Barty venait de s'endormir. De manière générale, Charis avait déjà pu observer que son fils chéri avait le sens du timing, elle avait de la chance d'avoir un bébé très calme, même s'il était loin de faire ses nuits encore. Quand elle recevait chez elle, il ne se manifestait souvent que par babillements. Un ange... Une ange qu'elle voudrait parfois plus agité quand son sommeil l'empêchait de le prendre dans ses bras.

Charis recevait Callidora, et même si leurs fils respectifs reviendraient certainement sur le devant de la scène, et accapareraient très vite leur conversation, ce n'était pas à ce sujet qu'elle avait décider de consulter sa soeur et de discuter un peu avec elle. Barty dormait, Caspar travaillait, Charis s'était assurée que Cedrella serait absente... Parfait. Elles avaient des choses à se dire, à coeur ouvert si possible.

Depuis sa dernière conversation avec Harfang, sans oublier les fêtes de Noël qui avaient enfoncé le clou encore davantage en laissant exploser d'un coup toutes les tensions qui guettaient sous la surface sans encore exploser complètement.

Harfang savait quelque chose, quelque chose qui avait modifié pour de bon son regard sur Callidora, et Charis, incapable d'imaginer autre chose que ce qu'elle estimait être le pire, sans réaliser un seul instant qu'elle était en fait loin du compte, et que la vérité dépassait de bien loin tout ce qu'elle s'était autorisée à s'imaginer jusqu'alors.

Il avait l'air dégouté de ce que sa femme avait fait, et pourtant, Charis savait que Harfang n'avait jamais eu la plus grande estime de sa femme. Charis ne jugeait pas, elle avait toujours préféré demeurer à l'écart de tout cela, mais ça ne l'empêchait pas d'en avoir entièrement conscience malgré tout. Mais là, il y avait quelque chose de plus grave.

Et elle devinait que ce quelque chose de plus grave, pour Charis, ne pouvait sans doute signifier qu'une seule et unique chose : Harfang avait découvert que Callidora était un mangemort, ce qui signifiait par conséquent que leur couverture était compromise. A présent, elle espérait réussir à aborder le sujet très subtilement sans braquer Callidora. Elle qui ne supportait pas que quoi que ce soit échappe à son contrôle, ne mènerait pas forcément à quoi que ce soit de bien.

Le thé était chaud, quelques scones préparés par l'elfe de maison familial attendaient sagement sur la table basse du salon, quand on frappa à la porte. Invitée privilégiée oblige, Charis alla directement lui ouvrir.

"Bonjour Callidora, comment vas-tu ?" dit-elle en l'étreignant, impatiente avant tout de s'assurer que sa soeur allait bien.

-Je vais très bien, fatiguée comme tu dois l'être aussi, mais je vais très bien malgré tout.

Oui, "fatiguée" était un mot qu'on entendrait forcément souvent s'échapper de leurs lèvres dans les temps à venir. Et qui irait le leur reprocher ? Le travail de mère était éprouvant, plus éprouvant que ce qu'on pouvait imaginer, et même Callidora, qui était déjà passée par là, devait forcément le ressentir, et ce d'autant plus qu'elle avait eu le temps d'oublier comment c'était, avec Augusta, qui aujourd'hui était une adolescente et pouvait parfois se révéler épuisante, c'est un fait... mais pour des raisons relativement différentes, en revanche.

L'essentiel, c'était que Callidora allait bien, et le petit Algie aussi. Même si toute cette situation restait compliquée pour la jeune femme, elle restait heureuse pour sa soeur, ne voulait que son bonheur, et comptait bien accorder autant d'amour et d'attention à Callidora qu'elle en avait déjà apporté à sa soeur.

Et toi, comment vas-tu ? Barty est là ?

Charis hocha la tête, ravie du simple fait que sa soeur s'enquiert de la présence de Barty. Bien évidemment, ce n'était rien, trois fois rien, même, mais pour Charis, ça comptait malgré tout. Parce que parfois, et de plus en plus souvent depuis le retour de Cedrella, elle ne savait plus sur quel pied danser avec l'aînée de ses deux soeurs. Alors ce genre de petits riens prenaient une importance primordiale à ses yeux.

"Il dort, mais je pense qu'il ne va sans doute pas tarder à se réveiller. Il va bien, moi aussi. J'ai hâte que vous puissiez passer du temps ensemble." Elle marqua une légère pause. "Mais à vrai dire... il y a quelque chose dont j'aimerais te parler avant toute chose."

Elle mettait un peu les pieds dans le plat, mais en même temps, Charis n'avait vraiment pas envie d'attendre trop longtemps. Elle pensait qu'elle ne réussirait pas à être complètement naturelle et sereine tant qu'elles n'auraient pas crevé l'abcès. Et il fallait que Charis puisse faire la lumière sur les derniers événements.  

"J'ai eu une conversation avec Harfang, l'autre jour..."

Et il était important qu'elles en parlent, même si Charis priait intérieurement pour que la conversation en question, elle, n'ait pas la moindre importance.

- A quel sujet ?

Comme c'était bien souvent le cas, Charis avait du mal à décrypter les expressions de sa soeur. Callidora avait toujours été très secrète, et même si Charis pensait pouvoir se vanter des personnes qui la connaissaient le mieux en ce bas monde, il restait toujours ce point de détail flou et obscur qui l'empêchait d'avoir complètement accès aux pensées de sa soeur.

Elle aurait bien aimé, en cet instant, savoir ce qui lui passait par la tête. Est-ce qu'elle était indifférente ? Est-ce qu'elle était alarmée ? N'était-ce ni l'un ni l'autre ? Le plus simple était encore de creuser le sujet. Et même si Charis prenait des gants, elle en prendrait toujours, la conclusion serait inévitablement complexe pour elles deux, car si leur secret menaçait d'être révélé, alors rien ne saurait être entièrement sûr.

"J'étais venue te voir, mais tu étais sortie. Je t'ai attendue un moment avant de rentrer. On a parlé de beaucoup de choses, de Cedrella, notamment." Elle marqua une pause, elle hésitait à en dire plus, mais elle ne pouvait plus interrompre son discours, à présent. "Et on a parlé de toi. Il m'a laissé entendre que tu avais fait quelque chose, quelque chose de grave."

Et grave, cela l'était au-delà de tout ce qu'elle soupçonnait. Mais bien loin d'accuser Callidora de quoi que ce soit, elle s'inquiétait surtout de ce que Harfang pouvait bien savoir, sûre et certaine que sa grande soeur ne lui faisait aucun secret. Aucun secret à ce point grave, tout du moins.

"Est-ce que tu crois qu'il pourrait être au courant de... tu sais."

Elle ne prononçait pas les mots. Même si elles étaient seules toutes les deux, elle estimait qu'il ne fallait pas prendre de risques. Les murs avaient des oreilles, parfois plus qu'on ne pouvait l'imaginer.

Elle laissa ses doigts glisser sur son avant-bras recouvert d'une manche qui ne laissait rien soupçonner de la marque d'affiliation qu'il dissimulait, et qu'elle cachait toujours à grand renfort d'artifices qui devaient la faire passer inaperçu à la plupart.

Pour elle, il n'y avait pas d'autre explication. Harfang avait découvert que Callidora était un mangemort. Et si c'était le cas, il allait falloir qu'elles agissent en conséquence, même si Charis ignorait encore comment.

-Non, c'est impossible, je réplique d'abord, catégorique. Je suis très prudente, tu le sais bien.

Charis avait appréhendé de blesser Callidora dans son orgueil en suggérant qu'elle ait pu laisser échapper son secret ou ne pas faire preuve de la prudence nécessaire, mais il fallait bien aborder le sujet, tant pis pour l'ego de sa grande soeur.

Bien sûr, Charis savait que Callidora était un véritable parangon de prudence et de maîtrise d'elle-même et de son image. C'était même frustrant par moments, pour tout dire, que d'avoir pour soeur quelqu'un comme elle, qui ne commettait jamais d'erreurs. Avec elle, tout était toujours millimétré, et par moments, Charis voudrait que justement, Callidora soit capable de faire des erreurs, car cela engrangeait parfois une frustration, voire une jalousie chez elle, qui ne pensait pas être capable d'accéder à son niveau.

Ceci dit, sur un sujet aussi important, et qui les impactait toutes les deux, elle ne pouvait pas faire l'impasse ou seulement se fier à ce qu'elle savait de sa soeur (et en vérité, elle était loin, très loin de tout savoir sur sa soeur, elle ne savait même rien du tout, à bien y regarder). Il fallait qu'elles fassent face à toutes les éventualités, même s'il était préférable que ces éventualités soient improbables.

Mais d'un autre côté... si Harfang ne parlait pas de la marque des ténèbres qu'elles portaient sur leur avant-bras, alors de quoi parlait-il exactement ? Elle ne comprenait pas tout, mais elle comprenait qu'il y avait quelque chose d'important, de grave, qui impactait Harfang et qui concernait Callidora, et Charis avait besoin d'en avoir le coeur net. Tant qu'elle n'aurait pas fait la lumière là-dessus, elle sentirait à coup sûr terriblement angoissée, elle l'était déjà. Et presque comme toujours, elle attendait de sa grande soeur qu'elle vienne soulager sa conscience tourmentée.

Est-ce que tu saurais me répéter exactement ce qu'il t'a dit ?

Charis rassembla ses souvenirs pour ne rien omettre de ce qu'elle avait entendu. Elle n'avait pas retenu leur conversation mot pour mot, bien sûr, mais elle savait malgré tout que chaque mot comptait, puisqu'ils pouvaient contenir des indices. Callidora la prenait suffisamment au sérieux pour vouloir connaître les détails, alors elle devait les lui donner.

"On parlait de Cedrella, de son intégration. Il a dit que ton attitude envers elle était... inexcusable." Elle avait bien retenu le mot, mais elle avait eu peur de le prononcer. "Je lui ai demandé pourquoi il était aussi intransigeant avec toi ces derniers temps, il te saute à la gorge constamment, je l'ai bien remarqué... Il m'a dit qu'il s'était passé quelque chose, mais qu'il ne pouvait pas me dire quoi, que c'était à toi de m'en parler, même si tu ne le ferais pas. J'ai pris ta défense, bien sûr, mais il en a rajouté, il a dit que tu étais mal intentionnée... Je ne sais pas, Callidora, je n'arrive pas à comprendre."

-En ce cas, tu as peut-être raison. Peut-être qu’il est au courant, mais j’ignore comment il a pu l’apprendre.

Charis sentait qu'il en coûtait à sa soeur que d'admettre ses failles, que de reconnaître le fait que, contrairement à ses habitudes, elle n'avait pas été entièrement parfaite, que quelque chose lui avait échappé. Et c'était compréhensible.

Callidora avait toujours, constamment, le contrôle sur tout, il semblait impossible de la voir perdre pied, il semblait inconcevable qu'elle puisse ne pas être à la hauteur de ce qu'on attendait d'elle. Elle était constamment dans la pure maîtrise d'elle-même. C'était une qualité en soi, c'est vrai, car la situation lui échappait rarement, mais c'était parfois un défaut, car elle ne lâchait pas assez prise, et devenait par la même occasion inaccessible.

Callidora devait déplorer, en cet instant, de se montrer sous son jour le plus vulnérable, mais honnêtement, Charis ne le lui reprochait pas. Elle éprouvait même une certaine satisfaction au fait de constater qu'il arrivait à sa soeur de commettre des impairs, de faire des erreurs. Certes, celle-ci pouvait être grave, mais pas dramatique non plus. Harfang était une grande gueule, parfois, mais il n'agirait jamais au détriment de sa famille, ça elle en était impérieusement convaincue.

Maintenant, elles devaient être soudées et solidaires pour faire face à cette décision qui n'avait définitivement rien de rassurante, c'est certain. Charis n'aimait pas vraiment l'idée que Harfang connaisse ce visage d'elle, mais s'il le fallait, eh bien...

-Ne t’inquiète de rien, je vais lui parler, je vais étouffer ses soupçons, je vais me renseigner sur ce qu’il sait vraiment.

Et le naturel de Callidora revenait au grand galop. Charis n'entendait qu'une chose dans cette phrase : "Je... je.. je". Là encore, le besoin constant de son aînée d'être sans cesse dans le contrôle revenait au grand galop. Elle parlait de cette situation comme si elle n'impactait qu'elle-même.

Quelque part, c'était le cas, puisque les soupçons de son beau-frère ne semblaient que tournés vers Callidora, mais ça ne voulait pas dire pour autant que ça durerait, il y avait même peu de chances pour que ça reste le cas. Et elle ne voulait pas n'avoir aucune prise sur cette décision.

"Tu n'as pas à gérer cette situation seule", répliqua-t-elle aussitôt. "Ça me concerne aussi. Et je peux t'aider."

-Je sais que tu peux m'aider.

Oui, elle le pouvait, parce qu'elle en a avait largement les compétences, et parce que ça la concernait, aussi. Elle estimait que c'était donc la moindre des choses que de mettre le nez dans des affaires qui étaient aussi les siennes.

Elle appréciait, oui, d'entendre son interlocutrice lui répondre qu'elle savait quelle aide elle pouvait lui apporter. C'était une chose qu'elle avait eu grand besoin d'entendre de la part de sa soeur. Le problème, c'est qu'elle savait que les choses n'allaient pas s'arrêter là.

Elle connaissait suffisamment Callidora pour savoir qu'elles n'allaient pas pour autant réfléchir à un plan d'action dans lequel elle serait incluse. Non, non, les choses n'allaient pas se passer comme cela, c'était une certitude. Elle savait que cette phrase serait suivie par un "mais". Et en effet, sans presque aucun prise, ça ne manqua bel et bien pas. Il y avait un "mais", un "mais" qui la tiendrait à l'écart une fois de plus, et qui lui refuserait ne serait-ce que le droit d'insister.

Mais si Harfang n'a aucun soupçon à ton sujet, il est inutile de lui en créer inutilement.

Quelque part, ça se tenait, effectivement, car il était préférable qu'elle ne lui fasse pas comprendre qu'elle aussi était de la partie. e serait dommage que son regard sur elle change. Elle n'avait pas envie que Harfang puisse découvrir ses activités dont même son propre mari ignorait la nature.

Dernièrement, ses nerfs étaient mis à rude épreuve, et le sourire et la légèreté de Harfang étaient vraiment un bol d'air frais dans son quotidien. Il ne voulait pas qu'il finisse par la prendre pour un monstre. Est-ce que c'est ce qu'elle était, d'ailleurs ? Elle estimait que non, pas du tout. Non, elle n'était pas un monstre, elle agissait à la mesure du monde nouveau qu'il fallait construire. Et ce projet passait par ce genre d'extrêmes. Mais Harfang ne comprendrait certainement pas.

"Je peux réussir à le mener à me raconter ce qu'il sait sur toi sans qu'il ne se doute de rien, tu sais. Je pense qu'il est bien incapable de s'imaginer que nous appartenons au même groupe, toutes les deux."

Car personne, non personne, ne se figurait jamais le fait que les deux puissent être faites du même bois. Oui, elles étaient soeurs pourtant, mais on accorderait encore plus de crédit à Cedrella la traître à son sang qu'à Charis elle-même.

-Très bien, mais sois prudente, dans ce cas, d'accord ?

Charis avait appréhendé de se retrouver confrontée à un nouveau refus de la part de son interlocuteur. La jeune femme avait beau vouloir ne pas transiger et demeurer sur ses positions, elle avait toujours tendance à se laisser écraser quand il était question de sa soeur, et elle avait beau tenter de s'affirmer, venait toujours le moment où elle sentait qu'elle n'avait d'autre choix que de s'écraser.

En l'occurrence, et même si son aînée lui accordait cette sorte de victoire, Charis ne se voyait pas pavoiser pour autant, elle se doutait que Callidora devait y trouver son intérêt d'une manière ou d'une autre. En ce qui la concernait, elle restait tout de même satisfaite de pouvoir intervenir et d'avoir son mot à dire dans une affaire qui la concernait de trop près pour ne pas agir. Bon, quelque part... elle n'avait pas à demander la bénédiction de sa grande soeur mais on ne se refait pas, et Charis avait un grand travail à faire sur elle-même.

- Je suis prête à assumer les conséquences, mais je ne veux pas que tu en souffres toi aussi. Alors s'il te plaît, sois vigilante, petite soeur.

Charis afficha un sourire, elle ne devrait pas se laisser avoir par ses propos, et elle ne se laissait avoir que partiellement, comme une sorte de consentement à la volonté constante et totale de Callidora d'avoir la main sur tout peu importe les circonstances. Elle se contentait, elle, de ce qui ressemblait à s'y méprendre à un signe d'affection, même s'il devait en fait être plus vicieux et malin que cela.

"Je sais être vigilante. Tu remarqueras que j'ai toujours été aussi capable que toi de garder notre secret..."

Elle avait envie d'ajouter qu'elle l'avait même été plus que sa grande soeur, puisque si elles se retrouvaient en difficulté à l'heure actuelle, ce n'était pas de sa faute à elle, mais bien de celle de son interlocutrice.

Les mots lui brûlaient les lèvres, mais elle ne les prononça pas. Elle savait bien que ce serait, au fond, très injuste. Pour certaine qu'était cette opinion, elle n'était pas capable, à l'instar de Callidora, justement, de renvoyer aux autres leurs erreurs en pleine figure constamment, comme une punition qui n'avait pas de fin. Et Cedrella était celle qui pouvait le mieux en attester.

- Je l'ai remarqué.

Charis répondit par une fine esquisse de sourire. Elle appréciait que sa soeur daigne au moins l'admettre. Elle la connaissait, bien assez pour savoir qu'elle n'aimait pas être remise en question, et Charis elle-même ne l'avait pas forcément habituée à s'imposer comme elle le faisait en cet instant.

Mais elle en était parfaitement capable. Elle en avait toujours été capable, c'était seulement que quand il était question de Callidora, elle se sentait bien souvent diminuée, et donc illégitime. C'était d'ailleurs toujours le cas, mais elle prenait sur elle.

Ceci dit, faire entendre sa voix de temps à autre portait visiblement ses fruits puisque, à présent, Callidora acceptait de l'entendre et était même prête à reconnaître sa valeur, chose qui comptait vraiment beaucoup pour la jeune femme.

- Désolée, je ne voulais pas que tu le prennes personnellement. Si je cherche à tout endosser, ce n'est pas parce que je ne te pense incapable, c'est que j'aimerais ne pas t'imposer une telle situation.

Charis se méfiait... chose qui ne lui serait pas arrivée à une certaine époque. Elle se demandait si son interlocutrice était complètement sincère ou pas. Elle espérait qu'elle n'essayait pas de l'endormir, mais certains détails lui laissaient imaginer qu'elle n'essayait peut-être pas, en effet.

Par exemple, elle s'était excusée. Des excuses, Callidora en faisait rarement. Les mauvaises langues pourraient même affirmer qu'elle n'en faisait absolument jamais. Là, Charis savait que c'était faux, elle avait déjà eu l'occasion d'entendre sa soeur s'excuser par le passé. Et à chaque fois, elle savait pertinemment que ça lui en coûtait considérablement que de faire cet effort. Donc, quand elle le faisait, ce n'était pas anodin, ça ne pouvait pas l'être : question d'ego.

"Ce n'est pas toi qui m'impose quoi que ce soit", répondit Charis, légèrement radoucie. "Et je suis totalement capable d'encaisser tout ça." Elle posa une main amicale sur l'épaule de sa soeur. "Tu sais, tu n'as plus besoin de nous surprotéger autant, ni moi ni Cedrella."

Car ça ne faisait de bien à personne. Elle espérait, en prononçant le nom de Cedrella, ne pas créer de nouvelles tensions, mais elles ne pouvaient pas non plus faire comme si elle n'était pas là, et comme si elles pouvaient l'exclure de leurs conversations.

-Oui, tu as raison.

Il fallait bien que Charis l'admette, il y avait quelque chose de si fondamentalement doux et plaisant dans le fait d'entendre sa soeur lui affirmer qu'elle avait raison. Ce n'était pas une chose qu'elle réalisait forcément en temps normal, mais la rareté de telles affirmations leur donnait un caractère précieux, et venaient rappeler à Charis que sa grande soeur, dans son besoin constant d'avoir la mainmise sur tout, faisait parfois oublier à ses proches de trouver une place d'importance non seulement dans sa vie, mais également de manière générale.

Charis n'envisageait pas de le lui reprocher pour autant, elle savait bien que Callidora trompait sa nature en abandonnant un peu de son habitude du contrôle pour s'abandonner à plus de compréhension et d'une affection qui elle aussi était présente mais tacite, et se manifestait rarement à la surface.

- Mais si j'arrête de jouer les grandes soeurs avec vous, à quoi je vais bien pouvoir servir, hein ?

Cette remarque décocha un sourire à Charis. C'était bien la vérité. Callidora était une grande soeur sévère et un peu trop autoritaire. Mais elle était aussi une grande soeur protectrice, qui si elle s'autorisait un droit de regard et d'action sur leurs vies, le faisait parce qu'elle estimait que c'était son rôle absolue en tant qu'aînée des trois soeurs.

Elle n'avait pas forcément entièrement tort. Même indirectement, il était bien possible que Cedrella tout comme Charis se soient souvent reposé sur cette autorité naturelle. Et Charis, surtout, cela va sans dire, qui dans tous les cas se reposait encore et toujours beaucoup trop sur Callidora, y compris en cet instant.

"Oh fais-moi confiance, j'ai encore besoin de toi pour des dizaines de raisons, ne serait-ce que pour me conseiller à devenir la meilleure maman possible."

Si l'on considérait qu'elle avait été une bonne mère pour Augusta ou le serait pour Algie. Il fallait bien reconnaître que ce cas de figure se discutait grandement, mais Charis, malgré tout, se fierait totalement à Callidora pour ce qui était de l'éducation de Barty, elle voulait bien faire et ne voulait surtout pas manquer l'éducation de son fils. C'était son rôle, c'était son talent, elle en était sûre, elle voulait renaître en tant que mère et donner davantage de sens à son existence.

"A ce sujet, je crois que Barty s'est réveillé", ajouta-t-elle avec le sourire. "Je vais le chercher."