Il y a longtemps que je n'avais pas remis les pieds dans mes Highlands natales. Ma vie a tant changé depuis que j'ai l'impression que ces lieux, ce village et ses habitants, appartiennent à une existence qui n'est plus tout à fait la mienne. J'ai conscience que c'est assez injuste, et que ça l'est d'autant plus que je suis tout de même très attaché à mes racines. Mais je me suis arraché à cet endroit, presque de force... Parce qu'il me rappelait la douleur d'avoir perdu mes parents, la douleur d'avoir perdu Minerva... Je me rends compte, au moment de revenir dans cet endroit étranger et familier à la fois, qu'en m'arrachant à ces lieux pour mon propre bien, j'ai sans doute manqué de considération à l'égard d'Elise.

Elle ne me le reproche pas, et je pense qu'elle ne me le reprochera jamais, mais je le fais à sa place. Je sais qu'elle aurait été ravie de vieillir ici, avec moi, si cela n'avait dû dépendre que d'elle. C'est moi qui ai insisté pour me rendre à Londres, dans l'espoir d'y faire... quoi ? Fortune ? Peut-on seulement parler de fortune en ce qui me concerne. Non, même si je m'en sors finalement assez bien, surtout grâce à mon arrangement avec Gallagher, qui est plus que rentable, j'ai bien conscience d'avoir fait un choix égoïste... Et maintenant... Maintenant, Elise n'a pas pu être présente auprès de son père quand ce dernier a rendu son dernier soupir, et je m'en veux pour ça.

Car c'est pour cela que nous sommes de retour dans les Highlands, dans le village où nous avons grandi. La mère d'Elise nous a quittée il y a trois jours. Elle a été retrouvée sans dans le salon, c'est comme si elle dormi, nous a dit mon beau-père, proprement dévasté. Nous sommes présents pour l'enterrement, nous restons quelque temps pour soutenir la famille d'Elise dans l'épreuve. Aujourd'hui, tous de noir vêtu, nous commémorons le souvenir de cette femme exceptionnelle, et moi, j'aurais tendance à me tenir à l'écart, intrus conscient de l'être, même si tout le monde s'adresse à moi avec sympathie et délicatesse.

Elise accaparée par une tente au visage rougi de larmes, je me rapproche du buffet, plus pour me donner une contenance que parce que j'ai réellement faim, et c'est alors que je prends conscience de qui se trouve là, juste à côté de moi. Je veux feindre de l'ignorer, mais c'est impossible, évidemment, nos regards se croisent et je sais que je suis coincé.

-Minerva... ? Je ne savais pas que tu serais ici.

Minerva a longuement hésité à venir. En un autre temps, dans d'autres circonstances, elle ne se serait pas posé de questions. Venir aux obsèques de Diana lui semble tout naturel, après tout. Dans le petit village des Highlands où elle a grandi, tout le monde connaît tout le monde, sans exception, et le départ d'un de ses habitants affecte tout le monde, y compris ceux qui ont pris leur envol et ont quitté le microcosme que représente le village... Et au-delà de ça, Diana a beaucoup compté dans la vie de Minerva. C'est elle qui l'a gardée quand elle était petite, et elle a été présente à des moments de sa vie qui n'ont pas toujours été simples.

Les récents événements avaient rendu leurs conversations plus rares et plus délicates, mais malgré tout, elles se parlaient régulièrement et se donnaient des nouvelles par courrier autant que le permettaient les circonstances. Elles ne parlaient simplement jamais d'Elise et Dougal, pas depuis le jour où Mrs McGonagall avait appris à sa fille les nouvelles fiançailles de celui qu'elle avait cru un temps épouser. Elles dissociaient leur affection mutuelle de tout ce qui devait concerner le couple McGregor, mais si c'était un arrangement plutôt pratique et efficace sur la forme, sur le fond...

Oui, elle ne se voyait pas ne pas venir aux obsèques de Diana, mais elle sait bien ce que ça implique. Cela signifie qu'elle va revoir le couple que forment Elise et Dougal. Ce serait délicat dans tous les cas, mais suite à ses conversations successives avec Dougal, puis Elise, à Londres, elle a bien compris que la situation serait au-delà de compliquée, en l'occurrence. Elle avait promis de se tenir à l'écart, mais elle estime que l'enterrement d'un proche vaut bien de faire une entorse à sa promesse, n'est-ce pas ?

Proche du buffet, elle se fait aussi petite que possible. Elle a repéré le couple du coin de l'oeil mais n'est pas venue s'adresser à eux, par délicatesse. Si bien qu'elle est surprise que ce soit finalement lui qui s'adresse à elle pour commencer.

-J'ai hésité à venir, avoue-t-elle avec franchise. Mais Diana a beaucoup compté pour moi, ajoute-t-elle comme pour se justifier. Avant de reprendre. Toutes mes condoléances. Comment va Elise ? Je n'imagine pas combien ce doit être dur pour elle...

Elise voudrait être n'importe où ailleurs. Elle sait que sa place est ici, et qu'elle doit être présente, et d'ailleurs, si elle devait se terrer quelque part et fuir ses responsabilités, elle le regretterait immédiatement et se le reprocherait forcément, mais là, elle ne supporte pas cette situation, rien ne lui plaît dans ce qu'elle expérimente ici et maintenant. Elle aurait envie de disparaître sous la terre, comme sa mère, et échapper à tous les regards qui la toisent et qui l'insupportent profondément. Ce défilé de proches qu'elle connaît plus ou moins et qui viennent lui présenter leurs condoléances, c'est insupportable. Elle aurait envie qu'on la laisse seule, seule avec sa peine, seule avec ce deuil inexprimable.

Elle ne sait pas de quelle manière le représenter tant c'est un déchirement pour elle. Elle se sent dépossédée, comme si on lui avait littéralement retiré le coeur. Elle savait bien, bien sûr, que ses parents n'étaient pas immortels, et pourtant, elle n'était pas prête à voir sa mère partir. Elle ne sait pas de quelle façon elle veut gérer son deuil à sa manière, elle a juste besoin de savoir lequel, et pour le moment, cela reste obscur à ses yeux. Elle a mal, elle ne trouve ni d'intérêt, ni d'apaisement, dans cette réunion qui tient plus de la corvée qu'autre chose pour elle. Elle attend que ça passe.

Mais ça ne passe pas, et même, ça devient de pire en pire à mesure que le temps passe, et c'est vraiment insupportable pour elle. Elle a l'impression, la très nette impression d'être étrangère en cet endroit... Heureusement, Dougal est là, et il a été un ange de patience et de compréhension avec elle, mais elle ne peut pas exiger de lui qu'il demeure à son bras toute la soirée, surtout quand la vieille Imogene décide de lui tenir la jambe en lui racontant pléthore d'anecdotes au sujet de sa mère, qu'Elise n'a pas envie d'entendre, pas pour l'instant en tout cas.

Et elle n'écoute plus rien du tout, mais alors vraiment plus rien, quand son attention se porte sur le buffet, où son mari est en pleine conversation avec... Le sang d'Elise ne fait qu'un tour. Elle oublie complètement la politesse et laisse totalement Imogene en plan pour aller immédiatement retrouver le duo et se poster devant eux, une lueur franchement mauvaise dans le regard.

-Oh, ne prétends pas compatir, Minerva, dit-elle en s'agrippant au bras de son époux. Qu'est-ce que tu fais là ? Qui t'as invitée ?

Je ne suis pas étonné d'entendre Minerva m'apprendre qu'elle a hésité à venir. Même si sa présence se justifie largement par le lien privilégié qu'elle a entretenu avec la mère d'Elise dans sa jeunesse (dis comme ça, nous paraissons bien plus vieux que nous ne le sommes réellement, mais vous avez compris où je veux en venir, n'est-ce pas ?), elle a forcément un rapport contrasté avec la famille d'Elise, à présent.

C'est compliqué, tout est devenu compliqué, et je ne peux nier la part de responsabilité qui m'incombe dans ce malaise ambiant. Je ne veux pas regretter mes choix ni la situation telle qu'elle est à présent, mais il me faut bien reconnaître que cette situation ne saurait propice qu'au recueillement et non au malaise si je n'étais pas présent dans l'équation. Enfin, je suppose qu'elle a bien fait de venir. Diana aurait voulu qu'elle soit présente pour lui présenter ses adieux posthumes. Elle tenait à elle, après tout, et c'est une chose qu'Elise elle-même sera bien incapable de nier.

Je veux répondre quand Minerva me demande comment va Elise. Mon discours aurait sans doute été pudique, convenu, j'aurais certainement répondu par un "Elle tient le coup" navré, parce que qu'est-ce qu'on peut dire d'autre dans ces circonstances - et qu'est-ce qu'on peut faire d'autre, par ailleurs ? Oui, elle tient le coup parce qu'elle n'a pas vraiment le choix, n'est-ce pas ?

Je veux croire qu'elle sera suffisamment forte pour dépasser tout ça. Et je serai là pour elle. Perdre ses parents, je connais ce sentiment, je l'ai vécu, alors je saurai être présent, à ses côtés, et le temps pensera les blessures. J'ai bien conscient que c'est là une mentalité, une manière de voir les choses ma foi très convenue, mais je ne sais pas le formuler d'une autre manière.

Mais alors que je veux répondre, Elise nous rejoint, et je me sens immédiatement mal. La dernière chose dont elle ait besoin, là, tout de suite, est d'une confrontation avec Minerva. Et c'est la dernière chose dont j'ai besoin, moi aussi. Mais mes besoins ont évidemment peu à voir avec les circonstances. Elise est désagréable et incisive, mais j'ai bien du mal à lui en vouloir, vu les circonstances. Même, ces circonstances, je les comprends parfaitement, en réalité.

-Tu sais bien qu'elles étaient très proches, je réponds en essayant de calmer un peu les choses - du mieux que je le peux, en tout cas. Est-ce qu'on ne pourrait pas juste faire... une trêve ? Pour aujourd'hui ? Pour Diana ? je suggère, beaucoup trop maladroitement.

Au moment même où Dougal a daigné lui adresser la parole, Minerva a cru sentir le regard d'Elise la transpercer. Elle n'en était pas complètement sûre, mais maintenant oui. Elle les observait, et elle ne pouvait pas tolérer ne serait-ce que l'existence même de leur conversation. Minerva peut-elle lui en vouloir pour cela ? Elle le pourrait, mais ce serait alors afficher quelque chose de l'ordre de la pure mauvaise foi. Car Minerva ne peut en aucun cas prétendre que les inquiétudes et réserves de Minerva sont infondées.

Certes, elle n'irait pas présumer de ce que pense Dougal, et elle est d'ailleurs convaincue du fait qu'il est très franchement et sincèrement attaché à Elise dans tous les cas. Mais ils ne peuvent ignorer l'ambiguité qui demeure entre eux. Leur conversation n'est pas une bonne chose. Mais à situation exceptionnelle... circonstances exceptionnelles ? Oui, mais des circonstances atténuantes qu'Elise, de son côté, n'a pas l'air prête à leur accorder, et c'est entièrement compréhensible.

Elle serre les dents quand Elise suggère qu'elle ne fait que prétendre compatir. Ce n'est pas le cas du tout. Si Elise a de bonnes raisons de la détester, l'inverse n'est pas vrai. Elle a sans doute un fond de jalousie envers Elise, mais certainement pas de mauvais sentiments, et surtout, elle ne serait jamais cruelle au point de vouloir le moindre mal à son interlocutrice, non, certainement pas. Elle se met à sa place et devine sa souffrance. Son but n'était pas de retourner encore davantage le couteau dans la plaie, loin de là. Même si c'est peut-être involontairement ce qu'elle fait.

Minerva veut répondre, en faisant preuve du plus de diplomatie possible. Elle peut se montrer sévère et désagréable, c'est presque une seconde nature chez elle, même, mais là, tout de suite, elle sait que ce n'est pas en faisant usage de sa sévérité toute naturelle qu'elle aboutira au moindre résultat avec Elise. Elle ouvre la bouche, s'apprête à dire quelque chose, mais c'est Dougal qui répond le premier. Elle n'est pas sûre que ses propos aient la moindre chance de passer, ceci dit. Oui, elle était proche de Diana, et elle pense avoir sa place ici, mais elle ne pense vraiment pas que c'est un argument qu'Elise sera capable d'entendre dans l'état où elle se trouve à l'heure actuelle.

-Je ne vais pas rester très longtemps, ne t'inquiète pas. Je voulais juste... Vous présenter mes condoléances, dire au revoir à Diana en bonne et due forme, c'est tout. Elle marque une pause. Crois-le ou non, je suis sincèrement désolée de ce qui t'arrive.

-Tu sais bien qu'elles étaient très proches.

Elise leva les yeux au ciel, bien incapable d'écouter la réponse de son époux en lui accordant le moindre crédit. Pourtant, oui, elle le savait, que Minerva et sa mère avaient été proches, et elle savait même que sa mère s'était sentie prise entre deux feux au moment de son mariage avec Dougal, même si elle avait évidemment soutenu Elise à cent pour cent au moment de ses fiançailles. Elle n'avait pas envie qu'on lui rappelle ce sentiment de proximité, ici et maintenant. Certes, ce moment devait être celui de Dina, pas le sien, mais Dina n'était plus là, alors que elle oui, et elle en avait assez de souffrir, elle ne voulait pas qu'on ajoute de la douleur à sa douleur.

Est-ce qu'on ne pourrait pas juste faire... une trêve ? Pour aujourd'hui ? Pour Diana ?


-Tu te moques de moi, n'est-ce pas ? Tu n'oserais quand même pas invoquer le nom de ma mère, qui n'est plus là pour donner son opinion, pour espérer qu'on enterre la hache de guerre ? dit-elle à l'adresse de son époux.

Qu'il suggère une trêve avec Minerva, aujourd'hui comme hier ou demain, lui était chose intolérable. Elle ne voulait pas passer pour la méchante de l'histoire, et elle sentait bien que ça allait être le cas, mais peu importe : elle exprimait le fond de sa pensée, un point c'est tout. Et oui, elle ne comptait pas se montrer plus tolérante sous prétexte que sa mère était morte. Bien au contraire, même.

-C'est bon, tu lui as dit au revoir, tu peux t'en aller, maintenant, tu ne crois pas ? dit-elle ensuite en tournant son regard vers Minerva.

Elle n'avait vraiment pas besoin de faire le voyage jusqu'ici pour dire au revoir à sa mère. Dans tous les cas, sa mère était partout et nulle part, à ce stade... mais non, il avait fallu qu'elle fasse les petites mijaurées et qu'elle se donne le beau rôle dans cette affaire. Bon sang, ce qu'elle pouvait lui sortir par les trous de nez, vraiment ! Elise avait beau y faire, elle ne pouvait tout bonnement pas l'encadrer. C'était comme ça. Et à ce stade, ça en devenait même viscérale, d'ailleurs.

-Je ne vais pas rester très longtemps, ne t'inquiète pas. Je voulais juste... Vous présenter mes condoléances, dire au revoir à Diana en bonne et due forme, c'est tout. Crois-le ou non, je suis sincèrement désolée de ce qui t'arrive.


-Et au passage, je pense que tu te fiches complètement de ce que je ressens, sinon tu ne serais pas venue ici. Alors maintenant, tu serais gentille de débarrasser le plancher, d'accord ?

Quoi que je puisse faire en cet instant, que je fasse le choix de me taire ou, au contraire de prendre la parole dans l'espoir de temporiser les choses, je n'ai aucune chance de sortir gagnant, je m'en rends bien compte. La colère et la rancoeur d'Elise sont tels qu'elle ne peut tout bonnement pas être en mesure d'entendre raison, et j'avoue qu'il était maladroit de ma part d'invoquer le nom de ma belle-mère en ces circonstances. Je suis certain de ce que je dis, je suis convaincu que dans cette situation particulière, elle aurait voulu qu'en sa mémoire, nous mettions de l'eau dans notre vin. Mais qui suis-je pour parler à sa place ? Je n'aurais pas dû me permettre cela, et Elise me le fait bien vite comprendre. Elle est clairement en colère contre Minerva, mais je vois bien qu'elle est en colère contre moi aussi.

-Non, non, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire..., dis-je particulièrement embarrassé par la situation. Je ne veux pas qu'il y ait des drames, la situation est déjà si compliquée... Mais je n'ai pas la main, et par ailleurs, Elise a toujours eu beaucoup plus de caractère et de volonté que moi.

Elle est toujours déterminée à mener Minerva droit vers la sortie, et moi, je reste là, figé, impassible... Je sais que je devrais faire, dire quelque chose, prendre la défense de Minerva, en dépit de la situation. Mais je préfère ne rien dire, je deviens le spectateur d'une situation que j'ai pourtant provoquée. Car évidemment, s'il n'était question de moi, il est sûr et même certain que les deux s'entendent à la perfection.

Je veux lâcher un "allons" faiblard histoire de juguler la situation, mais à la place, je reste silencieux et inutile. Statue de seul. Je me rends bien compte que mon comportement doit être décevant, aussi bien pour mon épouse que pour celle qui aurait pu l'être, bien évidemment.

Au fond, j'aimerais que Minerva consente à partir. Ce ne serait pas très juste qu'elle le fasse, certes, mais cela mettrait un terme à cette situation particulièrement insupportable, que j'ai de plus en plus de mal à tolérer, en ce qui me concerne... Il faudra qu'on en reparle, sans doute, mais là, tout de suite, je préférerais vraiment que l'on s'épargne un scandale terrible mais surtout inutile. Je ne pense pas que cette situation soit acceptable.

Faire une trêve n'est pas chose possible. Minerva en avait été certaine, et le comportement d'Elise le confirme largement. Elle n'est certainement pas prête à tourner la page, ou même à faire l'impasse sur leur animosité sous le prétexte que cette journée était consacrée au deuil. C'est compréhensible, au fond, elle doit gérer son propre deuil, et elle a tous les droits d'être en colère, ce pour des dizaines de raisons. Mais Minerva n'a pas envie de repartir. Elle a fait tout ce chemin pour venir ici.

Elle a besoin de se recueillir où Diana a vécu, où elle-même a grandi, pour tourner la page sur cette période de sa vie qu'elle n'a pas envie d'occulter ou de négliger sous prétexte qu'Elise aussi en fait partie. Ce n'est pas d'elles ou de leurs vieilles querelles qu'il est question. Elle a envie de camper sur ses positions, et en même temps; elle ne veut pas provoquer d'esclandre.

En bref, elle se sent particulièrement coincée, et ce n'est pas Dougal qui arrange les choses en la circonstances. Elle comprend, bien sûr, qu'il se trouve dans une position plutôt délicate et ait quelques difficulté, à savoir comment intervenir. Il est pris entre deux feux, mais il va bien falloir qu'il assume cette situation malgré tout. Elle n'a pas envie d'accuser la rage et la haine d'Elise alors qu'au fond, elle n'a rien fait. Au contraire, elle a fait un pas de côté, permettant à Minerva de vivre son idylle. Elle n'estime pas être responsable de quoi que ce soit.

-Tu n'es pas la seule à être en deuil, Elise. Tu n'as pas le privilège de décider de comment ceux qui s'attristent de son départ choisissent de prêter hommage à ta mère. Aie un minimum de considération et de tempérance. Ce n'est peut-être pas ce que tu as envie d'entendre, mais c'est la vérité : c'est ce que Diana voudrait. Elle croise les bras. Je ne veux pas provoquer d'esclandre, je ne veux pas te mettre dans l'embarras, mais je ne m'en irai pas : j'ai ma place ici, que cela te plaise ou non. J'ai ma place ici autant que toi.

Elle en fait trop, elle n'avait pas envie d'en arriver à ces extrêmes, vraiment pas. Mais elle a le sentiment qu'on ne lui laisse tout bonnement pas le choix. Si elle doit s'imposer, alors elle le fera. Elle sait y faire.

-Non, non, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire...

Non, Elise le savait bien, dans le fond, que ce n'était absolument pas ce que son mari avait voulu dire. Et malgré tout, elle ne parvenait tout simplement pas à décolérer. C'était plus fort qu'elle. Elle se sentait soumise à une injustice crasse, dans un moment où elle était de toute manière trop fragile pour exprimer des opinions ou des émotions mesurées, et elle avait plus que jamais besoin du soutien de l'homme qu'elle aimait, un soutien qu'il ne lui apportait que de façon par trop mitigée pour qu'elle accepte de s'en satisfaire ou pour qu'elle estime que c'était assez.

Cette maladresse qui l'avait toujours bien caractérisé et qui en temps normal parvenait à l'émouvoir et à l'attendrir ne réussissait qu'à l'exaspérer. elle n'était pas dans l'état d'esprit d'accepter, de tolérer ses hésitations. Elle se sentait bouillir intérieurement, elle était une bombe à retardement, et c'était tout bonnement insupportable pour elle que de faire le moindre effort qui pourrait, d'une façon ou d'une autre, être profitable à une femme qu'elle détestait si fort alors qu'elle voulait juste qu'on lui laisse décemment faire son deuil.

-Tu n'es pas la seule à être en deuil, Elise. Tu n'as pas le privilège de décider de comment ceux qui s'attristent de son départ choisissent de prêter hommage à ta mère. Aie un minimum de considération et de tempérance. Ce n'est peut-être pas ce que tu as envie d'entendre, mais c'est la vérité : c'est ce que Diana voudrait. Je ne veux pas provoquer d'esclandre, je ne veux pas te mettre dans l'embarras, mais je ne m'en irai pas : j'ai ma place ici, que cela te plaise ou non. J'ai ma place ici autant que toi.

Non, bien sûr qu'elle n'était pas la seule à être en deuil, elle ne pouvait pas s'approprier la tristesse de tous ceux qui, dans cette même pièce, pleuraient une seule et même personne, qui avait tant été aimée qu'il était normal que tant de personnes s'empressent de lui rendre hommage. Mais si elle n'avait pas le monopole du deuil, ça ne l'empêchait pas d'estimer avoir le droit de décider de qui avait sa place ici et qui ne l'avait pas. C'était elle qui avait organisé ces funérailles, après tout, et l'exercice avait été suffisamment délicat pour qu'elle estime ne définitivement pas avoir à s'infliger ce genre de contrainte. Alors la réaction d'Elise ne se fit pas attendre. Sa main vola d'autorité contre la joue de sa rivale. Elle n'avait vraiment pas pu s'en empêcher, trop, c'était trop.

-Si vraiment tu ne voulais pas provoquer d'esclandre, tu ferais profil bas. Je ne veux plus te voir ici, est-ce que c'est bien compris ?

Je me sens pris entre deux feux. Je ne vais pas mentir ou chercher à le dissimuler, c'est toujours le cas quand il doit être question de ces deux femmes qui, chacune à leur manière, comptent tant pour moi (car oui, je peux bien mentir et me mentir à ce sujet, mais Minerva continue d'avoir une importance primordiale dans ma vie, une importance que je ne peux tout bonnement pas nier au risque de me montrer particulièrement et absurdement hypocrite). Je ne veux pas prendre de parti, je ne veux pas qu'elles m'y obligent, mais dans ces circonstances précises, il me semble nécessaire de jouer les intermédiaires. Je ne pourrais jamais être certain de ce que Diana penserait de cette situation et de ce qu'elle voudrait dans ces circonstances. Le bonheur de sa fille passerait avant tout, je veux le croire, mais il y a une chose dont je suis convaincu, et c'est qu'elle ne voudrait pas qu'un scandale éclate alors que tous nous sommes ici pour célébrer sa mémoire, alors que nous venons tout juste d'enterrer son corps et de lui faire nos adieux.

Non, à ce sujet, l'incertitude n'est pas permise, et je pense pouvoir le clamer haut et fort, ce qu'elle voudrait, c'est que cette réunion soit un moment d'échange et de paix, mais Elise, et c'est compréhensible, je suis passé par là, a bien du mal à voir au-delà de sa propre douleur, chose que je n'arrive pas entièrement à lui reprocher en dépit de la manière dont elle parle à Minerva, qui n'a pas du tout mérité d'être traitée de la sorte. Son seul tort a été sa présence, et en l'occurrence, j'estime que c'est une chose qu'on ne peut pas totalement lui reprocher. Alors à partir de là...

Je ne peux pas contredire le discours de Minerva, en revanche, je sais qu'elle appuie sur tous les leviers, présentement, qui sont susceptibles de faire sortir mon épouse de ses gonds en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Sa colère est compréhensible, mais celle d'Elise a besoin d'être temporisée... et j'ai définitivement peur de faire le plus médiocre des médiateurs. J'ai définitivement échoué à rétablir la moindre harmonie, même factice, entre elles. Au point que la main d'Elise fini par atterrir sur la joue de Minerva, une gifle qui n'est absolument pas passé inaperçue, tous les regards convergent dorénavant dans notre direction, et moi je suis aux combles de l'embarras.

-Elise, s'il te plaît, dis-je en m'interposant entre elles et en prenant ses mains dans les miennes. Tu es bouleversée, c'est normal, mais c'est en train d'aller trop loin. Je tourne un regard désemparé en direction de Minerva. Je pense qu'il vaut mieux que tu t'en ailles.

Minerva veut bien se montrer patiente et conciliante. Et oui, elle en est tout à fait capable, tout comme elle sait faire la part des choses, y compris dans le cadre de ces situations qui se révèlent déplaisantes pour les deux, et même les trois parties. Elle est prête à respecter le deuil, voire la colère d'Elise, qui sont tous deux légitimes dans ces circonstances. Mais jamais ô grand jamais, elle ne se laissera pour autant marcher sur les pieds, c'est tout à fait hors de question.

Elle compte bien conserver sa dignité, raison pour laquelle elle ne va définitivement pas se livrer à un crêpage de chignon en règle ici et maintenant (et d'ailleurs, son chignon toujours parfaitement serré et coiffé ne tolèrerait pas ce genre de "fantaisies"), il n'empêche qu'elle tient à se faire respecter, autant qu'elle estime le mériter, tout du moins, et en l'occurrence, elle estime que le comportement d'Elise, son agressivité, sont tout à fait gratuits.

Elle frotte la joue qui vient d'être giflée, endolorie, en adressant à Elise son regard le plus sévère. Elle n'a pas à se croire tout permis sous le prétexte d'être en souffrance. Une telle agression physique n'est absolument pas tolérable, et ne sera évidemment pas tolérée. Minerva s'estime honnêtement très conciliante, mais il y a des limites à tout, et surtout, il y a des limites à sa patience, et les limites en question ont été plus que largement dépassées en cet instant. Si elle ne réplique pas, c'est parce qu'elle se veut au-dessus de ça, mais en revanche, c'est un geste qu'elle ne laissera pas.

-Cette agressivité est indigne de toi, Elise, réplique-t-elle tout en continuant de la fusiller du regard, l'obligeant à constater le contraste entre sa rage et la pondération dont elle fait elle-même preuve.

Dougal tente de jouer les médiateurs et la carte de la pondération, mais il n'y a pas à y regarder de bien près pour constater combien il est en peine dans cette situation. C'était, en réalité, plutôt prévisible. Il essaie de calmer Elise, mais Minerva estime, de son côté, qu'il aurait dû la remettre en place en bonne et due forme, et quand c'est à elle qu'il demande de partir, elle croise les bras.

-Je ne m'en vais pas. Je suis à ma place ici, ne vous en déplaise. Ignorez ma présence si celle-ci vous incommode, mais je ne partirai pas.

-Elise, s'il te plaît.

Dougal avait pris ses mains dans les siennes, mais cela ne parvenait pas à soulager Elise pour autant, qui se sentait hors d'elle, presque hystérique. Elle ne se sentait pas capable de passer outre toute cette situation. Bien souvent, un geste, un mot, un regard suffisaient à ce qu'elle se sente mieux, mais là, tout de suite, elle n'arrivait tout simplement pas à se calmer.

La seule chose qu'elle voulait, c'était que son mari abonde dans son sens, et comme ce n'était pas le cas, elle trouvait cela tout bonnement insupportable. Oui, peut-être qu'avec du recul, elle admettrait qu'il avait raison. Mais pour le moment, le recul, elle en était absolument incapable d'en avoir. Elle avait besoin que tout le monde se plie à son sentiment, à sa pensée. Et ça ne marchait pourtant pas comme ça, pas comme ça du tout.

- Tu es bouleversée, c'est normal, mais c'est en train d'aller trop loin. Je pense qu'il vaut mieux que tu t'en ailles.

Elle ? Aller trop loin ? Oui, bien sûr que c'était le cas. Elle se donnait en spectacle, et ce n'était pas ce qu'elle voulait. Mais sa rage l'aveuglait tant et si bien qu'elle était incapable de voir quoi que ce soit d'autre. Elle croisa les bras, au moins, Dougal admettait que c'était à Minerva de partir. Et ça, déjà, c'était immense. Encore fallait-il qu'elle daigne bel et bien le faire, et ça, ce n'était pas gagné du tout.

-Cette agressivité est indigne de toi, Elise.

-Je me passerais de tes leçons de morale, Minerva, merci bien, dit-elle en croisant les bras.

Elle n'avait vraiment pas l'intention de s'entendre dire de quelle manière elle devrait ou non se montrer vertueuse selon les exigences pathétiques de son interlocutrice. Merci mais non merci.

-Je ne m'en vais pas. Je suis à ma place ici, ne vous en déplaise. Ignorez ma présence si celle-ci vous incommode, mais je ne partirai pas.

-Je ne peux pas ignorer ta présence, répliqua-t-elle d'un ton hargneux, remontant dans les tours, si elle en était seulement descendue. C'est impossible. C'est quoi ton but, là, hein ? Qu'est-ce que tu recherches, je peux savoir ?

Elle se posait vraiment la question, car là, dans cet instant, elle avait surtout l'impression que son interlocutrice la provoquait, purement et simplement, et ça marchait beaucoup trop bien.

Je ne peux qu'être d'accord avec Minerva sur le fait que oui, son agressivité n'est pas digne d'Elise. Je ne la reconnais pas quand elle est comme ça... et je n'aime pas la voir ainsi. Elle montre vraiment un aspect de sa personnalité que je trouve indigne d'elle et de qui elle est véritablement. Malheureusement, je sais bien que cette situation n'est pas facile pour elle... Forcément, ces mots prononcés par Minerva n'avaient aucune chance de passer, mais ça reste la plus stricte réalité, quand bien même Elise balaie ses "leçons de morale" d'un revers de la main.

J'aurais aimé que Minerva accepte de s'en aller malgré tout. Je ne dis pas que c'est juste, je ne dis pas qu'elle n'a pas sa place ici, mais je ne veux pas voir se compliquer une situation qui l'est d'ores et déjà beaucoup trop. Si elle se contentait de partir maintenant, la situation serait beaucoup, beaucoup plus simple. Sauf que Minerva McGonagall n'est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. C'est une chose que j'ai toujours admirée chez elle, mais que j'aurais bien aimé qu'elle mette en sourdine, en fin de compte.

Elise le souligne à raison, elle ne peut pas se contenter de faire comme si Minerva n'était pas là. C'est de l'ordre de l'impossibilité naturelle. Que cela nous plaise ou non, il faut bien que nous nous rendions à l'évidence de ce point de vue. Je me retrouve coincé entre deux egos, et je ne sais pas du tout comment faire, là, tout de suite.

-S'il te plaît, Minerva, ne rend pas la chose plus compliquée qu'elle ne l'est déjà...

J'ai dans l'intuition que mes paroles n'auront aucun effet, mais qu'est-ce que je suis supposé faire ? Précipiter Minerva vers la sortie ? Peut-être bien, mais je suis bien incapable de faire une chose pareille, je n'arrive pas à imposer une quelconque forme d'autorité à ni l'une ni l'autre de ces deux femmes. J'en suis positivement incapable. Je me sens stupide et ridicule à la perspective de ne serait-ce qu'essayer.

Il suffirait que Minerva s'en aille, et tout irait immédiatement beaucoup mieux. Enfin, j'aurais droit aux sermons et aux conversations embarrassantes à n'en plus finir, et ce ne sera pas un bon moment, mais au moins, ce moment-là sera passé, et ça, clairement, ce sera une excellente chose.

Non, l'intention de Minerva n'est pas de donner des leçons de morale à son interlocutrice. Elle ne se le permettrait pas. Elle cherche à l'être mais elle sait très bien qu'elle n'est pas un modèle d'intégrité de son côté.

Non, elle n'est pas un exemple à suivre, elle, la femme qui a abandonné son fiancé sans lui donner la moindre explication. Par contre, et même si elle a été fautive à d'autres titres, elle n'a pas l'intention de se laisser marcher sur les pieds. Quand on l'attaque et qu'on l'agresse, elle réagit, c'est comme ça que ça marche. C'est comme ça qu'elle estime que ça devrait toujours marcher.

-Je cherche seulement à rendre hommage à une personne qui m'a été chère, je ne veux pas faire de scandale, je ne veux pas créer de scène. Tu peux simplement ignorer ma présence, et nous nous en porterons tous mieux, tous autant que nous sommes.

Elle le pense véritablement, tout en sachant très bien que ce n'est pas possible. Elle le souhaite, mais elle n'est pas complètement naïve, elle sait ce qu'il en est, elle sait ce qui se cache derrière la rage et le discours de son interlocutrice, elle sait qu'elle aurait peut-être dû faire les choses d'une autre manière.

Quand Dougal lui suggère à son tour de s'en aller, elle sait qu'il n'a pas tort, et elle sait en effet qu'elle complique une situation qui l'est déjà beaucoup trop, et qui a de bonnes chances de s'envenimer encore davantage si elle reste. Mais s'en aller maintenant, ce serait donner raison au jeune couple, et le fait est que non, elle considère qu'ils n'ont absolument pas raison, en l'occurrence.

-C'est vous qui compliquez les choses inutilement. Non, je ne partirai pas.

Elle croise les bras. Son obstination et sa ténacité vont déplaire, qu'importe, elle ne change pas son fusil d'épaule. Elle reste sur ses positions. Si elle se plie à leurs exigences absurdes, elle continuera d'alimenter une rivalité qu'ils feraient mieux d'étouffer une bonne fois pour toutes, car cette dernière ne fait clairement du bien à aucun d'entre eux. Il faut qu'ils avancent, c'est nécessaire. Et on avance jamais en rebroussant chemin ou en prenant la fuite.

-S'il te plaît, Minerva, ne rend pas la chose plus compliquée qu'elle ne l'est déjà...

Même si, au final, Dougal se rangeait de son côté (encore heureux, en même temps, avait-elle envie d'affirmer tant elle était en rogne contre son mari, contre Minerva, contre la terre entière), Elise continuait de lui en vouloir et de ne pas apprécier son attitude, parce qu'elle continuait de la trouver trop "molle", inadaptée à la situation. Ce n'était pas suffisant de dire qu'elle devait s'en aller, il devait la foutre dehors, pas attendre qu'elle le fasse de son plein gré.

C'était évident, pourtant, que cette garce n'entendrait de personne, elle se pavanait ici comme si elle était dans son bon droit, trop c'était trop. Elle ne méritait aucun "s'il te plaît", ça c'était définitivement de trop. Il n'y avait pas besoin de connaître si intimement Minerva que cela pour comprendre que ce n'était pas ce qui allait la pousser à mettre de l'eau dans son vin et à s'en aller sans demander son reste. Elle s'accrochait à cet événement comme une moule à son rocher, et c'était en train de devenir de plus en plus insupportable.

-Je cherche seulement à rendre hommage à une personne qui m'a été chère, je ne veux pas faire de scandale, je ne veux pas créer de scène. Tu peux simplement ignorer ma présence, et nous nous en porterons tous mieux, tous autant que nous sommes.

Non, assez, c'était assez. De combien de temps avait-elle besoin pour lui rendre hommage, hein ? Elle n'était pas sa fille, après tout. Elle était venu, elle avait vu, elle avait pleuré un bon coup, alors à partir de là, il était plus que temps de s'en aller, pas vrai ? Oui, mais elle ne bougeait pas, l'autre. Elle attendait quoi ? Des bonbons, une médaille ? Elle commençait à lui taper singulièrement sur le système.

-C'est vous qui compliquez les choses inutilement. Non, je ne partirai pas.

-Reste ici une minute de plus et ose encore prétendre que tu n'agis pas en pure provocation. Tu es venue, tu as pu la revoir une dernière fois, tu l'as payé, ton dernier hommage... Alors ça suffit, comme ça. On a été suffisamment patients. Tu n'es pas sa fille, tu n'es même pas de la famille. Elle marqua une pause. Va-t-en ou je te sors de là par la force.

Même si je trouve le comportement d'Elise excessive, je commence à me dire que l'attitude de Minerva tient ni plus ni moins que de la provocation à l'heure actuelle. Oui, Minerva a sa place ici, mais si elle veut honorer la mémoire de Diana, elle doit savoir que cette dernière n'aurait pas voulu d'esclandre à sa cérémonie d'enterrement. Ce qui semble normal, compréhensible. Et même si Elise n'est pas très correcte, on peut quand même lui trouver des circonstances atténuantes.

C'est normal, non, d'être chamboulé et à fleur de peau dans son cas, et Minerva, avec sa froideur et son autorité naturelle, ne laisse pas vraiment transparaître ses émotions. Je sais que les émotions en question ne sont pas absentes, je suis bien placé pour le savoir, en effet. Parce que même maintenant, et même si le temps a passé, je veux croire que je suis encore une des personnes qui la connaît le mieux... Constat qui déplaira sans doute à Elise, je le sais bien...

Je n'avais vraiment pas envie de gérer ça aujourd'hui... je ne veux pas gérer ça tout court. J'aimerais vraiment qu'elles sachent mettre leurs egos de côté. Moi, quoi que je puisse dire pour arrondir les angles, je vais passer pour quelqu'un d'injuste ou de biaisé, et je ne veux pas ça.

-Ta présence est devenue difficile à ignorer, Minerva, tu peux tout de même l'admettre, non ? dis-je alors, en le pensant vraiment sincèrement.

Oui, la présence de Minerva n'est passée inaperçu auprès de personne, elle ne peut plus prétendre se fondre dans la masse, à ce stade. Elle peut l'admettre, elle doit l'admettre. Et dans tous les cas, Minerva ne peut être ignoré - du moins de moi - quand elle est dans les parages. Je ne suis pas capable de faire abstraction de sa présence. Et ça, c'est une chose qu'Elise ressent forcément, et je déteste le fait de lui faire ressentir ça, d'autant que je n'arrive pas du tout à le contrôler.

-Il ne va pas être nécessaire d'employer la force, dis-je en mesurant les propos de mon épouse. Minerva va s'en aller. N'est-ce pas Minerva ?

Qu'elle n'insiste pas davantage, ça suffit comme ça. J'ai l'impression que tous les regards convergent dans notre direction, et je n'aime vraiment pas ça.

Minerva n'estime pas provoquer qui que ce soit. Mais est-elle vraiment si honnête que cela quand elle affirme ne chercher qu'à rendre hommage à Diana. Est-ce qu'une part d'elle, inavouée, ne chercherait pas dans cette confrontation à exorciser quelques vieux démons ? Minerva a envie de croire qu'elle est au-dessus de tout cela. Elle a besoin de croire, surtout, qu'elle est au-dessus de tout cela. Un tel comportement serait totalement indigne de sa part. Mais ici, tout de suite, rattrapée par le passé et peut-être aussi plus jalouse qu'elle ne veut bien l'admettre, il est assez possible, au fond, qu'elle se laisse dominer par des émotions inavouables.

Elle n'a pas à demeurer ici pour rendre hommage à Diana, elle lui a bien assez rendu hommage, et elle a déjà eu l'occasion de parler à ses personnes perdues de vue qu'elle avait voulu revoir dans ces circonstances. Elle n'a pas de vraie bonne raison de continuer à rester, si ce n'est qu'elle ne veut pas laisser le dernier mot à Elise.

C'est définitivement sa fierté qui parle, en cet instant. Et de la fierté, Minerva en a à revendre. C'est dans sa nature même. Elle refuse catégoriquement de se laisser marcher sur les pieds, un point c'est tout, et elle estime au passage que c'est tout naturel. Quand en plus on la menace d'utiliser la force ou la violence pour la sortir d'ici, elle est d'autant plus déterminée à rester plantée là le temps qu'il faudra.

C'est finalement les propos de Dougal qui la font changer d'avis. Jamais elle n'entendrait raison de la part d'Elise, mais Dougal c'est autre chose. Son discours la blesse, elle aurait espéré qu'il ne prenne pas le parti de son épouse. Mais est-ce qu'elle peut le lui reprocher malgré tout ? Pas vraiment. Ou pas sans mauvaise foi en tout cas. C'est vrai que sa présence est devenue difficile à ignorer et qu'elle ne peut plus vraiment prétendre vaquer seulement à ses occupations comme si de rien n'était. Alors, quand il suggère qu'elle va s'en aller, et même si elle a très envie de répondre que non, elle ne partira pas, et que les choses n'ont pas la moindre raison de se passer comme cela, à la seule convenance de son interlocuteur, elle cède et lâche un peu de lest.

-Je vais m'en aller, confirme-t-elle après avoir ouvert et fermé la bouche comme si elle s'apprêtait à protester. Vous vous faites grand tort tous les deux, j'espère que vous en avez au moins un peu conscience.

Sans rien dire de plus, elle tourne les talons et s'en va. Elle n'a plus rien à faire ici.