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l était dans les habitudes de Melania, quand elle ne faisait pas acte de présence chez elle (chose qui lui arrivait de plus en plus rarement, ses efforts diminuant à mesure que les mois passaient, et plus encore à l'approche des vacances scolaires), de se rendre à Pré-au-Lard pour faire le plein de whisky, d'hydromel, de tout ce qui aidait à taire les voix incessantes qui hantaient ses nuits et même ses jours. Elle se faisait aussi discrète que possible afin de ne pas attirer inutilement l'attention d'elle ne savait qui qui se ferait un plaisir de répandre les pires rumeurs à son sujet, aussi avait-elle eu tendance à se rendre dans ce pub qui ne payait pas de mine et qui était absolument mal fréquenté qu'était la Tête de sanglier.

Cet endroit ne convenait absolument pas à ses standards, mais il avait le mérite de lui garantir un certain anonymat. Ici, personne ne se souciait de qui elle était. Les lieux semblaient régis par une sorte de règle tacite. On ne se souciait pas de vous du moment que vous ne vous souciiez pas des autres, et cela fonctionnait plutôt bien, puisque personne n'avait vraiment envie de s'exposer au regard de ses pairs et encore moins à son jugement. Là, sortie scolaire ou pas, elle était généralement tranquille. Elle n'avait jamais croisé aucun de ses collègues ici, ni aucun de ses élèves, encore heureux. Et elle ne s'en portait évidemment pas plus mal.

Malheureusement, il y avait un début à tout. Melania en était à son deuxième verre de vin des elfes, et le regard dans le vide, elle fixait un point inexistant, perdue dans ses pensées, quand elle fut abordée. Elle tourna un regard un peu vitreux, teinté d'un certain agacement, vers l'adolescente qui venait de couper le fil de ses pensées. Il s'agissait d'Enid Pettigrow, une gamine de Gryffondor qui ne brillait pas forcément par ses compétences dans sa matière, et pourtant, Melania avait ressenti qu'il y avait quelque chose de différent chez elle. Elle s'était déjà demandé si elles n'avaient pas en commun une même lucidité, qu'elles ne pouvaient observer que comme une fatalité certaine, mais elle n'en avait jamais eu la confirmation, aussi la question demeurait-elle en suspens. Mais peut-être que la donne allait changer.

-C'est déjà ce que tu es en train de faire, si je ne m'abuse, observa Melania avec une certaine mauvaise humeur. Je ne crois pas que ce soit un endroit pour toi, ajouta-t-elle, parce que c'était, à l'évidence, la plus stricte vérité. Malgré tout, elle reprit, trop curieuse pour envoyer paître son interlocutrice sans apprendre ce qu'elle avait à lui dire. Mais puisque tu es là, je t'écoute. De quoi souhaites-tu me parler, Enid ?

Elle espérait qu'elle n'y passerait pas par quatre chemins. Melania, de son côté, ne voulait pas perdre de temps.

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elania observa la jeune rouge et or avec attention, ou du moins avec toute l'attention dont elle était encore capable avec les quelques verres qu'elle avait déjà dans le gosier. La demoiselle semblait embarrassée. Enid Pettigrow avait l'air d'être du genre timide maladive, ce qui n'étonnerait franchement pas le professeur de divination compte tenu de l'attitude qu'elle affichait en cours et qui donnait bien souvent l'impression que l'ambition de sa vie serait de disparaître dans un trou de souris et de ne jamais en sortir (ironique, son nom, Melania et ses talents de vision l'associaient à la silhouette d'un rat, ça voulait tout dire).

Un moment, Melania se demanda si la miss n'allait pas juste décider de s'épargner tout embarras et faire le choix de tourner les talons, mais non, elle fit à la place le choix de prononcer quelques mots. Propos embrouillés, à l'évidence, et la mine ne paraissait pas du tout être dans son assiette, loin de là, mais au moins, elle ne se dérobait. Qu'elle soit venue la trouver dans le rade le plus mal famé du village autrement charmant qu'était Pré-au-Lard signifiait bien sa volonté de s'adresser à elle et de lui parler, et par conséquent, Melania était plus que curieuse d'apprendre ce que la miss pouvait bien avoir à lui dire.

La miss lui apprit alors qu'elle était venue la trouver parce qu'elle avait besoin de conseils. Melania estimait qu'il était bien hasardeux d'espérer quelque conseil que ce soit venait de sa part, mais elle attendait tout de même de savoir ce qu'elle pouvait bien avoir en tête, et en entendant les propos qui suivirent, elle ne regretta finalement pas de ne pas avoir trop violemment envoyé balader sa jeune élève.

Melania avait ressenti, oui, que même si cette gamine n'était absolument pas douée dans sa matière, elle disposait pourtant, contradictoirement, de ces prédisposition naturelles. Elle avait le troisième oeil, elle en avait été à peu près sûre, elle en était à présent certaine. Pas de chance pour Enid. Ce n'était définitivement pas tomber sur la meilleure interlocutrice, mais au moins, elle était parvenu à aiguiser son intérêt, ce n'était pas si mal que ça, déjà, quand il était question de Melania Black.

-Je l'avais senti. Que tu avais le troisième oeil. Elle lorgna le fond de son verre. Pas de chance pour toi. Elle tourna le regard vers la rouge et or, si désespérée d'entendre ses précieux conseils. Tu veux mettre fin aux cauchemars ? C'est impossible. Tu veux essayer de les contrôler ? ça marche pas comme ça. Elle poussa un soupir. Installe-toi et prends un verre, c'est bon pour ce que t'as, crois-moi.

Avec ce que d'aucuns appelaient un "don", il fallait accepter d'en baver, c'était comme ça. La meilleure leçon de vie que Melania pouvait lui donner, c'était de s'y faire tout de suite.

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a jeune rouge et or refusa sa proposition de prendre un verre et préféra jeter son dévolu sur du jus de citrouille (très mauvaise idée que de prendre du jus de citrouille à la tête de sanglier - difficile de savoir combien de temps il aura traîné là, cela dit, ça lui aura peut-être laissé le temps de fermenter, et dans ce cas-là, ce ne serait pas si mal). Soit, elle n'allait pas insister. Elle estimait qu'Enid y viendrait tôt ou tard. De tous les remèdes que Melania avait cherché à ses cauchemars et à ses visions les plus horrifiques, c'était définitivement l'alcool qui avait le mieux fonctionné... même si ce n'était que partiel. Et que ça restait une maigre solution en réalité. D'autres drogues, plus dures, seraient sans doute plus efficaces, mais elle n'était jamais tombée dans ce vice-là, à l'inverse de nombreux autres. Elle y viendrait, oui, mais pour tous les reproches qu'on aurait à lui faire, elle ne serait pas le professeur qui avait poussé une gamine de seize ans à plonger dans l'alcoolisme. Elles en rediscuteraient peut-être dans quelques années, et alors ce serait autre chose.

La miss reprit la parole, bien décidée à obtenir les réponses à ses questions en dépit de l'évidente mauvaise volonté de son professeur. Et c'était une chose que Melania pouvait tout à fait comprendre. Malgré son comportement, elle pouvait se mettre à la place d'Enid, parce qu'elle avait été à la place d'Enid, elle avait connu cette incapacité à faire quoi que ce soit, ce sentiment de perdre prise, de ne pas savoir quoi faire d'un don qui n'avait rien de merveilleux, d'un "talent" qui vous dévorait, vous rongeait de l'intérieur.

-L'intuition, répondit Melania en jaugeant son interlocutrice de haut en bas. Pour cette fois, elle allait faire l'effort de ne pas se montrer froide ou acerbe, elle allait faire preuve de calme, de pondération, et surtout se montrer aussi attentive que possible. Au fond, tu sais déjà la différence. Tu redoutes de te tromper, tu espères avoir tort, ou tu voudrais avoir raison... Mais la différence était absolument évidente.

Oui, elle le savait forcément, car ces cauchemars n'étaient pas d'exacte même nature, c'étaient des rêves bien différents. C'était une affaire de perception. C'était une affaire d'émotions, de sensations. Bien sûr, la voyance ne s'exprimait pas toujours de la même manière, et chacun exprimait son don à sa façon. Il n'y avait pas de vérité absolue, même en matière de voyance.

--Parle-moi de tes derniers cauchemars, comment se sont-ils présentés ?

Elle lui accordait du temps et de l'attention, du moins jusqu'à ce que son verre soit complètement vide. Après, elle ne savait pas si elle lui accorderait de l'attention le temps d'un quatrième verre.

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elania avait bien perçu la légère pointe de déception qui avait traversé la jeune rouge et or au moment d'entendre son interlocutrice lui assurer que l'instinct seul devrait lui suffire à distinguer ce qui n'était qu'un simple cauchemar de ce qui était un rêve prémonitoire, duquel il était par conséquent important de tenir compte. Elle voulait bien croire que cela ne semblait pas encore flagrant à la jeune fille, quand elle avait son âge, il en était de même pour Melania. Mais il n'y avait pas de solution miracle à cela malgré tout. Il n'y avait pas de solution miracle à quoi que ce soit, mais l'alcool pouvait néanmoins se révéler être un médicament relativement efficace, on va dire.

Par ailleurs, il était évident qu'Enid Pettigrow souffrait d'un manque total de confiance en elle qui, à l'évidence, ne devait absolument pas arranger les choses. Si elle se faisait davantage confiance, les choses se passeraient sans doute différemment. L'intuition était aussi une affaire de caractère. Mais Melania n'était absolument pas coach de vie, elle n'allait certainement pas s'amuser à booster la confiance en elle de son interlocutrice. Elle lui avait posé une question claire et c'était la réponse la plus claire qu'elle pouvait lui donner. C'était la situation, dans son ensemble, qui oubliait d'être limpide comme elle devrait l'être, et contre cela, il n'y avait définitivement pas grand-chose que Melania puisse faire.

A part peut-être consacrer à l'adolescente plus de temps et d'attention qu'elle n'avait envisagé de le faire pour commencer. Melania se demandait si elle n'allait pas directement et instinctivement le regretter, mais en attendant, elle en était bel et bien là. Elle avait bien voulu laisser son interlocutrice lui parler plus longuement de ses cauchemars. Il fallait croire qu'elle avait quelques scrupules. Il fallait croire qu'elle se reconnaissait tout de même un peu, ne serait-ce qu'un tout petit peu, dans cette gamine totalement apeurée qui ne savait pas réellement quoi faire ni comment s'y prendre, aux prises avec des démons contre lesquels elle ne serait jamais capable de lutter, quoi qu'elle décide et quoi qu'elle fasse. Sur ce point, elle pouvait au moins avoir une certitude, même si elle était terrible, il est vrai : le cauchemar n'aurait jamais de fin.

Elle lui parla plus avant de son rêve, un rêve qui concernait son père, et qui avant ça avait concerné son oncle, qu'elle n'avait pourtant jamais vraiment connu, son oncle qui était mort. A ce stade-là, qu'est-ce qu'il lui fallait de plus. Melania n'allait pas la rassurer et prétendre qu'elle pouvait y faire quelque chose.

-Si tu as de toi-même fait le parallèle entre ces deux rêves, alors tu sais déjà de quoi il retourne, pas vrai. Tu ferais mieux de passer du temps avec ton père tant que tu le peux encore. Elle marqua une pause, considéra son interlocutrice du regard. La forêt, ça représente quelque chose, pour toi ?

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elania n'était pas étonnée de la réponse de sa jeune interlocutrice. Elle était encore jeune, trop jeune pour décrypter les signes au-delà des messages les plus évidents. Le moment venu, elle comprendra que le lieu, les costumes, les décors, le moindre détail d'une scène pouvait être un véritable révélateur, à même de lui permettre d'appréhender ses visions avec plus de précisions, si bien qu'il finirait plus par s'agir de signes, mais bel et bien d'informations pures et dures. Est-ce qu'elle devait lui en parler ? Peut-être bien, mais Melania n'avait pas forcément envie d'entrer dans ce genre de détails avec elle.

Enid Pettigrow, dans sa malchance, avait encore le privilège de ne pas savoir à quel point sa situation pourrait être pire encore. Le jour où elle saurait faire la part des choses, à partir du moment où elle comprendrait ce qui distinguait les cauchemars des visions, alors elle n'aurait pas le bénéfice du doute, et elle n'aurait jamais le moindre répit. La miss était condamnée à une vie bien désagréable, et sans doute que comme elle, elle finirait par en passer par un artifice ou un autre pour rendre cela un tant soit peu supportable. Oui, vraiment, c'était peut-être malheureux, ce n'en était pas moins un fait, la suite ne s'annonçait pas franchement heureuse... Et tous les conseils bienveillants, même les mieux intentionnés du monde, ne pourraient rien y changer. Absolument rien, même.

-Il n'y a rien à faire, non, répondit Melania d'un ton catégorique.

Elle n'était pas là pour donner de faux espoirs à la rouge et or. Cette dernière avait voulu entendre sa réponse franche et honnête, eh bien c'était ainsi, elle ne pouvait pas lui en donner d'autre. Malheureusement, c'est bel et bien un fait, au demeurant incontestable. Ce ne serait pas simple. C'était compliqué maintenant, ce serait pire encore plus tard.

-Notre don n'en serait plus un s'il était si simple de tromper nos propres prédictions, tu ne crois pas ? Ce serait admettre que l'avenir n'est pas déjà tout tracé. Sauf qu'il l'est, et que nous en sommes la preuve. Elle porta son verre à ses lèvres avant de constater qu'il était vide. Elle héla le serveur pour demander à ce qu'il lui resserve la même chose. Tu peux tenter de noyer les visions, ça marche... raisonnablement efficacement, mais il n'y a pas grand-chose d'autre à faire en dehors de ça. Elle considéra sa jeune interlocutrice d'un regard torve. Tu es sûre que tu ne veux toujours pas d'un verre ?

C'était peut-être le meilleur conseil qu'elle serait capable de lui donner, même si beaucoup affirmeraient que c'était là le conseil le plus dangereux du monde. Mais ces personnes-là n'étaient pas à leur place, pas vrai ?

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