Minerva a compris, après quelque temps, qu'elle pouvait s'autoriser quelques exigences dans sa nouvelle profession, et qu'elle serait exaucée. Ce n'était pas le cas quand elle travaillait encore au ministère et qu'elle se pliait en quatre pour tout le monde au point de s'oublier elle-même. Elle a pu aménager son emploi du temps, à Poudlard, pour avoir une journée de congé dans la semaine. Elle ne pouvait quitter l'école trop longtemps, bien sûr, d'autant qu'en tant que directrice de maison, elle se doit d'être là pour les rouge et or, mais cela lui permet de s'accorder un peu de temps libre.

Elle ne pensait pas que ce temps libre lui serait profitable dans un premier temps, parce qu'elle n'a rien qui l'attende, pas de vie sentimentale et une vie amicale vraiment moindre, mais même des moments de pure solitude sont agréables, et elle le réalise maintenant. Elle a profité, en l'occurrence, de son temps libre pour faire quelques emplettes à Londres. Elle n'est pas une grande adepte du lèche-vitrine, certes, mais sa garde-robe a besoin d'être renouvelée (même si personne ne verra la différence, toutes les robes à motif écossais y sont passées). Ses paquets en mains, elle constate qu'il est l'heure du thé et songe à lire un peu dans un café avant de retourner à Poudlard.

Mais elle oublie tout, ses pensées se paralysent quand, à un coin de rue, elle le voit. Elle est figée. Elle a l'impression de délirer, elle n'arrive pas à bouger du moindre millimètre. C'est lui, il n'a pas changé. Mais est-ce que ça peut être vraiment lui ? Il n'a rien à faire à Londres, il devrait être dans sa ferme des Highlands, en compagnie de son épouse, celle qui avait pris la place qu'elle avait refusé, qu'elle regrettait chaque jour que Merlin faisait d'avoir refusé.

Elle reste là, abasourdie, ébêtée. Elle a envie de le voir, de lui parler. Et en même temps, elle avait envie de le fuir. Elle a souvent songé à ce qu'elle lui dirait si leurs chemins devaient se croiser à nouveau. Mais là, rien ne lui vient. Elle sent l'angoisse et la douleur sourdre en elle...

Leurs regards se croisent et finalement, il n'y a plus d'échappatoire.

C'est un sentiment terrible, insupportable même, que d'avoir Dougal face à elle, dans ces circonstances qui plus est, alors qu'elle ne s'y attendait pas le moins du monde, alors que leurs chemins ne devaient sans doute jamais se recroiser à moins qu'ils ne le décident. Et ils ne l'avaient pas décidé. C'est trop brutal. Non, ça ne devait pas se passer comme ça. En fait, ça ne devait pas se passer du tout. Dougal est là, est les émotions qui la submergent sont à la fois beaux et terribles. C'est comme autrefois, sans aucune forme de différence. Elle l'aime toujours autant, et elle le ressent dans ses chairs. Son coeur bat la chamade, sa respiration se brise, la chair de poule recouvre son épiderme.

Et en même temps, elle se sent malade, physiquement malade. Elle a l'estomac noué, elle a le souffle coupé, elle a l'impression de faire une crise d'angoisse. Elle veut lui parler et en même temps, elle veut prendre ses jambes à son cou. Elle ne sait plus quoi dire, elle ne sait plus quoi penser. Sa seule certitude, c'est qu'elle n'y échappera pas. Et même si ça ne devait pas se passer comme ça, il est préférable que ça se passe. C'était nécessaire. C'était obligé.

Sa voix la transperce quand il dit son nom. Il est aussi étonné qu'elle et ça s'entend. C'est peut-être la surprise qui empêche la colère, ou elle qui n'arrive pas à analyser son comportement convenablement. Il devrait la haïr pour ce qu'elle lui a fait. Elle n'a pas le sentiment qu'il éprouve de la haine, pourtant. Mais peut-être qu'elle se trompe, peut-être qu'elle veut ignorer les faits qu'elle ne pourrait absolument pas supporter.

"Je... C'est plutôt moi qui devrais te poser la question. Je ne t'imaginais pas quitter les Highlands. C'est le dernier endroit où je m'attendais à te revoir."

Dougal n'est pas un homme de la ville, et c'est même une des choses que Minerva aimait tant chez lui. Ses valeurs n'étaient pas biaisées par des considérations citadines. Pourtant il est là, en tenue de ville, et même s'il n'a pas l'air d'être dans son élément, quelque chose lui dit qu'il n'est pas là en touriste, il y a autre chose. Qu'elle veut savoir sans consentir pourtant à répondre à ses propres interrogations à lui.

Minerva se sent sourire malgré elle en entendant la réponse de son interlocuteur. Dans son attitude, il n'a pas changé. Son initiative est étonnante, mais pas la manière dont il l'appréhende, ça, c'est du Dougal tout craché. Il se surprend lui-même de ce qu'il est capable de faire ou d'accomplir. Il a toujours eu ces insécurités qu'elle trouve attachantes, et qui surtout ne sont jamais justifiées, car Minerva a toujours su, elle, que Dougal était capable de réussir tout ce qu'il déciderait d'accomplir. Ce nouveau projet ne lui ressemble pas, mais Minerva est sûre qu'il trouvera le moyen de faire fructifier son entreprise et de réussir, une fois de plus.

Elle affiche une moue triste quand Dougal lui parle du décès de ses parents. Elle a appris la nouvelle par ses propres parents. Elle en a été dévastée. Elle aimait beaucoup les McGregor. Ils l'avaient toujours accueillie chez eux comme si elle était leur propre fille, un membre à part entière de la famille. Elle regrette honnêtement qu'il ait eu à endurer cela. Elle voulait lui présenter ses condoléances, à l'époque, mais elle avait songé que cela l'enfoncerait peut-être encore plus qu'autre chose.

-Je suis vraiment désolée pour tes parents. Il n'est jamais trop tard pour lui montrer son affliction. Mes parents m'ont parlé de votre mariage, je n'ai jamais eu l'occasion de te féliciter mais... félicitations. Je suis vraiment heureuse pour vous.

Est-ce qu'elle l'est réellement ? Non, elle ment, elle ne l'est pas. Elle n'est pas du tout heureuse pour eux. Oui, elle veut que Dougal n'ait pas le coeur éternellement meurtri comme peut l'être le sien, et Elise est quelqu'un de bien. Malgré tout, elle éprouve plus de regrets et de jalousie que franchement de bonheur... mais ne rien en dire reste e qui est préférable, elle le sait très bien.

-Je suis allée faire quelques emplettes, retrouver d'anciens amis... Tu sais que j'habitais encore ici il n'y a pas si longtemps. Elle en parle avec légèreté, la vérité, c'est qu'elle est troublée, et elle a bien du mal à accepter toute cette situation qui la propulse des années en arrière et la pousse à repenser tous ses choix. Et cette entreprise, elle se spécialise dans quoi ? C'est une affaire qui marche ?

La réponse de Dougal n'est pas là pour étonner Minerva. Si elle ne s'attendait vraiment pas à le retrouver ici, à Londres, loin de la ferme familiale et des Highlands, et à la tête d'une entreprise qui ne soit pas celle fondée par son père, elle n'est en revanche pas surprise que même convaincu par la vie citadine, il n'ait pas totalement oublié d'où il vient. Par certains aspects, cela la rassure même, d'ailleurs. Elle préfère entendre ça, en vérité. Même si cela ne la concerne plus, elle a besoin de reconnaître en Dougal l'homme qu'elle a quitté. Ce n'est évidemment pas pour lui faire du bien, c'est même tout l'inverse, mais elle le trouvait parfait avant son départ, elle veut qu'il continue à l'être, même s'il représente à présent cet idéal auquel elle n'accédera jamais quoi qu'elle fasse.

Elle comprend en quelques mots que les lancements sont difficiles et qu'il prend sur lui pour garder foi dans ses compétences, malgré tout, elle ne doute pas qu'il finirait par réussir. Elle aime à penser qu'il peut réussir dans tout ce qu'il entreprend, et elle ne peut que lui souhaiter tout le succès du monde dans tous les cas. Même si c'est loin d'elle, elle a besoin de le voir heureuse, cela contribue à son bonheur à elle. Il s'est relevé après son départ, et il a fait du chemin : une épouse, une nouvelle carrière... ils ont chacun réussi indépendamment, et cela devrait les convaincre que les choses devaient se passer ainsi. Même si ça reste difficile à penser bien souvent. Trop souvent.

-Oh...

Elle est prise au dépourvu que Dougal lui propose d'aller boire un verre. Elle songe que c'est une mauvaise idée et qu'il est préférable qu'elle refuse. Elle envisage de prononcer un "Et Elise" qui mettrait un terme à cet instant de grâce, mais ces paroles ne parviennent pas à franchir le seuil de ses lèvres. Qui sait quand elle le reverra ? En fait, il est très probable qu'elle ne le reverra jamais. Alors juste pour cette fois... Ils ne se sont même jamais dit proprement "adieu" par sa faute à elle. Il est peut-être temps d'y remédier, après tout ?

-D'accord. Je crois bien que tu as raison, et j'ai un peu de temps devant moi.

Ils progressent à travers les rues de Londres jusqu'à trouver un petit café couvert qui leur semble à leur goût à tous les deux. Une fois installés et servis, Minerva reprend le cours de leur conversation.

-J'imagine que tu as quelques questions à me poser, n'est-ce pas ?

Cette situation, elle l'a cherchée, et elle sait qu'elle ne peut pas y échapper. Ce n'est pas pour autant qu'elle se sent plus confiante ou à l'aise alors qu'elle doit enfin faire face à ses responsabilités, chose qu'elle a fuie pendant beaucoup trop longtemps. Vraiment trop longtemps. Elle sait que ce moment et crucial, et qu'ils auraient dû se retrouver face à face et mettre les choses à plat bien plus tôt, mais elle a quand même l'impression qu'un poids appuie sur sa poitrine et qu'elle va imploser. C'est facile d'être sûr de ses choix quand on est loin de la personne que ces choix ont le plus impacté (et encore, ce serait mentir que de dire qu'elle a toujours été totalement sûre), c'est moins facile de les assumer et d'en accepter de nouvelles conséquences, sans doute un peu trop directes et en même temps inévitables.

Il a des dizaines de questions à l'esprit, elle s'en doute, mais elle se doute aussi que s'il ne doit en poser qu'une seule, il n'aura aucun mal à déterminer laquelle. Il le lui prouve bien vite. Il lui pose en effet la question à laquelle elle s'attendait. Celle à laquelle elle a le moins envie de répondre, mais qui est en même temps un passage nécessaire. Ils ne pouvaient pas faire comme si de rien n'était, comme si toute cette histoire n'avait pas un impact réel sur eux. Comme si une décision prise en quelques minutes n'avait pas radicalement changé la vie de l'un comme celle de l'autre. C'est la vérité, c'est un fait, et ils savent tous deux que mettre des mots dessus, même si ça n'y changera rien et ne modifiera pas ce qui a été, reste un passage obligatoire et même assez indispensable.

Elle ne sait pas vraiment comment répondre à cette question. La réponse la plus simple à ce "Pourquoi tu es partie ?", c'est évidemment celle qu'elle s'est martelée au moment de faire son choix : "Je ne veux pas être ma mère". Mais si elle répond cela, Minerva sait d'avance que Dougal ne comprendra pas, et il mérite une réponse qu'il soit véritablement à même de comprendre, qui soit susceptible de lui apporter une paix d'esprit qui a peut-être été incomplète jusqu'ici, parce qu'il a avancé, oui, mais avec cette question à l'esprit, sans aucun droit de réponse.

-Je... Elle baisse les yeux. Je n'aurais pas été une bonne épouse, Dougal.

Elle est convaincue de cela. Elle ne peut exactement mettre de mots sur cette vive soif d'indépendance, sur ce besoin de réussir quoi qu'il advienne, mais c'est quelque chose de bien réel et d'ancré en elle. Elle ne voulait pas vivre dans l'ombre d'un homme. Bien sûr, Dougal n'est pas du tout un misogyne de bas étage, mais malgré tout.

-J'avais besoin de trouver ma voie. Et me marier avec toi... ça n'aurait apporté qu'une réponse partielle aux questions que je me posais à l'école. J'avais peur de devenir ta femme et de ne plus me définir que de cette manière.

Elle a peur que cela sonne comme un reproche alors que Dougal n'a jamais été qu'irreprochable envers elle. Elle doit le dire comme elle le ressent malgré tout. Et elle le ressent ainsi. Même si rétrospectivement... les questions sont nombreuses, et les réponses ne sont pas si limpides.

Son estomac se noue et son coeur s'arrête à mesure que Dougal lui déroule sa réponse, une réponse qu'elle avait besoin d'entendre depuis un moment, et qu'elle redoutait d'entendre dans le même temps. C'est simple de donner son coeur, c'est difficile de le reprendre après ça et de tourner la page. Elle ne veut pas que Dougal ravive une flamme qui n'a jamais été complètement éteinte, elle ne veut pas qu'il contrecarre tous ses arguments, elle ne veut pas qu'il lui confirme ce qu'elle sait déjà, et qu'elle n'a pu qu'observer encore plus vivement au moment d'apprendre que le jeune homme était fiancé à Elise.

Elle ne veut pas qu'il lui prouve qu'elle a eu tort de partir, que tout aurait pu fonctionner entre eux, qu'il aurait été capable de respecter ses besoins et ses exigences, pourtant c'est l'évidence même. Dougal en aurait forcément été capable. Il est doux, compréhensif, avenant. Il l'a toujours été. Ce n'est pas quelque chose qu'elle découvre, c'est quelque chose qu'elle a voulu occulter. S'il avait été amer, cynique envers elle, ce qui aurait été dans son bon droit après ce qu'elle lui avait fait, la pilule aurait été plus simple à avaler. Mais Dougal n'est rien du tout de tout cela. Il cherche à comprendre avec une intention sincère de se mettre à sa place. Et son impuissance face à sa réponse est tout aussi sincère.

Elle essaie de se raisonner. La bonne volonté de Dougal n'aurait pas forcément su avoir raison de ses doutes évidents. Même en ne voulait pas la cantonner à son rôle d'épouse, il aurait forcément forcé une situation pour lui déplaisante. Elle ne peut pas avoir d'attache, elle doit s'en convaincre. Et pourtant, elle sent l'émotion la prendre à la gorge quand il lui dit qu'elle était sa voie. C'est la plus belle déclaration qu'il puisse lui faire, mais elle doit éviter à tout prix de s'en émouvoir. C'est dangereux pour son équilibre affectif déjà fragile, et qui pourrait partir en fumée si elle continue.

-Tu le penses parce que tu n'as pu qu'idéaliser ce qu'on aurait pu vivre.

Sa faute à elle. Et elle aussi est fautive d'idéaliser bien souvent à quoi aurait ressemblé sa vie si elle avait épousé Dougal, le tout agrémenté d'un filtre de tendresse qui distord forcément les fait, ce qu'aurait été la réalité de leur relation.

-Finalement, tu as trouvé une autre voie. Tu es bien avec Elise, n'est-ce pas ?

Elle ne devrait pas enfoncer ces portes ouvertes, cela lui fait plus de mal qu'autre chose. Et pourtant elle pose la question quand même. Et elle veut entendre la réponse.

Le coeur de Minerva se serre. Elle l'a cherché. Si la réponse de Dougal ne lui plaît pas, elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même. Il est marié à Elise, et Dougal est un homme droit, un homme de coeur, qui jamais n'épouserait une femme pour qui il n'aurait pas de profonds, réels et sincères sentiments. Qui sait à quoi ressemble leur relation comparée à celle qu'ils ont eue ? Elle est sans doute différente, Minerva espère qu'elle est différente, pas forcément de moindre ou meilleure valeur. Mais il est difficile d'être remplacée dans le coeur de quelqu'un que l'on n'a jamais cessé d'aimer.

Et Minerva sait qu'elle ne cessera jamais d'aimer Dougal. Si elle a eu un doute, ce doute s'est dissipé. Elle sait très bien qu'elle ne peut pas faire marche arrière, elle sait pertinemment que cette situation ne différera pas de ce qu'elle est aujourd'hui. Il y a elle, lui, leurs espoirs brisés, et la conviction de devoir aller de l'avant, même s'il n'y a rien de plus compliqué ici, en cette seconde. Elle devrait accepter, saisir ce moment pour clore ce qui ne l'a pas été. Pour tourner la page. Mais ce n'est pas une histoire sur laquelle elle veut tirer une croix. Elle veut pouvoir la relire, cette histoire, la feuilleter autant de fois qu'il lui plaira. C'est un comportement assez malsain, qui ne peut lui faire que du mal, mais c'est au fond plus fort qu'elle.

Elise est parfaite, Minerva veut bien le croire. Elles ne se sont jamais vraiment entendues, mais la jeune femme a toutes les qualités qu'un homme peut rechercher. Elle est belle, brillante, intelligente, elle a de la poigne. Bien évidemment qu'elle est parfaite. Et parfaite pour lui, ce qui est le plus important, au bout du compte. Elle compte faire un commentaire, du genre inutile et absurde, mais il la prend de court en lui demandant si elle a quelqu'un. Elle songe à mentir, à mentir pour rien, ou à mentir pour son ego peut-être. Mais rien ne franchit le seuil de ses lèvres.

-Non, je n'ai personne...

C'était Dougal ou personne. Elle n'avait pas renoncé à lui pour se précipiter dans les bras de quelqu'un d'autre, elle ne serait même pas capable de ne serait-ce que l'envisager, l'imaginer.

-Si je n'étais pas faite pour être avec toi, je ne l'étais pour être avec personne, confesse-t-elle à voix plus basse.

La conclusion à laquelle parvient Dougal déstabilise un peu Minerva. Elle ne pensait pas que ce serait ce qu'il déduirait de ses propos, mais est-ce qu'il a tort, au final ? Peut-être pas. Il a même complètement raison, au final. Minerva considère qu'elle mérite d'être seule, mais elle n'a pas fait ce choix en ce nom. Sans doute qu'elle mérite d'être seule. Etant donné le mal qu'elle a fait à son interlocuteur, et qu'elle lui fait encore, elle ne peut qu'admettre que son existence ne fait pas le plus grand bien aux personnes qui l'entourent, ne leur fait même aucun bien du tout...

Elle ne peut pas vraiment répondre à ça, il la prend de court. Est-ce qu'elle estime mériter d'être seule ? Est-ce qu'elle restera seule toute sa vie ? Elle n'en sait rien du tout. Mais quand elle a Dougal sous les yeux, elle voit mal, dans tous les cas, ce qu'elle pourrait éventuellement construire sans lui. Rien d'un point de vue sentimental, en tout cas. Ce serait vain, ce serait absolument contreproductif, en fait.

-Ce n'est pas ce que j'ai dit...

Mais elle ne veut pas le contredire non plus. Surtout que ce serait de la mauvaise foi. Elle est capable d'en faire preuve, surtout quand elle se sent acculée comme c'est le cas en cet instant. Mais elle ne veut pas non plus qu'il interprète de la mauvaise manière des circonstances qui s'expliquent d'une autre façon.

-Ca n'a rien à voir avec ce que je mérite ou non. Elle a du mal à lui expliquer son choix sans qu'il se sente vexé. Mais ça aurait pu être Dougal ou un autre, ça n'aurait rien changé. A la fin, il fallait qu'elle soit seule. Je ne mérite pas d'être seule, mais je dois être seule. Et je veux être seule... Tu peux le comprendre, n'est-ce pas ?

Il le comprendrait mieux si elle était plus clair, mais elle a du mal à mettre des mots sur ses émotions. En essayant de le convaincre, elle essaie de se convaincre elle-même, et il n'y a rien de plus difficile, puisque Minerva est loin d'être entièrement sûre de ses choix et de ses décisions. Mais elle n'a pas l'intention d'y revenir. De toute façon, il est trop tard.

Elle ne le ménage pas. Son intention n'est pourtant pas de lui faire du mal mais, selon toute vraisemblance, elle y arrive très bien malgré tout. Elle ne veut pas l'éprouver, mais c'est forcément le cas si elle doit se montrer plus sincère. Elle se demande si, dans l'imaginaire de Dougal, il n'aurait pas été plus simple, plus acceptable, de s'imaginer qu'elle l'avait quitté pour un autre. Elle n'est pas cruelle, elle n'aurait jamais fait ça, elle n'aurait jamais laissé durer la romance, répondu oui puis non s'il y avait eu un autre homme, mais si elle avait pu le laisser croire à son interlocuteur, peut-être que certaines choses auraient été plus simples à assimiler.

Elle n'en sait rien. La vérité a la cruauté de l'inaccompli, de l'inexplicable. Minerva ne peut pas expliquer ce profond ressenti qu'elle a eu, cette vivre révélation. Elle sait que Dougal ne comprendra pas, parce qu'elle-même a du mal à se comprendre. Elle sait pertinemment qu'elle a fait le bon choix (et encore, en sa présence, elle peut douter quand même, parce que le passé refait surface sans volonté aucune de lui laisser le moindre répit).

-La vérité est souvent plus décevante que ce que l'on s'imagine, ça vaut pour les meilleures choses comme pour les pires, répond prudemment Minerva.

Il y a ce que l'on s'imagine, ce que l'on a envie de croire, de toutes ses forces, et il y a ce qui est, et qui n'est a jamais à la hauteur de nos attente. Ce qui a participé à la décision de Minerva, aussi. Il fallait voir la vérité en face, il fallait savoir être lucide, accepter que certaines choses ne seront jamais comme l'on voudrait qu'elles soient. Leur relation n'aurait rien eu de l'idéal qu'ils peuvent se figurer depuis qu'ils ne sont plus ensemble.

Et l'idéal de carrière et d'indépendance qu'elle recherchait n'est pas non plus aussi exceptionnel qu'elle l'aurait voulu, mais elle reste certaine d'avoir fait le choix le plus sûr, le plus avisé, le plus judicieux. Ce même si en cet instant, ce choix lui arrache le coeur et lui dévore les entrailles et semble lui couper l'âme en deux.

-Tu ne m'en veux pas ?

La question est stupide mais elle ne peut s'empêcher de la lui poser, même si elle sait déjà pertinemment la réponse. Mais elle aimerait qu'il réponde non. Cela fait des mois, des années, qu'il lui faut la réponse à cette question.

Les propos de Dougal lui font l'effet d'une gifle en plein visage, mais elle ne pourra pas affirmer ne pas l'avoir mérité. Elle ne fait jamais que recevoir la monnaie de sa pièce, ni plus ni moins, et la réaction de son ancien petit ami est très naturel. Elle attendait une réponse honnête de sa part, il la lui donne. C'est une réponse qui n'a rien d'agréable du tout, c'est une réponse qui lui fait du mal, mais elle lui en aurait peut-être autant voulu s'il avait prétendu que tout allait bien dans le meilleur des mondes, et qu'elle n'avait absolument rien à se reprocher. Bien sûr, qu'elle a des choses à se reprocher.

Elle ne pouvait pas s'attendre à ce qu'il ne lui garde aucune rancoeur alors qu'elle est partie du jour au lendemain. Et maintenant qu'elle est de retour, j'ai encore plus de reproches à lui faire, en fait. Des dizaines et des dizaines de reproches. Elle en aurait tout autant si elle était à sa place. Mais elle n'est pas à sa place. La place où elle se trouve elle-même est compliquée, et surtout n'a rien de particulièrement confortable. Mais force lui est de faire avec et d'encaisser. Elle a posé la question. Si elle ne veut rien savoir, elle ne devait rien demander. Elle a voulu savoir, elle a demandé. Maintenant, il ne lui reste plus qu'à assumer.

Il n'a pas envie d'avoir de la colère contre elle. Elle sait que c'est sincère de sa part que de le dire. Dougal n'est pas quelqu'un de colérique, c'est une de ses (très) nombreuses qualités, il ne s'emporte pas sans raison, il est sage et pondéré, il l'a toujours été. Mais elle a réussi à nourrir en lui une colère dont il n'arrive pas à se défaire. Elle est responsable de ça. Elle a réussi à le briser au point qu'il souffre encore maintenant de leur rupture passée. Et c'est réciproque. Même si elle, bien sûr, n'a de colère qu'envers elle-même. Dougal ne méritait pas ça.

-Je comprends. Je m'en veux aussi. Je n'aurais pas dû te faire ça, je n'aurais pas dû te dire oui pour commencer. Elle marque une pause. Tu as le droit d'être en colère contre moi, c'est complètement légitime. Mais sache que je suis vraiment désolée. Sincèrement.

Qu'attendaient-ils l'un et l'autre de cette conversation ? Au fond, ni l'un ni l'autre ne le savent vraiment, sans doute. En conséquence, les choses ne pouvaient que trouver cette conclusions précise... insatisfaisante, mais la seule à laquelle ils pouvaient prétendre. Leur histoire est déjà écrite, elle a son début, sa fin, sa conclusion. Ils peuvent y revenir, y aller de tel ou tel commentaire sur l'un ou l'autre chapitre, déplorer une fin bancale ou déplaisante, mais ils ne peuvent rien changer, en revanche, à ce qui est et demeurera. Oui, ils ne peuvent pas être satisfaits de la manière dont les choses se sont déroulées.

Il faudrait réécrire l'histoire et faire bien des choses différemment, mais ils ne le peuvent pas, ils n'ont pas ce pouvoir. La seule chose qu'ils sont, eux, capables de faire, c'est composer avec des événements qui ne rendent à leurs sentiments passés (et sans doute encore présents) qu'une bien piètre justice. Leur histoire n'est pas une partie qui se rejoue à l'infini, c'est toute une symphonie gâchée de fausses notes, mais qu'ils ne rejoueront jamais. Alors bien sûr, ils sont insatisfaits, bien sûr, cette conversation les frustre car elle n'aboutit nulle part. Mais les choses sont seulement ce qu'elles étaient d'office destinées à être, incontestablement.

-Il est trop tard pour cette conversation, reconnaît Minerva d'un ton sans timbre, conclusion un peu amère à laquelle il lui semble qu'ils ont tous les deux abouti en même temps.

Elle a au fond d'elle l'impression qu'ils avaient tous deux des attentes inavouées vis-à-vis de cette rencontre fortuite. L'occasion de s'avouer des sentiments qui ne sont pas encore éteints, peut-être, mais ils ne peuvent rien se dire de tout ça. Dougal est un homme marié, et c'est une chose que Minerva respecte profondément, comme elle est convaincue du fait que Dougal respecte entièrement son épouse. Alors les choses vont s'arrêter là, sûrement, entraînant dans leur sillage le plus profond et total sentiment d'insatisfaction, un sentiment forcément inévitable.

-Qu'est-ce que tu attends de moi, si ce n'est des excuses ?

Des explications, sûrement. Mais les explications qu'elle lui a donné, il ne les a pas aimées et a encore moins voulu les entendre. Elle peut le comprendre, mais elle n'a rien d'autre à lui offrir pour sa part. Plus maintenant.