Les jours s'enchaînaient et finissaient par se ressembler un peu. La routine était un concept étrange à accepter dans des circonstances comme celles qui se rencontraient ces derniers temps.

Les emplois du temps scolaires, les petits tracas étudiants, ces petits riens sans importance qui s'oublieraient bien vite et qui étaient propres à l'adolescence étaient déjà une leçon en soi. Que la vie continuait imperturbablement, quoi qu'il se passe à l'extérieur.

Lysandre avait vraiment le sentiment de vivre en vase-clos dans une bulle protectrice que rien ne pouvait faire exploser tant qu'elle restait à l'intérieur, du moins c'est ce qui se passait quand elle était à Poudlard. Et ça avait quelque chose de confortable et d'embarrassant à la fois.

Parce qu'elle avait de plus en plus nettement le sentiment que la vie, la vraie, était dehors, et que malgré ses efforts pour s'y investir, elle était limitée par des choses presque dérisoires, comme le règlement intérieur de l'école de sorcellerie.

Il y avait la Résistance, la pierre qu'elle cherchait à apporter à l'édifice, et tous ces moments où elle se sentait impuissante à agir, comme maintenant, quand elle savait que l'agitation régnait à l'extérieur, que des membres parmi les plus emblématiques de la Résistance était en danger... et elle, pendant ce temps-là, elle allait rempoter des ravegourdes. C'était proche du ridicule. Mais ça faisait partie du jeu... Même si "jeu" était un choix de terme sans doute assez inapproprié, c'est vrai.

Elle attendait le début du cours, un peu à côté de ses pompes. Pas seulement parce que c'était le matin, mais parce qu'elle avait la tête ailleurs, tout simplement, si bien qu'elle remarqua à peine la présence de Kennil quand il s'installa à côté d'elle après être arrivé en retard... De manière générale, isolée qu'elle était, elle n'avait de toute façon pas grand chose à dire à la grande majorité de ses camarades, encore moins à Kennil, grand ami de Melody, et donc, par extension, tout sauf son ami à elle.

Mais leurs affinité, le professeur de botanique s'en fichait. Ils allaient devoir travailler en binôme, c'était comme ça, on ne leur laissait pas le choix, comme le dit si bien son camarade.

“Bon... il semblerait qu’on ait pas le choix.”

"N'aie pas l'air trop enthousiaste, surtout", répondit Lysandre avant de regretter immédiatement cette pique qui n'était pas forcément immérité mais qui n'était pas vraiment son genre.

« Tu ne sembles pas l’être beaucoup plus de ton côté tu sais. »

Non, c'est sûr, et elle n'allait certainement pas sauter au plafond vu les circonstances. Le fait, par ailleurs, qu'il considère le fait de travailler avec elle comme la pire corvée du siècle ne l'aidait pas particulièrement à se montrer plus amène et coopérative.

L'un dans l'autre, il avait tout de même raison, il ne servait vraiment à rien de se tirer dans les pattes. Il était préférable, à la place, de faire de leur mieux pour fournir le meilleur travail possible. Malheureusement, on ne pouvait pas dire qu'ils démarraient du bon pied, et Lysandre ne se sentant pas particulièrement de bonne humeur, elle avait quelques difficultés à feindre la camaraderie ou même le... professionnalisme.

Au fond, elle aurait dû rester au fond de son lit. Elle l'avait senti dès l'instant où ses yeux s'étaient ouverts, et ce début de conversation venait encore le lui confirmer.

« Je n’ai pas l’intention de me bouffer le nez avec toi, alors tâchons de faire preuve de professionnalisme, d’accord ? »

"C'est toi qui as commencé, je te ferais remarquer", répondit Lysandre avec l'argumentaire d'une gamine de douze ans. "Aussi incroyable cela puisse-t-il te sembler, moi non plus je n'ai pas envie de me bouffer le nez avec toi."

D'autant moins qu'elle détestait le conflit. D'accord, d'accord, c'était un peu un comble pour une résistante que de détester le conflit, mais c'était en partie parce qu'elle l'avait en horreur qu'elle avait justement décidé de l'empêcher quand elle le pourrait. Et pour le reste, elle n'avait pas la force de caractère de Melody, celle qui lui permettrait d'être insensible à l'opinion que les autres avaient d'elle.

Quand quelqu'un ne l'appréciait pas, ça la touchait, ça l'éprouvait physiquement. Et donc, clairement, non, elle ne prenait pas plaisir aux prises de bec, loin de là. Surtout qu'elle n'avait de toute manière aucune repartie, c'était même ridicule à ce stade.

"Bon, le prof a parlé d'apaiser les choux mordeurs pendant qu'un autre les déracine. Tu sais comment on apaise des choux toi ?"

Dans le genre qui pouvait éventuellement détendre l'atmosphère... ce début de conversation avait quelque chose de presque absurde, en fin de compte. Et ce n'était pas plus mal.

« Non… pas vraiment. Je ne suis pas vraiment doué en botanique, mais c’est peut-être écrit quelque part dans le livre. »

Lysandre poussa un soupir à son tour en entendant la réponse de son interlocuteur. Est-ce qu'elle pouvait lui en vouloir de ne pas avoir une information qu'elle n'avait pas elle-même ? Non, mais elle aurait bien aimé qu'il aille chercher directement l'information, histoire qu'ils avancent le plus vite possible.

C'était dur de mettre de la bonne volonté, de mettre de l'eau dans son vin. Et le fait qu'ils se retrouvent tous deux en binôme dans une matière qu'ils ne maîtrisaient ni l'un ni l'autre n'aidait pas spécialement non plus, forcément... Lysandre aurait bien aimé que Linus ait été capable de lui transmettre d'autorité toutes ses connaissances en la matière. Avec ses connaissances à disposition, ils auraient réglé cette histoire en deux temps trois mouvements.

"Oh mais quelle brillante idée", répondit Lysandre sans être capable de se montrer autre chose qu'ironique tout en se saisissant de son manuel de botanique, bien au chaud dans son sac.

Elle n'aimait pas sortir son bouquin en plus cours, surtout quand elle avait l'impression qu'ils étaient les seuls à le faire, et que donc, il leur manquait une information qu'ils auraient dû connaître et que tous les autres maîtrisaient parce que, à leurs yeux, c'était absolument normal.

Un peu fébrile, parce qu'elle n'avait pas envie qu'ils perdent des heures à ce sujet, elle commencer à feuilleter très rapidement les pages jusqu'à tomber sur celle qui concernait les choux mordeurs de Chine. Son doigt suivait les lignes de la page tandis qu'elle lisait le plus rapidement possible.

Aussi appelée Brassica amarissium... blablabla... aime les sols humides... blablabla... N'excède pas les 60 cm... Tout en passant rapidement ces informations, elle les murmurait entre ses lèvres à demi-closes. Bon, c'était bien joli, tout ça, mais ça ne lui disait pas comment on apaisait les choux mordeurs ? Déjà qu'elle ne passait pas la meilleure journée, elle aimerait bien, tant qu'à faire, éviter de se faire manger un doigt, très peu pour elle.

"Mais qu'est-ce que j'en ai à faire que le chou mordeur ait un goût de châtaigne", s'énerva-t-elle toute seule avant d'enfin dénicher ce qui l'intéresse. "Ah ! J'ai ! Un immobulus peut faire l'affaire, mais aux risques que la plante perde ses propriétés... ou bien on peut lui chanter une berceuse..." Elle pouffa légèrement, elle ne s'attendait pas à ça. "Tu te dévoues ?"

« Je n’imagine même pas comment les botanistes se sont dit qu’il fallait essayer de chanter une berceuse pour voir si ça pouvait fonctionner. »

D'accord, la remarque de Kennil fit sourire Lysandre. Elle pouvait bien faire sa mauvaise tête et décider de se montrer désagréable avec son interlocuteur par principe, mais il n'était pas dans sa nature de s'en prendre aux autres, surtout quand ils ne lui faisaient rien sur le moment.

Alors elle pouvait bien admettre que sa réflexion était à la fois drôle et pertinente. Car oui, à quel moment est-ce que les botanistes se disaient, d'un coup, que c'était intéressant ou pertinent de faire ça ? En même temps, c'était comme se demander qui le premier avait trouvé un champignon en forêt et s'était dit "sur un malentendu, ça se mange".

"Il s'ennuyait peut-être très fort et il avait décidé de chanter pour s'occuper ?" suggéra-t-elle avec un léger sourire.

Il faudrait qu'elle parle de ça à Linus, tiens, lui qui était passionné par les plantes, il trouverait sans doute tout un tas de choses à en dire et à en penser. Mais pour le moment, il fallait qu'elle accepte de jouer le jeu.

« Quoiqu’il en soit, je n’ai pas assez confiance en mes capacités de chanteur pour tenter l’expérience. Je pense que ça le mettrait plus en rogne que ça le calmerait. »

"C'est écrit qu'il faut chanter, pas qu'il faut bien chanter", corrigea Lysandre. "Mais si tu te dégonfles...", reprit-elle, pas pour être désagréable, cette fois. "Tant pis pour tes oreilles."

Parce qu'elle non plus, elle ne chantait clairement pas très bien. Elle prit une grande inspiration, les joues déjà roses, elle sentait d'avance qu'elle allait s'humilier en bonne et due forme, elle qui ne savait absolument pas chanter et qui n'avait pas du tout l'oreille musicale.

Elle chanta à voix si douce qu'on aurait presque dit qu'elle murmurait sa berceuse. Une version pas forcément très mélodieuse de "Dodo l'enfant do", dont elle ne connaissait que très vaguement les paroles. Le résultat était assez ridicule, et elle n'était pas sûre que ça fonctionne, en plus. Elle allait sûrement passer pour une idiote, d'un autre côté, ça avait été son idée... maintenant, que ça lui plaise ou pas, elle était bien obligée d'assumer malgré tout.