Elise avait toujours eu un faible pour les animaux. C'était peut-être parce qu'elle avait grandi dans une ferme et qu'elle avait toujours eu des animaux autour d'elle depuis sa plus tendre enfance, c'était bien possible, mais en tout cas, c'était le cas, et c'était une des choses qui lui manquait le plus depuis son emménagement en ville. Alors prendre un animal de compagnie avait rapidement coulé de source, ne serait-ce que pour combler sa solitude quand son mari passait beaucoup trop de temps au travail, tentant du mieux qu'il le pouvait de lancer son entreprise. Même si elle l'aidait, même si elle trouvait des centaines de manières de s'occuper, il lui manquait malgré tout quelque chose.

Alors, elle s'était mis un tête de prendre un chat. Pour commencer. Leur appartement n'étant pas très grand, ils ne pouvaient pas vraiment se retrouver avec toute une ménagerie chez eux (même si ça finirait très probablement par arriver quand même), mais un chat devrait réussir à faire son nid dans cet endroit. Elle était donc partie à la recherche de l'animal de compagnie idéal... jusqu'à tomber sur cette éleveuse, Arabella Figg, qui avait semble-t-il consacré sa vie entière à ses petites boules de poil.

Elle était vite tombée sous le charme d'une petite chatte blanche tachetée du nom de Duchesse, un nom qui lui allait comme un gant, tant elle semblait distinguée et précieuse, avec ses grands yeux bleu-vert. Le chaton n'était pas encore sevré, mais Arabella le lui avait réservé pour le jour J, et ce jour était arrivé. Et Elise brûlait d'impatience à l'idée d'adopter ce petit chat adorable. Ce fut donc avec un immense sourire qu'elle alla ouvrir à Arabella, un peu en retard, c'est vrai, et Elise avait senti les minutes passer.

-Bonjour Elise, vous allez bien ? Désolée, je suis un peu en retard, je me suis perdue en venant. Mais Duchesse a ronronné presque tout le trajet. Je pense qu'elle était impatiente de vous revoir.

-Elle est toujours aussi adorable, répondit Elise sans pouvoir s'en empêcher, ne détachant plus ses yeux de Duchesse. Je peux la prendre ? suggéra-t-elle. Vous voulez boire quelque chose ? Un thé ? un café ? proposa-t-elle, tant qu'à faire.

-Bien sûr, je réponds en lui tendant Duchesse, ce qui est une façon de répondre à ses deux questions en même temps. Faites connaissance. Pendant ce temps, je peux nous préparer du thé ?

Elise était un peu prise au dépourvu par les circonstances. Arabella prenait beaucoup ses aises, peut-être un peu trop facilement. D'un autre côté, elle le faisait avec un naturel et une gentillesse tels qu'il était difficile de le lui reprocher. Elise indiqua donc à Arabella où étaient rangés le thé et la théière et en profita, pendant ce temps, pour bichonner la petite Duchesse. La petite boule de poils était parfaitement adorable. Elise était incapable de la regarder sans sentir son coeur fondre littéralement.

La petite se mit à ronronner tout en se blottissant sur ses genoux. C'était exactement ce dont elle avait besoin : une petite boule d'amour qui l'accompagnerait dans cette période de changement, où tout restait à faire et où tout, par conséquent, restait encore un peu confus. Pendant ce temps, elle entendait le thé se préparer, et finalement, elle ne s'inquiétait pas tant de ce qu'Arabella pouvait faire en cuisine. Elle faisait le choix de faire confiance à cette inconnue qui prenait pourtant ses aises chez elle.

-J'adore votre appartement... j'adorerais avoir votre sens de la décoration. Le mien en comparaison ressemble à une véritable décharge. Ceci dit, dès que j'essaie de modifier quoi que ce soit, mes petits monstres décident d'y faire leurs griffes.

Elise accepta le compliment avec le sourire. Elle se donnait beaucoup de mal pour que cet appartement soit le plus possible à l'image des McGregor, et même s'il y avait encore du travail, elle pensait que ce n'était pas si mal. La réflexion d'Arabella l'amusa. Elle était venue chez elle pour faire la connaissance de Duchesse. Effectivement, ave autant de chats, il était impossible que la jeune femme puisse vraiment entretenir son chez-elle.

-Merci. Mais vous savez, un bel appartement, même bien décoré, manque d'âme s'il n'y a pas toute une vie à l'intérieur. C'est pour ça que voulais accueillir Duchesse ici. J'ai grandi au milieu des animaux, leur présence me manque. Surtout quand mon mari est absent toute la journée.

Et sa solitude se ressentait dans la manière même qu'elle avait d'étaler sa vie en présence d'une inconnue.

-J’imagine bien. Vous allez voir, Duchesse va vous changer la vie, surtout qu’elle est particulièrement sociable.

La chose n'échappait pas à Elise, il suffisait de voir la manière dont Duchesse s'installait confortablement dans ses bras en ronronnant, réclamant des caresses. Elise avait connu des chats beaucoup plus farouches et beaucoup moins sociables. Elle n'avait rien contre les chats indépendants, mais il est vrai qu'à l'heure où elle redoutait la solitude, elle avait besoin d'une compagnie presque un peu collante. Et là, on remarquait qu'Arabella Figg était une très bonne vendeuse. Elle savait parfaitement identifier les besoin de ses clients pour les satisfaire. Elle aurait tout à fait pu lui refourguer le premier chat qu'Arabella trouverait mignon sans aller chercher plus loin, mais non, ce n'était pas le cas.

-Et vous trouverez à vous occuper, vous verrez. Je n’ai jamais vu personne réussir à s’ennuyer à Londres, même avec tous les efforts du monde. Il y a tant de choses à faire. Tenez, est-ce que vous aimez le théâtre ?

Oui, il devait sembler assez improbable de redouter l'ennui dans une ville aussi agitée que Londres, où il y avait du bruit et du mouvement constamment. Les gens qu'elles croisaient dans la rue semblaient ne pas savoir prendre le temps, et s'ils ne savaient pas prendre le temps, c'est qu'ils devaient effectivement être très occupés et ne pas savoir s'ennuyer. Elise ne voulait pas en arriver là non plus, loin s'en faut.

Elle aimait avoir le temps de se poser, de savourer le calme et le silence, même si ici il était devenu tout relatif. Elle voulait trouver un rythme qui soit à son goût, qu'elle soit en mesure d'estimer équilibré. Mais elle avait encore du mal à savoir comment s'y prendre. Pour commencer, il faudrait sans doute qu'elle se fasse des amis. Forcément, elle songeait qu'elle s'entendrait bien avec Arabella, mais une relation qui se fondait sur une transaction financière, cela débouchait rarement sur une grande et belle histoire d'amitié.

-Eh bien, figurez-vous que je n'ai jamais mis les pieds une seule fois dans un théâtre, avoua Elise.

Là où elle vivait, l'accès à la vie culturelle était particulièrement limité. Cela ne la dérangeait pas, ce n'était jamais une chose qui l'avait spécialement attirée. Mais cela ne voulait pas dire qu'elle y était fermée. Au contraire, elle serait assez curieuse de découvrir cette vie culturelle. Mais elle ne saurait pas par où commencer.

-Eh bien, c'est l'occasion de s'y mettre, non ?

Peut-être bien ? Plus honnêtement, Elise n'en savait rien. Elle ne s'était jamais posé la question. Il y avait des choses sur lesquelles elle avait un avis bien plus arrêté : les musiques qu'elle tolérait ou non, par exemple. Mais pour ce qui était du théâtre, vraiment... Elle avait lu un peu de Shakespeare quand elle était à l'école : peut-être parce qu'on l'avait forcée ou parce que ces intrigues anciennes ne trouvaient aucun écho dans son esprit - pas même l'histoire des amants maudits Roméo et Juliette -, elle n'avait pas vraiment eu goût à s'y plonger plus que ça.

Mais il y avait plein de sortes de théâtres. Elle l'assimilait forcément à des gens en costumes qui déclamaient des tirades à rallonge dans un insupportable vieil anglais, mais des pièces plus légères, comme des vaudevilles, par exemple, sauraient très certainement trouver sa préférence. Dans tous les cas, qu'est-ce qu'elle avait à perdre ? Cela lui permettrait de sortir un peu de sa grotte, ce qui n'était vraiment pas un luxe, et si jamais, pour une raison ou une autre, elle ne devait finalement pas aimer, ce n'était pas bien grave, elle aurait essayé. Cela la ferait sortir, voir de nouvelles choses, peut-être rencontrer de nouvelles personnes. Tout ce qu'il fallait, somme toute, pour faire d'elle une Londonienne pur jus. Ou quelque chose qui y ressemble, en tout cas, ce qui n'était pas mal non plus.

- Est-ce que ça vous tenterait ?

Elle hocha la tête. Elle ne savait pas vraiment à quoi s'entendre, mais l'assurance d'Arabella Figg avait quelque chose de communicatif. Elle vous donnait, instinctivement, l'envie de vous fier à elle et de lui faire confiance. Peut-être que c'était un tort, peut-être pas, mais les belles rencontres qu'elle avait pu faire depuis son déménagement ne se dénombraient certainement pas en centaines, alors après tout... Elle n'avait pas grand-chose à perdre, et peut-être une nouvelle amitié à gagner, en plus de la charmante petite duchesse qui, lasse des jambes ne sa nouvelle maîtresse, avait déserté ses genoux pour partir à l'exploration de l'appartement du couple McGregor.

-Eh bien, pourquoi pas, après tout ? Et ça me donnerait l'occasion de sortir un peu. Vous m'accompagneriez ? Dougal est presque constamment au bureau, en ce moment...

-Mais oui, avec plaisir ! Vous pensez que vous préféreriez quoi ? Un drame ? Une comédie ? Du moderne ? Du classique ?

Elise ne put s'empêcher de sourire. Il était difficile de ne pas se laisser emporter par l'enthousiasme particulièrement communicatif de la jeune femme. Tout semblait... idéal dans la vie d'Arabella Figg. Elle était lumineuse, elle était constamment de bonne humeur, et rien n'avait l'air de pouvoir empiéter sur sa fougue et sa grande motivation. On se laissait embarquer dans un tel sillage, et c'était une chose dont Elise avait besoin. Elle ne savait qu'en être reconnaissance à l'égard de cette jeune femme qui allait l'aider de bien des manières à se sentir un peu plus chez elle malgré les circonstances.

Il n'était pas étonnant qu'elle soit une fana des chats. Il y avait une certaine connivence entre leurs comportements, quand on y regardait bien. Agitée et attachantes. Ses boules de poil pouvaient prétendre aux mêmes caractéristiques. Même si Duchesse, de son côté, paraissait particulièrement calme et douce en comparaison.

-Oh, eh bien, je vous fais confiance, répondit Elise, prise au dépourvu, un peu trop pour savoir d'elle-même quelle réponse donner.

-J'imagine que ça ne doit pas être simple, pour votre époux. Je ne me permettrais pas de comparer nos situations, mais je sais tout de même ce que c'est, de démarrer une entreprise. Dans un premier temps, c'est toujours une épreuve, mais vous verrez, la situation va finir par s'apaiser.

Elise hocha la tête. La remarque d'Arabella tiendrait presque de l'indiscrétion, mais elle ne le prenait pas de cette manière. Elle ne connaissait pas encore très bien son interlocutrice, mais elle en avait assez vu pour déceler la spontanéité de son caractère, et savoir qu'il serait dommage et même absurde de s'en alarmer inutilement, alors qu'elle se voulait surtout agréable, conciliante, voire même compatissante.

-Je l'espère, répondit Elise, qui s'étonnait elle-même de partager ses doutes et ses inquiétudes avec une presque-inconnue. Mais elle avait besoin de se confier, et son interlocutrice semblait toute disposée à faire d'elle une amie. On mise beaucoup sur cette entreprise. On a tout laissé derrière nous, et on n'a pas vraiment de... solution de repli. D'ailleurs, si jamais vous connaissez dans votre entourage des personnes qui pourraient recourir à nos services. Elle se reprit. Désolée, voilà que je joue les commerciales.

-C'est tout à votre honneur. J'ai tendance à faire pareil.

Elise n'avait aucun mal à le croire en effet. Arabella Figg était une commerciale née. Elise avait été hésitante au moment de se rendre dans son élevage, elle n'était pas du tout sûre de céder à la tentation de prendre un animal de compagnie. Et en quelques minutes, elle avait été convaincue. Où qu'elle aille, Arabella semait des chats sur son passage. Et il était impossible de lui en vouloir ou de la taxer de négligence. Elle ne confierait clairement pas ses petites boules de poil à n'importe qui malgré tout.

Elle s'arrangeait, quoi qu'il advienne, pour que les chats trouvent les maîtres les plus à même de prendre soin d'eux, mais avec des arguments de vente auxquels il était absolument impossible de résister. Il y avait presque des scrupules à jouer les vendeurs, les recruteurs, les démarcheurs, mais au fond, pourquoi faudrait-il s'en cacher ou même en ressentir de la gêne ou de la honte ? Il était normal, plus que normal, même

- Si je le peux, je vous aiderais, je vais sonder le terrain autour de moi, on sait jamais, après tout ?

Elise sourit. Rien n'obligeait Arabella à faire cela, et peut-être qu'elle ne le disait que pour la forme, pour lui faire plaisir. Mais elle pensait qu'elle était totalement honnête. Arabella était de bonne composition, et surtout, elle avait le coeur sur la main, ça se voyait. Cette conversation en était la preuve, en aurait très bien pu se contenter de lui laisser Duchesse et puis de s'en aller. Mais non, elle prenait de ses nouvelles, elle bavardait, elle faisait en sorte qu'elle se sente intégrée dans cette grande ville dont la jeune femme ne maîtrisait absolument pas les codes. C'était évident, cette femme était altruiste. Elle ne forçait pas sa nature comme un argument de vente, en tout cas, Arabella ne pensait pas une seule seconde que c'était le cas, et elle n'avait pas l'impression de se tromper sur cette question.

-Merci beaucoup, ça nous rendrait vraiment service. Et si jamais j'entends qui que ce soit émettre ne serait-ce qu'un début d'intérêt pour les chats, je saurai vers qui les diriger, échange de bons procédés, répondit Elise avec un clin d'oeil.

Elles devraient même envisager de collaborer, à l'avenir, mais plus que professionnelle, Elise apprécierait assez que leur relation devienne amicale, en réalité.

-Voilà ce qui arrive quand les grands esprits se rencontrent

C'était une façon de voir les choses, en effet, et une façon qui plaisait plutôt à Elise par ailleurs. Il y avait des personnes, comme ça, qui étaient faites pour se rencontrer, que ce soit sentimentalement, amicalement et professionnellement. Elle croyait dur comme fer, par exemple, dans le fait qu'elle et Douga étaient faits pour se rencontrer. Oui, il y avait eu l'histoire avec Minerva, mais elle ne doutait pas pour autant (ou presque) du rôle qu'elle devait jouer dans la vie de celui qu'elle aimait. Et elle pensait que même si certaines rencontres ne devaient pas être si marquantes que ça, il fallait continuer d'être attentif à chacune d'entre elles. Parce que parfois, oui, elles pouvaient bel et bien changer votre vie, et cela de façon durable.

En ce qui concernait Arabella, elle avait envie de penser que leurs chemins étaient faits pour se croiser, en effet. Déjà, parce que ça lui permettait d'avoir la petite duchesse dans sa vie, qui maintenant faisait sa vie sur un fauteuil un peu plus loin, endormie et ronronnante, apaisée. Ensuite, parce que leurs visions se ressemblaient beaucoup. Elles étaient des amoureuses de la nature dont on pouvait se demander pourquoi leurs chemins les avaient ainsi menées à Londres alors que rien ne les prédisposait vraiment à une chose pareille. Et qui pouvaient s'aider, d'une manière ou d'une autre dans leurs carrières respectives.

Je ne me fais aucun souci pour vous et votre mari, je suis certaine que vous réussirez tout ce que vous entreprendrez. Vous avez la passion et la volonté, c'est ce qui compte en priorité.

Elle hocha la tête, le résumé d'Arabella était le bon. Dougal et elle avaient de la passion et de la volonté à revendre, en effet. Parfois, ces deux qualités ne suffisaient pas pour autant, mais dans leur cas, la jeune femme avait quand même envie de croire que c'était ce qui leur permettrait d'aller loin, ou en tout cas le plus loin possible. Et il le fallait, c'était même très important. Ils avaient tout mis entre parenthèses, et tout laissé derrière eux dans l'espoir de réussir à Londres, de tourner une page pour en ouvrir une autre. Ils ne pouvaient pas se permettre d'échouer maintenant. C'était hors de question, en fait. S'ils devaient revenir à la case départ, sans être non plus dramatique, ce serait quand même un réel échec, de ceux qu'ils ne pouvaient pas forcément se permettre, en réalité.

-Merci, ça fait du bien de se sentir encouragée. Arabella jeta un regard à sa montre. Dougal ne va pas tarder à rentrer. Vous voulez vous joindre à nous pour dîner, peut-être ?