Tibérius,

Je t’ai entendu venir chez Rose hier, et je regrette que tu sois reparti si vite, car je pense qu’il aurait été opportun que nous puissions nous parler en présence d’une tierce personne (et de Rose en particulier, puisqu’elle me semble avoir sur toi une influence bénéfique).
Faute d’avoir pu le faire de vive voix, je me résous donc à prendre la plume pour te dire ou te redire certaines choses, et j’espère que tu liras cette lettre dans son intégralité.
Je comprends que tu sois contrarié de me voir avec une personne que tu apprécies si peu, voire que tu considères comme un ennemi. Cependant, je voudrais vraiment que tu comprennes que ce n’est pas contre toi. Tu as plus d’expérience que moi dans ce domaine et tu dois savoir qu’on ne choisit pas d’être attiré par une personne plutôt que par une autre. Je n’ai pas choisi, et même si ça avait été le cas, dis-moi quel intérêt ou quel plaisir j’aurais eu à te provoquer ? Nous nous sommes toujours bien entendus et je n’ai aucune revanche à prendre sur toi.
C’est justement parce que nous nous sommes toujours bien entendus que ton attitude m’a profondément blessé. Nettoyer ta pipe était visiblement une tâche essentielle, plus importante qu’accorder un regard à ton frère, et qui nécessitait la plus haute concentration. Si tu es honnête avec toi-même, tu reconnaîtras que si on t’avait traité de la sorte, même en t’assurant que “cette maison reste ton foyer”, tu serais parti aussi.
Je ne te fais pas d’excuses et je ne t’en réclame pas non plus. Je tenais simplement à te redire certaines choses, en espérant que les lire au calme te soit profitable. Je continuerai de voir A., en toute discrétion pour ne pas jeter l’opprobre sur la famille, mais il est certain que je ne renoncerai pas à cette relation. Je ne te demande pas de te réjouir de me voir heureux ; il me suffirait que tu comprennes que je n’ai rien fait pour t’offenser ou pour remettre en cause ton autorité de chef de famille.

Thaddeus

Tibérius,

Si je dois être honnête, je te dirai que je ne sais par où commencer cette lettre. Te féliciter de manière très formelle, sans doute, serait approprié, et c’est ce que l’usage commanderait ; mais je veux aussi que tu saches que je partage sincèrement ta joie, d’une part, et que je suis très touché que tu m’aies réservé la primeur de cette nouvelle, d’autre part, si bien que je suis un peu embarrassé pour faire le tri.
Je sais à quel point Rose compte pour toi, et je suis mieux placé que quiconque pour savoir quelle personne remarquable elle est ; je ne puis donc que me réjouir, à la fois pour vous deux et pour la famille (car bien que je n’y connaisse rien, Rose me semble avoir toutes les qualités d’une épouse de chef de famille).
Pour ma part, un peu égoïstement, je vois dans ta lettre une attention particulière, un peu comme une marque de confiance, et c’est incroyablement réconfortant après les derniers événements. Il me semble que les désaccords entre frères sont inévitables (sans doute n’avions-nous jamais mesuré notre chance, jusqu’à présent, de n’avoir eu que des controverses littéraires pour nous opposer) ; cependant, parfois, il faut savoir les mettre de côté. C’est pourquoi je tiens à te dire, même si tu le sais probablement déjà, que tu peux compter sur moi si tu as besoin d’aide pour organiser ce mariage ; je serais très heureux d’apporter ma contribution, si modeste soit-elle, à votre union.
Fais-moi savoir, je te prie, quand tu auras mis le reste de la famille au courant, je ne voudrais pas commettre d’impair. Je te présente à nouveau mes plus sincères félicitations pour cette bonne nouvelle.

A bientôt, je suppose ?

Thaddeus