Ses jours étaient à présent comme une longue attente... Un pas supplémentaire vers un gouffre vertigineux, vers un inconnu angoissant, où rien n'était fixé encore. Elle n'avait plus de nouvelles de Dumbledore depuis leur dernière conversation houleuse. C'était normal, c'était à prévoir. Il n'avait pas repris contact avec elle, et il n'était pas question pour elle de reprendre contact avec lui pour sa part... Alors elle avait perdu l'un de ses guides. Peut-être le seul qui aurait encore pu la mener sur un chemin juste... même si elle ne voyait pas les choses ainsi. La jeune femme se sentait libéré du poids de responsabilités qu'elle se reprochait aujourd'hui d'avoir endossées, même si elles lui avaient permises de faire la connaissance d'un nouveau guide. Celui qu'elle suivrait jusqu'à la toute fin, peu importe ce qu'en seraient les conditions.

Elle était sûre de ses choix, convaincue de sa voie future. Ce qui ne signifiait pas qu'elle ne souffrait pas d'une solitude pesante et d'incertitudes tenaces. Tom ne s'était engagé à rien, ne lui avait fait aucune promesse. Peut-être qu'il renoncerait... peut-être qu'il l'abandonnerait, comme Credence avant lui, comme Dumbledore après cela. Elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même. Elle avait toujours été seule, mais toujours incapable de se débrouiller par elle-même. En parasite convaincue, elle ne réussissait qu'à vivre, à survivre, en fonction des autres... Et ça ne changerait pas. Elle attendait qu'on l'enlève ou qu'on la sauve... et en attendant, elle avançait, progressait dans l'ombre, dans une forme de tâtonnement constant.

Elle mettait le moins possible le pied hors de chez elle. Elle avait le sentiment, l'intuition qu'au moindre mouvement, elle appelait le monstre, et qu'il pouvait surgir à présent absolument n'importe quand. Elle le sentait, ce qui progressait en elle, ce qui l'animait, l'enveloppait, la dominait, la torturait... Et elle attendait. Elle n'était sortie que dans l'optique de faire quelques courses frugales. Mais à peine quelques pas faits à l'extérieur qu'elle croisa la dernière personne qu'elle s'était attendue à retrouver ici, à Pré-au-Lard, où n'était pas la place des personnes comme elle. Elle crut un instant confondre, elle ne l'avait pas vue depuis longtemps, après tout. Mais en se rapprochant, elle vit et constata qu'il s'agissait effectivement d'elle.

"Amy...? C'est bien toi ?"

Madame Reeves... Quel sentiment étrange que de s'entendre nommée ainsi, et surtout dans ce cadre où rien ne préparait Nagini à rencontrer quiconque qui puisse connaître quoi que ce soit de sa vie moldue, si ce n'est peut-être Tom, mais depuis leur dernière entrevue et sa révélation à lui, ils ne s'étaient pas encore revus, et plus jamais il ne l'appellerait sous son nom d'alias. Cette conversation n'avait pas de raison d'être. Pas ici, pas dans ces circonstances, pas avec cette interlocutrice. Mais à présent, Nagini devait faire avec ces circonstances désarmantes. Se serait-elle trompée au sujet d'Amy Benson, la jeune femme serait-elle une sorcière elle aussi ? Quelles seraient les chances ? Mais non, c'était impossible... Si elle en était une, elle aurait fait ses classes à Poudlard, à l'instar de Tom, et ça n'avait pas été le cas. Elle avait été présente à l'orphelinat Wool et fait ses classes à l'école publique à l'exemple de Dennis ou Billy, jusqu'à être adoptée. Tout ceci n'avait pas le moindre sens.

La surprise était manifestement double, car la timide Amy n'attendait pas elle non plus de retrouver Nagini en ces lieux. Elles sont chacune le fantôme du passé de l'autre, un passé révolu, mais qui les hantait bien assez, une période de leurs vies respectives qu'elles n'avaient pas particulièrement envie de revivre mais qui les dépassait et n'attendait pas après elles pour n'en faire qu'à leur tête. Et des deux, Nagini devait être l'"adulte", la plus sûre d'elle, la moins intimidée... Elle n'était pas sûre de l'être, même si Amy, aussi fragile qu'à l'époque où elle l'avait perdue de vue, encore enfant, semblait tout aussi mal à l'aise et intimidée qu'elle.

"J'allais te poser la même question", répondit d'abord la Malédictus, si c'était vraiment nécessaire.

Comment pourrait-elle ne pas se la poser. Elles étaient aussi déstabilisées l'une que l'autre par ce "hasard" qui ne pouvait clairement les dépasser, aussi. Mais il fallait qu'elles sachent, qu'elles comprennent. Même si tout allait dépendre de leur degré de sincérité respectif, et il n'était pas question pour Nagini de se montrer entièrement honnête à l'adresse de cette jeune femme. Ce n'était pas contre elle. Elle avait même une certaine affection pour cette jeune fille, mais ce n'était évidemment pas assez.

"J'habite ici."

Elle était laconique, mais cette unique réponse poserait déjà les bases de la situation. Si elle vivait ici, c'est qu'elle appartenait à ce monde, et c'est ce que Nagini pourrait révéler de plus transparent à sa jeune interlocutrice.

"Vous êtes une sorcière". Ce n'est pas une question, ce n'est pas un propos sujet à tergiversations, c'est une affirmation. Pourtant, la vérité était bien plus nuancée. Non, en vérité, elle n'était pas une sorcière, ou bien elle l'était... Tout dépendait sans doute de la définition que l'on donnait à ce terme. Nagini n'avait jamais possédé de baguettes, Nagini n'avait jamais étudié la magie. Elle avait évolué au sein du monde des sorciers, mais elle s'en était toujours exclue. Elle ne se sentait pas différente d'une cracmolle, en fait, à la différence qu'elle se changeait en serpent toutes les nuits... ce qui faisait, on ne va pas le nier, une très sérieuse évidence, en effet. Nagini n'allait pas débattre sur la question avec Amy, malgré tout. Il était sans doute plus simple, en vérité, qu'Amy la croie sorcière et ne se pose pas plus de questions. Il est nettement préférable que la jeune femme n'apprenne jamais rien de ce qu'était sa vraie nature. La jeune fille semblait déjà alarmée par cette révélation, incapable de complètement appréhender ce que cela signifiait, alors... mieux valait qu'il ne sache pas tout.

Quand Amy reprit la parole, ce fut de nouveau pour faire une forme d'affirmation. Ce n'était pas un questionnement, à nouveau, elle savait. Elle savait qu'elle avait connu la nature de Tom Jedusor (elle pouvait difficilement le nier, en effet), elle savait qui il était depuis le début, et c'était même pour cette raison qu'elle avait été embauchée à l'orphelinat Wool. La Maledictus comprenait sa rage, elle comprenait son incompréhension, mais elle ne comptait pas s'excuser de son silence. Elle ne comptait pas s'en excuser du tout, elle ne voulait pas s'en excuser. Amy ne faisait plus partie de sa vie, elle ne venait qu'y faire une courte apparition, que Nagini tenterait ensuite d'occulter. Tom, lui, ferait partie de sa vie même après sa transformation, il en était un élément proprement essentiel. Et donc c'était ses intérêts à elle qu'elle défendait avant tout.

"Qu'aurais-tu voulu que je fasse ? Sa magie était fragile, à l'époque, il ne la contrôlait pas, il n'avait pas conscience de ce qu'il faisait."

C'était sa défense. Elle n'y croyait pas elle-même, mais ça ne l'empêchait pas de prononcer ces mots avec un total sentiment d'honnêteté et d'intégrité. Elle prendra la défense de Tom, elle le défendra bec et ongles, crocs et écailles. Et ça ne changera pas.

Nagini a toujours eu de l'affection pour Amy, elle en a eu pour tous les enfants de l'orphelinat (même ceux qui lui donnaient plus de fil à retordre, à l'instar par exemple de la petite brute qu'était alors Billy Stubbs). Elle compatissait à leur sort, elle se sentait investie dans leur vie et leurs déboires, sans exception et sans mesure. Elle avait accepté son poste et le nom de Sarah Reeves pour se faire une place au sein de l'orphelinat, à la demande de Dumbledore, mais elle n'avait guère eu besoin de forcer sa nature pour répondre aux ordres du sorcier envers qui elle éprouvait à l'époque une profonde reconnaissance depuis évanouie.

Elle ne pouvait que se retrouver dans le sort des plus incertains de ces enfants sans famille ni repère. Elle-même était passé par là. Et encore maintenant, à plus de quarante ans, elle n'avait pas un sentiment différent, elle restait apatride. Elle s'était cherché une attache, une famille, par tous les moyens : le cirque, Credence, l'orphelinat... et Tom, à présent. Ne prenait-elle pas tous les risques d'être déçue une fois encore ? C'était une possibilité, qu'elle niait mais qu'elle savait pourtant bien réelle, pas inévitable mais quelque part assez logique. Alors c'est vrai, elle avait toujours eu de la tendresse pour Amy, mais ici, dans ces circonstances très précises, Nagini avait le sentiment déplaisant de ne pas la reconnaître.

Elle savait que Dennis Bishop et elle étaient passés par des moments difficiles, elle savait que Tom n'y était pas pour rien, mais pouvait-on encore aujourd'hui lui reprocher ses écarts d'enfance, ceux d'un enfant qui ignorait comment exprimer naturellement sa magie ? Mais Amy ne se concentrait pas uniquement sur ce que Tom avait pu faire à l'époque, et Nagini se sentait de plus en plus alarmée par ce qu'elle savait ou non. Elle en savait beaucoup trop, c'était certain. Toute moldue qu'elle était, elle se trouvait là, à Pré-au-Lard, où n'était nullement sa place. Et elle lui parlait de Tom comme si elle avait la pleine et entière conscience de ce qui les attendait à présent.

Nagini se devait certainement de nier ce qu'Amy avançait, prétendre qu'elle ne savait rien de ce qu'étaient les projets de Tom, ou bien affirmer ne pas y corroborer du tout, mais ce serait un autre mensonge, et qui n'était pas nécessaire. L'hostilité d'Amy était évidente, elle ne la croirait pas quoi qu'elle puisse dire.

"Tu en sais beaucoup trop", observa Nagini d'un ton légèrement suspicieux. "Tu n'as rien à faire ici. Tiens-toi à l'écart de tout ça."

C'était un vrai conseil. Elle n'avait aucun besoin d'être mêlée à tout ça.

Nagini n'avait pas envie de s'engager dans une conversation de la sorte avec son interlocutrice. Amy en savait déjà trop, lui en dire plus serait sans doute... dangereux. Pour la jeune moldue ou pour la maledictus ? Va savoir. Pour les deux, certainement. Nagini avait envie de prendre la défense de celui qu'elle décidait de suivre quoi qu'il lu en coûte, mais elle savait également qu'il serait préférable qu'elle s'implique le moins possible. Mais elle était impliquée. Elle était présente, ici et maintenant, à cet endroit où elle ne devrait pas avoir sa place.

Elle était impliquée. Et peut-être aussi que son maître avait envie qu'elle le soit. Dans quelle mesure avait-elle le droit d'interférer ? Dans aucune mesure. Mais si elle n'interférait pas, cela pourrait peut-être aussi être perçu comme une enfreinte, une erreur. La meilleure stratégie paraissait devoir constituer dans le fait de l'éloigner sans vraiment trop l'éloigner. Mais était-ce seulement possible ? Elle ne s'en sentait ni les épaules, ni les capacités.

"Rien qui te concerne...", répondit finalement seulement Nagini.

Elle n'avait pas la moindre intention de parler d'elle-même, elle n'avait aucune intention de parler de ses choix, de ses allégeances, de l'obligation impérieuse qu'elle se sentait avoir vis-à-vis de celui sur qui elle avait veillé, à qui elle avait consacré de nombreuses années de sa vie sans même qu'il en ait conscience, à qui elle consacrerait ce qu'il resterait de sa vie, humaine et non humaine. Tout ceci ne concernait pas Amy, rien de tout ceci ne devrait concerner Amy. Elle pouvait encore s'éloigner, disparaître. Ses traumas évidents ne sauraient lui en être que reconnaissants. Et pourtant, elle restait. Envers et contre tout, absurdement, incompréhensiblement, elle restait, elle insistait, et si elle finissait dans la ligne de mire de celui à qui elle ne pouvait pas échapper, alors au bout du compte, elle serait la seule à blâmer. Elle et personne d'autre.

"Va-t'en, tu n'as rien besoin de savoir. Crois-moi, ça vaudra mieux, pour toi surtout."

Pour elle seulement. Elle était un pion sur l'échiquier, mais un pion qui pouvait être oublié, qui n'avait pas d'importance, auquel elle ne voulait surtout pas donner d'importance. Ce serait dangereux. Autant pour Amy que pour Nagini. Et si elles étaient en mesure de l'éviter, alors il fallait qu'elles l'évitent, et à tout prix.

Nagini ignorait elle-même si elle cherchait ou non à protéger Amy. Elle ne voulait pas lui nuire. Si le mal qui lui était fait devait être nécessaire, alors elle ne comptait pas l'empêcher, mais elle avait de la gentillesse, et même de la sympathie à l'adresse d'Amy, mais elle ne pouvait pas se permettre de faire une chose pareille, elle avait fait un choix, elle avait enfin pris une décision qui allait pouvoir donner du sens et de l'intérêt à son existence : elle ne pouvait pas reculer, elle ne voulait pas reculer. Et Amy, quoi qu'il doive lui arriver, était ce qu'il lui faudrait considérer être un dommage collatéral... Elle n'avait pas envie que mal lui soit fait. Mais si mal lui était fait, eh bien... elle serait à blâmer pour cela, elle et personne d'autre, car elle était allée trop loin, elle s'était laissée consumer par la curiosité alors qu'on lui donnait encore une chance de s'en sortir indemne.

C'était elle qui affirmait qu'il était trop tard, Nagini n'était pas de cet avis. Parfois, il y a des fatalités, des échéances : elle ne pouvait pas prétendre ne rien en savoir alors qu'elle l'avait déjà expérimenté elle-même. Mais Amy avait réchappé à son sort, et elle ne devrait pas tenter le diable trop de fois. Surtout quand le diable avait une apparence tout à fait humaine, avec laquelle elle ne devrait pas jouer, et avec laquelle elle ne pourrait pas tricher.

"Tu n'as aucune idée de ce dont tu parles. Tu ne trouveras pas de réponses à tes questions, encore moins ici. Accepte-le et va-t'en. Tu ne peux pas t'investir sans en payer les conséquences."

Elle ne savait pas pourquoi elle insistait. Quoi qu'elle lui dise, Amy paraissait décidée à n'en faire qu'à sa tête et à ne pas l'écouter. Est-ce qu'elle serait vraiment capable d'entendre ce qu'elle avait à lui dire, il était bien possible que non, et tout ceci n'était jamais qu'une évidente perte de temps. Le plus simple était de la laisser faire ce qu'elle voulait, voire même de la guider du mauvais côté. Qui sait, peut-être que Tom lui en serait reconnaissant si elle précipitait Amy dans sa direction ? Mais Nagini n'avait pas envie d'en arriver là.

Si Amy pensait vraiment déjà payer les conséquences de sa curiosité, de son intrusion dans un monde qui n’était pas le sien, elle ne pourrait pas se tromper davantage. Si elle insistait encore davantage, elle n’allait pas juste se faire une grande frayeur, elle allait y laisser sa vie. Peut-être qu’il était trop tard, mais peut-être pas. Et s’il n’était pas trop tard, il fallait vraiment qu’Amy fasse un pas de côté et accepte d’oublier tout ce qu’elle savait.

Si Nagini en avait la possibilité et le talent, elle enverrait un sortilège d’oubliettes à Amy immédiatement. Il n’était pas bon qu’elle sache tout ce qu’elle savait. Peut-être qu’en se trouvant dans l’ignorance, elle serait davantage capable de passer entre les mailles du filet. Si elle en avait le courage, si elle n’envisageait pas que cela puisse contrarier son maître, Nagini lui poserait sans doute la question directement. Mais elle ne se voyait pas faire une chose pareille.

Quand Amy lui demanda ce qu’elle savait exactement, il était évident qu’elle ne pouvait pas donner à son interlocutrice les réponses très directes que cette dernière attendait d’elle. Elle ne pouvait pas lui raconter toute l’histoire. Ne serait-ce que parce qu’elle non plus ne connaissait pas toute l’histoire. Tout ce qu’elle savait, c’était que cette histoire la concernait, même si c’était indirectement, et qu’elle voulait y prendre une part active. Elle sait qu’ils en sont à un tournant de l’histoire, et qu’à un tel tournant de l’histoire, on n’a pas le choix : il faut prendre son parti, il faut consentir à voir les choses plus largement, il faut accepter de voir le grand dessein. Il faut choisir son camp… et même si le camp qu’elle a choisi ressemblerait presque un peu trop à celui défendu par Grindelwald autrefois, et qu’elle avait voulu fuir jusqu’à ce que Credence décide de se ranger au côté du mage noir de l’époque, elle n’a tout de même aucune hésitation. Elle sait qu’elle fait ce qu’elle doit.

Et elle pense savoir, par la même occasion, ce qu’Amy, de son côté, ne doit surtout pas faire. Pour son propre bien. Et si elle tient à la vie. C’est important qu’elle accepte et constate ses limites, c’est important qu’elle ne dépasse pas certaines frontières, surtout qu’elle est beaucoup plus fragile que bien d’autres. Elle doit bien en avoir conscience, n’est-ce pas ? Et si ce n’est pas le cas, il faut que ça finisse par l’être.

« Je n’en sais pas forcément beaucoup plus que toi. »

Nagini avait décidé de choisir la voie de la prudence, c’était une démarche qui lui semblait tout de même plus sûre, même si elle ne l’était pas forcément complètement.

« Je sais seulement qu’aucun Moldu n’a ni ne doit avoir sa place ici. Et si tu acceptes de le réaliser, tu vivras peut-être un peu plus longtemps. »

Ou non, mais elle ne peut pas en dire davantage à ce sujet.

Interdite, Nagini ne répondit rien quand Amy déduisit de ses propos qu'elle était "à sa botte", à la botte de Tom, donc. Etait-ce entièrement vrai ? C'était sans doute plus compliqué que cela. Oui, elle avait fait le choix de le servir et de lui obéir s'il devait décider de lui donner des ordres quels qu'ils soient, mais c'était une sorte d'allégeance tacite, et qui n'attendait pas réellement que le mage noir en devenir (ou déjà devenu) consente à sa dévotion. Elle était à son service, il n'aurait qu'à commander pour qu'elle obéisse, mais elle se savait ne pas être à l'égale des autres mangemorts qui étaient sous sa coupe, et c'était bien logique, en vérité. Comment pourrait-elle l'être ? Elle ne le pouvait pas du tout, pas dans les conditions qui étaient les siennes. Petit à petit, la bête se substituerait à l'humaine, et quand ce serait le cas, rien ni personne ne pourrait encore la sauver, peu importe l'énergie qu'elle déploierait alors à se réaliser en tant qu'individu. La bête serait à son service autant que l'humaine, mais dans ces conditions, elle ne pourrait pas prétendre au même titre ni au même rôle que ses pairs. Ce n'était pas pour la déranger, en réalité.

A ses yeux, cela n'avait rien de grave, bien au contraire, c'était la seule solution, et pour elle qui croyait qu'elle n'en avait plus aucune, cela tenait tout lieu de la bénédiction. Mais par conséquent, elle n'irait pas affirmer qu'elle était aux ordres de celui qui se faisait appeler dorénavant Lord Voldemort. C'était plus compliqué, plus subtile que cela. Une différence qu'elle ne se hasarderait pas à expliquer à la jeune moldue, jeune moldue à laquelle elle ne voulait déjà rien dire de sa nature pour commencer.

A quoi bon s'évertuer à partager avec elle des subtilités qu'elle ne serait pas, dans tous les cas, capable de comprendre ? Ce serait très évidemment une perte de temps. Elle ne voulait ni de sa compréhension, ni de sa pitié, ni de quoi que ce soit qui s'y apparente. En fait, elle voulait seulement que la jeune Amy fasse le choix judicieux de décider de rester en dehors de toutes ces considérations, mais c'était apparemment trop demander à cette jeune fille qui, toute timide, réservée (traumatisée) avait-elle toujours été se sentait visiblement pousser des ailes à l'heure d'affronter des démons qu'elle avait laissé courir dans son esprit sans jamais rien y faire jusqu'ici.

"Imagine-toi ce que tu veux", répondit aussi calmement qu'elle le pouvait Nagini. Elle sentait l'animal, le reptile, gronder dans sa peau. Elle avait du mal à contenir l'émotion dont elle se sentait transie, mais elle ne disait, ne faisait rien, aussi impassible qu'elle pouvait en être capable. "Invente-toi des ennemis si tu le désires, ce n'est certainement pas ça qui te sauvera."

La sauver de quoi ? La sauver de lui, d'elle-même, de sa curiosité. Si Amy Benson devait faire partie du grand dessein de celui que la Malédictus avait décidé de choisir pour maître, alors elle n'avait aucune chance de s'en sortir indemne. Elle pouvait essayer, au moins, de se faire la plus discrète, la plus absente possible, mais la jeune moldue ne paraissait pas vouloir envisager cette possibilité précise. Amy posait trop de questions. Des questions auxquelles Nagini ne pouvait pas, ou ne voulait pas apporter de réponses. La sauver de quoi... elle ne le lui dirait pas. Amy attendait des réponses, mais Nagini était décidée à ne pas les lui donner. Ce n'était pas à elle de le faire dans tous les cas.

Elle n'était pas son ennemie, non. Elle ne pouvait pas prétendre n'être l'ennemie de personne, ce n'était pas le cas, mais elle ne voulait pas devenir celle de son interlocutrice. Elle tenait seulement à poursuivre le cours d'une existence qui n'aurait de sens qu'au contact de celui qui serait capable de lui en donner. Et elle ferait en sorte de s'en montrer digne autant que possible.

"Je n'ai pas prétendu être ton amie non plus", répondit Nagini d'un ton aussi ferme qu'elle le put.

Elle ne tenait plus à être ni l'un ni l'autre en ce qui concernait la jeune fille, où tous ceux qu'elle avait rencontrés du temps de l'orphelinat. Elle ne le pouvait pas. Les inimitiés ne l'intéressaient pas. Les amitiés non plus, d'ailleurs. Elle s'était faite à l'idée d'avancer en solitaire dès l'instant où sa transformation serait définitive. Là, ce n'était pas la même chose. Elle s'était trouvé un objectif. Elle s'était trouvé une raison d'être. Elle avait trouvé un moyen de transformer sa malédiction en don. Cela ne rendait pas moins inquiétante la perspective de ce qui l'attendait, mais cet objectif l'aidait à mieux le supporter.

"Cesse d'insister, va-t'en."

Elle la sommait de partir, elle ne voulait pas prolonger plus longtemps cette conversation. C'était difficile pour elle de lui faire face. Elle n'avait jamais vu Amy aussi obstinée et insistante, et il avait fallu que ce soit en sa présence. Il fallait qu'elle s'en aille.