L'épreuve des flammes était passé. Enfin, c'est ce que supposait Walburga, et grâce à ça, elle se sentait bien plus sereine qu'elle ne l'avait été ces derniers mois. Sa vie était un succès plein et entier. D'autres ne se contenteraient pas de ce qu'elle ambitionnait. Il y avait des femmes qui voulaient un métier, qui voulaient une carrière. Toutes ces femmes étaient stupides. Pour Walburga, ce qui avait compté, c'était de faire un bon mariage, et d'être avec l'homme qu'elle aimait. C'était chose faite. Tout se passait selon ses choix.

Il y en aurait aussi pour dire que ce n'étaient pas vraiment ses choix, et ils n'auraient pas tort, mais Walby n'avait jamais rien désiré de plus que de respecter la volonté de sa famille. Rendre son père fière, être digne de ce nom. Elle ne caressait aucun de ces rêves stupides d'émancipation. Elle n'avait aucune intention de travailler. Être une impeccable épouse de sang pur, et garantir la pérennité de son sang, maintenir l'honneur de sa famille, c'était tout ce qu'elle souhaitait, la seule chose qu'elle désirait véritablement. Et elle était sur la bonne voie.

De la plus excellente humeur, Walburga savourait pleinement l'officialisation de sa relation avec Orion. Ils étaient fiancés, à présent, et tous ceux qui avaient nécessité à l'être étaient au courant. Ils n'avaient plus besoin d'organiser leurs sorties de façon clandestine, ils pouvaient se voir et se fréquenter au grand jour... Certes, elle avait bien aimé leurs rendez-vous secrets, elle avait même trouvé ça plutôt exaltant, mais c'était agréable aussi de se promener au bras de son fiancé en toute légitimité, sans avoir besoin de se cacher ou de se protéger du regard des autres.

Ils s'étaient donné rendez-vous à Pré-au-Lard, lieu de tous leurs rendez-vous jusqu'ici. C'était rayonnante qu'elle l'avait retrouvé devant les Trois-Balais, elle l'avait salué d'un baiser passionné avant de s'agripper à son bras comme si elle appréhendait qu'il lui échappe (ce qui était une appréhension à peine rationnelle mais tout à fait réelle dans son esprit). Aujourd'hui était un jour particulier : c'était la Saint-Valentin, et elle comptait bien profiter de sa première Saint-Valentin avec Orion.

-Alors, tu veux qu'on fasse quoi pour commencer ?

Pour moi, c'est une franche nouveauté. Si l'année précédente, j'étais officiellement en couple avec Lexie Hepburn, ce n'est pas pour autant qu'on avait fait quoi que ce soit le 14 février. Non, on s'en était tenu à quelques démonstrations d'affection toutes bêtes avant de vaquer à nos activités respectives. Ni elle, ni moins, n'avions franchement envie de faire plus d'efforts à ce sujet. Et Lexie ayant été ma première petite amie (si on décide qu'elle compte, mais personnellement, je préfère décider qu'elle ne compte pas et n'a jamais compté, je saurai la rayer de la carte aussi facilement qu'elle m'a rayé de sa vie), eh bien tout est nouveau pour moi.

Ce sentiment de nouveauté m'angoisse un peu et me transporte en même temps. C'est assez fou, et pas simple à expliquer. C'est mon avenir qui se décide aux côtés de Walburga : on va se marier, on finira par fonder une famille ensemble, c'est un grand départ... Mais pourtant, contre toute attente, je n'ai pas peur. Je suis sûr de moi et de mes sentiments pour ma fiancée. Je n'ai aucun doute à ce sujet. Ce qui ne veut pas dire que je n'ai pas de mal à apprivoiser un peu mon statut de petit ami. Je ne suis jamais certain de bien faire les choses. J'ai envie d'être le meilleur, parce que pour moi, Walby est la meilleure, et je ne supporterai pas de la décevoir, mais ça n'a rien de simple ou d'évident. Au contraire, c'est un casse-tête de chaque instant. J'ai toujours peur de faire un pas de travers et de tout gâcher.

Et donc, forcément, quand on parle de passer la Saint-Valentin ensemble, je le prends tout particulièrement au sérieux. J'ai envie de faire passer le meilleur moment possible à Walburga. Je veux qu'elle s'en souvienne toujours. Donc, quand elle me demande quel est le programme, je veux prendre les choses en mains pour lui prouver que cette journée sera digne de ce nom.

-Viens, je lui dis en la conduisant jusqu'à la devanture de Mrs Piedoddu où nous trouvons une place assise et commandons deux chocolats chauds très gourmands. Une fois posé et leurs chocolats servis, Orion tira un paquet de la poche de sa veste. Tiens, joyeuse Saint-Valentin.

Je lui ai acheté un collier ouvragé, incrusté d'or des gobelins (rien n'est trop beau pour elle), qui devrait aller superbement avec sa bague de fiançailles.

Walburga était aux anges. C'était Orion qui décidait du programme, et elle se laissait faire en toute confiance, aveuglément, parce qu'elle savait qu'elle pouvait compter sur lui pour rendre magique n'importe quel moment qu'ils partageraient... et comme celui-ci était forcément un peu spécial et changeait de leurs habitudes, elle en attendait encore davantage, mais considérait que c'était son droit le plus légitime, que nul ne pourrait lui ôter, sous aucun prétexte. Alors oui, elle aimait le voir décider de ce qu'ils faisaient, elle aimait le voir prendre des initiatives, même si ça pouvait sembler anodin, comme quand il la conduisait à une table de chez Mrs Piedoddu.

Elle s'installa à table et à peine furent-ils installés et leurs commandes prises qu'il en profita pour faire preuve d'une nouvelle initiative qui la laissait encore moins indifférente. Un cadeau ! Forcément, elle l'avait attendu : c'était la moindre des choses, mais elle ne crachait pas dessus. Walby était capricieuse, exigeante, elle voulait que tout soit toujours fait selon son bon plaisir. Et c'était une chose qu'Orion avait très bien comprise. Il se pliait toujours en quatre pour elle. Un vrai bonheur.

Elle considéra le collier qui lui avait été offert, beau, cher, ouvragé, d'un regard pétillant. Il était magnifique. Beaucoup trop cher et m'as-tu-vu, en somme, il correspondait parfaitement à ce que Walburga recherchait dans n'importe quel bijou susceptible de lui faire de l'oeil. Le jeune homme avait visé juste. Sans surprise. Il la connaissait bien, tout comme il connaissait très bien ses goûts, et il le lui prouvait une fois de plus.

-Il est magnifique, Orion ! Elle l'enfila immédiatement pour voir l'effet du bijou sur elle. Et il a dû te coûter une fortune en plus !

Bien sûr, il lui allait à la perfection. Il l'avait franchement bien choisi. Comme toujours, Orion se montrait parfait en tout.

-Tu sais, je ne le répéterai jamais assez, dit-elle en lui attrapant la main, mais tu es l'homme le plus parfait que je connaisse. Elle marqua une pause. Et j'ai hâte qu'on soit marié et qu'on ait une maison à nous. J'adore mon père, hein, mais tu vois comment il est. Je suis impatiente de plus l'avoir dans les pattes.

Le regard de Walby s'illumine en découvrant son cadeau, et moi je me sens infiniment soulagé. C'est exactement la réaction que j'espérais de sa part, sans être sûre et certaine que c'est ce que j'allais obtenir. Je ne suis pas suffisamment sûre de moi pour cela. Je n'y connais rien en bijoux, mais je connais tout de même ses goûts, et j'ai tapé juste. Quand elle enfile le collier, je suis d'autant plus fière de mon choix, en fin de compte.

Je trouve que la couleur du pendentif se marie complètement avec ses yeux. Elle est superbe dans tous les cas. La plus belle, c'est certain, et la voir heureuse me rend heureux. J'affiche un humble sourire quand elle remarque que ça a dû me coûter cher. Oui, je voulais qu'elle s'en rende compte. Pour qu'elle comprenne bien que je suis capable de dépenser des fortunes et des fortunes pour elle.

-C'est parce que rien n'est trop beau pour toi, tu sais.

Et même si cette phrase est complètement clichée, ça ne m'empêche pas d'en penser très honnêtement chaque mot. Je pourrais tout faire pour elle. S'il faut que je fasse le tour du monde pour elle, je le ferais, si je dois traverser un océan à la nage, je le ferai, si je dois escalader la plus haute montagne, je le ferai. Bon sang, c'est sérieusement trop cliché ! Mais c'est ce qu'elle fait de moi, et j'aime bien cette version de moi-même.

Je souris quand elle me dit combien elle me trouve parfait, combien elle a hâte qu'on soit mariés et qu'on s'installe ensemble. J'ai la même impatience. J'aimerais qu'il n'y ait plus qu'elle et moi, vraiment. Et j'avoue que la présence de Pollux Black, qui sait peser sur nous même quand il n'est pas là, n'y est définitivement pas pour rien.

-Je t'avoue que j'ai hâte aussi. Ton père est génial mais... il me fait un peu peur, j'admets en baissant le regard, bien conscient du fait que cette aveu n'a rien pour me mettre en valeur. Mais il est sincère, et avec Walby, je me devrais toujours de me montrer sincère. Tu l'imagines comment, notre futur chez-nous ? je demande avec curiosité et intérêt.

-C'est parce que rien n'est trop beau pour toi, tu sais.

Walby sourit largement. Elle savait bien que la phrase était d'un cliché consommé et assumé, mais elle faisait son petit effet sur elle, pour tout dire, et la jeune femme aimait être ainsi considéré comme la première des merveilles du monde. Avec Orion, elle était servie. Il ne s'écoulait pas un seul jour, pas une seule minute, sans qu'il ne lui prouve combien il tenait à elle et à quel point il serait capable de tout pour elle. C'était tant mieux, car Walby ne demandait qu'une seule chose, et c'était d'être placée sur un véritable piédestal. Donc oui, elle aussi considérait que rien n'était trop beau pour elle, et personne ne parviendrait à la persuader du contraire. Rien, personne, jamais.

-Je t'avoue que j'ai hâte aussi. Ton père est génial mais... il me fait un peu peur.

L'amusement faisait pétiller son regard. Elle pourrait peut-être lui reprocher de ne pas être assez fort pour tenir tête à son père, mais la jeune femme s'en moquait. C'était Orion, c'était le garçon parfait à ses yeux, et elle comprenait ce qu'elle voulait dire. Pollux Black était un maniaque du contrôle. Il voulait avoir un oeil sur tout et tout le monde, et surtout sur les membres de sa famille, alors, forcément... Walby comptait faire un commentaire, une blague peut-être. Mais Orion reprit sur un sujet beaucoup plus intéressante.

-Tu l'imagines comment, notre futur chez-nous ?

-Pour moi, ma maison, c'est déjà la maison de mes rêves.

On pourrait facilement opposer l'inverse à Walby. Le 12 square Grimmaurd regorgeait de défauts, entre la tapisserie familiale d'un goût contestable au mur et les têtes d'elfes de maison accrochées aux murs, mais Walby s'était toujours vu vieillir et élever ses enfants là. Mais pour l'instant, cette demeure était celle de son père. Elle espérait simplement être prioritaire sur l'héritage. Dans longtemps, bien sûr, elle tenait à son père. Mais elle savait que les parents n'étaient pas éternels. Elle l'avait appris beaucoup trop brutalement pour pouvoir faire l'impasse là-dessus.

-Alors je veux la même, exactement la même, mais ailleurs. Et toi alors ? Tu vois ça comment ?

La réponse de Walby me décoche un fin sourire. Je la reconnais bien là, et c'est une chose que j'aime chez elle. Walby est très attachée aux traditions, pas seulement aux traditions imposées par notre caste et par notre naissance, même si elles ont évidemment leur importance, mais aussi aux traditions plus spécifiques à sa famille la plus proche. Je sais qu'elle est attachée à sa maison du square Grimmaurd. Et je peux le comprendre. Par bien des aspects, je considère qu'elle mériterait une bonne rénovation, mais en attendant, elle a son charme, elle transpire la tradition et l'exaltation de nos valeurs...

Un jour, qui sait, cette maison nous appartiendra, mais pour le moment, bien sûr, il n'est pas question de déposséder Pollux Black de son bien immobilier. Je ne m'y risquerais pas... Je vais déjà lui prendre sa seule fille, je ne vais pas tenter le diable en réclamant sa maison en plus du reste... Je tiens tout de même à la vie. Et j'y tiens même d'autant plus que Walby y tient à présent une place de choix qui est tout simplement incontestable.

Donc elle veut la même maison, mais ailleurs. Autant dire que c'est mission impossible. Mais il n'est rien que je ne me sente capable de faire pour Walburga, alors, si elle me demande cet impossible, je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour qu'elle y ressemble autant que possible. Certes, nous n'y sommes pas encore, mais si nous voulons nous faire le meilleur nid possible, créer notre propre foyer, nous ne devons pas attendre la dernière minute.

-Comme tu viens de le décrire, je lui réponds.

Je sais, je suis un canard et je lui concède absolument tout, mais je ne m'y force pas du tout. La maison idéale, pour moi, c'est une maison dans laquelle nous vivons tous les deux. Le reste, en fin de compte, ce ne sont que des détails, et il n'est pas nécessaire d'y accorder tant d'importance que cela. Oui, vraiment, je me satisfais très bien de cette situation comme elle est. Je pense que je pourrais vivre dans un ridicule appartement de quinze mètres carrés et je serais heureux malgré tout avec elle. Enfin... quinze mètres carrés, je reconnais que c'est petit, quand même, j'exagère un peu.

-Moi, tout ce que je veux, c'est être avec toi, où, ça m'est égal.

-Comme tu viens de le décrire.

Walby sourit, comme si Orion venait de donner la bonne réponse à un quiz aux questions infiniment plus complexes. La jeune femme ne pouvait bien sûr pas complètement croire Orion quand ce dernier affirmer qu'il n'avait pas sa propre vision de la maison idéale mais se satisferait très bien de la sienne, mais elle aimait malgré tout la manière dont il réussissait à prétendre le contraire. Et surtout, elle aimait croire qu'il y avait tout de même une part de vrai là-derrière. Oui, Orion avait peut-être eu ses propres espoirs et ses propres attentes, mais ceux de sa future épouse passeraient toujours en priorité, et ça lui plaisait vraiment beaucoup.

Bien des femmes attendaient de leur homme qu'il soit directif, qu'il prenne les décisions à leur place afin d'avoir à réfléchir le moins possible. Ce n'était pas le cas de Walby. Elle avait toujours été directive et autoritaire. Elle aimait prendre les choses en mains, elle aimait avoir le contrôle, et même au sein de son propre mariage, elle ne se verrait pas vivre dans l'ombre d'un époux sur lequel elle n'aurait aucun pouvoir. Elle voulait avoir une réelle emprise sur le coeur d'Orion et sur sa vie. Elle voulait être le centre autour duquel tout gravitait. Et la vie de son petit ami d'autant plus. e n'était pas pour rien si elle le trouvait à ce point irrésistible. Il savait très précisément de quelle manière lui donner le sentiment d'être juste... unique au monde. Ce qu'il avait de plus précieux dans la vie.

-Moi, tout ce que je veux, c'est être avec toi, où, ça m'est égal.

Est-ce que Walby pouvait lui rendre la pareille ? Oui, dans une certaine mesure. Mais dans une certaine mesure seulement. Elle savait bien qu'il y avait des limites à cela. Des limites évidentes. Elle n'accepterait pas d'être avec lui n'importe où. Certainement pas dans la misère la plus absolue par exemple, il ne serait pas question d'abuser non plus. Elle l'aimait, mais elle aimait aussi sa richesse, son confort, sa réputation, et elle ne céderait rien de tout cela pour vivre d'amour et d'eau fraîche dans le dénuement le plus total. Là se trouvaient à coup sûr les limites de son dévouement.

-Bonne réponse, dit-elle dans un sourire. Mais tu sais, tu as quand même le droit d'avoir une ou deux exigences, promis, j'y survivrai.

Ou peut-être pas.

Je sais que je peux donner l'impression de n'abonder dans le sens de Walby que pour lui faire plaisir et rien d'autre, mais je suis pourtant tout ce qu'il y a de plus sincère avec elle, je vous le jure. C'est comme ça, c'est pas quelque chose que je force et encore moins quelque chose que je contrôle, mais pour être heureux, j'ai besoin qu'elle soit heureuse aussi, c'est tout. Un peu comme si mes pensées étaient connectées aux siennes et exigeaient cela de moi, comme une forme sans doute trop exacerbée d'empathie, je le reconnais, mais qui ne fait de mal à personne, après tout. J'imagine que l'altruisme dont je suis capable avec elle compense ce que l'on pourrait peut-être considérer comme égoïste chez elle.

Alors non, je ne cherche pas à donner une "bonne réponse" à Walburga, mais sa réponse fait mon bonheur dans tous les cas. Elle me dit quand même que j'ai le droit d'avoir des exigences. Je le sais... mais je ne sais pas spécialement ce que j'en ferais. Ma seule exigence, c'est d'avoir Walby à mes côtés, qu'elle ne se lasse jamais de moi, qu'elle ne m'abandonne jamais. Mais je n'ai pas besoin de l'exiger, parce que si elle ne le fait pas d'elle-même, alors il n'y a pas d'intérêt. Et aussi parce que je lui fais suffisamment confiance pour ne pas vraiment avoir peur que cela arrive, peu importe de quelle manière.

-Tu m'en découvriras bien assez, tu verras, je prétends alors, mais on sait tous les deux que c'est plus une manière de faire mine d'une prétendue assise que quelque chose qu'elle doit réellement prendre au sérieux.

Mon exigence envers elle viendra pus tard, celle qu'elle soit une parfaite maîtresse de maison, une parfaite épouse, une mère idéale, mais je ne peux pas croire qu'elle soit autre chose, alors ces exigences sont de façade, elles n'engagent pas à grand-chose.

-Cela dit, j'avoue que je me passerais facilement de la tapisserie...

J'ouvre une boite de Pandore... Je sais que Walby y est attachée, à cet arbre généalogique qui couvre l'espace de tout un mur. Moi, je le trouve déprimant, fondamentalement déprimant. Un rappel de nos ancêtres, soit. Mais un rappel d'échecs passés là où des noms ont été effacés, aussi.

-Tu m'en découvriras bien assez, tu verras.

Walby avait bien du mal à le croire. Elle ne pensait pas qu'Orion ait le moindre vice caché qu'elle regretterait de découvrir au fil du temps, au fil de leur cohabitation. Personne n'était parfait, certes, mais Orion se rapprochait tout de même singulièrement de la perfection aux yeux de celle qu'elle allait épouser. Elle savait qu'elle serait celle qui exigerait et lui celui qui exécuterait, et si ça pouvait sembler inéquitable, elle ne voyait pas où était le problème. Non, elle estimait surtout qu'ils étaient complémentaires tous les deux, et ils se le prouveraient au sein de leur installation prochaine, de leur prochaine vie à deux, de leur mariage.

-Cela dit, j'avoue que je me passerais facilement de la tapisserie...

Oh, voilà qui ressemblait tout de même à une exigence ! Walby pouvait effectivement comprendre. On ne pouvait pas passer à côté de cette tapisserie, mais pour Walby, c'était important, c'était leur famille, la famille la plus pure, la plus digne... Et il ne pouvait même pas arguer, pour le coup, que ça ne concernait qu'elle, lui aussi, ainsi que sa famille et ses parents, sa soeur et tous les autres étaient sur ce mur / arbre généalogique.

-Ah non, là-dessus, pas de concession, j'y tiens à cette tapisserie. C'est nos racines, c'est notre héritage. On la reproduira à l'identique s'il le faut, mais crois-moi, il va falloir que tu t'y habitues, et rapidement.

Oui, elle y allait fort, c'était elle qui suggérait qu'il pouvait avoir ses exigences, et dès l'instant où il ne faisait qu'en effleurer une seule, elle l'envoyait sur les roses, mais elle restait convaincue d'être dans son bon droit. Walburga avait toujours été très capricieuse. Orion devait aimer ses caprices autant qu'elle-même, car les deux étaient indissociables.

-J'envisageais même de l'installer dans notre futur salon. Ou dans notre future salle à manger. Je suis sûre que ce serait du meilleur effet. Tu ne penses pas ?

Elle en rajouter davantage pour chambrer Orion, mais le pousser dans ses "retranchements" était aussi l'occasion d'éventuellement le voir s'affirmer, un trait de sa personnalité un rien timide, mais qu'elle prendrait un certain plaisir à voir se développer davantage.

Est-ce la fin du monde si Walby ne veut pas renoncer à sa si précieuse tapisserie juste pour moi ? Non, pas du tout. Je ne vais pas mentir, je la trouve angoissante, mais ce n'est jamais que du papier-peint, ça n'a pas réellement d'importance. Je sais que c'est facile à dire et que je changerais peut-être d'avis en situation, mais je me sentirais capable de vivre dans un taudis, si c'est pour vivre avec elle, alors faire avec un arbre généalogique horrible au mur, c'est le cadet de mes soucis. On revient de tellement loin, tous les deux, qu'au final, ça m'a l'air proprement dérisoire que ces histoires de décorations. Un endroit qui fera mon bonheur sera un endroit qui rendra mon épouse heureuse, point final.

-Ah non, partout sauf dans le salon, j'ai mes limites, je réponds sur le ton de la plaisanterie, parce que je ressens que cela m'est permis.

Je vois bien, en l'occurrence, à moins de me tromper largement, mais je pense bien connaître Walby, à force, qu'elle n'essaie pas de me mettre en difficulté, mais plutôt de me laisser une occasion d'exprimer une opposition. Même si, puisque c'est fait selon ses propres critères à elle, on pourra arguer que c'est carrément de la triche. Je veux bien moi-même l'avouer, mais là encore, c'est sans importance. Je suis vraiment un canard, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise. Et je suis facilement prêt à l'assumer, une fois encore pour les beaux yeux de ma future épouse.

-Et pas dans notre chambre non plus, j'aimerais être capable de réussir à dormir, la nuit.

Oh, comme ça me fait du bien de parler à ce point concrètement de notre future vie à deux. Je sais que ça peut donner l'air de rien, mais ça représente beaucoup pour moi. Je ne sais pas comment dire, mais en fait, loin de l'anxiété que je présumais, c'est de l'angoisse qui m'anime à l'idée de ne toujours pas être marié avec elle, comme si, tant que ce n'était pas chose faite encore, le pire restait susceptible de nous arriver et de venir contrarier nos beaux projets. La pensée est désagréable, inconfortable. Je ne suis pas de nature superstitieuse, mais je dois l'être un peu à ce sujet, je crois. Et je n'arrive visiblement pas à m'en cacher.

-Ah non, partout sauf dans le salon, j'ai mes limites. Et pas dans notre chambre non plus, j'aimerais être capable de réussir à dormir, la nuit.

Walby accueillit la réponse de son fiancé avec un sourire amusé, elle était incapable de le prendre au sérieux. Oh, elle était sûre qu'il ne voulait de la tapisserie familiale ni dans le salon, ni dans la chambre (pour la chambre, elle voulait bien être d'accord avec lui, elle non plus n'avait pas forcément envie que les yeux de tous leurs ancêtres et cousins soient là pour les observer sur les lieux de leur intimité - pour le salon, c'était autre chose, mais à force de négociations, elle voulait croire qu'elle serait capable de parvenir à ses fins).

Mais en revanche, elle n'était pas certaine qu'il ne cèderait pas pour peu qu'elle lui pose la question gentiment et en battant un peu des cils. Il avait tant de fois prouvé qu'elle était capable d'obtenir tout ce qu'elle voulait qu'il lui était quand même un peu difficile de ne pas vouloir insister et persister encore. Elle était ambivalente sur la question : Walby avait très envie que son futur mari cède à absolument tous ses désirs sans jamais la moindre exception, mais en même temps, elle avait tout de même envie qu'il s'impose et qu'il dise non.

Pour que ce dernier sache dans quelle mesure agir ou ne pas agir, elle ne lui facilitait pas la tâche. Mais il la connaissait bien, donc il finirait bien par trouver le juste milieu, et surtout, elle ne pensait pas qu'il puisse y avoir grand-chose qui sache l'empêcher de l'aimer comme c'était le cas à l'heure actuelle. Et vraiment, elle l'aimait comme une cinglée finie, c'était presque flippant, tout bien considéré.

-Je commence à me demander si tu vas vraiment être capable de me refuser quoi que ce soit, remarqua-t-elle.

Elle le disait comme une mise au défi, avec une petite moue sur le visage qu'elle travaillait de longue date : c'était pile cette expression-là qui lui garantissait justement, normalement, qu'on fasse exactement comme elle le voulait et sans discuter. Elle voulait bien avouer que ce n'était pas fair-play, mais ce n'était pas le truc de Walby, de faire les choses dans les règles de l'art, et elle s'en passait bien.

Est-ce que je suis réellement capable de refuser quoi que ce soit à Walby ? Elle a bien raison de se poser la question, parce que je ne sais honnêtement pas ce qu’il convient que j’y réponde. J’ai bien envie de répondre que j’en suis tout à fait capable, bien sûr, et que la question ne se pose même pas, mais en même temps, je n’ai pas envie de faire semblant qu’elle n’est pas ma priorité. En quoi est-ce supposé être plus séduisant ? Walby est le centre de mon univers. Je ne l’ai pas réellement décidé, il s’avère juste que c’est ce qui est. Me faut-il m’en excuser ? Je ne vois pas pourquoi je le devrais, honnêtement. Je veux bien m’améliorer, m’imposer si c’est ce qui lui plaît, mais même dans ce cas-là, je ne m’opposerais que pour mieux lui plaire.

C’est ainsi, j’ai cette fille dans la peau, et tout ce qu’elle exigera de moi, je lui donnerai sans aucune forme d’hésitation. J’ai trop besoin d’elle et de la voir heureuse. Si c’est ça mon bonheur, si c’est là que je puise ma force et trouve mon oxygène, je ne vois franchement pas où est le problème. Je ne pense pas qu’elle me pose la question comme un reproche, mais tout de même, j’espère que ce n’est pas le cas. Là encore, c’est une idée que je déteste beaucoup trop profondément : celle de peut-être la contrarier. C’est une pensée terrible, insurmontable.

-Et si ce n’était pas le cas ? je réponds en lui adressant un sourire. Ce serait grave ?

Je ne le pense pas, mais je la connais, je sais comment elle aime pousser chacun dans ses retranchements, je sais comme elle préfère toujours avoir le dernier mot, mais trouve cela plus passionnant, plus intéressant, si on lui a opposé une petite résistance. Cette résistance en question, je me sens tout à fait capable de la lui accorder si besoin.

-Tu peux toujours me mettre à l’épreuve, et tu verras bien, je suggère de ce ton qui, je sais, va lui plaire, puisque c’est le ton du défi. Je la connais, je sais qu’elle ne refuse jamais un challenge. Je risque fortement de le regretter de mon côté, car j’aime davantage quand les choses coulent de source, quand rien ne vient entraver leur bon fonctionnement.

Mais là encore, si c’est pour elle, ça ne me dérange pas, je me dis même que le jeu peut être amusant. Je trouverais plutôt plaisant de la voir s’échiner à me faire sortir de mes gonds ou à dépasser mes retranchements. Dans le fond, d’ailleurs, je peux aussi reconnaître que ça ne me ferait sans doute pas de mal. Ce pourrait bien être l’inverse, même. Il y a parfois de ces choses dont on a naturellement besoin sans forcément l’admettre d’entrée de jeu. Je pense que nous somme actuellement face à un cas de figure tel que celui-ci.

-Et si ce n’était pas le cas ? Ce serait grave ?

En fin de compte, non. Si Walby et Orion s'entendaient et se complétaient aussi bien, c'était justement pour cette raison, ce quelque chose dont ils avaient eu conscience dès les premiers instants de leur relation et sans doute avant que cette relation commence, même si ça avait été plus implicite, plus dissimulé, ou en tout cas, ils ne trouvaient pas totalement les mots pour l'exprimer. Non, ce ne serait pas grave si ce n'était pas le cas, car en fait, c'était ce que Walby recherchait chez l'homme qui partagerait sa vie, sans vraiment savoir que c'était ce qu'il lui fallait.

Ayant grandi dans un moule où l'homme avait toute autorité, elle conservait cet idéal du maître de maison autoritaire, sans apprécier pour autant l'idée d'être dominée. Des nombreux traits de caractère qu'elle avait hérités de son père, il y avait définitivement ce tempérament autoritaire, ce besoin de tout réguler, et que tout se fasse très précisément en fonction de sa volonté et de ses désirs.

Donc, à partir de là, il ne fallait pas vraiment s'étonner de voir la s'enticher de l'un des rares garçons dignes de son sang qui soit entièrement à l'aise avec l'idée de faire passer ses désirs en priorité quoi qu'il advienne et n'éprouve aucune forme de gêne ou d'angoisse à la perspective de ne pas forcément être le maître dans son domaine. Le souci de Walburga serait plutôt un souci d'image, mais elle savait aussi qu'Orion était capable de se révéler au-delà de ce que les apparences laissaient soupçonner. Tout pour elle et rien pour les autres, c'est comme ça qu'elle résumerait les choses, c'était ça qu'elle voulait.

-Tu peux toujours me mettre à l’épreuve, et tu verras bien.

Rien que la façon dont il prononçait ces mots justifiait à elle seule l'affection et la tendresse qu'elle avait pour lui, et qu'elle ne cesserait jamais d'avoir pour lui. C'est sûr qu'elle ne lui reprocherait jamais rien, ces reproches tacites disparaissaient chaque fois qu'elle passait du temps avec lui. Elle l'aimait tellement.

-Il ne faut pas me le demander deux fois. Elle marqua une pause, se laissa le temps de la réflexion. Elle avait quelques idées en tête, mais elle voulait profiter de cette mise au défi. Il va falloir que j'y réfléchisse. Elle attrapa les mains de son petit ami par-dessus la table. Je t'aime.

La réflexion de Walby pourrait n'être là que pour faire bonne mesure, et finalement, elle n'y réfléchirait pas si sérieusement que cela, mais ce serait mal connaître ma fiancée (elle a beau l'être, j'ai encore du mal à réaliser que c'est bel et bien le cas, qu'elle est destinée à devenir ma femme, chaque fois que j'y pense, je retrouve un nuage de bonheur duquel j'ai l'impression que personne ne réussira à me faire descendre). Je suis convaincue, bien au contraire, qu'elle va y penser et repenser. Dans sa tête, ça a de bonnes chances de mouliner un bon moment jusqu'à ce qu'elle trouve la manière de me mettre à l'épreuve.

Elle peut jouer, autant qu'elle veut, ça ne me dérange pas. Tant qu'elle est de la partie, je rejoins cette même partie, et sans aucune difficulté, ça me va très bien. Je vais donc attendre patiemment de savoir à quelle sauce je vais être mangé. Je me doute que je vais le sentir passer, mais ça ne me dérange pas un seul instant, pas le moins du monde, même. Je sais que, de toutes les manières, elle ne cherche pas à m'acculer ou à me mettre en difficulté. Elle a besoin de piment, ça je le sais, et je ne suis peut-être pas le mieux placé pour épicer notre couple, mais elle est capable d'ajouter du piment pour deux. Et moi, je paie l'addition avec un sourire béat sur les lèvres.

-Moi aussi, je réponds, encore plus rayonnant quand Walburga me dit qu'elle m'aime.

Ce sont des mots qu'on a contenus très longtemps et qu'on ne se prive plus de se dire aujourd'hui. Ils ont perdu une partie de leur caractère exceptionnel, c'est vrai, mais je ne m'en lasse pas pour autant. C'est bien simple. Qu'une fille comme Walburga, à mes yeux parfaite en tout point, m'aime et ne perde jamais l'occasion de me le déclarer, c'est à la fois fou et incroyable. Et j'aime cela, définitivement, profondément.

-Est-ce que ça te dirait qu'on aille faire un tour dehors ? je suggère ensuite, constatant que nos verres sont vides, en quête d'un peu plus d'intimité et d'un peu moins de bruit, ce que ne permet pas forcément l'endroit où nous nous trouvons.