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lle était grosse. Immense. Une véritable barrique. Du haut de ses six mois de grossesse, Agrippine avait le sentiment qu'elle allait accoucher d'elle-même tant elle avait l'impression d'avoir triplé de volume. Et dire qu'il lui restait encore deux mois et demi à tirer... Au moins, les nausées s'étaient calmées. Par contre, bonjour la fatigue, les maux de dos, les fringales absurdes et les sautes d'humeur. Être enceinte, c'était vraiment de la merde. Ce n'était pas pour rien qu'elle n'avait jamais voulu vivre ça. Avant l'accident, elle s'était juré que ça ne lui arriverait pas, et maintenant qu'elle était plongée dedans jusqu'au cou, elle ne pouvait que reconnaître à elle du passé qu'elle était particulièrement avisée, comme personne. Oui, vraiment, être enceinte, c'était de la merde, c'était improbable de stupidité. Elle se sentait ralentie, limitée dans tout ce qu'elle faisait. Elle arrivait, physiquement, à faire illusion avec quelques sortilèges d'illusions, des tenues et des potions amincissantes, mais elle avait le visage bouffi et changeait d'humeur toutes les cinq secondes, et elle était épuisée de faire semblant alors que ça se voyait comme le nez au milieu de la figure.

En l'occurrence, la jeune femme n'avait fait aucun effort de paraître, ce jour-là. Elle n'en avait pas envie. Elle avait juste envie... de se laisser porter par le courant. Une bonne pâtisserie, ou deux, ou trois, et une compagnie amie, c'était tout ce dont elle avait besoin. Quand Charlus avait proposé qu'ils se voient, en ajoutant dans son courrier qu'il avait beaucoup de choses à lui dire, Agrippine avait songé qu'elle avait de bonnes chances de lui voler la vedette en un rien de temps, pour le coup. Mais peu importe. Elle avait proposé le salon de thé des Kowalski. Les patchkis du boulanger étaient devenus l'équivalent du nirvana pour elle, et que le lieu plaise ou non à Charlus, elle ne lui laisserait définitivement pas le choix. Habillée comme un sac, grosse comme une baleine, elle avait un peu d'avance et en avait profité pour commander un bon chocolat chaud avec supplément chantilly. Quand Charlus passa le pas de la boulangerie, elle adressa de grands signes à son ami pour qu'il la rejoigne à sa table.

-Salut ! Tu vas bien ? Alors, cette grande nouvelle ? le salua-t-elle en feignant de ne pas être l'immense éléphant dans un délicat magasin de porcelaine tant elle se sentait, en cet instant, au-delà d'immense et d'imposante.

Mais c'était Charlus qui avait des choses à lui dire pour commencer. Bon, l'inverse était tout aussi vrai, à l'évidence, mais chacun son tour. Sa nouvelle n'était pas si grande en réalité. Elle prenait juste beaucoup, beaucoup de place. Vraiment beaucoup trop de place.

   

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La surprise de Charlus était manifeste, et elle était évidemment inévitable. Agrippine faisait de son mieux pour faire passer sa grossesse pour un événement absolument accessoire, duquel il n’était absolument pas nécessaire de se soucier, mais dans les faits, ce n’était bien évidemment pas aussi simple. Même pour elle. Elle pouvait bien prétendre qu’elle s’en moquait, que c’était sans importance, mais en attendant, sa grossesse jouait sur sa santé, sur sa fatigue, sur son apparence, sur son autonomie, sur son moral… Non, ce n’était définitivement pas rien. Elle ne pouvait pas en vouloir à son entourage d’accueillir la nouvelle avec stupéfaction. Quelque part, c’était presque rassurant, même, car cela signifiait que la nouvelle ne s’était pas transformée en rumeurs que tout le monde se partagerait comme si de rien n’était.

-Trop longtemps, manifestement, répondit Agrippine quand Charlus constata qu’ils ne s’étaient pas vus depuis définitivement trop longtemps au vu de son état de grossesse avancée. Et regarde ce qui arrive quand tu me négliges, je fais n’importe quoi et je prends littéralement mille kilos.

Une fois n’est pas coutume, elle se servait de l’humour pour dissimuler la gravité de la situation. Car oui, elle avait beau dire et répéter qu’elle portait le gosse puis s’en débarrasserait et fin de l’histoire (et c’était bien son intention), ce n’était pas pour autant que la situation n’était pas complexe ou encore qu’elle ne pourrait pas avoir un impact durable sur elle. A la perspective de l’accouchement, elle pouvait encore moins le nier. Elle n’avait pas la moindre idée de la manière dont elle allait réagir à cette situation, mais elle se doutait, en revanche, que ce serait tout sauf simple. Ce n’était pas pour autant, cela dit, qu’elle avait l’intention d’en faire tout un plat, très loin de là… Ce n’était pas occulter le problème qui le faisait disparaître, certes, mais elle n’avait pas l’intention d’être soumise aux caprices de son corps… ou de la chose qui grandissait dans son corps, en l’occurrence.

-Fais pas attention à ça, ajouta-t-elle comme si ce n’était définitivement trois fois rien, parce qu’elle ne veut pas le voir autrement. T’avais une grande nouvelle à m’apprendre, non ? Alors je t’écoute.

Elle savait d’avance qu’elle ne s’en sortirait pas à si bon compte, et qu’elle allait devoir se montrer plus explicite auprès de son ami, mais tant qu’elle ne s’y sentirait pas impérieusement obligée, elle ne changerait pas son fusil d’épaule, c’était dit, c’était acté. Et en attendant, elle n’oubliait pas que Charlus avait voulu la voir pour une raison précise. De son côté, elle s’arrangerait pour que sa grossesse ne soit jamais qu’un événement anecdotique, que l’on finirait par oublier, purement et simplement. Alors qu’elle se doutait que du côté de Charlus, peu importe ce dont il s’agissait, c’était forcément quelque chose de beaucoup plus important, et qui nécessitait évidemment de le prendre très au sérieux. Ce qu’elle comptait faire en même temps qu’elle ferait oublier son gros ventre et les contrariétés qui allaient bien sûr avec.


   

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