Depuis le premier jour où elle avait pris son poste chez Sorcière-Hebdo (ce qui était relativement récent, forcément), Villa n'avait pas eu le sentiment de travailler une seule seconde. Bien sûr, la partie rédactionnelle restait à perfectionner, même si Villa aimait son petit grain de plume, elle savait bien qu'il n'était pas exceptionnel non plus, et qu'il fallait qu'elle aiguise ses sentences pour les rendre toujours plus attractives, mais l'un dans l'autre, elle se trouvait dans la meilleure position. C'était un peu comme ces joueurs de Quidditch qui avaient passé leur scolarité sur un balai et qui avaient finalement la chance de passer pro et d'intégrer une grande équipe. Villa, elle, avait passé sa scolarité à rapporter ou créer des ragots, à divulguer des histoires sordides agrémentées de détails sensationnels, et maintenant, elle était payée pour ça. La vie était bien faite.

Et en parlant de Quidditch (admirez l'art de la transition), Villa avait un petit scoop bien senti à transmettre à la rédaction, aujourd'hui, sur ce sujet bien précis. Son cheval de bataille, à elle, c'étaient les crimes sordides, les querelles de voisinage qui tournaient mal, les affaires de violence domestiques, les enlèvements, les crimes passionnels, mais elle n'oubliait pas ses premières amours. Elle laissait le rayon célibataires à ses collègues, mais quand elle avait une info dans sa besace, elle était partageuse. Que ce soit son fond de commerce ou non, Villa prenait toujours un malin plaisir à se mêler de tout, et encore plus de ce qui ne la regardait pas, donc à partir de là... pas étonnant que l'envie lui prenne de le partager aux autres.

Enfin, pas à n'importe qui d'autre non plus. Il y avait certains de ses collègues à qui elle n'accepterait même pas de donner l'heure, mais il y en avait aussi qu'elle prenait plaisir à rencarder, parce qu'elle pouvait bénéficier d'un retour d'ascenseur à n'importe quel moment. C'était le cas d'Ines Stinwick. Le duo qu'elles formaient au sein du journal était redoutable. Toutes les deux jeunes et pleines de ressources. Elles auraient pu se faire une concurrence violentes avec leurs armes respectives, mais elles avaient préféré s'entraider, ce qui au final était bien pire. Pour les autres, évidemment. C'était d'ailleurs armée de potins de qualité.

-Allez allez, c'est l'heure de la pause café, décréta Villanelle en débarquant dans le bureau d'Ines, deux tasses bien chaudes dans les mains, dont une qu'elle déposa devant son amie. Je sais que tu m'aimes, mais d'ici quelques minutes, tu vas m'adorer, j'ai du croustillant pour toi, ajouta-t-elle d'un ton satisfait.

« Très bien, puisque tu l’affirmes. Installe-toi je t’en prie, j’ai hâte t’entendre ce que tu as découvert. »

Un peu qu'elle l'affirmait, oui ! Et Villanelle n'affirmait jamais rien à la légère. Ce qui ne voulait pas dire que ses affirmations étaient toujours fondées, mais en l'occurrence, elle les soutenait toujours mordicus. Oui, elle était sûre de son info, pas au sens où elle était forcément véridique, mais au sens où elle était croustillante. La vérité était une chose avec laquelle il était toujours possible de s'arranger, d'une manière ou d'une autre.

Satisfaite, Villanelle ne se fit donc clairement pas prier pour prendre place histoire de deviser avec Ines de tous les derniers potins en date, et de ceux qui feraient date grâce à elle. Elle aimait toutes les occasions qu'elles pouvaient à faire vivre leur petit duo. Elles avaient beau être parmi les plus jeunes recrues de Sorcière Hebdo, Villanelle était portée à croire que la revue serait dix fois moins intéressante si la communion de leurs plumes et de leurs intellects.

-C'est au sujet de Rudolf Brand - je sais, encore lui, mais il fait vendre et les lectrices l'adorent. J'ai du nouveau sur sa dernière conquête en date. Et crois-le ou non, ce n'est pas une nième joueuse ou une Harpie. Ceci dit, c'est de nouveau une blonde, est-ce qu'on doit être encore surpris, à ce stade ?

Il y en a, comme ça, qui sont des cibles faciles et qui font aisément les choux gras d'une revue comme celle pour laquelle elles travaillaient toutes les deux. Rudolf Brand était de ceux-là, parce qu'il réussissait à être canon, à avoir une vie sentimentale décousue et scandaleuse, et à passer malgré tout pour un gars idéal. Le genre que les lectrices de Sorcière Hebdo espéraient secrètement être capables de "changer". Si ridicule cette pensée soit-elle, c'était tout de même assez drôle à voir d'un point de vue purement et strictement extérieur.

-Robin Hammond, la fille de Setor Hammond, le fondateur de la Avery & Hammond’s Broomstick Company. Il doit s'assurer des contrats bien juteux avec eux si tu veux mon avis. Elle commença à fouiller dans son sac. J'ai des photos à l'appui, tout ce dont tu peux avoir besoin, ajouta-t-elle, ravie.

« Je te crois sans mal, seulement j’espère que tu n’es pas en train d’insinuer quoique ce soit concernant les blondes. »

-Mais PAS DU TOUT, répondit Villanelle en portant la main en son coeur en faisant mine d'être offusquée au moment d'entendre suggérer cela. Je remarquais juste qu'il avait un type, et j'allais même ajouter qu'il avait très bon goût, reprit-elle en levant la main, comme sur l'honneur.

Ce qui est vrai, en soi : Villanelle n'a définitivement rien contre les blondes. Bien au contraire... Les blondes avaient de la chance aux yeux de Villanelle, on disait que les hommes les préféraient, et c'était vrai, elles rentraient mieux que personne dans les standards de beauté de leur époque, et quand on en avait conscience, il savait savoir user de ses charmes, ou bien c'était une perte magistrale de temps.

« Cette fille ne me dit rien… mais il régresse un peu en qualité je dois dire. »

-Elle a une beauté plus classique mais je lui trouve un certain charme, moi, observa Villanelle en haussant les épaules. Enfin, faut pas se faire d'illusions, il la fréquente par intérêt, et si j'étais toi, je n'oublierais surtout pas d'orienter ton article sous cet angle - si tu décides d'en écrire un sur le sujet, bien sûr.

Elle n'allait pas orienter le travail d'Ines, évidemment... mais un peu quand même, parce que Villanelle adorait mettre lson grain de sel partout, et forcément, si elle confiait cette information à Ines, c'était dans l'espoir qu'elle la transforme en véritable petite bombe. Il fallait vraiment en faire quelque chose d'incroyable, quelque chose de remarquable... Et son absence de conscience et de scrupule jouaient pour elle en la circonstance.

« Bien trouvé, je te félicite. »

-Ne me félicite pas, répondit Villanelle avec un sourire faussement modeste. Mais tu as le droit de me remercier, par contre, reprit-elle alors avant de poursuivre de siroter sa tasse de café qui commençait à convenir.

Villanelle n'était, comme à son habitude, pas le moins du monde étouffée par sa modestie. Non, vraiment, Villanelle n'était pas du tout modeste, et elle ne comptait pas l'être de sitôt. Elle aimait se faire mousser régulièrement, et quand personne ne s'en chargeait à sa place, elle le faisait pour elle-même.

« Mouais, ça va tu te rattrapes bien. Mais c’est vrai qu’il a tendance à préférer les blondes, et il ne s’en est jamais caché d’ailleurs. »

-Dommage pour moi, prétendit Villanelle pour la blague avec un haussement d'épaules alors qu'en réalité, elle s'en fichait pas mal, comme elle se fichait pas mal d'avoir une vie sentimentale digne de ce nom.

Elle ne voulait s'embarrasser d'aucun homme, vraiment pas, elle avait le sentiment, de ce qu'elle voyait à l'extérieur, qu'ils n'avaient que tendance à tout gâcher, et c'était forcément une erreur à ses yeux, de ces erreurs que l'on doit qualifier d'impardonnables. Elle ne voulait rien laisser se mettre en travers de son chemin, c'était vraiment hors de question.

« Par intérêt tu es sûre ? D’accord, elle gravite dans le monde des balais mais Rudolf Brand est un joueur confirmé, il peut se payer tous les balais du monde, pourquoi est-ce qu’il irait se mettre dans de telles histoires ? Il y a peut-être autre chose… »
-Ce n'est pas une histoire de se payer des balais, c'est une histoire d'image et de réputation. Il est bien l'égérie de leur marque, je me trompe ? Enfin... Elle haussa les épaules, tu mèneras ton enquête si tu veux, tu verras bien, ajouta-t-elle avec l'espoir qu'Ines le ferait bel et bien.

Dans tous les cas, elle, elle avait dit ce qu'elle savait, c'était à Ines de décider de ce qu'elle voudrait en faire ou non, ce n'était clairement pas Villanelle qui irait l'influencer en quoi que ce soit... ou à peine.

« Je te remercie, et ne t’en fais pas, je ne manquerai pas de te créditer pour les photos. »
-Merci, je prends toute la publicité possible, répondit Villanelle avec un sourire. Elle marqua une pause. Bon, mes scoops de génie de l'investigation mis à part, tu es sur quels sujets brûlants en ce moment ? demanda-t-elle en la regardant avec ces yeux pétillants de la personne qui recherche le scandale à tout prix (et peut-on le lui reprocher, après tout ?).

Elle ne perdait évidemment pas le nord. Le plus elle pouvait en apprendre, le mieux c'était, et ça peu importe les circonstances.

« Oui, je te tiendrai au courant s’il y a quoique ce soit. »
"Je te remercie !" répondit Villanelle avec enthousiasme.

Rien ne l'intéressait ni ne lui plaisait plus que la vie des autres... C'était bien plus croustillant, bien plus passionnant que tout ce qu'elle pourrait elle-même observer de sa propre vie. Villanelle n'était pas douée pour balayer devant sa propre porte... Par contre, constater ce qui se passe dans la vie des autres... c'était vraiment autre chose. Et elle était heureuse de pouvoir contribuer au travail d'Inès à sa manière. Elle était sûre et certaine que les choses se passeraient bien en retour.

Et parce que Villanelle avait le sentiment de ne pas avoir eu assez de potins croustillants encore à se mettre sous la main, c'était tout naturellement que la jeune femme faisait le choix de lui en demander davantage. Elle avait besoin d'en apprendre et d'en savoir plus. Elle avait besoin de tout entendre, elle avait besoin de courir après le scoop comme on court après le temps. C'était comme ça qu'elle fonctionnait. C'était dans sa manière d'être, et elle n'avait aucun scrupule du tout. Pas le moindre.

« Plusieurs. Mais celui où j’ai le plus d’informations concerne un chanteur, Sylvestre McMiller qui aurait une maîtresse. Il a plusieurs fois été aperçu très proche d’une femme qui n’était pas la sienne, et près d’endroits qui ne laissent pas beaucoup de doutes quant à leurs activités. »

Sylvestre McMiller, hein ? Villanelle fronça les sourcils. Elle ne le connaissait pas, mais elle n'était pas surprise du tout, en revanche. C'était pas son genre de chanteur, et il ne l'intéressait pas particulièrement, mais ce genre de chanteuses à minettes avaient tendance à avoir une femme dans chaque port. La notoriété semblait appeler l'infidélité. C'était bête, c'était ridicule, mais c'était quand même un fait... et Villanelle avait eu plus d'une occasion de le constater de son côté.

"Je vois... Je ne suis pas vraiment surprise au vu des échos que j'ai eus sur lui." Mais ce n'était pas encore suffisant pour autant. "Et cette femme, c'est qui ? Elle est connue, elle aussi ?"

Encore un couple qui serait brisé par la presse à scandale... d'un autre côté, c'était pour leur bien... pas vrai ?