Louisa était habituée, à force. Mais ça n’ôtait rien au fait qu’elle enviait quand même très souvent ses camarades qui pouvaient juste se permettre de se la couler douce en vacances quelque part loin de Poudlard. Elle, elle quittait à peine les murs de l’école, il n’y avait qu’en été qu’elle était épargnée, le reste du temps, puisqu’il y avait toujours des élèves pour être coincés à Poudlard en période de vacances, sa mère se devait d’être présente afin de s’assurer que les indigestions à base de bûche ne créent pas elle ne savait quel cataclysme.

Ce Noël allait être déprimant. Comme tous les Noël depuis que son père n’était plus là. Il lui manquait horriblement dans ces périodes. Elle arrivait à oublier un peu, parce qu’il y avait les cours,  l’activité, parce qu’il y avait Rhian et Cenlyn. Mais là, elle n’avait pas cours, son dortoir était vide, et les jumeaux passaient leurs vacances chez leurs parents adoptifs… qui ne le resteraient peut-être pas bien longtemps. Et elle, durant ce temps, elle déprimait sévèrement. Elle se sentait seule, et même si elle appréhendait de passer ce réveillon avec sa mère, elle était quand même contente de ne pas être toute seule, même s’il fallait s’encombrer de la présence du petit Morgan, que sa mère traînait en cet instant dans une poussette. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi sa mère avait décidé d’adopter ce gamin. Ça donnait à Louisa le sentiment de ne pas suffire à sa mère alors que leurs liens étaient déjà si distendus.

Cette année, elle n’avait pas de cadeau pour sa mère. Accepter cette soirée au restaurant avec elle lui paraissait être suffisant, comme cadeau. Sa mauvaise volonté n’aidant pas réellement à ce qu’elle envisage de faire plus d’efforts que cela. Elles s’installèrent à table. De temps en temps, Louisa jetait au petit Morgan des regards en biais méprisants.

"J’espère que t’as pas prévu de m’offrir un voyage, cette année. Si c’est pour que t’annules de nouveau, je vois pas l’intérêt."

Louisa était frustré. Elle voulait y aller, en Egypte. Mais toutes ces histoires, ça l’avait coupée dans son élan.

"Je n'ai rien annulé du tout"

Louisa serra les dents. Elle était vraiment facile, celle-là. Bien sûr que c'était annulé. C'était reporté, peut-être, dans la tête de sa mère, mais même si elle décidait de tout réorganiser, Louisa n'aurait pas la moindre envie de l'accompagner. Et puis il ne fallait pas se leurrer. Ce ne seraient plus des vacances entre mère et fille, ce seraient des vacances à trois. Et pour le moment (qui sait si ça va durer ou pas), elle ne se sentait vraiment pas capable d'accepter un troisième membre à la famille ou de considérer Morgan comme son petit frère. On lui avait forcé la main, on ne lui avait pas laissé le choix. Et c'était une pensée particulièrement déplaisante pour elle. Peu importe ce qui se passerait plus tard, maintenant il y avait cette petite vie inattendue qui prenait toute la place, et la bleu et bronze était supposée faire avec sans broncher. Plus facile à dire qu'à faire, très clairement.

"On le fera, ce voyage, Louisa. Les circonstances sont particulières, tu ne peux pas me reprocher ça."


-La faute à qui ? répliqua sévèrement Louisa quand sa mère observa que cette situation exigeait quand même de reconsidérer leurs projets de façon naturelle.

Sa mère avait beau dire que Louisa ne pouvait rien lui reprocher, ce serait bien mal la connaître. Des reproches, elle en gardait bien au contraire un sacré paquet sous la manche et elle n'attendait qu'à pouvoir les laisser éclater, haut et clair et sans réserve, pour sa satisfaction personnelle. Cela ne compensait pas sa crainte d'être abandonnée.

-Personne t'as demandé de l'adopter...

Elle avait pris sur elle pour ne pas prononcer un mot plus insultant à l'adresse de Morgan, qu'elle ne pourrait pas reprendre par la suite, mais elle avait été à deux doigts de commettre cette erreur malgré tout. Sous l'effet de la frustration. C'est qu'elle ne comprenait pas. Ce gosse, elle aurait pu le trouver adorable, dans d'autres circonstances. Mais là, elle ne pensait qu'à une seule et unique chose, et c'était à l'humiliation qu'elle éprouvait.

-Je te suffisais pas, c'est ça... ?

Elle avait osé articuler le fond de sa pensée de ces derniers mois. Elle savait que sa mère lui répondrait que non, ce n'était pas ça du tout, qu'elle se faisait de fausses idées. Mais...

"Comment est-ce que tu peux seulement penser une chose pareille ?"

Zelda paraissait profondément déroutée, offusquée, voir vexée, pourtant, Louisa ne se contentait pas de provoquer sa mère pour le seul plaisir de la provoquer. Elle n’allait pas mentir, cela arrivait parfois, mais pas en cet instant. Non, en cet instant, elle se posait sincèrement la question. Pourquoi sa mère avait-elle à ce point voulu un autre enfant ? Cela aurait été logique si cet enfant était d’elle (même si Louisa n’avait aucune envie de s’encombrer d’un beau-père), mais ce n’était pas le cas.

Cet enfant, elle n’avait pas la moindre idée d’où il sortait exactement, et ça lui donnait vraiment l’impression que sa mère avait fait de Morgan son lot de consolation pour la rassurer sur sa vie de mère… sa vie de merde. Louisa était pas une enfant facile, mais elle ne méritait pas pour autant d’être traitée de cette façon… si ? Forcément, maintenant, elle se posait sincèrement la question. Et rien de ce que lui disait sa mère ne serait capable de la rassurer. Elle pensait une chose pareille parce que sa mère lui avait laissé le loisir de penser une chose pareille. Et elle voyait mal comment revenir en arrière. Elle avait un peu l’impression qu’elles avaient atteint un point de non-retour, toutes les deux ?

"J'ai promis à ses parents de prendre soin de lui, je te l'ai déjà dit, ça n'a rien à voir avec toi."

Oui, elle le lui avait dit, mais elle ne lui avait pas dit plus, et ça ne suffisait pas à Louisa. Pourquoi elle avait accepté un tel compromis. Pourquoi ses parents ne pourraient-ils pas prendre soin de cet enfant ? Qui étaient les parents de Morgan ? C’était quoi ce. Putain. De. Bordel ? Elle ne pouvait pas lui reprocher de se poser des questions quand elle n’avait jamais apporté de réponse concrète à aucune de ses interrogations, pas vrai ? Louisa n’avait rien demandé à personne, et elle en était là. Elle pataugeait dans les questions et les incertitudes.

-Oui d’accord, mais c’est qui ses parents ? Pourquoi ils peuvent pas s’en occuper ? Pourquoi t’as accepté ?

Elles n’allaient vraiment passer le meilleur Noël du monde, ça c’était déjà réglé… mais si déjà, Louisa pouvait avoir quelques réponses aux questions qu’elle se posait, elle se sentirait déjà un peu mieux.

"Louisa, si je pouvais tout t'expliquer, je le ferai, mais ce n'est pas possible. C'est un secret que j'ai promis de garder, pour la sécurité de Morgan. Alors, vraiment, je ne peux te parler de rien."

Louisa croisa les bras. Est-ce qu’elle s’attendait à une autre réponse de la part de sa génitrice ? Pas vraiment, non, en vérité. Elle connaissait sa mère, elle savait que si elle était bornée, c’était une chose qu’elle avait hérité d’elle. Mais la réponse de son interlocutrice n’arrivait pas à la soulager et la rassurer pour autant. Pourquoi est-ce qu’il fallait veiller à la sécurité de Morgan ? Pourquoi le mettre en danger ? Dans quoi est-ce que sa mère était venue se fourrer ?

Elle n’aimait pas être tenue dans l’incertitude, que sa mère ne lui fasse pas assez confiance pour lui parler de ce qui lui arrivait. Elle avancerait peut-être le fait qu’elle cherchait à la protéger elle aussi, mais elle n’était pas capable d’entendre cet argument et d’y croire vraiment. Elle avait l’impression qu’on se jouait d’elle, qu’on la menait en bateau dans les grandes largeurs, et c’était un sentiment qui n’avait absolument rien de plaisant ou de rassurant.

Leur relation était déjà au plus bas, et elle avait l’impression que l’existence de Morgan allait encore empirer davantage les choses. Si à cela, il fallait ajouter le fait que sa mère s’attacherait peut-être plus au petit Morgan qu’elle n’avait été attachée à elle, on comprendra que cette situation l’angoissait. Ce n’était pas toujours pour des raisons justes et pertinentes, mais ça restait sa manière de penser. Elle n’arrivait pas du tout à faire différemment.

"Je suis désolée de ne pas pouvoir t'en dire plus."

Elle avait l’air désolée, oui, mais Louisa n’était pas convaincue du tout. Pas du fait qu’elle était désolée, mais du fait qu’elle serait capable de lui pardonner son satané comportement. Elles formaient déjà une famille complètement absurde et dysfonctionnelle, ce n’était pas la peine d’en rajouter.

-Tu me fais pas confiance… Je m’en fiche que tu sois désolé. Tu prends des décisions pour notre famille comme si j’en faisais pas partie, et après tu me tiens à l’écart. Comment je suis supposée vivre avec ça ? Pourquoi tu m’expliques pas ? Je suis capable de l’entendre, j’en ai entendu des pires.

Elle n’était plus à un secret près, avec tout ce qui lui était déjà tombé sur le coin du visage.

"Je sais que tu es capable de comprendre, Louisa, il ne s'agit pas de ça. Tu comptes plus que tout pour moi, et tu es ma priorité, ça n'a pas changé, crois-moi. Mais si je te parle de quoi que ce soit, je prends le risque de te mettre en danger, et si tu t'imagines peut-être que je suis une mauvaise mère maintenant, je le serais bien plus si j'acceptais de tout te dire juste pour alléger ma conscience et dans l'espoir que tu me pardonnes."

Certains des mots qu'elle prononçait auraient pu, auraient dû la toucher, mais ce n'était pas le cas. Parce qu'elle n'arrivait pas à distinguer le vrai du faux. Elle ne savait pas trop ce qu'il en était, en réalité. Tout se mélangeait dans sa tête, rien n'avait de sens. C'était épuisant pour elle, comme situation. Elle ne savait jamais sur quel pied danser ni quoi penser exactement, et ce continuellement.

Comment croire qu'elle comptait plus que tout pour elle quand elle passait son temps à lui mentir, à dissimuler, à la mettre à l'écart ? Comment croire qu'elle était sa priorité quand elle avait toujours le sentiment que tout le reste (que ce soit son travail et Morgan) passait avant ? Au bout d'un moment, forcément, elle ne savait plus quoi ni qui croire.

-En danger je le suis déjà. On a déjà eu cette conversation, non ? C'est pire quand on laisse les gens dans l'ignorance.

Cela n'avait rien eu à voir avec Morgan (même si elle se demandait forcément si les deux n'étaient pas liés, à force), mais quand même, elle pesait ses mots, quand elle disait qu'elle était en danger. Ce n'était pas du mélodrame, c'était la pure et stricte réalité. Oui, elle était en danger, parce qu'elle, tout comme Rhian, était dans le collimateur d'un mage noir particulièrement puissant, et qui voulait sa peau.

Et si elle n'avait pas su ce que l'avenir lui réservait, elle n'aurait pas été capable de prendre la mesure de l'importance de tout cela. Alors qu'en l'occurrence, elle était complètement au fait de ce qui se passait. C'était pour ça qu'elle avait eu du mal à accepter le désir de Rhian de se faire amnésier. A ses yeux, être dans l'ignorance était le pire sentiment qu'on puisse imaginer.

"Morgan est comme toi..."

Louisa serra les dents. Elle ne devinait pas exactement ce que sa mère s’apprêtait à lui dire, mais ce qu’elle entendait pour le moment ne lui plaisait pas du tout. Elle avait peut-être raison, et cette affirmation se fondait éventuellement sur quelque chose de solide, mais c’était une chose que Louisa détestait quand même entendre. Elle ne voulait pas que Morgan soit comme lui, elle ne voulait pas être comme Morgan. Elle voulait être elle-même et rien d’autre, et surtout pas être comparée par sa propre mère à ce gosse qu’elle avait peine à apprécier et à considérer comme un membre à part entière de sa famille. Elle ne voyait pas ce qu’ils avaient de commun. Déjà, ils n’étaient pas frère et sœur. Et ensuite : bordel, le machin pleurait tout le temps, ne parlait pas et était incapable de se tenir debout, encore ! Aucun rapport avec elle, donc.

"Si quelqu'un doit apprendre qui il est vraiment, et qui sont ses parents, il en aura après lui, comme il en a déjà après toi."

Zelda n’avait pas besoin de préciser de quel « il » il était question. C’était toujours le même. Ce sorcier hautement dangereux, qui voulait sa peau et qui, apparemment, voulait aussi la peau de ce gosse. Pourquoi ça ? Est-ce que lui aussi avait un rôle crucial à jouer dans le futur ? Ses parents semblaient être la clé… Au moins, sa mère acceptait de lui parler un peu, et Louisa commençait à se dire qu’elle pourrait peut-être réussir à lui tirer les vers du nez, mais ce n’était pas gagné encore. Elle n’avait pas l’intention de lâcher l’affaire, en tout cas. Sa mère lui avait laissé comprendre que, si elle insistait un peu, elle pourrait obtenir une cause. Zelda Sparkley avait entrouvert une fenêtre, Louisa comptait bien défoncer la porte, et sans hésiter.

-Pourquoi ça ? demanda-t-elle sans afficher d’émotion trop directe, mais en revanche toute sa curiosité. C’est qui, ses parents ?

Elle comprenait que c’était ça, la clé. Il fallait comprendre d’où venait ce gamin surgi de nulle part pour comprendre ce qu’on pouvait bien lui vouloir. Ce qu’il pouvait bien lui vouloir. Non, ça ne changerait pas grand-chose pour elle d’en apprendre plus, mais elle en avait l’intention quand même. Sans ça, toutes ces questions allaient la hanter.

"Je ne peux pas t'en parler"

Sans surprise, Louisa essuyait un refus. Elle s’était doutée que les choses se passeraient de cette manière, mais cela ne l’empêchait pas de se sentir particulièrement frustrée de la manière dont cette conversation était en train de se dérouler. Sa mère décidait de ce qu’elle avait droit de savoir ou non, de ce qui était bon pour elle ou pas. On pourrait bien argumenter et dire que c’était le rôle de n’importe quel parent, après tout, mais Louisa se sentait malgré tout fondamentalement lésée. Elle et sa mère n’avaient pas une relation mère-fille normale. Et c’était logique. Elles ne le pouvaient pas, pas avec ce qu’elles avaient vécu. Et même si cela avait créé beaucoup de tensions entre elles, Louisa se disait aussi que ça aurait dû normalement être un terrain privilégié pour une conversation plus ouverte.

Comment pouvaient-elles seulement oser se faire encore des secrets l’une à l’autre ? En toute logique, elles ne devraient plus rien avoir à se cacher. Elles étaient très bien placées pour savoir que les secrets pouvaient faire mal, qu’ils pouvaient tout détruire sur leur passage. Alors pourquoi, comment tolérer ça ? Elle ne pouvait pas se contenter d’entendre sa mère lui dire qu’elle ne pouvait pas lui parler de tout ça et s’en satisfaire aussi. C’était sa vie aussi, après tout. Tout le monde considérait Morgan comme son frère adoptif, et pour elle il restait un étranger. Pour que ça change, et pour que Louisa fasse les efforts nécessaires en ce sens, il fallait que sa génitrice y mette un peu du sien aussi. C’était comme si ni l’une ni l’autre n’apprenait jamais de ses erreurs. Au bout d’un moment, ça ne pouvait pas continuer comme ça.

"Je t'en ai déjà trop dit. S'il te plaît, Louisa. Accepte que je ne t'en dise pas plus est essayons de profiter de cette soirée, qu'est-ce que tu en penses ?"

-J’en pense que tu peux toujours courir, répondit Louisa du tac-au-tac.

Non, elle n’avait pas la folle envie de gâcher leur soirée de Noël, contrairement à ce qu’on pourrait croire. En revanche, elle était lasse de ces efforts qui ne menaient jamais nulle part, et elle n’avait tout simplement plus la foi d’en faire aucun. Elle avait toujours l’impression de se faire avoir, dans ces conditions. Et là encore plus, parce que toute cette histoire lui était vraiment tombée sur le coin de la figure, sans aucun signe avant-coureur, vraiment aucun.

-Je peux pas accepter ça… Je sais même pas comment je dois le considérer, dit-elle en baissant les yeux sur le petit Morgan. Même elle savait admettre que lui n’avait rien demandé à personne. Mais ça ne lui facilitait pas son acceptation des faits. Il va rester avec nous combien de temps ? Tout le temps ?

"C'est bien possible, oui..."

C'était à peine une réponse, ça. Ce n'était même pas une réponse du tout, en fait. Comment est-ce qu'ils en étaient arrivés là exactement ? A cette question, l'adolescente commençait à se dire qu'il n'existait pas la moindre réponse, parce que même sa propre mère, qui avait provoqué cette situation, pourtant, n'avait pas du tout l'air de savoir vers quoi elle se dirigeait. On dirait bien qu'elle avait tout simplement accepté au mépris de toute logique d'avoir un gamin sur le dos, et c'était un constat sacrément alarmant quand on connaissait bien Zelda Sparkley. Et Louisa, même si elle n'avait pas toujours été la plus tendre ou la plus conciliante avec sa mère, même si la communication n'était jamais évidente entre elles, pensait pouvoir honnêtement dire et sans ciller qu'elle la connaissait très bien, mieux que beaucoup d'autres.

"J'en sais rien, Louisa. Pour moi aussi, c'est... compliqué."

Louisa ne savait plus si elle devait se sentir en colère ou plutôt... inquiète, à ce stade. Parce que visiblement, il se passait quelque chose, quelque chose d'important et de grave, dans la vie de sa mère; Au-delà des choses déjà importantes et graves auxquelles elles avaient été confrontées, il y avait maintenant cette histoire, et Louisa commençait à se dire que sa mère avait été obligée et contrainte de prendre Morgan sous son aile, ce qui signifiait donc qu'on la faisait peut-être chanter.

Ou autre chose. Comment savoir exactement ? Puisque sa mère ne voulait rien lui dire. Et continuait de ne rien vouloir lui dire. Elles étaient obstinés autant l'une que l'autre. Si elles continuaient comme ça. Ce serait la guerre des nerfs, à n'en plus finir. C'était déjà la guerre des nerfs. Mais dépasser d'un pas supplémentaire, c'était prendre le risque d'attendre un point de non-retour qu'elles frôlaient sans arrêt toutes les deux. Louisa prit une grande inspiration. Elle avait un bon milliard de questions à poser, mais elle n'en posa qu'une seule. Qui n'était pas forcément celle que sa mère attendait, c'était presque sûr.

-T'es en danger ?

Sa question pouvait sembler venir de nulle part, mais ce n'était pas le cas du tout. Visiblement, elle s'était fichue dans un sacré pétrin. Louisa voulait voir et comprendre à quel point.

"On l'est forcément"

Ce n'était pas franchement la réponse que Louisa avait eu envie d'entendre, mais elle avait le mérite d'être honnête, et Louisa avait effectivement besoin que sa mère se montre sincère avec elle. Elle gardait tout de même l'impression que sa mère ne l'était qu'à moitié malgré tout, et il serait difficile de lui laisser supposer autre chose, alors qu'elle lui sortait d'un côté une vérité indéniable, et d'un autre côté... des mots qu'elle pensait peut-être. Mais qui était sans doute un mensonge.

"Mais je contrôle la situation, ça je peux te le promettre."

Voilà, non, elle ne pouvait pas lui promettre ça. Elle pouvait lui promettre de faire de son mieux pour contrôler la situation, mais elle ne pouvait pas lui assurer qu'elle la contrôlait bel et bien. Tout simplement parce que personne ne le pouvait, pas plus elle que qui que ce soit d'autre. Elles savaient quels ennemis elles avaient face à elle, elles savaient de quoi il était capable, et que des combattants chevronnés y avaient perdu la vie, à l'instar de Purdey. Alors non, elle ne contrôlait pas, personne ne contrôlait rien. Et ça, ça faisait clairement mal.

"Ne t'inquiète surtout pas pour moi."

Louisa leva les yeux au ciel. Elle n'était pas du genre à s'empresser d'obéir aux ordres de sa génitrice en temps normal, mais là, elle lui lançait tout bonnement une directive qu'elle était vraiment incapable de respecter. Ne pas s'inquiéter pour sa mère ? Zelda le voudrait bien, mais c'était pas possible. Louisa et elle se prenaient constamment la tête, oui c'est sûr, mais en attendant, l'adolescente restait malgré tout très soucieuse de ce qui allait arriver à sa mère. Elles pouvaient se prendre la tête, toutes les deux, mais à la fin de la journée, elles s'aimaient, quand même. Et elles veillaient l'une sur l'autre. Parfois, elles y arrivaient difficilement, mais en attendant, c'était quand même leur but.

-Et comment tu veux que je fasse ? Elle baissa les yeux. Je m'inquiète tout le temps, pour tout le monde. Louisa baissait sa garde, elle ne se sentait même plus capable de se sentir en colère, en fin de compte. C'était un autre sentiment, plus complexe et difficile, qui la secouait. Je voudrais que ça s'arrête...

"Je suis tellement désolée, ma chérie. J'aimerais pouvoir te protéger davantage."

Zelda posa sa main sur celle de sa fille et la serra dans la sienne. La bleue et bronze baissa les yeux sur leurs mains jointes. L'espace d'un instant, elle envisagea, quitte à se montrer particulièrement désagréable, de retirer sa main. Un simple geste d'affection ne suffisait pas, ne suffirait pas à effacer l'angoisse et la rancoeur. Mais dans le même temps, Louisa n'avait pas envie de reprocher à sa mère les efforts qu'elle fournissait pour elle.

Elle savait bien que c'était difficile pour sa mère aussi, et qu'elle prenait sur elle pour prétendre que tout était sous contrôle alors que rien ne l'était. Que cela leur plaise ou non (mais à qui ça plairait, une chose pareille ?), elles étaient, pour le moment, dans l'impasse la plus totale, et si elle saisissait cette situation douloureuse pour en plus se déchirer l'une l'autre, alors... elles n'allaient faire qu'empirer une situation qui déjà n'avait rien d'idyllique ou de grandiose. Il restait des mensonges et des non-dits, et Louisa n'avait pas envie de laisser couler... mais en même temps. Eh bien, elle lâchait du leste, et elle garda donc la main de sa mère dans la sienne.

-Tu fais du mieux que tu peux, répondit doucement Louisa.

Zelda attendait peut-être une autre réponse de sa part, mais Louisa ne savait pas vraiment quoi répondre d'autre. Elle savait que sa mère faisait de son mieux, elle n'en doutait pas une seule seconde. Elles passaient leurs temps à ne pas se comprendre toutes les deux, mais quand venait le moment de faire front commun, elles ne s'oubliaient pas pour autant, elles étaient là l'une pour l'autre. C'était important. C'était quelque chose qui comptait. Qui comptait vraiment. Mais c'était vrai quand même, elles n'allaient pas se mentir, que ce n'était pas suffisant. C'était comme ça, c'était la vérité, et il valait mieux la voir en face, même si cette vérité était forcément très éprouvante.

-Bon... Louisa reprit la parole, décidée à changer de sujet. Elles ne pouvaient pas éternellement rester là-dessus, ou bien ça allait les rendre dingues, aussi bien l'une que l'autre. Alors, tu m'offres quoi comme cadeau ?

Car à la base, c'était le réveillon de Noël, même si ça ne se voyait pas franchement, là, tout de suite.

Ce n'était pas parce qu'elles mettaient leurs problèmes de côté que les problèmes disparaissaient. La preuve, même s'il réussissait à se faire oublier et ne leur avait imposé aucune crise de larmes jusqu'ici, ça ne changeait rien au fait que le petit Morgan était là, et n'allait pas disparaître de leurs vies juste comme ça. Mais les problèmes, ça allait bien, là. C'était supposé être une soirée agréable, une soirée au cours de laquelle elles mettraient les rancoeurs de côté pour fêter un Noël digne de ce nom, alors Louisa, qui restait une gamine dans l'âme, ne demandait plus qu'à savourer un bon repas, mais surtout de profiter de son cadeau, quel qu'il puisse être, en espérant quand même que ce ne serait pas un cadeau empoisonné, comme l'avait été celui de l'année passée.

"Ouvre, tu verras bien"

Raison pour laquelle elle appréhenda un peu en voyant juste une simple enveloppe. Sur le principe, c'était quand même bon signe, très bon signe même, compte tenu du fait que les cadeaux les plus intéressants, généralement, tenaient dans des enveloppes, et à son âge, Louisa avait cessé de vouloir de gigantesques paquets pour trouver son cadeau intéressant. Mais elle ne voulait pas la promesse d'un nouveau voyage qu'ils ne réaliseraient peut-être jamais, c'était une pensée qui lui déplaisait au plus haut point. Mais le plus simple pour en avoir le coeur net, c'était donc encore d'ouvrir la fameuse enveloppe.

Et son regard s'illumina en découvrant deux places pour le concert de Celestina Moldubec. Comme la plupart des ados de son âge, Louisa en était littéralement fan, elle adorait le travail de cette chanteuse. Elle pouvait réciter les paroles de ses chansons par coeur.

-Maman, c'est parfait, j'adore !!

Faute de prendre sa mère dans ses bras (il ne fallait pas trop lui en demander non plus), elle lui adressa un sourire lumineux, le genre de sourires qui étaient une denrée rare ces derniers temps.

-Hum... Le billet en plus, c'est pas pour toi, rassure-moi ?

Elle espérait que non, parce que la perspective de se rendre à un concert avec sa mère rendait immédiatement le cadeau beaucoup moins intéressé, mais elle voulait quand même croire que sa mère n'aurait pas fait ça, quand même. N'est-ce pas ?

"Oh non, j'ai passé l'âge pour ce genre de choses"

Ou pas. L'infirmière était quand même loin d'être une vieille croulante, il ne fallait pas exagérer non plus, et Louisa détestait ce genre de phrase, l'idée que l'on puisse finir par être trop vieux pour faire certaines choses. Bon, elle comprendrait mieux ce genre de discours plus tard, quand elle-même deviendrait plus vieille, mais elle avait de la marge. En attendant, elle préférait en sourire. Il valait mieux qu'elle pense comme ça si ça lui évitait de se pointer au concert en présence de sa mère.

Quand même, ça la foutrait mal. Elle, elle voulait juste s'assurer qu'elle pourrait profiter de ce cadeau complètement. Mais elle n'en avait pas douté. Zelda, en règle générale, lui laissait complètement son indépendance. Alors bon... parfois, c'était chiant, parce que Louisa trouvait que sa mère n'était pas assez présente pour elle, et ça lui pesait vraiment. Parfois, c'était moins chiant, aussi, comme dans des cas comme celui-là, où elle pouvait faire un peu comme elle voulait sans se poser plus de questions.

"Tu pourras inviter Cenlyn, ou Rhian, ou qui tu veux d'ailleurs, tu es libre de faire comme tu veux"

Elle afficha un sourire et espéra que le rose ne lui montait pas trop aux joues quand sa mère évoqua Rhian. Non, elle n'oserait jamais lui demander. Et puis, il ne devait sûrement pas aimer Celestina Moldubec. Pas sûr que Cenlyn aimerait beaucoup non plus, au passage, mais ça... Elle songea que peut-être maintenant, là, tout de suite, elle bénéficierait peut-être des conseils de sa mère.

Qu'elle devrait lui parler de Rhian, de ce qu'elle ressentait pour lui, des appréhensions qu'elle avait à cause de ce qu'elle savait de leur avenir commun. Elle se sentirait presque capable de se confier sur ce qu'elle gardait toujours pour elle-même en temps normal. Mais elle ne fit rien du tout... parce que Morgan choisit pile ce moment pour lui rappeler qu'elles n'étaient pas toute seule. Elle prit sur elle malgré tout. Elle décida de ne pas remettre de l'huile sur le feu.

-On peut rentrer, t'en fais pas, il doit être fatigué, se résigna Louisa.

C'était ça aussi, la magie de Noël. Un beau cadeau, ça vous encourageait à mettre de l'eau dans votre vin.