L

a vie d'Agrippine avait pris un tournant pour le moins inattendu. Certes, elle aimait à penser que sa vie était faite d'événements inattendus, puisqu'elle détestait la routine et refusait qu'aucun jour ressemble à celui d'avant ou à celui d'après, mais il y avait tout de même une différence entre vie routinière, vie mouvementée, et révélations choc qui métamorphosaient la perception même de votre existence.

Au moins, pour ce qui était de vivre des bouleversements en profondeur, elle était servie... et elle était tout sauf malheureuse à ce sujet. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait fière de ses origines (ou à moitié en tout cas), elle n'aurait jamais cru que ce puisse être possible. C'était quelque chose de nouveau pour elle, et elle y prenait un véritable plaisir.

Pour autant, ce serait mentir que de prétendre que sa vie avait changé du tout au tout, ce n'était absolument pas le cas. Elle restait fidèle à elle-même dans tous les cas, et n'avait pas la moindre intention de changer, loin de là. Elle continuait d'aimer son train de vie et tout ce qu'il induisait : le fait de rarement dormir deux fois dans le même lit, les virées nocturnes, les trafics en tout genre, et le quotidien animé autant que détesté par beaucoup de l'allée des embrumes.

Elle venait de passer quelques heures de négociation houleuse dans un des bars mal famés (en même temps ils l'étaient tous) de la ruelle avec l'un de ses... "fournisseurs", on va dire (pour être poli), ça avait pas été simple, mais elle avait obtenu gain de cause, et c'était un peu claquée par cette conversation tout sauf amicale qu'elle s'apprêtait à rentrer chez elle.
Quand elle croisa un visage familier. Un sourire illumina son visage. Harfang. Ca faisait étonnamment longtemps. Et sa compagnie lui ferait le plus grand bien, elle en était certaine.

-Tu me cherchais ? dit-elle en utilisant avec lui ce ton qu'il devait si bien connaître, celui qui donnait l'illusion d'une possibilité qu'elle ne lui accorderait pourtant jamais. J'espère que c'est pour m'offrir un verre, j'en ai bien besoin.

Et elle espérait qu'il n'y avait aucune raison là-derrière. Car, comme bien souvent, elle n'avait pas la moindre envie de se prendre la tête.

 

   

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A

grippine se contenta d'afficher un fin sourire quand Harfang confirma qu'il avait effectivement eu en tête de lui offrir un verre. Très bien, elle ne disait jamais non à un verre gratuit. Et pour ce qui était du "entre autres"... eh bien, il devrait se satisfaire du verre uniquement... mais au fond, Agrippine savait bien que quand bien même Harfang se satisfaisait de sous-entendus, il savait bien, dans le fond, qu'il ne fallait pas trop espérer non plus. Mais un peu ne faisait de mal à personne, et c'était ce qui rendait leur relation intéressante aux yeux de la jeune femme. 

Elle lui adressa un regard intrigué quand, lui attrapant le poignet, il lui proposa d'aller boire un verre où elle n'était encore jamais allée. Eh bien, il était assez présompteux, la jeune femme se targuait de connaître tous les bars du coin, mais elle était d'autant plus curieuse de savoir ce qu'il avait à lui proposer. Et elle ne fut pas déçue du détour. Car il la fit transplaner devant un grand manoir... il n'avait pas besoin de lui donner plus de détails. La jeune femme avait entièrement compris où ils se trouvaient. Il le lui avait promis, effectivement... Et elle était comblée. Se prélasser dans la demeure des Londubat, ça avait de quoi exciter son enthousiasme. Harfang savait s'y prendre avec elle. D'accord, ça ne suffirait pas, mais ça restait louable. Plus que louable, même.

Elle détailla l'intérieur du regard tandis qu'elle se dirigeait vers le salon, elle s'affala dans le premier canapé venu, attrapant au passage le verre qu'Harfang lui tendit, dont elle but d'office une large et agréable gorgée.

-Oh, j'ai juste trop de travail, en ce moment, déclara-t-elle alors. Elle pourrait se lancer dans un grand laïus sur le tournant qu'avait pris sa vie dernièrement, mais pour elle, il n'en était pas question. Elle avait juste envie de se détendre et de passer un bon moment, ça et rien d'autre. Ta femme n'est pas là ? demanda-t-elle, curieuse de savoir ce qui l'avait motivé à la conduire si impulsivement chez lui.

Oh, elle adorait l'impulsion, l'initiative, mais forcément, cela lui faisait se poser nombre de questions, et elle attendait à présent d'en connaître la réponse

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A

grippine afficha un sourire amusé en entendant la réponse de Harfang. Non seulement il l'invitait chez lui, ce qui n'était jamais arrivé auparavant, donc, mais en plus de cela, Harfang ne semblait guère vraiment intéressé par la présence ou non de sa chère et tendre épouse. Cela pouvait être de la pure provocation de sa part, une façon comme une autre de se donner un genre. Mais la jeune femme avait le sentiment qu'il ne s'agissait pas que de cela, comme si il prenait une sorte de revanche personnelle sur sa femme en invitant celle qui pourtant ne serait jamais sa maîtresse à passer du temps chez lui, sous leur toit.

De toute évidence, elle avait quelques wagons à rattraper, mais ça ne la dérangeait pas le moins du monde, bien au contraire. Elle y prendrait le plus grand des plaisirs. Comme toute personne normalement constituée - à ses yeux du moins -, elle adorait les potins, alors forcément, elle n'allait pas se priver de tirer les vers du nez de son interlocuteur. Dans tous les cas, elle avait le sentiment que ce dernier n'attendait que cela. Alors autant ne pas le décevoir, pas vrai ?

-Un peu moins austère que ce que j'avais en tête, répliqua Agrippine avec décontraction. J'imaginais des gobelins empaillés dans le séjour et des portraits de vous accrochés aux murs... Mais en même temps, je n'ai pas encore tout vu. Il va falloir que tu me fasses une visite guidée des lieux.

Ses mots sonnaient comme une invitation. Relative à tout ce qu'ils pourraient bien faire en s'aventurant dans les pièces de cette demeure gigantesque qui faisait passer son modeste (et délabré - et bordélique) appartement pour un placart à vieux brossdur. Ils n'y feraient pas grand-chose, pourtant, mais ça c'était une autre affaire. Agrippine vida en deux gorgées son verre et le tendit en direction d'Harfang afin qu'il la resserve avant de reprendre la parole.

-Alors, qu'est-ce que tu me caches ? Y a de l'eau dans le gaz avec ta merveilleuse épouse ?

Elle n'était pas dupe, elle savait bien que les deux n'avaient jamais formé un couple harmonieux, dans le cas contraire, Harfang ne ressentirait peut-être pas le besoin de tromper sa femme à tout bout de champ. Mais elle avait tout de même l'impression que quelque chose d'autre se dissimulait là-derrière. Et forcément, elle avait envie de savoir quoi.

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A

grippine avait toujours été d’un naturel curieux, et ce n’était certainement pas cette situation, dans toute singularité, qui devait l’inviter à mettre cette curiosité en veilleuse, absolument pas. Bien au contraire, même, elle voyait bien que quelque chose avait changé dans le comportement de son interlocuteur, et elle avait très envie de savoir quoi. Ce n’était absolument pas quelque chose dans le regard qu’il portait sur elle, ça non, il la regardait toujours de la même manière, et elle adorait ça. Mais c’était quelque chose dans le regard qu’il portait sur sa propre situation. Il s’était toujours montré cynique et désabusé, mais là, elle avait la nette impression que c’était passé un cran au-dessus.

Avant, jamais il ne l’aurait invitée chez lui en courant le risque que sa femme les surprenne. Elle avait beau être parfaitement au courant de ses infidélités, ce n’était pas pour autant qu’il tolérait certains comportements lui-même sous son propre toit. Mais ce qu’il restait de barrière mentale chez lui semblait s’être effondré, et ça, aux yeux d’Agrippine, ça devait vouloir dire que sa « chère et tendre » épouse lui avait fait un coup vraiment, vraiment sale. Et bien évidemment, il fallait qu’elle en connaisse absolument chaque détail, c’était devenu d’une importance primordiale en cet instant présent, même si ça ne le serait sans doute plus d’ici quelques secondes.

Elle sut rapidement à quoi s’en tenir. Elle ne savait pas trop comment définir le degré de complicité, de sincérité et de confiance qu’il y avait entre eux, mais ce qu’elle savait, c’est que le jeune homme n’avait jamais oublié d’être sincère à son adresse. Cette fois, de toute évidence, ne faisait pas exception, puisqu’il acceptait de lui parler très directement de ce qui se tramait exactement.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne s’y était pas attendue. Elle ne savait pas grand-chose de Callidora Londubat, mais elle s’était jusqu’ici toujours très bien contentée de ce que son interlocuteur avait bien voulu lui dire, et cela n’avait pu que lui renvoyer d’elle l’image d’un véritable glaçon, impossible à dégeler. Manifestement, elle avait eu tort… L’épouse frigide avait un amant. Et visiblement, pour Harfang, ça avait du mal à passer. Et là encore, la jeune femme devait tout de même reconnaître qu’elle avait bien du mal à comprendre où résidait le problème. Ce n’était pas franchement comme si Harfang était un exemple en la matière lui non plus. Ce n’était même absolument pas le cas.

-Sans déconner ! commença-t-elle pour afficher sa surprise. C’est inattendu d’accord, mais je t’imaginais pas du genre à en avoir quelque chose à faire, honnêtement. En plus, c’est pas comme si t’étais la fidélité descendue de son socle, toi non plus.

Elle ne disait pas cela pour blâmer Harfang ou défendre Callidora, mais au bout d’un moment, il fallait tout de même admettre que c’était le cas. Un simple constat, en somme.

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A

grippine sentait bien que quelque chose lui échappait dans toute cette histoire. Harfang n'était définitivement pas du genre à se prendre la tête sans raison, d'ailleurs, il serait sans doute préférable qu'il se prenne davantage la tête parfois (mais Agrippine n'irait pas s'en plaindre, c'était une chose qu'elle appréciait beaucoup dans son caractère), donc elle devinait qu'il y avait anguille sous roche, voire baleine sous gravier. Elle n'imaginait pas à quel point elle avait raison, pour le coup, car elle tomba clairement des nues en apprenant la nouvelle.

C'était déjà sacrément choquant en soi que Callidora Londubat se révèle être une épouse infidèle, mais visiblement, elle avait tant qu'à faire décidé de ne vraiment pas faire les choses à moitié. En couchant avec le beau-frère, donc. Pas besoin de se demander qui. Il semblait absolument improbable qu'il s'agisse de Septimus Weasley, donc le dernier choix valable était Caspar Croupton, et à partir de là, pas besoin de se demander pourquoi Harfang avait autant les nerfs, il y avait effectivement de quoi.

D'un point de vue extérieur, c'était amusant et assez anecdotique, mais Agrippine ne se permettait pas de moquer, même gentiment son interlocuteur. A vrai dire, elle était même un peu touchée de la confiance qu'il lui accordait, acceptant de se confier à elle alors qu'il avait bien conscience du fait qu'elle n'était pas la fiabilité incarnée. Plus le temps passait, plus elle comprenait qu'il ne faisait pas que prétendre lui donner de l'importance dans sa vie, et elle aimait ça. Même si elle ne lui céderait pas pour autant, il fallait pas déconner non plus.

-Ben putain, dit-elle en souriant, se permettant au passage de se resservir un verre comme si elle était chez elle, portant une première gorgée à ses lèvres avant de reprendre la parole, toujours avec la même décontraction, parce qu'elle songeait au fond que c'était précisément ce dont son interlocuteur avait besoin en cet instant. Tu me diras, c'est toujours ceux qu'on soupçonne le moins qui sont les plus vicieux, de ce point de vue-là.

Et elle en savait quelque chose, parce que s'il y en avait bien une, à l'instar de Callidora Londubat, qu'Agrippine n'aurait jamais pensé capable d'adultère, c'était bien Wilhelmina Tuft, et pourtant, sa mère s'en était de toute évidence donné à coeur joie, elle en était la preuve.

-Et ta belle-soeur, elle est au courant ?

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A

grippine n'avait rien attendu de particulier de la part de ce moment passé avec Harfang, si ce n'est de passer un bon moment avec lui, en laissant planer cette ambiguité qui leur était habituelle et qui ne devait aboutir à aucun résultat... si ce n'est peut-être de faire de lui l'une des personnes de qui elle devenait la plus proche, assez contradictoirement. Preuve en était de ces confidences, qui prouvaient bien que leur relation dépassait le cadre d'un simple jeu de séduction où n'interviendrait finalement aucune forme de récompense.

La jeune femme n'avait rien attendu, non, mais elle ne regrettait clairement pas le voyage. Pour une fois qu'elle pouvait discuter d'un drame familial qui n'avait pas le moindre rapport avec les Tuft, elle devait bien dire qu'elle n'avait pas franchement envie de s'en priver. Et ce d'autant moins qu'Harfang avait l'air plus agacé qu'effondré, en fin de compte. Et c'était compréhensible. Surtout que la situation lui tombait complètement dessus. Et il y avait de quoi. On aurait tenté de lui vendre le fait que l'épouse d'Harfang était du genre infidèle et à se taper le mari de sa soeur, elle aurait clairement remis en question la crédibilité du discours. Mais c'était la vérité, et c'est là que ça devenait intéressant. Et à propos de ce qui devenait intéressant... Elle avait complètement oublié le fait que Harfang était supposé devenir père une seconde fois. Mais donc, l'enfant n'était pas de lui. Décidément.

-Ben il a de la ressource, le Croupton, dis donc. Bon, je le savais déjà vu toute la thune qu'il m'a filée la dernière fois que je l'ai vu, mais quand même... fabriquer deux marmots d'un coup dans deux soeurs différentes, ça tiendrait presque du talent.

Elle allait peut-être donner le sentiment de prendre cette situation beaucoup trop à la légère. Et ce serait peut-être vrai, du moins en partie, mais pour tout dire, elle voulait surtout réussir à faire sourire un peu Harfang. Elle était habitué à toujours le voir léger et insouciant, elle n'aimait pas le voir sombre et soucieux. Et oui, elle balançait sur Croupton. Bah, ce n'était pas si important. Leur accord était caduque puisque Septimus n'avait pas cané, tout compte fait.

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A

grippine savait très bien qu'en évoquant le fric que lui avait filé Caspar, elle éveillait la curiosité d'Harfang. Elle l'avait fait à dessein, c'est qu'elle avait envie de l'aider. Elle ne lui donnerait jamais ce qu'il attendait vraiment d'elle, mais elle le considérait tout de même comme un ami. Des amis vraiment sincères, elle en avait assez peu, en réalité. Mais Harfang était en train d'en devenir un, au fil de leur petit jeu de séduction.

Agrippine appréciait la compagnie d'Harfang, elle n'aimait pas le voir tourmenté. Et si elle pouvait vraiment l'aider... elle l'aiderait, alors. Elle pensait qu'il voyait les choses de la même manière de son côté. La preuve, il se confiait à elle, il lui parlait à coeur ouvert de ces histoires qui devaient évidemment rester confidentielles. Alors, confidences pour confidences... elle pouvait bien lui parler de sa petite transaction avec Caspar, ou du moins la suggérer. D'autant plus que cette transaction n'avait finalement pas abouti. Certes, elle était liée par un certain secret, et elle risquait de perdre certains contacts si elle en disait trop, mais se contenter de semer la graine du doute pour que Harfang y aille de ses propres recherches, ce pouvait être une idée.

-J'ai pas le droit de répéter ce genre de choses, répondit-elle d'un ton joueur. Si je m'amusais à répéter toutes les horreurs que mes clients me demandent d'organiser pour eux, tu penses bien que ma réputation en prendrait un coup. Et j'adore ma réputation.

Mais elle n'avait pas envie de mettre Harfang sur la paille non plus. Elle avait envie de l'aider, à sa manière, en lui en laissant entendre assez pour qu'il fasse de lui-même ses propres déductions par rapport à cette situation.

-Mais disons que quand on est prêt à cracher trois mille gallions, c'est rarement pour enfiler des perles.

Trois mille gallions, elle estimait que le prix parlait de lui-même. Et Caspar lui avait en effet payé rubis sur l'ongle. Elle ne connaissait rien, dans les milieux souterrains qu'elle fréquentait qui vaille ce prix. En dehors du crime le plus terrible qu'on puisse envisager. Même si le crime ne pouvait bien évidemment pas payer, quoi qu'il puisse advenir, surtout pas en ces circonstances.

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A

grippine s'était demandée jusqu'où le pousserait la curiosité d'Harfang, mais de toute évidence, il choisissait de se montrer sage, plus raisonnable qu'elle ne l'avait imaginé. D'un autre côté, il n'avait sans doute pas besoin d'en savoir beaucoup plus, et donc d'insister davantage. D'une part, il devait se douter du fait qu'elle ne reviendrait pas sur sa parole et se tairait donc, d'autre part, avec ces quelques informations, elle lui avait sans doute déjà confié un moyen de pression qui n'était pas forcément négligeable sur son beau-frère. Ce qu'il déciderait d'en faire, Agrippine n'en savait rien. Elle estimait que ça ne la regardait pas, que ce n'étaient pas ses affaires, et elle ne voyait aucune raison de pousser trop loin la curiosité.

Ce qu'il y avait à savoir, elle l'apprendrait en temps et en heure, elle en était assez certaine. D'autant que Harfang se confiait de plus en plus librement à elle. Elle ne savait pas exactement à quel moment leur relation avait glissé sur cette pente précise, mais ça ne lui déplaisait pas. Il lui faisait confiance, et elle ressentait de l'amitié, au-delà de leur bon vieux jeu de séduction. Même si les intentions d'Harfang à son adresse restaient tout de même tout ce qu'il y a de plus claires, certaines choses ne changeaient pas. Et ça non plus, ce n'était pas pour lui déplaire, au passage. Même si sa réponse resterait définitivement la même. Un non franc et catégorique, quoi qu'il puisse choisir de dire ou faire.

-J'espère bien, je suis beaucoup trop chère, peu importe pour qui, décréta-t-elle.

Elle estimait, pour tout dire, qu'elle n'avait effectivement pas de prix, au sens où elle valait tout et rien à la fois. Et c'était la beauté de la chose. Mais non, Agrippine restait une femme que l'on ne pouvait pas acheter. Et purtant, elle aimait l'argent et ne s'en cachait pas. Mais peut-être parce que tout le monde s'était attendu à ce que ce soit ce qu'elle deviendrait, elle ne se vendait pas. Ni ne se vendrait jamais, même dans la pire des situations.

-C'est pour ça que je refuse de me vendre. Tu imagines le nombre de malheureux qui finiraient ruinés, je m'en voudrais forcément, ajouta-t-elle avec légèreté.

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A

grippine afficha un sourire amusé quand son interlocuteur observa sa considération. C'est drôle les a priori qu'on peut avoir parfois. Avant de connaître intimement Harfang Londubat (intimement ne signifiait pas forcément qu'on partageait le même lit, même si c'était bien souvent le cas dans le vocabulaire de la rouquine), elle était convaincue qu'il était comme la plupart des sangs purs qu'elle fréquentait. Le genre qui était certes volage, mais autrement tellement attaché aux principes inhérents à sa famille qu'il ne goûterait jamais à son humour. C'était mal le connaître, car Harfang surenchérissait toujours. Il était de ces hommes qui avaient la belle gueule et la conversation. Et ça lui plaisait. Alors que faudrait-il qu'il fasse pour l'avoir ?

Il posait la question si directement qu'elle ne semblait même plus faire partie du jeu. Car pour elle, il était question de cela. Il posait la question, elle lui donnait des pistes de réponses, et ils savaient tous les deux qu'il ne se passerait rien, car s'il devait se passer quoi que ce soit, ils perdraient l'un des intérêts majeurs de leur relation. Elle voulait bien croire que, d'un point de vue extérieur, cela ne fasse pas franchement de sens. Même du point de vue de Harfang, elle commençait à douter qu'il le sache lui-même. Imaginait-il que certaines barrières pouvaient céder ? Ou bien cherchait-il à lui découvrir des limites qu'elle n'avait pas. Elle n'en savait trop rien. Que sa question se révèle à ce point directe la déstabilisait un peu, à vrai dire. Les circonstances étaient différentes de d'habitude, il faut dire. Ils étaient chez lui, et de toute évidence, Harfang était déstabilisé par les épreuves qu'il avait traversées.

-Pas ça, en tout cas, répondit Agrippine avec un sourire malicieux.

Même si il l'avait déjà sans doute plus que beaucoup d'autres hommes qui l'avaient "obtenue" le temps d'une nuit. Donner son corps, c'était facile, Agrippine le faisait tout le temps, mais son estime, sa confiance et son amitié, c'était plus rare que ce que l'on pouvait croire, et Harfang avait gagné les trois à la fois.

-Si tu ne fais même plus l'effort de chercher par toi-même... je crois bien que ça me déçoit un peu, décréta-t-elle sans le penser, uniquement pour taquiner gentiment son interlocuteur.

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A

grippine adressa à Harfang un regard qui, en gros, pourrait se traduire par "mais bien sûr" quand ce dernier observa que c'était elle qui le décevait et non l'inverse. Elle pouvait reconnaître que ce n'était pas entièrement faux si l'on admettait que Harfang Londubat estimait avoir la moindre chance avec elle, et que donc elle trompait ses espoirs. Mais elle pensait être suffisamment claire, et depuis suffisamment longtemps, pour que son interlocuteur ait perdu toute fausse idée à ce sujet. Elle aimait ce jeu parce qu'ils étaient à deux à y jouer. Mais elle avait tendance à oublier qu'à force de jouer sans règle stricte, on ne pouvait plus vraiment déterminer de gagnant ou de perdant. A moins que ceux-ci ne se désignent tout seuls.

Mais même si Harfang devait être perdant, alors Agrippine considérait qu'il restait tout de même bon perdant, car tout comme elle n'imaginait pas réellement qu'il coure après sa gratitude et sa reconnaissance, elle pensait en revanche qu'il se satisfaisait très bien d'une danse avec elle. Et c'était, au demeurant, une excellente idée.

D'un coup de baguette magique, il fit fonctionner le tourne-disque, le morceau qui se joua alors, aux accents jazzy, n'était ni trop lent ni trop rapide, juste parfait, en réalité, pour une danse comme il fallait en danser à deux.. car si la séduction n'impliquait pas de résultat, leurs interactions auraient tout de même beaucoup moins d'intérêt sans séduction du tout. Et en l'occurrence, Agrippine s'étonnaient qu'ils n'aient jamais dansé ensemble tous les deux, alors que la danse appartenait au b.a.-ba de la séduction selon ses propres codes et habitudes. Le regard, l'effleurement, la proximité... tous les ingrédients étaient réunis afin que ce soit absolument parfait.

-Avec plaisir, confirma-t-elle en se rapprochant d'Harfang avant d'ancrer son regard dans le sien et de s'élancer au rythme de la musique.

Agrippine adorait danser, peu importe sur quel type de musique, alors il ne fallait pas le lui demander deux fois une chose pareille. Elle laissa faire un temps sans rien dire, laissant aux regards et aux gestes le soin de communiquer ce que les mots n'avaient pas le moindre besoin de dire. Et elle attendit le moment adéquait pour reprendre la parole.

-Je reconnais que tu gagnes un ou deux points, admit-elle comme si tout ceci était chiffré et consigné, et comme si elle pouvait réellement être obtenue à la clé. Mais c'est un millième du chemin à parcourir environ, alors ne te réjouis pas trop, ajouta-t-elle, malicieuse, tout en collant malgré tout davantage son corps au sien, puisque ça faisait partie du jeu.

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H

arfang choisit de ne rien répondre, mais pour Agrippine, c'était loin d'être un problème. Certains silences étaient plus agréables qu'autre chose, et en l'occurrence, le silence était relatif, puisque la musique enveloppait l'espace et se chargeait de donner le ton. La rouquine avait toujours été des plus bavardes, elle trouvait toujours à dire et bien souvent à redire, mais elle n'avait pas le silence en horreur pour autant. Dans bien des contextes, elle estimait que les mots étaient superflus, comme une illustration tout à fait grossière de ce que des gestes, des regards, un souffle pouvaient tout aussi bien dire.

En l'occurrence, il n'existait pas langage plus clair et démonstratif que celui de la danse. Ce n'était pas pour rien si Agrippine adorait danser. En quelques gestes, on pouvait tout laisser deviner, et en l'occurrence, c'était une arme de séduction massive que l'on pouvait choisir d'utiliser comme bon nous semblait. Il y avait la proximité des corps, le jeu des regards, il ne s'en faudrait sans doute pas de beaucoup pour que leurs lèvres se touchent et se découvrent, se découvrent vraiment. Mais une fois n'est pas coutume, elle ne franchirait pas ce seuil.

A la place, elle se laissait porter par le rythme de la musique, par tous ces détails qui faisaient qu'elle se sentait bien, là, maintenant, presque couvée. D'une tendresse dangereuse. Pas pour elle, ça non, mais pour lui à coup sûr, et dont elle profitait juste ce qu'il fallait, en espérant tout de même de ne jamais atteindre une limite qui interromprait le jeu pour de bon. Elle n'aimait pas Harfang, mais elle l'aimait bien. Pour tout un tas de raisons, il lui plaisait beaucoup. Ce jeu était amusant tant qu'ils en riaient ensemble. Elle ne prendrait pas particulièrement plaisir à le voir souffrir. Mais elle se demandait parfois si ce n'était pas quelque chose d'un rien inévitable.

Pas le temps de se poser la question. Il y avait la danse, la musique, puis un bruit venu de l'extérieur qui figea presque Harfang sur place. Elle le vit, interdit, mal à l'aise, et elle comprit qu'il y avait des frontières que lui-même avait été trop aventureux de penser pouvoir franchir alors qu'il n'y était pas prêt du tout. Elle n'avait pas envie de causer un scandale dont il ne voulait finalement qu'à moitié. Elle afficha un sourire et se rapprocha de lui.

-La prochaine fois, on continuera ça chez moi, d'accord ? dit-elle à son oreille avant de déposer un baiser sur sa joue.

Elle n'attendit pas de savoir si la redoutable Callidora était en effet cette femme à redouter qui venait de transplaner sur le palier. Elle transplana à son tour.

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