de s'enterrer dans sa salle commune avec un bon bouquin.

« Je vois. »

Louisa esquissa un léger sourire en réponse. C'est sûr qu'il ne pouvait pas dire grand-chose de plus, mais elle appréciait assez qu'il ne lui fasse aucune remarque quand au fait qu'elle osait sécher les cours, sachant que lui était plutôt du genre discipliné, franchement pas le genre à faire l'école buissonnière. Louisa l'initierait bien à l'exercice, cela dit, c'était en partie pour ça qu'elle lui avait demandé s'il avait encore cours, parce que si ça avait été le cas, elle se serait arrangée pour qu'il renonce à sa décision d'aller en cours pour lui tenir compagnie. Mais non, elle n'aurait pas cette occasion. Elle aurait peut-être échoué si elle s'y était essayée, d'ailleurs.

« Oh, non j’ai terminé pour aujourd’hui. »

C'était pas plus mal, en soi. Parce que comme ça, elle était sûre qu'il n'avait normalement rien de prévu pour les heures à venir. Parce qu'elle apprécierait de passer ce temps qu'elle aurait dû occuper à son cours de potion en la compagnie du bleu et bronze. S'il était d'accord, en tout cas. Ils étaient plutôt du genre solitaire, tous les deux, mais ils pouvaient occuper leur solitude à deux, tout simplement.

« Tu vas faire quoi du coup vu que tu ne vas pas en cours ? »

Louisa prenait la question d'Adrian pour une invitation. S'il lui demandait ce qu'elle avait l'intention de faire, c'était bien la preuve qu'il s'y intéressait, non ? Même si Louisa n'était pas vraiment décidée. Ce qu'elle savait, c'était qu'elle voulait se changer les idées, se sentir mieux, trouver n'importe quel prétexte à ne pas trop réfléchir, à ne pas trop réfléchir à ce qui lui faisait du mal, aux pensées qui ne cessaient jamais de la hanter, quoi qu'elle fasse. Et peut-être que ne pas rester seule l'aiderait plus facilement à dédramatiser sa situation et à ne pas tourner autour du pot. Elle le souhaitait, en tout cas. Elle n'avait pas beaucoup d'amis, et ses deux meilleurs amis n'étaient pas de ceux qui allaient vraiment l'aider à penser à autre chose, puisqu'ils étaient beaucoup trop concernés par la situation pour pouvoir faire abstraction. Adrian le pouvait, lui, il n'était pas au courant de ce qui lui arrivait, et Louisa n'avait pas l'intention de lui en parler. Ça avait l'air d'être un plutôt bon plan, du coup. Enfin, s'il acceptait de tolérer sa compagnie, en tout cas.

-Je sais pas encore, répondit-elle en haussant les épaules. Y a cinq minutes, je pensais encore aller en cours, alors... Elle marqua une pause puis reprit. T'as des trucs à faire, toi ? J'irai bien faire un tour dans les cuisines, j'ai un petit creux.

Louisa se surprenait elle-même de proposer à Adrian comme elle le faisait de lui tenir compagnie, puisqu'il n'avait rien de bien particulier à faire et qu'elle-même n'avait plus la moindre intention d'aller en cours. Mais elle n'avait pas spécialement envie de rester toute seule, tout bien réfléchi, alors si elle devait aller se goinfrer aux cuisines, autant le faire seul. Et si, en fait, le bleu et bronze refusait de l'accompagner, elle n'allait pas se lamenter non plus, ce ne serait pas bien grave. Elle avait l'habitude de rester seule dans son coin, et elle savait très bien s'occuper quand c'était le cas, ce n'était pas un souci pour elle. Mais bon, s'ils voulaient rompre avec leur ennui et leur morosité, eh bien ils pouvaient choisir de le faire ensemble. Même si c'était juste pour se goinfrer sans se dire grand chose, parce qu'il était assez clair que tous les deux n'étaient pas de grands bavards, mais c'était bien comme ça, il n'y en aurait pas un pour assommer l'autre de blabla inutile. C'était très bien comme ça. Louisa afficha un sourire en coin quand Adrian ajouta qu'il avait du mal à se faire à la nourriture anglaise. Ben tiens, c'était bien une remarque d'Américain, ça. Mais en même temps, elle devait bien reconnaître que certaines de leurs spécialités culinaires étaient quand même assez... eh bien... spéciales, justement.

-C'est vrai que vous, les Américains, vous avez des estomacs en carton, répliqua-t-elle en faisant mine d'être un peu chauvine, ce qu'elle n'était pas du tout en réalité, bien sûr. En vérité, si on lui laissait le choix, elle préférait les spécialités culinaires françaises. C'est à force de manger du pain de viande, ça, hein, avoue !

Elle n'avait aucune idée de la manière dont se préparait cette spécialité américaine, mais Louisa s'imaginait un énorme pain au goût bizarre de viande, et ça ne lui mettait pas du tout l'eau à la bouche, donc bref, il pouvait parler. En plus, il devait exagérer, quand même. La nourriture à Poudlard était variée, et ça faisait plus d'un an qu'Adrian était élève à l'école de magie. Alors il ne fallait pas abuser non plus. Mais bon, elle appréciait quand même le trait d'esprit. Louisa se mit donc en route vers les cuisines, tout en poursuivant la conversation.

-Ça te manque pas trop, l'Amérique ?

Elle mettait peut-être les pieds dans le plat. Mais tant pis.

"C'est super bon le pain de viande !"

No comment. Ce n'était en tout cas clairement pas Adrian qui allait du jour au lendemain modifier son opinion fondamentale concernant le pain de viande. D'accord, pour juger de si c'était vraiment mauvais ou pas, il fallait goûter, on est bien d'accord. Mais elle n'avait pas la moindre envie de goûter à un truc que l'on appelait "pain.de.viande", rien que le concept lui donnait le sentiment d'un truc dégueulasse et indigeste. Elle se contenterait de sa bouffe anglaise, merci bien... Même si elle devait bien reconnaître que certaines spécialités culinaires typiques de la Grande-Bretagne lui avaient toujours donné le sentiment d'être des aberrations totales. Genre le Christmas Pudding ! Rien que la recette avait de quoi vous donner la nausée. Et qui avait un jour décidé de farcir une panse de brebis ? C'était n'importe quoi ! Mais Louisa allait éviter d'avancer ces exemples de crainte de perdre toute crédibilité. Dans tous les cas, ce n'était pas de ça qu'il convenait de parler. Adrian lui parlait de l'Amérique et de combien ça lui manquait, c'était déjà bien plus important.

"Si ça me manque énormément. Enfin, c'est surtout ma mère qui me manque. Mais bon, c'est comme ça."

Adrian et Louisa s'entendaient bien, mais ils n'étaient pas non plus les personnes les plus proches de la terre, mais elle savait quand même deux-trois choses sur sa vie (ce n'était pas un secret absolu de toute manière), notamment le fait qu'il n'avait jamais connu son père, qu'il vivait chez son oncle célébrissime et que sa mère était encore en Amérique. Il avait l'air proche de sa mère, quelque chose que la bleue et bronze pouvait comprendre même si elle ne savait plus ce que ça faisait. En tout cas, ne pas avoir de père et se sentir loin de sa mère, c'étaient des sentiments que Louisa connaissait trop bien. Mais à l'inverse d'Adrian, qui subissait tout ça, Louisa, elle, ne pouvait nier y être pour quelque chose en fin de compte.

- Tu sais, je vois ma mère à peu près tous les jours et elle arrive à me manquer quand même alors bon... Elle haussa les épaules, son propos, quoi qu'un peu maladroit, était sincère. Je te comprends, je veux dire. Elle va bien finir par venir de toute façon, non ? demanda-t-elle sans savoir si c'était même dans l'intention de Mrs Goldstein.

En essayant maladroitement de réconforter son camarade, elle l'enfonçait peut-être un peu plus, parce qu'elle n'était pas douée pour ça, mais son intention était honnête.

« Je ne sais pas trop. Ou alors, c’est moi qui vais finir par retourner là-bas. »

Louisa devinait que ça ne devait pas être simple de se retrouver dans ce genre de situation d'incertitude (en même temps, les situations d'incertitude, Louisa s'y connaissait à force). Il se doutait qu'il allait finir par retrouver sa mère à un moment ou à un autre. Sauf que soit il retournait aux Etats-Unis, soit sa mère viendrait vivre en Angleterre. Rien n 'avait été décidé, en gros. Louisa se surprit à espérer qu'Adrian ne retournerait pas vivre en Amérique. C'est pas qu'ils étaient non plus les meilleurs amis du monde tous les deux (Louisa n'avait pas tant d'amis que ça non plus, en même temps), mais elle aimait bien passer du temps avec lui, discuter comme ils le faisaient maintenant. Elle aimait passer du temps avec lui, ça lui manquerait s'il devait repartir. Enfin, ça n'avait pas l'air d'être à l'ordre du jour de toute manière. Visiblement, le jeune homme n'avait pas la moindre idée de ce qui allait se passer pour lui dans l'avenir proche concernant sa mère. Et à propos de ces très chères génitrices, ce fut au tour d'Adrian d'interroger son interlocutrice au sujet de sa mère.

« Qu’est-ce qu’il se passe avec ta mère ? »

Louisa haussa les épaules. Il y avait tellement longtemps, maintenant, que sa mère et elle se faisaient la guerre qu'elle était juste incapable de rentrer dans les détails. Elle les avait oubliés, tout simplement. Mais elle savait comment tout ça avait commencé, ceci dit, et c'était un truc qu'elle pouvait assez facilement expliquer à son ami, même si ce n'était pas forcément le genre de choses dont elle aimait beaucoup parler. En même temps, ils ne s'amusaient pas spécialement à aborder des sujets très joyeux depuis tout à l'heure.

-Quand mon père est mort, elle devait choisir : s'occuper de sa fille ou passer cent pour cent de son temps à son boulot, elle a choisi.

C'est vrai que comme ça, sa mère passait pour une horrible personne. Mais Louisa savait que c'était plus compliqué que ça. Sa mère avait beaucoup souffert de la mort de son père, le travail, c'était une façon de noyer son chagrin, mais elle était trop petite pour comprendre à l'époque, et même si elle y arrivait mieux maintenant, la rancœur ne s'oublie pas si facilement.

« Tu es sûre qu’on n’a pas la même mère tous les deux ? »

La question d’Adrian fit sourire Louisa, même si, en fin de compte, ça n’avait vraiment rien d’heureux que de constater qu’il y avait ce genre de similarité entre eux. Parce qu’au bout du compte, ça voulait surtout dire qu’ils étaient des gamins paumés et en quête de repère, qui cherchaient comme ils le pouvaient à compenser l’absence d’un père et la distance d’une mère qui les tenait à l’écart au point qu’ils se demandent si elle les aimait assez. Au fond, Louisa se disait qu’elle était sans doute mieux lotie qu’Adrian et devrait arrêter de se plaindre. Après tout, sa mère, elle l’avait sous les yeux tous les jours… c’était frustrant, bien sûr, parce qu’elle travaillait beaucoup et lui accordait moins d’attention, mais ce n’est pas comme si un océan entier les séparait l’une de l’autre. Au final, entendre Adrian se plaindre pouvait l faire relativiser… sauf qu’il faudrait pour ça qu’elle exprime moins de mauvaise fois que celle qui appartenait à son quotidien, et on ne changeait pas de caractère si facilement.

-Ça expliquerait des tas de choses, constata-t-elle donc avec humour (paraît qu’il vaut mieux rire que pleurer, hein).

Au moins, chance dans leur malheur (ou sursaut de satisfaction dans leurs complaintes d’adolescents), ils s’étaient ainsi trouvé un point commun tous les deux. Et pour Louisa, qui ne s’entendait quand même pas avec grand-monde, ça tenait du progrès, et ça se félicitait. Elle avait vraiment l’impression que leur amitié avait atteint un nouveau seuil, pour son plus grand plaisir.

-Au moins, je me sens moins seul, maintenant, j’ai quelqu’un avec qui me plaindre. Quand je parle de ma mère, personne ne me comprend jamais, ou on me dit que j’en rajoute.

Très certainement parce que c’était effectivement le cas… Mais on n’allait pas demander à Louisa de reconnaître ses torts. Elle était aussi fière que… eh bien, que sa mère, c’était d’ailleurs là tout le problème. Si elles ne se ressemblaient pas autant, si leurs egos ne se confrontaient pas si régulièrement, ça passerait beaucoup mieux. Mais là, il fallait qu’elle joue les fortes têtes, et forcément, sa mère ripostait. Et réciproquement, d’ailleurs, bien sûr, puisque Louisa refusait d’écouter sa mère et de recevoir le moindre ordre de sa part. Alors que c’était… eh bien, le rôle de mère. Mais les rôles étaient devenus.. flous, depuis la mort de son père.

« Moi c’est pareil. Et quand j’ose dire qu’elle me manque, qu’elle n’aurait pas dû prendre cette décision, on se contente de répéter que ce n’est pas par gaité de cœur qu’elle l’a fait et qu’elle n’avait pas le choix. Alors bon, je me dis que oui, ils ont raisons… mais ça n’enlève pas l’océan qui me sépare d’elle. Et moi je n’ai rien demandé à personne. »

Adrian était vraiment un garçon touchait. Plus elle parlait avec lui et le découvrait, plus Louisa s'en rendait compte. Leurs histoires n'étaient pas les mêmes, même s'il y avait des similitudes (l'absence du père, les difficultés de communication, la distance avec la mère), mais en tout cas, quand il lui parlait, elle avait vraiment le sentiment d'avoir trouvé un interlocuteur qui sache comprendre son propos et les raisons qu'il avait de se plaindre, comme lui aussi comprenait les raisons que elle-même avait de se plaindre. Ils ne se tiraient pas forcément vers le haut mutuellement en agissant ainsi, ce n'était pas improbable. Mais parfois, parler, vider son sac et ne pas recevoir les conseils bien-pensants de ses interlocuteurs, ça, ça faisait vraiment beaucoup de bien.

-Je vois le genre, ouais, confirma Louisa en affichant une petite esquisse de sourire. C'est toujours facile pour les autres, hein ? De se mettre à notre place alors qu'ils ont pas la moindre idée de ce qu'on vit. Elle marqua une pause. Tu vois, je sais bien que maman m'aime, mais c'est pas la question, je lui en veux, et j'ai envie d'avoir le droit de lui en vouloir, et j'ai pas envie qu'on m'en empêche.

C'était sûrement l'attitude la plus égoïste et la plus immature possible, et ce n'était pas forcément bien de conforter Louisa dans cette espèce de complaisance, mais tant pis, des fois, c'était juste bien de râler, de faire preuve de mauvaise foi et de l'assumer, sans se poser plus de questions que ça. C'est pas pour autant qu'elle admettrait pas plus tard qu'elle était allée trop loin, mais bon, pour une fois qu'elle était face à quelqu'un qui n'irait pas lui faire la morale, elle en profitait, en fait, tout simplement. Et Adrian pouvait faire de même de son côté, échange de bons procédés, quoi.

« De toute façon, personne ne pourra vraiment t’empêcher de le faire, même si on te dit le contraire. Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, si tu en veux à ta mère, rien ne pourra le changer. »

Au fil de leur conversation, Louisa se disait vraiment qu'elle aurait dû parler à Adrian bien plus tôt. Malgré le fait qu'il ait plusieurs années de plus qu'elle, ce qui à leurs âges faisait une grande différence de mentalités, elle avait vraiment le sentiment qu'il la comprenait, qu'il parvenait à se mettre à sa place concernant sa relation avec sa mère. Et réciproquement. Elle avait l'impression de parler dans le vide, parfois, quand elle s'emportait, se sentait mal par rapport à cela, mais lui, il devinait par quoi elle passait. Et il avait raison, peu importe ce qu'on lui dirait, ça ne changerait rien à sa mentalité, à sa manière de percevoir et de vivre les choses.

« J’ai hâte que ma mère vienne en tout cas… mais j’espère qu’elle ne va pas me redemander de retourner aux États-Unis. »

Elle le comprenait bien. Ils souffraient tous les deux de l'absence d'une mère, mais dans le cas d'Adrian, c'était plus délicat. Mais ça pouvait aussi s'arranger plus vite, si elle revenait, si elle retrouvait la place qu'elle avait su tenir pour lui jusque-là. Elle lui souhaitait de tout coeur que ça fonctionne et qu'elle ne tarde pas trop à revenir... Quand Adrian émit l'hypothèse que sa mère pourrait peut-être attendre de lui qu'il revienne en Amérique, elle ne sut s'empêcher de se sentir un peu triste. Elle n'aimerait pas qu'il s'en aille. Elle n'avait pas beaucoup d'amis, pour une fois qu'elle s'en trouvait un qui réussissait à la comprendre (en dehors de Rhian et de Cenlyn, mais ils étaient des cas à part), elle n'avait pas envie qu'il se barre à l'autre bout du monde.

-Elle ferait ça ? En même temps, ça semblait logique. Si elle avait bien compris, Mrs Goldstein n'avait placé son fils à Poudlard que temporairement, mais en fait, elle n'avait pas eu envie de rester sur cette possibilité. T'as vu, c'est bien, l'Angleterre, hein ? Une fois qu'on y est, on n'a pas envie de vivre ailleurs.

« C’est vrai. »

Louisa afficha un sourire parfaitement satisfait quand Adrian affirma que la vie en Angleterre était en effet agréable et qu'il n'avait pas besoin de rejoindre l'Amérique une nouvelle fois pour se sentir bien. Pas juste parce que cela signifiait que son ami se sentait quand même bien chez eux, mais aussi parce que, qu'on le veuille ou non, on est toujours un peu chauvin quand on parle du pays qui nous a vu naître.

« Je ne pensais pas dire ça un jour. Mais en fait… je trouve que Poudlard est la meilleure école. »

Ah, de mieux en mieux. Être patriote quand ça l'arrangeait, Louisa le faisait souvent, mais quand il s'agissait de louer les qualités de son école, alors c'était constant. C'était drôle, d'ailleurs, de se dire qu'un établissement scolaire pouvait soulever tant de passions. Mais il faut dire qu'il ne s'agissait pas non plus d'un simple établissement scolaire. Cette école était tout bonnement... magique, et pas juste parce qu'on y enseignait la sorcellerie. Elle avait un charme, une aura particulière, auxquels on ne réchappait pas. Mais bien évidemment, il fallait y avoir passé sa scolarité pour le comprendre.

« Ma mère n’aimerait sans doute pas entendre ça. Mais faut bien le reconnaître quand même. »

Et voilà, ça c'était juste parce que la maman d'Adrian, de son côté, n'avait dû que connaître Ilvermorny ou Salem, les deux écoles de sorcellerie les plus prestigieuses outre-Atlantique, mais l'herbe n'est toujours pas plus verte chez le voisin. Poudlard était la meilleure école, c'était comme ça, et il n'y avait aucun débat à avoir sur la question, c'était juste... indiscutable, voilà tout.

-Ta mère changerait d'avis si elle venait ici, affirma Louisa avec aplomb, comme si sa parole n'avait aucune chance d'être remise en question, en aucune manière. Elle était comment, ton école ? demanda ensuite Louisa dont la curiosité avait tout de même été titillée par leur petite conversation.

Ce que Adrian lui apprenait sur son ancienne école rendait son Louisa très curieuse. Elle n'avait jamais vraiment voyagé. Il faut dire qu'avec le boulot de sa mère, ce n'est pas comme s'ils avaient souvent l'occasion de bouger. Et elle était loin de s'imaginer que des vacances en Egypte l'attendaient bientôt (ou étaient planifiées, en tout cas, parce que ça ne voulait pas dire qu'elle irait pour autant). Adrian avait vécu dans un autre endroit, régi par une autre culture, vu et côtoyé des personnes avec des moeurs passionnantes, et ça, quand même, ça la fascinait complètement.

« Oh, elle n’était pas si différente en fait. En fait, je crois que ce qui change vraiment, c’est plutôt les mentalités. Là-bas, on n’a pas vraiment de sorcier qui se pense supérieur aux autres parce qu’ils ont des parents sorciers. »

Dis comme ça, ça ressemblerait presque à une utopie : une école qui ne connaissait pas la discrimination, ça avait presque l'air trop beau pour être vrai. Mais quelque part, elle se doutait que si le sang n'était pas un motif de clivage, alors les élèves devaient s'arranger pour s'en trouver d'autre, comme si c'était dans la nature humaine, au bout du compte. Mais le truc, c'est que cette absence de conflits reposait de base pour une forme de ségrégation, donc en fait, la discrimination était encore pire chez lui... Et c'étaient des personnes comme Adrian qui pouvaient en faire les frais. Ce n'était sûrement pas pour rien que la mère d'Adrian ne lui avait rien dit sur son père.

-Elles sont tellement stupides, vos lois américaines, observa la jeune femme avec un grand sourire. Rien que pour ça, t'es quand même mieux chez nous.

Chez eux où une grande majorité d'élèves étaient des sangs mêlés, et de loin les plus fréquentables du lot. Elle se disait qu'Adrian devait souvent avoir la nostalgie de son passé, mais au bout du compte, il avait bien trouvé cet endroit. Et elle avait envie de croire aussi qu'il ne regrettait pas les amitiés qu'il s'y était faites.