Le sorcier au bras duquel elle se pendait la dévora des yeux avant de se pencher vers elle pour lui voler le plus doux et passionné des baisers. Puis, brisant ce moment qui aurait du être magique, le jeune homme murmura quelques mots au creux de l'oreille de sa belle et prit congé la laissant aux bons soins si empressés de toute une armada de vendeuses et couturières plus zélées les unes que les autres. La poupée blonde sourit attendant patiemment que son politicien de fiancé ne sorte de son champs de vision. A peine avait-il franchi la porte de la boutique, se retournant pour lui adresser un dernier signe de la main, que le visage de la jeune blonde se ferma subitement. Sans même aucun enthousiasme elle se laissa entraîner dans ce tourbillon frénétique qui semblait la cerner au point de l'étouffer. Nemesis n'entendait rien à tout ce babillage que les vendeuses lui adressait. La robe choisie était fin prête pour les premiers essayages... La robe était somptueuse... Et blablabla... Elles ne pouvaient pas se taire à la fin ! Nemesis hurlait mais aucun son ne sortait de sa bouche ! Aucun...

En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire elle se retrouvait embarquée dans un salon particulier où des femmes tournoyaient autour d'elle comme des abeilles dans une ruche et commençaient déjà à la déshabiller. Déjà sa veste lui avait été ôtée et puis ce fut le tour de son chemisier. La jupe suivit. L'air absente, la jeune femme se laissait faire, abandonnée et résignée. La fiancée semblait complètement étrangère à toute cette euphorie environnante dont elle était pourtant la cause. Elle allait se marier. Et cette idée qui l'avait faite sourire de façon aussi béate que stupide pendant des mois. Nemesis s'était réjouie de devenir, si bientôt, Mrs Tristan Mayfair. Alors elle aurait tout obtenu, tout accompli. Et elle serait devenue très exactement ce qu'elle pensait vouloir devenir : une femme du monde à qui tout réussissait. Oui, c'était son rêve. Du moins son second rêve. Celui qu'elle avait été contrainte d'élaborer quand son premier songe avait été réduit en poussière.

- Laissez-moi ! Je veux être seule ! Maintenant ! hurla-t-elle soudainement.

D'abord surprises, pour ne pas dire choquées, finirent par obéir et se retirèrent en multipliant les courbettes. Après tout il était normal qu'une future jeune mariée soit nerveuse, non ? Et puis Mayfair payait une véritable fortune pour que le personnel cède au moindre caprice de sa dulcinée et elles feraient ce pour quoi elles avaient été si gracieusement et grassement payées ! Aussi folles soient les exigences de la demoiselle Colloway !  A peine fut-elle seule que Nemesis se regarda dans le miroir. Elle était véritablement sublime... Et cela la déprimait d'autant plus ! Elle ne voulait plus cela ! Elle ne voulait plus se marier... Du moins pas ainsi ! Pas maintenant ! Et pas avec Tristan... Tombant à genoux sur le sol de son salon privé Nemesis abandonna toutes ces apparences qui étaient autant de défenses et se laissa aller à la seule chose dont elle avait réellement envie à ce moment même : pleurer. Elle sanglotait, ne voyant pas même que quelqu'un venait d'entrer la surprenant dans toute sa faiblesse.

Les vendeuses observaient, de loin car elles n'étaient pas téméraires ni inconscientes au point d'essuyer les foudres de leur ombrageuse cliente, cette future mariée qui resplendissait dans sa robe de mariée mais qui semblait n'en concevoir que la plus insondable des tristesses ! Comme si épouser l'un des meilleurs partis de tout le pays, un homme séduisant et littéralement fou d'elle, était un calvaire sans nom ! Plusieurs d'entre elles affichaient une moue des plus boudeuses, laissant trop bien transparaître dans leurs regards, ce qu'elle pensait de cette attitude. Nemesis était une sale petite fille pourrie gâtée par la vie et qui boudait son bonheur comme elle aurait boudé un homard trop cuit ! Non, aucune ne comprenait ce trouble qui était celui de cette poupée qui, pour une fois, laissait tomber le masque et se révélait dans toute sa faiblesse  Et, la demoiselle ne détestait rien de moins que de se sentir aussi vulnérable, aussi faible ! Ses larmes coulaient sans qu'elle puisse seulement les endiguer, ses lèvres, son corps tout entier tremblait sans qu'elle puisse s'en empêcher et, si elle s'était écoutée, sans doutes aurait-elle réduit en charpie cette si somptueuse robe qui lui allait à ravir mais ne lui rappelait que trop qu'elle s'apprêtait à épouser celui qu'elle n'aimait pas. Du moins pas autant qu'elle n'en aimait un autre...

Ja...Jane ? parvint-elle à articuler entre deux sanglots quand elle vit la silhouette frêle et si belle de la rouge et or s'avancer vers elle. Relevant doucement son visage embué de larmes, ancrant son regard à celui de la jeune fille elle oublia toute froideur, toute retenue, et se jeta à son cou Je... Je ne … Je ne sais pas ! Je ne veux pas de .. ; de cette robe, de tout ça... Je ne veux pas de tout ce que ça représente... puis, se recroquevillant plus encore sur elle-même, simple poupée de chiffons incapable de s'arrêter de pleurer, elle poursuivit dans un souffle de souffrance Je suis perdue Jane. Perdue...

Puis elle cessa subitement de pleurer. Ses mèches d'or virevoltaient autour de son visage angélique où le maquillage avait coulé et où ses yeux semblaient comme éteints. Se relevant doucement, chassant d'un regard vide ces vendeuses qui les regardaient encore, elle alla rejoindre ce fauteuil où elle se laissa mollement choir. Sa main se saisissant d'un verre elle usa de sa main libre pour inviter sa petite protégée à l'imiter, lui désignant un siège libre. Une fois que la jeune fille se fut assise l'avocate tenta de se reprendre, de masquer ce trouble qui la rongeait, la dévorait de l'intérieur. Elle ne pouvait pas se permettre de se laisser ainsi aller. Elle était plus forte que cela ! Non ? Pourtant un regard à cette somptueuse bague de fiançailles qui ornait son annulaire lui fit de nouveau verser des perles de cristal. Tristan... Elle ne voulait pas le blesser, surtout pas lui. Mais si elle ne le faisait pas alors c'est Kieran qui souffrirait. Et, ça, elle préférait mourir plutôt que de voir cela arriver. Kieran était sa vie. Il l'avait toujours été et il le resterait à jamais ! Et le jour où elle porterait une aussi belle robe ce serait pour l'épouser lui et pas Tristan. D'un geste rageur elle ôta sa bague et la lança aux pieds de Jane.

Je ne veux plus me marier. Je... Je vais quitter Tristan.

Nemesis ou l'art de lâcher des bombes...