I

nsomnies. Elles étaient récurrentes, dernièrement. En fait, depuis qu'il était revenu de chez sa "très chère" génitrice, il semblait à Andreï ne pas avoir connu la moindre nuit paisible de sommeil, chacune d'elles, chacune, était peuplée de cauchemars qui l'invitaient immédiatement à ne plus fermer les paupières... Quand elles voulaient se fermer, seulement, ce qui n'était guère plus fréquent. Et voilà que cette nuit ne dérogeait pas à la règle. Après s'être tourné et retourné dans son lit, à la recherche de Morphée, qui refusait obstinément, pour ne pas changer, de lui tendre les bras, et après que l'un de ses camarades de chambre ait poussé un grommellement exaspéré qui en disait long sur son agacement (et l'éventualité qu'il commençait à envisager de venir l'étouffer avec un oreiller), il avait décidé d'arrêter les frais, et de tout simplement quitter son dortoir, afin de ne plus déranger les autres. Il s'habilla à la va-vite, accueilli par de nouveaux grommellements, et descendit dans la salle commune des verts et argent, vide à cette heure. Dans un premier temps, il se contenta de s'installer sur l'un des fauteuils, fixant la tapisserie verdâtre d'un oeil vide. L'activité la plus passionnante du monde, pas vrai ? Dans son empressement à ne pas déranger plus longtemps ses camarades, il n'avait pas pensé à prendre avec lui de quoi occuper ces longues heures qu'il passerait donc, c'était définitif, à ne pas réfléchir. Balayant la salle commune du regard, il se chercha un loisir qu'il ne trouva pas. Inutile, il ne trouverait rien qui puisse le distraire, le distraire au sens où cela pourrait lui permettre de penser à autre chose, autre chose que ces tourments qui le troublaient, encore et encore, et encore.

Non, ce n'était pas en ces lieux qu'il trouverait de quoi alléger ses pensées si lourdes. Résigné, il choisit donc de chercher ce qu'il désirait ailleurs. Dans la bibliothèque de Poudlard, donc. Il n'était pas dans les habitudes d'Andreï Armyanski d'enfreindre le règlement de l'école, que ce soit en violant le couvre-feu, ou en se rendant dans un lieu interdit à cette heure, mais aux grands maux les grands remèdes. Alors il poussa la lourde porte de cette ântre toute dévouée aux rats de bibliothèque. Se faisant le plus discret possible, contrôlant chacun de ses pas, il scrutait les rayonnages, à la recherche du livre idéal... et c'est tout à cet exercice qu'il se laissa surprendre par la voix qui vint alors rompre le silence. "Surprendre" est un bien maigre mot, sachant que le vert et argent sursauta carrément, et que son coeur manqua un battement, pauvre petit émotif. Il fallut qu'il lève les yeux pour découvrir d'où provenait la voix. Soulagement, au moins il ne s'agissait pas de quelqu'un susceptible de lui coller une retenue. Mais quand même, ce qu'il avait pu s'effrayer.

-Tu m'as foutu les jetons. chuchota-t-il. Qu'est-ce que tu fais là ?

Là dans la bibliothèque. Là sur cette étagère. Il y avait de quoi se poser des questions, non ?

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A

ndreï haussa les épaules quand Amy lui dit s'excuser de lui avoir fait peur. En même temps, elle n'y était pour rien... Et lui non plus. Il ne s'était pas attendu à trouver qui que ce soit à la bibliothèque à cette heure-ci (déjà qu'en temps normal, les lieux n'étaient jamais bien peuplés, les rats de bibliothèques se faisant rares), il se serait angoissé même si les pieds de son interlocutrice avaient touché le sol. Alors ajoutez à cela les penchants de la demoiselle pour les hauteurs, et vous comprendrez qu'il puisse avoir été en droit de s'effrayer. Mais inutile de s'attarder là-dessus quoi qu'il en soit. Ne rien répondre semblait encore le plus approprié. Quoique, au mieux, il aurait peut-être pu balbutier un "c'est rien" sans grand intérêt. Elle n'arrivait pas à dormir... Il se doutait qu'elle allait lui fournir une telle réponse, seul l'état d'insomnie où ils se trouvaient tous les deux pouvait justifier leur présence ici à cette heure. Il préféra ne pas se montrer intrusif, ce n'était pas son genre, il garda pour lui les quelques questions qui lui traversaient l'esprit du type : "pourquoi n'arrives-tu pas à trouver le sommeil ?". Au fond, ça ne le regardait pas, et il n'était même pas certain que ça l'intéressait. Sans compter que si, à lui, on avait posé la même question, il aurait sûrement répliqué par une réponse de type "c'est pas tes oignons". Car effectivement, ce n'étaient les oignons de personne, et surtout, le sujet était trop douloureux pour qu'il puisse l'aborder à la légère avec le premier venu, même si Amy n'était pas exactement la première venue par ailleurs. Elle lui proposa de se joindre à lui, le vert et argent haussa à nouveau les épaules (Merlin, ce qu'il pouvait avoir de conversation ! ). Après tout, pourquoi pas ? Quitte à tuer l'ennui et à entamer la perspective d'une nuit blanche, autant qu'ils le fassent ensemble. À choisir, la bleue et bronze n'était pas la pire personne avec qui il puisse imaginer passer un peu de temps. Elle était intelligente.... ils avaient beaucoup de points communs, et quand leurs conversations ne viraient pas à la joute verbale, ils parvenaient à plutôt bien s'entendre.

-Pourquoi pas ? dit-il finalement, admettant que de toute façon, un refus, s'il avait vraiment voulu en formuler un, aurait été plus que malvenu.

Au hasard, il récupéra un livre quelconque sur l'étagère la plus proche, afin de se donner un peu de lecture, pour peu que la conversation ne lui semble pas suffisamment prenante ou pour, justement, alimenter cette dernière. Ils vinrent s'installer tous les deux à une table. Tout en s'asseyant sur sa chaise, Andreï adressa à son interlocutrice un sourire légèrement timide. Les relations humaines n'avaient jamais été son for, c'est une certitude.

-Tu lisais quoi avant que j'arrive ?

Quitte à ce qu'ils choisissent de passer du temps ensemble, autant entretenir la discussion, et Andreï n'avait rien trouvaé de plus intéressant à demander à son interlocutrice. Il aurait très bien pu faire une quelconque remarque désobligeante qui auraient entretenu leurs habilités respectives à se lancer des piques mais il était tard, il ne se sentait pas d'humeur.

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U

n livre de sortilèges imprononçables. Drôle de lecture. Lorsqu'on s'abandonnait ainsi à une telle activité, quitte à ne pas dormir de la nuit, on choisissait généralement de grandes récits, des romans, des histoires capables de nous transformer, de nous faire s'évader... rarement des ouvrages théoriques sur des sortilèges. Oui, vraiment, drôle de lecture. Mais en même temps, Amy était aussi une drôle de fille. Andreï trouvait vraiment qu'elle n'était pas comme les autres. Et elle allait encore le lui prouver sous peu, au point que le pauvre vert et argent allait en perdre ses mots... ou tout du moins, toute aptitude à savoir comment réagir (déjà que dans ce domaine, on ne pouvait vraiment pas dire qu'il était quelqu'un de doué). Elle lui demanda ce qu'il était en train de lire. Andreï jugea enfin bon de jeter un coup d'oeil à la couverture du livre qu'il avait choisi complètement au hasard... et en définitive, il s'avérait qu'il avait porté son dévolu sans même s'en rendre compte sur un ouvrage documentaire, répertoriant les différentes sortes de plantes aquatiques utilisées dans les potions de guérison. Merveilleux, lui qui n'aimait pas les potions...

-Abécédaire des plantes aquatiques à usage médicinale. répondit-il en lisant la couverture du bouquin, légèrement dépité.

Et bien sûr, maintenant qu'il était assis à cette table, il n'allait pas se chercher un autre bouquin. Bah ! Après tout, il ne serait peut-être pas si mauvais que ça, cet ouvrage qu'il ne trouvait vraiment pas intéressant de prime abord. Il lui réserverait peut-être de bonnes surprises, sait-on jamais ? Il le feuilletait avec scepticisme, quand Amy reprit la parole... Et ce propos eut le don de prendre complètement de court le vert et argent. Il n'était pas certain de comprendre grand chose à ce qu'elle lui racontait, en fait... Est-ce qu'elle était en train de délirer ? En tous cas, quand elle disait que la folie la guettait... Andreï était enclin à y croire. Et lui, qu'est-ce qu'il était supposé répondre à ça, la bleue et bronze ne semblait même pas s'adresser à lui, plutôt à elle-même.

-Je... euh... Tu... À ce titre, il allait lui sortir tous les pronoms personnels possibles. Je suis pas sûr d'avoir tout bien compris... Mais si t'as besoin de parler, je suis là...

Quel altruisme soudain ! Il n'était pas le confident idéal, et se donnait rarement ce rôle. Mais il ne pouvait décemment pas demeurer indifférent à ce que disait son interlocutrice, alors qu'elle semblait en proie à un malaise véritable, malaise dont il ne définissait pas l'origine, mais qui semblait en tous cas la plonger dans un état... un peu alarmant.

-Et... et si tu veux pas en parler, je comprends.

Parce qu'après tout, elle n'avait peut-être pas la moindre envie de s'épancher sur son ressenti en présence de son camarade. Il le comprendrait parfaitement.

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A

h ça, c'est sûr, Andreï n'avait pas compris grand chose. Pour ne pas dire, même, qu'il n'avait rien compris du tout. C'était un sentiment plutôt désagréable, d'ailleurs. Il ne se targuait pas d'être l'adolescent le plus intelligent de sa génération, il y en avait des centaines, voir des milliers d'autres plus aptes que lui à prétendre à ce poste, mais il ne pensait pas être le plus bête non plus. Quand il ne comprenait pas tout à ce qu'on lui racontait, il ne pouvait donc s'empêcher de se trouver un peu idiot. Et, bref, ça avait été le cas à l'instant. En fait, si Amy avait eu l'envie de rester seule et de ne pas s'encombrer de sa présence, lui qui avait, de manière totalement hasardeuse, proposé de jouer le confident de la bleue et bronze le temps d'une nuit, il l'aurait parfaitement compris. D'ailleurs, il s'était un peu attendu à ce qu'elle l'envoie balader (c'est ce que faisaient ses camarades de manière générale le concernant, d'ailleurs), il s'était bien plus attendu à cela qu'au fait qu'elle finisse par lui expliquer le "mal", étrange, dont elle souffrait. Elle était surdouée. En soi, ça pouvait sembler être une bonne chose, avoir une intelligence bien supérieure à la moyenne, en quoi était-ce une terrible tare ? Eh bien, la pauvre retenait tout de ce qu'elle voyait, lisait, entendait, apprenait, son cerveau fourmillait d'informations qui ne la lâchaient jamais... vu sous cette angle, on comprenait que ça avait de quoi vous rendre vraiment dingue. Andreï ne pouvait qu'essayer de comprendre, mais compatir sincèrement. Il n'osait imaginer ce que ce devait être, que de supporter cette apparente bénédiction, devenue fardeau, au quotidien. Ce devait être tout bonnement infernal.

-Je vois. Enfin, il essayait de voir, en tous cas. Car il n'était pas si évident que cela (dans le cas du vert et argent, en tous cas) de se mettre à la place de sa camarade. Il essayait, bien sûr, mais il était toujours plus simple de penser compatir que de compatir effectivement. J'imagine que ça ne doit pas être simple tous les jours. Déjà, j'ai l'impression que les pensées se bousculent dans mon cerveau sans jamais me lâcher, dernièrement, alors j'imagine ce que tu endures, toi.

Finalement, ils étaient en cet endroit pour des raisons similaires, parce que le flot de leurs pensées étaient invivable. À la différence qu'Andreï n'avait besoin que de quelques informations pour avoir le cerveau totalement embrouillé. Mais quelles informations, il faut dire ! Il était d'avis qu'elles rendraient mal n'importe qui.

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