Octavia ne mettait que rarement le pied dans la moindre boutique de prêt-à-porter. Et pour cause, elle ne jurait que par le sur-mesure. Les pièces qu'elle portait, elle tenait à ce qu'elles soient uniques, et que personne d'autre ne puisse se targuer de posséder la même. Le prêt-à-porter, c'était pour ceux qui n'avaient pas les moyens de se payer autre chose, et Octavia Yaxley avait largement, très largement les moyens.

Pourtant, elle était là. Son regard n'avait de cesse que de scruter l'extérieur pour s'assurer qu'elle était tranquille et qu'elle n'allait pas faire de rencontre déplaisante... Bon, certains n'y comprendraient rien et ne poseraient aucun jugement sur ses achats, mais elle pensait notamment à Clarice, qui se ferait sans doute un plaisir de moquer ses choix vestimentaires, même si Octavia était quasiment certaine que le manteau qu'elle arborait si fièrement depuis les débuts de l'hiver avait été acheté à cet endroit même.

Elle était venue à Pré-au-Lard en dehors de la sortie officielle, organisée la semaine précédente (même si elle avait été là pour cette sortie aussi) afin de pouvoir faire ses essayages tranquillement. Elle avait repéré quelques tenues en vitrine qu'elle verrait bien agrémenter ses tenues habituelles, même si la qualité de tissu pouvait être qualifiée d'un peu "cheap". C'était l'occasion aussi d'acheter des tenues des plus osées... de celles qu'on ne l'autoriserait pas à se payer ("on", c'est-à-dire sa mère).

Elle aimait varier ses tenues, elle avait toujours envie d'acheter de nouveaux vêtements, ses armoires n'étaient jamais assez pleines. C'était comme ça, c'était presque plus fort qu'elle. Elle avait finalement jeté son dévolu sur deux chemises légèrement échancrées, une robe assez courte et décolleté, et complété le tout avec une paire de chaussures, quelques ceintures et accessoires. Et après avoir vidé son portefeuille comme il se devait, les mains pleines, elle se retourna et constata qu'elle n'était plus seule dans la boutique, puisqu'attendait derrière elle pour payer ses propres achats une jeune femme qu'Octavia connaissait plutôt bien...

« Oh, bonjour Lexie, comment vas-tu ? »

Elle s'adressa à elle d'un ton détendu et sûre d'elle. Pour tout dire, elle avait à cette jeune femme un rapport double. Elle n'avait aucun reproche à lui faire, Lexie Hepburn semblait parfaite, et en tout point ce qu'Octavia cherchait à être. Mais justement, il était difficile d'apprécier les personnes qui étaient susceptibles de vous faire concurrence.

« J'ai appris ce qui était arrivé à tes parents. Et que Walburga Black allait épouser Orion à ta place ? Ça doit être dur pour toi, en ce moment, non ? » fit-elle mine de compatir.

Ce qu'elle avait vécu était terrible, mais l'empathie, ce n'était pas dans les habitudes, ou même dans les compétences d'Octavia, ce n'était pas dans sa nature. Et c'était toujours une très mauvaise chose de forcer sa nature, pas vrai ?

Octavia veut bien croire, et sans difficulté, que Lexie n'a pas passé les meilleurs moments de sa vie dernièrement. L'inverse aurait été surprenant. Le décès de ses parents, la rupture de ses fiançailles, elle se retrouve seule avec elle-même, et il y a de quoi ne pas être au meilleur de sa forme et de son enthousiasme.

Lexie est le genre de filles capables de rebondir, c'est clair, mais il y a quand même des situations qui vous mettent plus que d'autres dans des positions franchement inconfortables, voire insurmontables. Lexie a été mise plus bas que terre. Pour Octavia, c'est à la fois une sorte d'avertissement et une sorte de satisfaction. Une mise en garde contre ce qui pourrait lui arriver à elle-même, et la satisfaction de se dire qu'il devenait plus simple d'égaler, voire de dépasser celle en présence de qui elle se sent en concurrence, presque malgré elle.

Elle répond que cette situation est pour le mieux, mais Octavia ne veut pas croire qu'elle le pense. Comment peut-on penser cela de la mort de ses propres parents. Non, elle ment. Et pour ce qui est d'être libre et de faire ses propres choix, c'est toujours illusoire. Personne n'est jamais libre. Et c'est plus simple de s'en rendre compte immédiatement que de se bercer d'illusions et de tomber de dix étages ensuite.

« Et qu'est-ce que ça signifie, faire ses propres choix et décider de son destin ? Qu'est-ce qui compte réellement ? » demande-t-elle en l'observant. « J'ai entendu dire que tu avais pris un travail de vendeuse sur le chemin de traverse, c'est des racontars, je suppose ? »

Elle est curieuse de cela, car elle l'a entendu dire mais n'y a pas vraiment cru. Si décider de son destin revient à être bêtement libraire chez Fleury & Botts, elle s'épargnera sans mal d'être la décisionnaire de son destin, même si elle-même a eu sa propre façon de décider de son destin.

« Tout se passe parfaitement bien à Poudlard, je fais même la une des journaux, tu n'es pas au courant ? Je fais des émules. »

Dans cette situation précise, elle peut faire mine d'en être fière, ce ne sera pas toujours le cas. Mais en effet, la vie d'Octavia à Poudlard est clairement mouvementée, parce qu'elle a tout fait pour, pour attirer l'attention de la bonne personne au bon moment, et elle est fière et ravie, car elle y a manifestement réussi. Elle aurait pu s'y prendre autrement, peut-être que d'agresser violemment une de ses camarades de classe, mais le résultat est là. Et la presse n'a pas oublié de s'emparer du sujet.

Un sourire cynique se dépose sur les lèvres d'Octavia tandis qu'elle entend son interlocutrice défendre ses choix de vie comme s'ils devaient avoir quoi que ce soit de courageux. Elle pourrait dénigrer le métier de mère autant qu'elle le voudrait et prétendre que devoir cravacher dans un métier ingrat pour gagner sa vie est un choix remarquable, dans les faits, il n'y a pas y regarder de très près pour constater que ce n'est ni admirable, ni prestigieux. C'est en tout cas ce qu'Octavia pense, elle qui a été conditionnée par des années et des années d'éducation stricte qui lui avaient inculqué ce que serait sa juste place en ce bas monde, et même si ses choix n'étaient pas toujours compris, ça ne l'empêche pas d'être tout à fait sûre de ce qu'elle fait et de ce qu'elle souhaite accomplir, et personne ne saurait la détourner de ces considérations qu'elle estime être les plus admirables et surtout les plus dignes.

« Ce que tes pathétiques choix de vie disent de toi, Hepburn, c'est surtout à quel point tu es pitoyable. Vraiment... Se défendre d'un métier ingrat sous le prétexte de ne pas mener une vie digne, c'est certainement la chose la plus stupide que j'ai jamais entendue. » Elle la toise un instant avec tout ce qu'elle peut avoir de mépris dans le regard. « Je te croyais un minimum plus intelligente que cela. Mais après tout, tu fais tes choix... je n'irais pas te blâmer de pouvoir me réjouir de ta disgrâce, c'est un de mes passe-temps préférés. »

Comme elle peut se montrer cruelle et insensible. Et pourtant, si quelqu'un est capable de comprendre ce par quoi passe Lexie, c'est peut-être bien Octavia. Elle ne s'en rend pas forcément compte encore, mais l'évolution de sa relation avec Clarice va changer bien des choses en elle, à commencer par sa perception de ces schémas pré-établis que pour le moment elle adopte presque par réflexe, et sans forcément se poser plus de questions que cela, comme si c'était vraiment normal ou encore naturel.

« On dit que j'ai agressé une de mes camarades de classe », répond évasivement Octavia quand Lexie lui demande au nom de quoi les journaux s'intéresseraient un tant soit peu à elle. En somme, pour de mauvaises raisons, mais Octavia ne l'entend pas de cette oreille. Croyez-le ou non, elle réussit même à être fière de son petit coup d'éclat. « C'est faux, bien sûr. »

Non, c'est entièrement vrai, et elle s'en cache plus ou moins bien en fonction de l'interlocuteur qu'elle a sous les yeux.