A

grippine était plutôt douée pour ce qui était de... prétendre s'en foutre. Bon, la plupart du temps, ce n'était pas qu'une impression, elle s'en fichait la plupart du temps. Mais pas toujours. Et pour ces quelques sujets un peu plus délicats, elle n'avait pas son pareil pour faire mine de et passer au-dessus : c'était comme ça qu'elle avait su dépasser le traumatisme des sévices qu'elle avait subi dans le passé, c'était comme ça qu'elle réussissait à accepter, assumer et apprécier, même, être le mouton noir de sa famille. Et elle adoptait encore la même stratégie alors qu'elle était, au fond, toujours bouleversée par les révélations que lui avait faites son frère. Elle n'avait rien changé ni à sa manière de vivre, ni à sa façon de penser... Pour autant, c'est certain que le sujet la travaillait, sans quoi, elle ne mènerait pas sa petite enquête pour connaître l'identité de son père.

Une enquête qui ne s'annonçait pas simple. Même les plus proches amies de sa mère n'avaient pas pu la renseigner. Que ce soit parce qu'elles protégeaient son secret avec beaucoup trop d'investissement ou tout simplement parce que Wilhelmina Tuft avait menti à tout le monde, y compris à ses proches... elle penchait sur la seconde option. Même si son père avait su. Enfin, son "père"... Et clairement, le gars ne se serait pas compromis à parler de ce genre de choses. Bref, ce n'était pas gagné, mais Agrippine n'y passait pas tout son temps non plus. Il lui arrivait simplement de glander chez elle, et de faire sa petite vie. Comme maintenant, où elle se contentait de traîner chez elle, et envisageait vaguement de se faire à manger. Très bonne décision de sa part. C'est toujours une bonne décision de manger, mais d'être chez elle, surtout (ce qui n'était pas si souvent le cas). Parce que si elle n'allait pas à son père, c'était son père qui devait venir à elle. On frappa à la porte, elle n'attendait personne, mais ça arrivait de temps en temps, ceci dit ce n'était jamais Thésée Dragonneau qu'elle trouvait de l'autre côté de la porte, normalement.

-Euh, ouais, entre, dit-elle en s'écartant, pour laisser Thésée entrer.

Il avait l'air... bizarre. Qu'est-ce qu'il venait faire ici. Quand il rentrait en contact avec elle, c'était parce qu'il avait besoin qu'elle le tuyaute sur tel ou tel réseau criminel, mais là, il n'était clairement pas dans son état normal. Il avait besoin de lui parler. Qu'est-ce que ça voulait dire, exactement ?

-Installe-toi, fais pas gaffe au bordel, ajouta-t-elle en leur dénichant deux verres qu'elle remplit d'alcool sans demander l'avis de Thésée. Elle se disait qu'il avait besoin d'un remontant, qu'il en ait conscience ou non. Elle lui tendit son verre tout en le considérant avec curiosité. Bon, qu'est-ce que t'as à me dire de si important ?

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A

grippine n'avait jamais vu Thésée comme ça. Bon, c'est vrai, ils se voyaient toujours dans un contexte professionnel, alors elle ne savait pas vraiment comment il avait l'habitude de se comporter autrement, mais malgré tout, elle avait la sensation que son attitude, cette aura d'appréhension qui l'entourait... ça ne lui ressemblait pas. Elle ne savait pas ce qui pouvait être aussi important, mais elle commençait à se dire qu'il avait été mandaté pour une affaire qui la concernait. Quelqu'un était mort ? Est-ce qu'on avait l'intention de l'envoyer à Azkaban ? Elle n'avait pas envie de se monter le bourrichon avec de fausses suppositions, mais il n'était pas simple de se montrer serein quand, face à elle, elle avait ce Thésée méconnaissable, qui semblait proche de lui annoncer l'apocalypse en devenir.

Heureusement, le suspense n'allait pas être insoutenable bien longtemps, car l'homme ne mit pas longtemps à lui apprendre ce qu'il était venu lui annoncer. Ce qui l'arrangeait, elle n'aimait pas spécialement que l'on tourne autour du pot... et vu ce qu'il avait à lui annoncer, eh bien... mieux valait, effectivement, qu'il ne joue pas avec ses nerfs. Sa mère était donc venue le voir il y a quelques jours de cela, et... Et ? Avant même qu'il ne lui dise toute la vérité, elle la devina. Sa mère lui avait avoué quelque chose... Décidément, elle semblait déterminée à passer aux aveux (sauf avec elle, qui était techniquement concernée aussi, mais bon...), elle était mourante ou quoi ? Oui, en entendant qu'elle lui avait révélé quelque chose, elle avait compris quoi, mais il poursuivit, jusqu'à le dire distinctement. Thésée Dragonneau était son père.

-Putain de merde...

Oui, elle devrait modérer son langage, mais là, elle devait juste... exprimer son sentiment... le choc qu'elle ressentait, somme toute... Des jours qu'elle recherchait l'identité de son père... et il venait frapper à sa porte... Juste comme ça. Et c'était Thésée... et... elle ne savait pas quoi en penser. Elle n'était pas... horrifiée, ou enthousiaste... elle était juste étonnée. Sa mère et Thésée, sérieusement ? Elle n'en revenait pas. Elle vida d'une traite son verre avant de se resservir aussitôt.

-Ca fait des jours que je te cherche, que je t'imagine de plein de façons différentes... et en fait... c'était toi... Je... Elle se passa la main dans les cheveux, prit une grande inspiration. Bordel, je sais même pas quoi dire.

Thésée Dragonneau était son père, et maintenant ? Elle avait un milliard de questions, et en même temps, elle ne réussissait pas à en articuler une seule. Les émotions étaient telles qu'elle ne savait pas les gérer. Elles affluaient, encore et encore... Et c'était juste... un peu trop pour elle.

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U

n sacré choc, c'était le moins qu'on puisse dire, en effet. Encore, le mot "choc" lui semblait encore trop faible, mais il n'en existait malheureusement pas... Alors soit. Oui, c'était un sacré choc, et même à présent que c'était sûr, que c'était établi, Agrippine était juste... incapable de savoir quoi dire ou quoi faire à présent. Ce fut seulement parce que Thésée ne s'arrêta pas là qu'elle sut quoi répondre.

Est-ce qu'elle était déçue ? Elle n'avait pas du tout réfléchi à cela, mais Thésée lui faisait se poser exactement la bonne question. De toutes les émotions qui la traversaient à l'heure actuelle, et il y en avait plus d'une, la déception ne faisait absolument pas partie... En fait, Thésée était peut-être ce qui se rapprochait le plus du père qu'elle aurait idéalement rêvé d'avoir : un homme droit, intelligent, prévenant, sympathique, avec qui elle se soit toujours entendue, et avec lequel elle n'ait jamais envisagé de coucher (l'air de rien, cet argument comptait pour beaucoup, définitivement). En fait, elle était convaincue que si elle avait eu l'occasion de grandir avec un tel modèle, si elle avait eu la chance de l'avoir, lui, pour pèr, elle aurait eu une enfance, une adolescence... une vie bien différentes. Et elle aurait été heureuse.

-Non, je ne suis pas déçue, répondit-elle finalement. Enfin si... je suis déçue de ne pas l'avoir su avant...

Quitte à se découvrir un vrai père, elle était heureuse que ce soit lui... mais ça ne rendait pas la situation moins bizarre, inattendue ou compliquée. Pour le coup, elle ne savait définitivement pas comment s'y prendre ni quoi dire, précisément... Elle avait plein de questions, qui la taraudaient terriblement, elle voulait comprendre ce qu'il y avait eu entre Thésée et sa mère, si ça avait été l'affaire d'une nuit, ou quelque chose de plus sérieux. D'un autre côté, elle n'avait pas non plus envie d'en savoir plus... Elle ne savait pas ce qu'elle préférait entendre sur le sujet. Au fond, autant ne pas poser toutes ces questions tout de suite... ils pourraient toujours y revenir plus tard, après tout.

-Qu'est-ce qu'on est supposé faire, maintenant ? Tu sais, j'ai aucune idée de comment c'est supposé se passer, normalement, les relations père-fille.

Elle en avait fait le deuil dès sa naissance, c'est dire.

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Q

uand Thésée lui assura que lui aussi aurait aimé avoir conscience de la vérité auparavant, Agrippine s'en doutait. Pour lui comme pour elle, cette situation était un véritable choc. Pour lui comme pour elle, cette histoire avait du mal à trouver son sens, parce qu'il était tard, si tard... trop tard, sans doute... Ils avaient sans doute un milliard de choses à rattraper, et pourtant, l'un comme l'autre ne savaient pas de quelle manière s'y prendre. Alors, à partir de là, comment faire ? Y avait-il seulement quelque chose à faire ? Peut-être pas, en réalité.

Il aurait dû avoir des doutes, disait-il, sans doute au moment où sa mère était enceinte. En même temps, elle n'allait pas lui en vouloir de ne pas avoir cherché à savoir s'il était le père. Wilhelmina s'était donné les moyens de faire croire à absolument tout le monde qu'elle était sa fille... ce qui ne l'avait pas empêchée de la renier. Agrippine, dans l'espoir de retrouver son père, avait interrogé toutes les personnes qu'elle pouvait dans l'entourage de Wilhelmina Tuft, et ça avait été sans succès. Sans aucun succès, même. Alors elle avait bien compris qu'en dehors de son père... enfin non, de l'homme qui s'était fait passer pour son père, personne n'avait rien su. De toutes les personnes qui auraient dû savoir la vérité, Wilhelmina avait choisi la pire, et l'enfance de la jeune femme, pour la peine, avait été un véritable enfer.

Agrippine sourit, sincère, quand Thésée affirma être heureux qu'elle soit sa fille... C'étaient des mots qu'elle avait le sentiment de n'avoir jamais entendus. Elle s'était battue toute son enfance dans l'espoir d'obtenir l'approbation de figures parentales qui l'avaient constamment rejetée. Et là, tout à coup, un père surgi de nulle part lui affirmait être fier qu'elle soit sa fille. Elle en pleurerait presque.

-Ouais... t'aurais pas pu mieux tomber, hein, plaisanta-t-elle. Parce que dans les faits, tout parent devait espérer que son enfant soit un exemple de sagesse, d'intégrité, de douceur... bref, tout ce qu'elle n'était pas. Moi aussi, tu sais, je suis... heureuse que tu sois mon père. Je veux dire, t'es du genre... sacrément badass. Je connais personne qui trouverait pas ça cool d'avoir le grand Thésée Dragonneau pour paternel. Elle marqua une légère pause. Elle hésitait. D'un autre côté, c'était le moment de tout mettre à plat, sans doute. Dis... qu'est-ce qui s'est passé entre ma mère et toi ?

Une histoire lendemain ? Ou bien... Quelque part, elle voudrait qu'il y ait un peu d'amour dans son histoire... Encore plus si ça pouvait faire chier son faux père dans l'au-delà.

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A

grippine ne savait pas si elle faisait bien de poser à son interlocuteur plus de questions sur l'histoire qui le liait à sa mère, mais ces interrogations lui brûlaient les lèvres, et elle se rendait bien compte qu'elle n'aurait pas été capable quoi qu'il en soit de les garder pour elle. Elle avait besoin de comprendre l'histoire de sa naissance. Elle avait fondé toute son identité, voire même sa personnalité, sur un mensonge, et ce n'était plus acceptable. Elle avait besoin de comprendre d'où elle venait.

Est-ce que ça changerait quelque chose au bout du compte à qui elle était, à sa manière d'appréhender l'existence. Il y avait de forces chances que non, mais elle avait besoin d'avoir au moins l'entière maîtrise de cette situation encore trop neuve pour qu'elle sache comment la vivre. Et puis, tant qu'elle posait ces questions au fond très pragmatique, elle n'avait pas à penser à la manière dont il lui fallait agir d'un point de vue purement humain, et ça, ce n'était pas plus mal. Elle le sentait, ils avaient tous les deux envie d'essayer de construire une relation père-fille équilibrée. Sauf que la jeune femme n'avait jamais eu de figure paternelle digne de ce nom à laquelle se rallier (elle n'avait pas l'intention de considérer Elliott comme tel), et Thésée, lui, n'avait jamais eu d'enfants (et égoïstement, Agrippine préférait. Savoir qu'il avait eu un enfant qu'il aurait soigné, élevé, aimé quand elle-même vivait l'enfer au sein de la famille Tuft, ça aurait été beaucoup trop pour elle).

Thésée se plia à l'exercice, il accepta de lui répondre. Ils se connaissaient depuis Poudlard, une amitié de longue date, donc, qui avait dérapé quand, après la naissance d'Ignatius, Elliott Tuft avant négligé sa femme. Au fond, l'histoire était ce qu'on fait de plus classique. Et Agrippine était bien placée pour savoir que le temps à raison de beaucoup de mariages, même de mariages heureux... et elle-même était devenue la solution à quelques mariage en train de se déliter. Mais bizarrement, jamais elle n'avait su imaginer sa mère dans cette situation. En tout cas, certaines choses ne changeaient pas, et ça ressemblait bien à Wilhelmina Tuft d'avoir fui et menti à Thésée plutôt que de lui avouer qu'elle était enceinte. La lâcheté sous couvert d'honneur et de fierté. Et Ignatius, ballotté entre tout ça. Elle, pas encore née, qui avait définitivement creusé le fossé entre deux époux... Indigne d'être considérée comme leur fille pour la peine.

-Tu l'aimais... ? demanda-t-elle, réalisant à peine qu'elle posait cette question. C'était venu tout seul, comme un besoin désespéré d'être née de quelque chose de plus important que le désir ou la lassitude. ... Non, laisse tomber, c'est pas important.

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B

on, d'accord, c'était effectivement important pour Agrippine, ou du moins plus important que ce qu'elle voulait bien admettre. Elle avait besoin de savoir si ses parents s'étaient aimés, si à un moment ou à un autre de son histoire, il y avait bel et bien eu de l'amour. Et Thésée accepta de lui répondre, sans doute parce qu'il comprenait mieux qu'elle-même pourquoi cette question avait été la première qu'elle avait voulu poser, comme une nécessité, et ce même si elle ne savait pas réellement ce qu'elle allait faire de cette information, et ce qu'elle préférait entendre.

Thésée avait aimé sa mère, et sa mère l'avait aimé. C'était... bizarre, vraiment bizarre. C'était déjà étrange de se dire que sa génitrice avait pu tromper son père (enfin, l'homme qui se faisait passer pour son père même s'il ne s'était jamais comporté comme tel à son adresse), mais c'était encore plus étrange de se dire que cette relation avait pu être... sentimentale. Pas que Wilhelmina Tiuft soit incapable de sentiments, après tout, elle aimait son fils, et... Elliott, même si pour le coup elle ne savait plus quoi en penser. Mais... bref, non, c'était juste bizarre. La jeune femme était juste incapable d'imaginer sa mère et... eh bien, son père, ensemble. Pour elle, ça ne collait pas, c'était aussi simple que ça. Ceci dit, cette réponse valait sans doute mieux que l'autre, même si elle ne savait pas exactement ce que ça changeait, profondément, pour elle.

-Bon... au moins, ça explique pas mal de choses, répondit-elle sur un ton qui se voulait amusé mais était en fait plus amer qu'autre chose.

Ceci dit, oui, en vérité, c'était parce que sa mère avait aimé son père qu'on l'avait détestée autant. Si elle n'avait été le fruit que d'une aventure de passage, Mr Tuft ne l'aurait pas détesté si viscéralement, si Wilhelmina Tuft n'avait pas aimé Thésée Dragonneau, elle n'aurait pas ignoré son existence. Peut-être qu'elle lui rappelat juste beaucoup trop ce à quoi elle avait renoncé.

-T'en as parlé à quelqu'un ?

Elle n'avait aucune idée de ce à quoi ressemblerait leur relation maintenant, mais il semblait au moins nécessaire de se mettre d'accord sur l'éventuelle confidentialité de l'affaire. Même si, de son côté, Agrippine n'avait aucune envie de cacher la vérité à qui que ce soit. En fait, ce serait même tout l'inverse, plutôt.

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E

n vérité, Agrippine était heureuse que Thésée en ait parlé à quelqu'un d'autre. Elle n'aurait pas voulu devenir le secret honteux de cet homme, qu'il aurait cherché à tout prix à garder pour lui afin de ne pas assumer ce qu'il aurait estimé être un faux pas, une erreur de jeunesse aux conséquences dramatiques. Oui, elle appréciait qu'il en ait parlé, et il le lui reprocherait d'autant moins que si elle-même n'avait pas été directement informée de la situation par Ignatius, elle aussi se serait immédiatement confiée à son frère avant qui que ce soit d'autre.

C'était d'ailleurs ce qu'elle comptait faire maintenant qu'elle savait l'identité de son père, elle avait la ferme intention de mettre son aîné dans la confidence. Donc non, ça ne la dérangeait pas, même si ça lui procurait un sentiment étrange de se dire que Norbert Dragonneau, qu'elle connaissait évidemment de réputation, était un des rares informés de la situation. Bon, c'était logique, techniquement, elle était sa nièce. Mais elle se faisait déjà au fait d'être la fille de son père, on verrait plus tard pour ce qui était d'être la nièce de son oncle.

Elle fut, à vrai dire, étonnée, mais également particulièrement touchée d'entendre ce que le frère de Thésée lui avait dit. Elle ne s'était pas forcément attendue à être si bien accueillie par la famille de Thésée (à laquelle, techniquement, elle appartenait). Elle était la bienvenue dans la famille, elle était la bienvenue dans une famille. C'était un sentiment étrange... mais franchement agréable néanmoins.

Le propos de Thésée était terriblement touchant, et elle s'en voudrait presque qu'il puisse s'imaginer qu'elle ne veuille pas de lui de sa vie. C'était faux, complètement faux. Elle n'avait jamais eu besoin d'un vrai père, elle aurait préféré ne pas en avoir du tout que celui qui l'avait élevé. Mais elle n'avait pas envie de passer à côté de cette chance, celle de se rapprocher de l'homme qui aurait dû être à ses côtés depuis sa naissance, et à qui l'on avait refusé cette chance.

-Je veux que tu fasses partie de ma vie, répondit-elle très sérieusement, comme il était bien rare qu'elle le soit. J'ai besoin que tu fasses partie de ma vie. Elle marqua une pause. Je sais pas comment m'y prendre, mais... On pourrait au moins... essayer de rattraper le temps perdu ? Et si ta famille veut m'intégrer... J'adorerais rencontrer ton frère, ton neveu, les gens qui comptent pour toi.
   


   

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S

i Agrippine était en mesure de voir la scène qui était en train de se jouer entre eux de l'extérieur, il était très probable qu'elle s'en amuserait beaucoup, ou qu'elle parviendrait, par elle ne sait quel miracle, à la trouver attendrissante. Mais non, elle n'était pas spectatrice mais actrice, et elle ne réussissait pas à mettre des mots sur ce qu'elle ressentait. Elle éprouvait un mélange étrange d'enthousiasme et d'incertitudes, de bonheur et de craintes.

D'une certaine manière, elle vivait un moment qu'elle avait toujours espéré sans même savoir que c'était ce qu'elle attendait réellement. Et d'un autre, elle avait le sentiment que ce genre de situations ne pouvaient pas être faites pour elle, que quelque chose allait forcément foirer... parce qu'en règle général, quand quelque chose allait bien dans sa vie, un autre pan de cette dernière se fracassait. Ceci dit, c'était peut-être déjà le cas, parce que sa décision de créer un véritable lien avec son père biologique allait très clairement fracturer le lien déjà fragile entre Ignatius et elle.

Quoi qu'il en soit, et même si cette situation l'angoissait un peu, ce n'était pas pour autant qu'Agrippine y réagirait autrement qu'à son habitude. Elle allait toujours jusqu'au bout de ce qu'elle voulait, et ne laissait pas ses initiatives être parasitées par la crainte, même quand elle le pensait bel et bien. Alors ils allaient réussir à créer quelque chose, à établir une relation qui en vaille la peine, elle en était sûre et certaine. Elle le devait à son enfance foirée. Et elle le devait à Thésée.

-Une Dragonneau..., répéta-t-elle, et ce simple constat fit naître sur ses lèvres le plus sincère des sourires.

C'était super... bizarre. Mais c'était aussi vraiment plaisant. Agrippine Dragonneau. Elle trouvait que ça sonnait bien. C'était un nom qu'elle serait capable de porter avec fierté... D'accord, beaucoup dirait qu'il n'y avait aucune honte à s'appeler Tuft... mais elle avait horreur de tout ce qui se rapportait à ses parents, ce n'est pas pour rien qu'elle cherchait à leur ressembler le moins possible.

-Je crois bien que je pourrais m'y faire assez rapidement. Elle marqua une légère pause. Et tu sais, pour ta famille, je ne pense pas qu'elle puisse être plus dérangée que les Tuft dans tous les cas.

Et puis, en matière d'excentricité, on ne pouvait pas dire qu'Agrippine rentrait vraiment dans les cases les plus conventionnelles non plus.

-Bon.. hum... Peut-être que le plus simple, c'est qu'on apprenne à mieux se connaître pour commencer ? Est-ce qu'il y a des choses sur moi que tu voudrais savoir ?



   

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U

n fin sourire décora les lèvres de la jeune femme quand, en guise de réponse, Thésée lui répondit "tout". Au fond, que pouvait-il lui répondre d'autre ? Certes, il aurait pu lui poser des questions déjà ciblées, mais il était évident que, dans tous les cas, ils avaient tout à apprendre l'un de l'autre. Ce n'était pas en une conversation que ça se ferait, c'est certain, mais ne serait-ce que mettre à jour l'essentiel serait une bonne première étape, sans aucun doute.

-J'espère que tu as du temps devant toi, dans ce cas, s'amusa-t-elle à lui répliquer sans se départir de son sourire.

Agrippine était une belle parleuse, elle pouvait être sacrément bavarde quand elle s'y mettait, mais il était rare, vraiment très rare, qu'elle parle d'elle-même, en revanche. Non, la plupart du temps, elle parlait de tout ce qui l'entourait avec force détails et ne restait qu'en surface de sa propre vie. Elle laissa passer un temps de silence. Il fallait qu'elle réfléchisse à ce qu'elle voulait dire, ne pas dire... à ce qu'elle estimait bon de garder pour elle et ce qu'elle trouvait préférable de partager avec lui. Serait-elle vraiment capable de "tout" lui raconter ? Sans doute pas. Ou du moins pastout de suite.

-Mon père - enfin, mon faux père, du coup - m'a toujours détestée... C'était son point de départ. Le plus logique, le plus évident. En même temps, sa vie n'aurait pas été la même, elle n'aurait pas été la même si elle avait entretenu d'autres rapports avec le reste de sa famille. Maintenant, je comprends pourquoi, ajouta-t-elle avec légèreté. Elle ne voulait pas s'émouvoir de son propre récit. Oui, elle en avait bavé, mais elle en était revenue, c'était ce qui comptait. Ma mère aurait sans doute voulu que je sois jamais née, et mon frère, ben... il a fait ce qu'il a pu, avec moi, mais j'étais jamais à la hauteur, alors... J'ai quitté cette famille de fou dès que j'ai pu. Elle ne s'attardait pas sur les supplices infligés par Elliott Tuft, elle n'en parlait pas si facilement. Et vu la réaction recueillie la seule fois qu'elle s'était ouverte sur le sujet, elle n'avait pas forcément envie de réitérer. J'avais pas un rond, aucun diplôme, alors je me suis démerdée comme j'ai pu. Et je pense que tu sais à peu près où ça m'a amenée.

   

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A

grippine se doutait de ce que Thésée pensait en apprenant son histoire (ou ce qu'elle acceptait de lui en dire, du moins, ce qui n'était au fond pas grand-chose en comparaison de ce qu'elle pouvait bien avoir à lui apprendre encore)... Il s'en voudrait sans doute de ne pas avoir été présent, considèrerait qu'il était en partie responsable de ce qui lui était arrivé... Pourtant, ce n'était pas du tout dans le but de l'accabler qu'elle lui apprenait tout ça... c'était juste... qu'il cherchait à mieux la connaître, et elle ne pensait pas qu'il puisse être possible de la cerner et de se rapprocher d'elle sans savoir cela d'elle.

Ce n'était pas pour rien si elle jouait sans cesse avec la vérité, si elle n'avait de cesse que de brouiller les pistes concernant son passé (notamment au sujet de ces cicatrices, qui changeaient d'origine en fonction de ses interlocuteurs), c'était justement pour éviter au possible que qui que ce soit puisse se rapprocher d'elle. La perspective de ce genre de proximité l'angoissait terriblement. Elle avait peut-être tort, elle y gagnerait peut-être à se laisser... approcher... autrement qu'en appréhendant cela comme un simple jeu. Mais c'était plus fort qu'elle...

En ce sens, elle faisait une exception pour Thésée. Puisque c'était lui, puisqu'il était son père, elle voulait lui donner l'occasion de mieux la connaître. Même s'il faudrait sans doute beaucoup de temps pour qu'ils parviennent à s'apprivoiser mutuellement. Les bagages d'Agrippine étaient relativement lourds, et par excès de fierté, elle n'aimait pas qu'on l'aide à les porter. Mais qui sait, ça changerait peut-être ?

Elle avait vu juste, Thésée s'excusa. Et elle s'en voulait de le faire culpabiliser, ce n'était définitivement pas le but de la manoeuvre. Et puis, ce n'est pas comme s'il aurait pu y faire quoi que ce soit. Pour cela, il aurait fallu que sa mère se montre honnête des années auparavant. Et de toute évidence, elle n'en avait pas été capable.

-Ouais, j'en ai bavé, admit Agrippine dans un haussement d'épaules, comme si ce n'était rien. C'était quelque chose, mais pas la peine d'en faire tout un plat non plus. Mais t'as pas à t'excuser, tu sais, t'y es vraiment pour rien. Et puis, bon... Je dis pas que si je pouvais remonter le temps, j'irais pas balancer tout ce que je sais maintenant à la moi du passé, mais je regrette rien. Sans tout ça, je serais pas qui je suis maintenant, donc... C'est un mal pour un bien, j'imagine.
   

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A

grippine se rembrunit légèrement en entendant la réponse de Thésée. Elle allait peut-être un peu trop vite en besogne et interprétait mal ses paroles, mais elle avait un peu trop le sentiment de comprendre ce qu'elles sous-entendaient, et ce qu'elles sous-entendaient ne lui plaisait pas. Bon, au fond, elle pouvait le comprendre. Il devait être difficile de considérer que ce qu'elle était à ce jour était un exemple d'accomplissement, pas le genre de chose dont on devrait être fier normalement. Mais Agrippine l'était sincèrement.

Oui, elle n'était pas riche, non, elle n'était pas installée dans une vie professionnelle louable, non, elle n'était pas bonne à marier et ne le serait jamais... mais elle adorait sa vie pour la simple et bonne raison qu'elle n'appartenait qu'à elle. Elle s'était construite toute seule, et à ses yeux, ça valait bien tous les gallions du monde. Et puis, elle n'était pas malheureuse. Ca devait être difficile à comprendre, mais elle adorait son appartement miteux, elle adorait avoir un homme différent dans son lit toutes les nuit, elle adorait fréquenter la fange de l'humanité et y être admise... bien sûr, ça faisait d'elle tout sauf la fille respectable d'un Auror mais... par la force des choses, c'est ce qu'elle était.

Elle aurait sans doute eu une vie très différente si elle avait grandi au côté de son père biologique. Et oui, elle l'aurait voulu, vraiment... Mais elle n'avait pas envie de renier qui elle était ni regretter ce qu'elle était... Et elle espérait que Thésée serait capable de l'accepter comme elle était, totalement, y compris dans ses (très nombreux) travers. Bon, il ne la fustigeait pas non plus, il reconnaissait seulement qu'elle seule était à même d'en juger, propos avec lequel elle était entièrement d'accord : oui, elle était de cet avis aussi.

Mais elle sentait, de fait, que le jugement de Thésée était très différent... et c'était plus fort qu'elle, elle aurait voulu qu'il supporte ses choix de vie sans les déplorer. Même si c'était évidemment impossible. Thésée était un homme intègre, à la moralité irréprochable, alors forcément qu'il devait tiquer quand il savait que sa fille nageait dans l'illégalité à longueur de temps. Certes, elle était une petite frappe. Mais une frappe quand même.

-Bon, assez radoté sur moi, décréta-t-elle comme pour balayer d'un revers toutes ses pensées. A ton tour. Parle-moi de toi.
   

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A

grippine comprenait bien que, pour le moment, il valait mieux changer de sujet et ne plus s'attarder sur sa personne. Elle n'avait pas eu trop envie d'y réfléchir jusqu'ici (en même temps, ce n'était pas comme si elle avait vraiment eu le temps de réfléchir tout court à la question tant tout ceci lui était tombé dessus sans qu'elle s'y attende ne serait-ce qu'une seule seconde), mais il fallait bien qu'elle accepte le fait qu'à peine le père et la fille se retrouvaient que certains points de discorde apparaissaient déjà. Elle aimerait pouvoir tout dire à Thésée, tout partager avec lui, mais elle savait pertinemment qu'elle ne le pourrait pas. Sa vie était beaucoup trop dissolue...

C'était ainsi. Personne ne savait vraiment tout d'elle, elle était habituée, dans le fond, à adapter ses discours aux personnes à qui elles s'adressaient, si bien que la plupart ne voyaient qu'une facette d'elle et en ignoraient beaucoup d'autres. Au final, il n'y avait qu'avec Ignatius qu'elle avait fini par se montrer totalement transparente, et encore, cela lui avait pris beaucoup de temps. Elle ne savait pas quel degré de complicité elle parviendrait à atteindre avec Thésée, mais il faudrait prendre compte de sa barrière, qui resterait forcément bien présente, qu'elle le veuille ou non. Ce n'était pas si grave, elle prendrait quoi qu'il en soit ce que Thésée accepterait de lui donner de son côté. Son histoire à lui, par exemple ?

Et il choisit de commencer par le début. Ce qui n'était pas si mal, parce qu'Agrippine ne savait rien de tout ce qu'il lui apprenait. Elle ignorait que la mère des frères Dragonneau élevait des hyppogriffes (pas besoin de se demander d'où venait la vocation du plus jeune des deux frères, avec ça), elle ignorait que leur père était décédé quand ils étaient jeunes. Pour le reste, elle n'était pas surprise. Marié à son travail, fidèle à sa famille. Agrippine eut un moment d'hésitation. Elle avait envie de s'inclure pour de bon dans cette famille pour laquelle il serait prêt à sacrifier à sa carrière, et au fond, il l'avait dit, qu'elle était une Dragonneau. Mais... c'était trop tôt, et mieux valait ne pas faire de commentaires.

-Et il n'y a personne dans ta vie ? Je veux dire, une femme, par exemple ?

Oui, ça devait avoir l'air sacrément indiscret, mais Agrippine se disait quand même que si Thésée fréquentait quelqu'un, même si ça devait ne pas être sérieux pour le moment, son existence pourrait bien compliquer les choses.
   

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