I

l n'était que treize heures seulement, et Gwendall avait le sentiment, déjà, que cette journée était positivement interminable. Il faut dire que dernièrement, rien ne réussissait à réellement le motiver. Il avait beau aimer profondément son travail (quand bien même cela était définitivement contradictoire avec ses allégeances, mais on ne se refait pas), il devait reconnaître que même ce dernier, au sein du bureau des Aurors, ne suffisait pas à lui sortir la tête de l'eau. Il faut dire que McDowell s'appliquait avec beaucoup de zèle à lui pourrir la vie.

Certes, il était un peu plus coulant depuis que Seth était en cavale et avait endossé pour lui une partie des crimes dont McDowell l'avait sans doute soupçonné à un moment ou à un autre, mais ce n'était pas pour autant qu'il avait regagné toute sa confiance, loin s'en faut, et cela se ressentait nettement au regard des tâches qu'il lui attribuait dernièrement. Beaucoup de paperasse et d'enquêtes de seconde zone, en somme, et rien de bien exaltant pour lui, qui se voulait être un Auror chevronné, pourtant.

Ceux qui souhaiteraient prendre la défense de son supérieur en ne tenant pas compte du fait qu'il l'avait dans le collimateur depuis un bon moment déjà observeraient sans doute que c'était par considération qu'on le laissait sur la touche, parce que tout le monde voyait que le moral de l'Auror était au plus bas depuis qu'il avait perdu son fils (et quoi de plus normal en même temps), mais Gwendall restait convaincu qu'il ne s'agissait pas que de cela. Et justement, Gwendall aurait aimé agir, se retrouver directement sur le terrain. De la sorte, il aurait beaucoup moins de temps pour ressasser. Morgan lui manquait, sa situation auprès des mangemorts ne s'arrangeait pas... S'il n'y avait Sasha, qui lui permettait de tenir le coup quand bien même elle était tout aussi affectée que lui, il aurait clairement atteint le fond du fond. Là, on ne pouvait pas dire qu'il surnageait non plus, mais il parvenait quand même à se traîner mollement à la surface.

Il venait de quitter le ministère le temps de sa pause déjeuner et s'était dirigé presque automatiquement vers un restaurant où il avait ses habitudes. En ouvrant la porte, et parce qu'il n'était pas franchement attentif, il manqua bousculer quelqu'un. En découvrant de qui il s'agissait, il réalisait qu'une journée pourrie pouvait toujours l'être davantage. Et il n'était que treize heures, pourtant.

-Irving... comme on se retrouve.

Et ce n'était clairement pas un plaisir. Leur animosité réciproque remontait pour ainsi dire à des temps immémoriaux. Et il n'y avait absolument pas la moindre chance pour qu'elle se métamorphose un jour ou l'autre en charmante amitié réciproque, c'était même impossible.



   
 

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G

wendall pourrait difficilement reprocher à Grace son hypocrisie alors que lui-même n'en manquait pas, mais ce n'était pas parce que lui-même ne manquait pas la moindre occasion de jouer les faux-jetons quand la situation le permettait et l'arrangeait qu'il appréciait que d'autres fassent de même. Surtout s'il ne pouvait pas voir ces autres même en peinture. Le ton absolument sirupeux avec lequel la jeune femme lui répondit ne lui donnait que d'autant plus envie de lui rentrer dans le lard. D'autant plus que dernièrement, sa patience mise à rude épreuve n'avait définitivement pas besoin de grand-chose pour qu'il se sente à deux doigts d'exploser, littéralement. Un mot de travers, c'était déjà beaucoup trop. Et en l'occurrence, il avait très envie de couvrir Grace d'insultes choisies le plus gratuitement du monde uniquement parce qu'elle se trouvait sur son chemin - et aussi parce qu'il ne pouvait pas l'encadrer, accessoirement, mais ça on l'aura compris.

Seulement, il n'eut guère le temps d'adresser à la jeune femme la moindre des répliques cinglantes qui lui brûlaient pourtant les lèvres. Au moment où il allait ouvrir la bouche, le serveur était venu les trouver pour les installer, et la situation fut alors surréaliste. Pas le temps de répondre, elle confirma d'un geste de la tête qu'ils étaient ensemble et donc allaient partager une même table. Merveilleux... Gwendall ne savait pas exactement à quel jeu Grace jouait, mais ce dont il était convaincu, c'est que ce jeu ne lui plaisait pas... Et c'était peut-être juste ça le but du jeu en question, faire quelque chose qui l'irriterait, même si elle-même n'avait pas grand-chose à y gagner non plus en retour.

Bien sûr, Gwendall avait tout à fait le droit de ne pas suivre la jeune femme, de corriger le serveur et d'affirmer qu'il tenait à manger seul, mais outre le fait que le restaurant blindé ne laissait que peu d'opportunités de manger en temps et en heure s'ils ne partageaient pas une table, il songeait qu'il pourrait peut-être réussir à faire en sorte que le jeu se retourne en la défaveur de Grace et de tirer avantage de cette situation. Même s'il n'avait que peu de temps pour réfléchir à comment. Et pour l'instant, il ne pouvait que songer au fait que partager un moment avec Grace n'était définitivement pas la manière dont il avait eu envie de passer sa pause déjeuner. Mais personne ne lui demandait son avis, de toute évidence. Gwendall s'installa donc à la table prévue pour eux.

-Si ton intention était de passer un moment privilégié avec moi, je suis au regret de t'apprendre que tout ce que tu y gagneras, c'est de payer la note à la fin du repas.



   
 

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