J'imagine qu'il y a un peu deux périodes pour moi. Celle que j'étais, et celle que je suis. Je pense même que ces deux là ne vont pas sans une troisième, celle que je serais. Mais c'est aller un peu trop vite en besogne que de spéculer sur ce qu'il adviendra de moi je pense...

Oui, une division donc. Car il est des choses qui ne peuvent simplement pas vous laisser telle que vous étiez une fois qu'elles se sont déroulées. Gagner au loto. Voir mourir un proche sous vos yeux. Ou se faire mordre par un loup garou. Je vous laisse deviner à quelle catégorie j'appartiens.

Il y a certains traits de l'ancien moi qui ne se sont pas tout à fait effacés cependant. Auxquels je m'accroche pour ne pas m'oublier.

J'aime lire, m'évader dans ces univers fantastiques où tout ce qui se passe est palpitant. M'inventer une vie. Dresser des plans sur la comète, rien que pour effleurer l'espace d'un instant une possibilité. On me dit rêveuse. Je préfère me voir comme une Aventurière de l'imaginaire. Ces voyages étaient ma passion. Et pourtant, plus je m'accroche à eux, plus j'ai l'impression de les voir s'effriter...

Car j'ai à présent ce constat qui s'impose toujours à moi. Cette impossibilité. Cette limite, cette barrière. Le Mur. Ce Mur, si haut, si noir, qui parait si minuscule lorsque les autres le franchissent, sans même s'en rendre compte. Me laissant de l'autre côté. Je les hait pour cela. C'est une chose que je ne connaissais pas avant. Ou pas à ce point. La jalousie. La rancune. La colère. Ce cocktail explosif qui se secoue et se dilue dans mes veines, contaminant tout sur son passage, lors de sa lente et inéluctable progression...
J'ai toujours été un peu égoïste, à ma façon. Penser à moi-même avant de me préoccuper des autres. C'est quelque chose dont personne ne se vante, étrangement. Mais c'est ce que je suis. La mésaventure que j'ai subit a amplifier ce trait de caractère, je le crains. J'ai appris à mes dépends qu'au final, il n'y a que notre personne qui compte. Car une catastrophe est si vite arrivée. On peux en si peu de temps passer juste à côté de la mort que c'en est effrayant. Etre égoïste, c'est aussi se protéger en quelque sorte j'imagine.

J'ai grandis également. Mes parents ont assisté à cette lente progression, associant cela tout simplement à l'âge que je prenais. J'ai gagné en maturité. Oui, c'est vrai. Je suis plus apte à me gérer seule, moins dépendante d'autrui. Il a bien fallut. Et aussi plus encline à défendre mes intérêts. A contester les décisions de ceux qui ont toujours décidés pour moi. Car il n'est pas question qu'ils mettent en danger mon secret. Que cette part si sale et repoussante de moi soit révélé au monde entier. Car il est tout simplement hors de question que je sois traitée comme un monstre, traitée en paria et méprisée toute ma vie. Car c'est simple... je ne le supporterais pas.

Une fourrure rousse. Cette silhouette dégingandé, mal proportionnée et dont la colonne vertébrale saille tout le long de son dos. Cet éclat un peu fou, perdu au fond, tout au fond de cette pupille. Etirée. Vicieuse. Luisante de cet éclat doré, irréel. Une tâche lumineuse, sans la moindre trace d'humanité. Primitive. Sauvage. Et cette colère qui vient se poser en filigrane, occultant le reste. La bave qui dégouline entre les crocs de la créature, coulant à moitié sur le col et à moitié sur les poils roux de l'animal. Ses mâchoires agitées de soubresaut, claquant dans la nuit argentée. Un bruissement, au loin. Et l'instinct de prédateur de la bête prend le dessus. Sans qu'aucune résistance ne puisse la faire hésiter l'espace d'une seconde. Ses griffes puissantes se plantent dans le sol de la forêt tandis que d'une poussée l'animal s'élance d'un bond, faisant voler derrière lui une gerbe de terre humide...

Ce ne sera qu'à l'aube que ce corps retrouvera son humanité, de plus en plus fragile à chaque fois. Qu'il redeviendra ce corps frêle aux membres déliés. Que cette silhouette redeviendra celle de cette jeune femme rousse et que quelques rares tâches de rousseur feront leur apparition. Que les prunelles jaunes laisseront la place à ce gris laiteux, si semblable au ciel chargé de nuages. Elle se tiendra debout, sur ses jambes chancelantes. Esquissera sûrement quelques pas avant de s'effondrer par terre et de s'endormir. De laisser ses plaies dégoutter sur la terre le sang rouge qui coule dans ses veines. Et répandre un peu plus d'elle dans cette fois à laquelle elle abandonne déjà une part de son être chaque mois. Son souffle s'élèvera, régulier, entre ses lèvres gercées. Avant qu'elle ne retourne finalement à cette civilisation et ne tente par tous les moyens de masquer les preuves de cette escapade...

Il n'y a pas grand chose à dire sur moi. J'imagine que la plupart des histoires commencent ainsi. Parce que leurs propriétaires sont effectivement totalement banals, ou qu'ils soient modestes. J'ignore de quelle catégorie je faisais partie alors. Des gens banals ou de ceux qui sont modestes. La seule chose que je vois, c'est que si mon histoire a été banale un jour, et bien ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Et s'il y a quelque chose que je puisse dire à ceux qui souhaitent de toutes leurs forces que quelque chose d'imprévu vienne chambouler pour un jour leurs existences trop monotones, et bien je leur diraient de faire attention. De faire diablement attention même, car il est possible que quelqu'un les exauce. Et malheureusement, ce quelqu'un est adepte des mauvaises blagues. Qu'il se pourrait bien aussi que votre souhait se réalise, mais qu'il transforme votre vie en cauchemar... Le genre de type qui souhaite avoir beaucoup d'or, et qui se retrouve changé en une statue de ce même métal. Le destin a un sens de l'humour très particulier, je dois l'avouer.

Je m'appelle Elyane Merwood, et ce qui va suivre est mon histoire. Sans doute un peu embellie par endroit, mais horriblement véridique le reste du temps...

Je suis née comme beaucoup d'entre nous à l'hôpital Ste Mangouste. Un 6 novembre tout ce qu'il y a de plus quelconque. Je ne m'en rappelle pas le moins du monde. Il parait que j'étais un beau bébé. Soit. J'imagine que c'est ce que tout le monde déclare aux parents lorsqu'ils viennent les féliciter pour cet heureux événement. Je suis la seule enfant de mes parents. Ils ont eu des difficultés à procréer, et cela a été le sujet de nombreuses disputes entre Mrs et M Merwood à l'époque. La grossesse de ma mère est finalement venue mettre à terme à tout cela et, si elle a eu quelques difficultés à la mener à terme, j'ai tout de même fini par pointer le bout de mon nez. J'étais une fille.

L'époque faisait qu'on attendait un garçon. Transmettre le nom de la famille. Hériter du patrimoine. Toutes ces choses là. Je me rappelle certaines conversations un peu animées entre mes parents lorsque j'étais plus jeune. Mais rien n'est venu. Nul ventre arrondi de nouveau, nul petit frère ou petite sœur. Tant mieux. Si au début j'étais impatiente de voir enfin arriver ce pour quoi ils s'excitaient autant, j'ai fini par espérer que cela n'arrive jamais et que je conserve cette espèce de place de privilégiée. Je me souvient même avoir été faire des pentacles et lancer des sortilèges inventés de toutes parts dans ce but au fin fond du jardin quand j'avais cinq ou six ans. A la réflexion, je n'aurais pas dû. Avec ce qui m'arrive à chaque pleine lune, j'aimerai que ma mère ait quelqu'un sur qui se reposer lorsqu'elle finira par le découvrir. Une épaule attentive. Et quelqu'un d'autre sur qui fonder ses espoirs.  Mais que ce soit un autre coup de ce destin qui joue avec nos vies ou mes incantations de gamines, je n'ai jamais eu de cadet. Moi, seule, unique et chérie.

Je crois bien que j'étais en quelque sorte ce que les filles veulent être. Bien née, dans une famille qui possède autant un sang pur qu'une situation financière agréable, un don certain pour la magie (le lustre du salon se souvient toujours de la visite surprise que le gigot d'agneau lui a fait un beau soir) et un physique des moins repoussants. Étais. Car à présent, j'ai un petit problème mensuel de plus.

Mes parents recevaient de temps en temps. Du beau monde comme ils appelaient ça. De quoi  entretenir les bonnes relations avec les gens qu'ils faut. Ça me donnait surtout l'occasion de porter une jolie robe et de batifoler gaiement avec les enfants de mon âge. Alors j'appréciais ces soirées. Autant que lorsqu'on rendait visite à mes cousins ou qu'ils venaient manger un soir à la maison. Et puis j'ai grandis. Et il a fallut respecter l'étiquette. Je m'y suis plié, parce que c'était ce qu'on attendait de moi, tout simplement. Je n'avais jamais été très douée pour la désobéissance. Il était tellement plus simple d'aller dans le sens de mes parents que de chercher à les contredire sans arrêt. C'était la leçon que j'ai tiré de mon espèce de rébellion pré-Poudlard qui avait duré trois semaines. Pas un jour de plus.

Alors oui, je souriais et badinais avec les invités de mes parents. Et sitôt sortie, je laissais mon imagination se défouler. Se délier enfin, tel un ressort trop longtemps contenu. C'était le seul point sur lequel je n'avais pu me résoudre à suivre les instructions de ma mère. Brider mes pensées folles qu'elle disait. Rester rationnelle. C'était ses mots fétiches, qu'elle ne se lassait jamais de répéter, encore et encore. Alors j'avais opiné du chef, et avait continué en secret, sans plus jamais lui parler des aventures épiques que mon esprit échafaudait et dans lequel j'avais le premier rôle. Des drames horribles aux épopées fantastiques, la Elyane de mon esprit a goûté à tout. Et pourtant, je trouvais encore et toujours le moyen d'innover.  

C'est peut être cela qui a fait que le Choixpeau m'a envoyé à Serdaigle maintenant que j'y pense. Car si tout le monde à Poudlard à l'air de penser que seuls ceux qui sont intelligents sont regroupés chez les bleu et bronze, en pratique ce n'était pas tout à fait ça... Et si mes notes étaient correctes, elles n'ont jamais atteint les sommets mirobolants qui auraient hypnotisé mon paternel.

Et puis, mes rêves se sont brisés. Un peu comme on lance une pierre dans un lac. Il y a des ondes de choc. Chez moi, les ondes de choc reviennent tous les mois, apportant avec elles un peu plus de désillusion, un peu plus de désarroi, de peur, de maturité et de rébellion. Et faisant peu à peu disparaître l'espoir, la foi que j'avais en l'humanité et mes rêves. Je suis là, debout. Et je regarde par terre, tout ces petits débris de rêves étendus à mes pieds. Sans avoir le courage de me baisser pour les ramasser. Sans avoir la foi de les recoller. Sans trouver la force de me les réapproprier. Et pourtant, je reste là, fixe, immobile. Car ces débris là, à mes pieds, me fascinent toujours, avec une intensité sans cesse renouvelée. Et je ne peux m'en détacher, m'en détourner, car j'ai l'impression que j'y laisserai mon cœur et mon âme. Alors je reste là, figée. Je regarde les gens autour de moi les ramasser. Je les regarde les vivre. Et je me mets à les haïr pour ça. C'est vers eux que se tourne ma colère. Vers les Voleurs de Rêves. Alors qu'au fond, je sais bien qu'ils ne sont que la conséquence. Et que la cause, c'est ce fichu Destin. Ce Destin et lui. Lui, ses grandes griffes, ses dents pointues et ses pupilles jaunes qui encore aujourd'hui me font cauchemarder...