Une femme charmante.

Quoi qu'elle fasse, quoi qu'elle dise, Melissa Waldman avait toujours été considérée comme une personne charmante. Une enfant charmante. Une fille charmante. Puis une femme charmante.
Qu'importait qu'elle ait été préfète en chef aux nombreuses responsabilités, qu'elle soit sortie première de sa promotion, qu'elle ait fait preuve d'une rare génie créatif tout au long de sa vie ; elle restait simplement Melissa la charmante. Melissa, toujours polie, toujours aimable, toujours calme. Melissa la bonne, facile à vivre, toujours de bon goût, toujours discrète mais efficace, présente mais jamais de trop. Melissa l'épouse parfaite, attentive, attentionnée, prévoyante, soumise, tendre et affectueuse -mais attention, pas de trop, juste comme il le fallait...
Melissa était parfaitement comme il fallait qu'elle soit, ni trop ni trop peu, tout à fait adaptée à son époque et ses normes.
Ou étais-ce ce qu'elle laissait paraître.

Mais Melissa Waldman, c'était surtout une créativité débordante et un esprit incroyablement clairvoyant et ouvert pour son temps. Melissa, c'était une belle dose d'audace additionnée à un juste pragmatisme. Des idées plein la tête, un esprit vif et agile comme le battement des ailes du papillon de son patronus, un grand sens de la critique et de la réflexion.... Qu'elle gardait pour elle. Melissa s'efface, Melissa tend à disparaître dans l'ombre de son époux et de son rôle. Alors tous ses traits d'esprits, toutes les preuves de son potentiel sont enterrés tout au fond, avec son ambition...
...et tout ce qui pourrait la rendre intéressante, en vérité. Car oui, Melissa fait parti de ces gens dits ennuyeux, coquilles lisses et sans nuances qui se contentent de rester à regarder les autres vivres et passer ; qui se cantonnent dans leurs cocons sans chercher plus loin. Ennuyeuse dans la forme, mais dans le fond, c'est une autre histoire.

La voilà qui se fait discrète, prudente, douce petite travailleuse aux mains habiles et aux sourires plaisants. Elle est sympathique, Melissa. Toujours la première à proposer ses services, elle vous submerge d'une aura qui vous comble de joie et de sérénité. Elle est toujours là pour discuter -oh ça oui elle aime discuter, quand elle est lancée Melissa peut devenir une vraie pipelette-, pour écouter, oreille attentive, chaleureuse et apaisante présence et soutien indéfectible. Digne de confiance, qu'on la dit. Qu'elle n'a qu'une parole, qu'elle est fidèle, droite, juste. Melissa est l'honnêteté incarnée.... Une femme de bien, qu'ils disent. Dommage que les femmes de bien soient souvent si dénuées d'intérêt.

Enfin, ne vous y laissez pas prendre. Femme de principes et de devoirs, certes, mais aussi opportuniste et profiteuse. Melissa sait où sont ses intérêts et quand une situation lui est favorable ou non. Elle aime le confort et la facilité, elle aime autant l'être que sa fortune... Mère dragon protectrice autant avec ses petits qu'avec ses sous, cette sorcière économe mais dépensière -cherchez l'erreur- ne laisse rien au hasard. Autant dire que la fortune des Waldman est en sécurité au creux de ses mains habiles.


Melissa a trop peur des conséquences pour oser quoi que ce soit. Elle se contente de ce qu'elle a, n'ose ni demander, ni espérer à plus. Cela fait longtemps qu'elle a baissé les bras. Longtemps que les dernières braises de la passion se sont éteintes. Longtemps qu'elle a laissé tomber toute combativité. Elle a peur qu'à force trop insister le chaos se déchaîne. Alors elle attend, les bras ballants, sans rien faire. Pourtant elle est lucide, rien n'échappe à sa vue.... Mais elle attend.

Melissa est une ombre, mais une ombre active qui ne supporte pas de ne rien faire. Elle a ce besoin presque maniaque que de s'occuper pour se vider la tête et ne pas penser à tout ce qu'elle a raté et tout ce qu'elle rate encore. Elle doit s'occuper pour ne pas laisser cette vieille rancune, cette vile jalousie prendre le dessus sur la Tempérance incarnée qu'elle représente.
Car Melissa est modération, restrictions et retenue. Force tranquille, depuis toujours elle retient tout au fond ses humeurs, ses aspirations, ses désirs. Ses cris du cœur restent étouffés, sa spontanéité est perdue, ses remarques taquines et touchant toujours justes aussi. Melissa s'en rend à peine compte, mais son ambition n'est pas la seule chose qu'elle a enterrée et à laquelle elle a renoncé.... A son identité aussi. Tout ça pour ne pas déplaire ni dénoter. Tout ça pour convenir.


Melissa, c'est un oiseau fauché en plein vol. Ses rêves et ses projets ont été rangés à double tour au fond d'un tiroir, avec son idéalisme de petite fille trop rêveuse et son ambition trop grande pour elle, modeste femme sans nom. Melissa c'est une femme réaliste, mais surtout lasse et sans but, coincée dans une enveloppe qui ne lui convient guère. Melissa, c'est une ennuyée de cette vie banale, fade et trop anonyme pour elle ...de cette maudite impasse sans fin ou elle reste coincée, tel le papillon empêtré dans les fils de l'araignée. Melissa c'est une fuyarde, une apeurée qui n'ose pas affronter le monde pour montrer ce qu'elle est vraiment et hurler toute cette frustration qu'elle a accumulé pendant des années d'anonymat et de sourires factices.


Melissa, c'est un gâchis, un sacré gâchis. Mais ça, personne ne le sait, puisque tous ne voient que la mère, l'épouse, la couturière. La charmante.

Elle aurait du les leur faire manger, ces "charmantes".
Trop tard.
A moins qu'il ne soit jamais trop tard pour changer ?

Une femme charmante.
On ne la dit pas belle. Pas même jolie. Juste charmante.

Elle est loin, la petite campagnarde écossaise aux jupons tachés de terre et aux pieds nus. Aujourd'hui, Melissa est devenue la parfaite mère et épouse londonienne. Des tenues sobres, bien coupées, ni trop simples ni trop sophistiquées. Rien de trop dévoilant, tout dans la pudeur et la discrétion... Melissa, c'est l'entre-deux: il ne faut pas trop en faire mais pourtant rester digne et soignée pour que le bijoux soit à la mesure de l'écrin... Une dame se doit de plaire, après tout, pour faire honneur à son mari.

Loin derrière sont les boucles flamboyantes au soleil ; la crinière indomptable est devenue chignon sérieux aux mèches lustrées et lissées. Grace à la magie, Melissa prend grand soin à faire disparaître ses anglaises blondes pour qu'il ne reste plus rien de rebelle en sa personne. Comme si attacher sa chevelure permettait de l'attacher, elle aussi, au rôle qui est le sien.

Melissa c'est un sourire plutôt qu'un visage.
Un sourire aimable comme sa personne, charmant, lumineux comme l'or clair de ses cheveux. Un sourire commercial et factice constant, devenu sa marque de fabrique à elle, la vendeuse et couturière aimée de tous.
C'est un sourire qui plaît, qui donne confiance. Et c'est un exploit qu'elle réussisse à le garder en toutes circonstances, comme un masque discret mais bien présent.
De légères pattes d'oies se dessinent au coin de ses yeux bleus-gris ; ainsi que les "rides du sourire" comme elle dit, ces fossettes qui apparaissent dès lors qu'elle souri.

Elle ne fait pas totalement son âge, la plantureuse sorcière aux formes sculptées par plusieurs grossesses et au moins autant de régimes. Elle a difficilement réussit à conserver un corps presque sans défauts -sauf cette cicatrice sur son bas-ventre, souvenir indélébile de la naissance de son premier garçon... Mais la voilà bien conservée -remercions les soins de beauté magiques-, bien que pas assez à son goût. La confiance sans faille qu'elle possédait plus jeune s'est effilochée en même temps que son ambition ; et c'est une trentenaire terriblement complexée par son physique qui siège aujourd'hui sous le nom de Melissa Waldman.
Le fait de savoir que son époux la trompe n'arrangeant en rien les choses.

Melissa est une belle femme, souriante, naturelle, qui passe pourtant inaperçu malgré la force tranquille et douce, le charme léger qui se dégagent de ses mouvements et de ses traits. C'est qu'elle-même fait en sorte de toujours rester en retrait, se mettant suffisamment en valeur pour montrer qu'elle est soignée mais jamais plus que cela, pour ne pas risquer de paraître omnibulée par son apparence.

La femme est digne et soignée. Mais aussi joviale soit-elle, elle ne reste qu'une ombre. Ou un rayon happé par l'obscurité.