Oups. Un coup d'oeil à sa montre lui permet de constater assez sûrement qu'il a perdu la notion du temps. Une heure du matin, déjà. Il a loupé l'heure du dîner, de très loin. Quelques indices avaient pu lui mettre la puce à l'oreille, aussi... Notamment les quelques gargouillis de son ventre en début de soirée, mais la faim s'était laissée assez rapidement oublier, et puis, il avait un appétit assez différent à assouvir. Difficile de se rappeler l'heure qu'il est quand on se perd dans les courbes sensuelles d'une jolie femme. Et quelle femme, cette Jessica. Attendez, il a un doute. Non, Jessica, c'était la petite blonde de l'avant-veille, cette serveuse à l'oeil aguicheur qu'il avait raccompagné après son service. Ce soir, c'était une blonde. Jolie comme un coeur même si un peu trop jeune pour lui. Tanya...? Anna ? Anya ? Ah oui, Alma... Ils n'ont pas pris le temps de beaucoup parler, il faut l'excuser pour ça. De toute façon, il ne la reverra pas. Il ne les revoit jamais. Ce serait hors-propos.

Une heure du matin. Il n'a pas prévenu de son retard, mais en même temps, il y gagnerait plus s'il prévenait pour les moments où il est là à l'heure à la maison. Pas pour autant qu'il va nourrir des scrupules quand même. Les scrupules vous tuent les instants les plus agréables, et Harfang aime jouir de la vie.

Quand il rentre au manoir des Londubat, toutes les lumières son éteintes, forcément. Il rentre en catimini, dépose doucement sa veste d'hiver sur le porte-manteau du hall. L'elfe de maison lui-même a renoncé, apparemment, il doit dormir dans sa planque. D'habitude, même à des heures indues, il peut lui courir après, lui cirer les pompes (aux sens propre et figuré) et lui demander comment s'est passé sa journée. C'est bien, Harfang n'a pas envie de parler, il est crevé. Les nuits d'amour vous usent l'énergie, mais elles en valent la peine. Un passage express par la salle de bains. Puis il se glisse dans le lit conjugal aussi discrètement que possible. Il s'agirait de ne pas réveiller la maîtresse de maison. Il lui semble qu'elle s'agite un peu. Sa petite tentative d'infiltration furtive n'a pas eu l'air très efficace.

Il espérait échapper aux petites remontrances du soir, de toute évidence, c'est rapé. Il aurait dû se montrer plus discret, bon, mais il s'était pensé au maximum de ses capacités en matière de furtivité. En même temps, quand il a un peu trop d'alcool dans le sang comme maintenant, il a la fâcheuse tendance à se croire le roi des infiltrés quand il n'est pas plus discret qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Bon, ça l'ennuie, il préférerait s'enfoncer dans son matelas, s'emmitoufler dans ses draps et fuir la conversation, mais c'est mort. Il songe qu'il pourrait ignorer son épouse et s'endormir ou faire semblant sans lui répondre, sauf que s'il n'adopte pas cette technique, c'est qu'il a déjà essayé et que le résultat n'a pas été concluant du tout, on peut même dire que ça a été un bon gros bide. Alors à la limite, vaut mieux l'avoir tout de suite, cette conversation, comme ça, il dormira plus vite. Et bon Dieu, qu'est-ce qu'il est crevé. Comme il s'en passerait bien, de ce petit épisode.

"Réunion de travail... ça a fini tard", il marmonne sans aucune conviction et sans dissimuler l'agacement qu'il ressent d'office vis-à-vis de ce qu'il pressent devoir être un épuisant interrogatoire.

Elle sait très bien où il était, elle n'est pas bête, sa femme. Harfang considère même qu'elle est beaucoup, beaucoup plus maligne que lui. Mais qu'est-ce qu'elle attend de lui. Qu'il passe aux aveux ou non, ça ne changera rien. Elle lui fera savoir son mécontentement, il lui fera savoir qu'il ne compte rien changer à sa manière de vivre. Ce sera un effort vain. Ne peut-elle se contenter des excuses d'usage comme le font toutes les autres épouses (parce qu'elles sont plus rares qu'on le croie, celles que leurs époux ne trahissent pas au prétexte de réunion de travail tardive). Il ne lui demande que d'accepter et de se taire, mais elle fait partie de cette catégorie de femmes admirables et agaçantes qui parlent toujours et qui parlent trop. C'est tant pis pour lui, du coup.

Il y a longtemps que Callidora n'est plus dupe de ses sorties nocturnes, et il y a longtemps que Harfang n'essaie pas d'apaiser la défiance de Callidora. Il a accepté qu'elle accepte en silence. Mais justement, d'habitude, elle se tait, ce qui lui convient pas, mais pas cette fois. La coupe doit être pleine, elle en a apparemment assez de serrer les dents sans mot dire et compte bien le remettre à sa place. Pas de bol, il est crevé et n'a vraiment pas besoin d'entendre ça maintenant. Lui, il a juste envie qu'on le laisse tranquille et dormir un peu. Maiss Callidora est borné, il sait que tant qu'il ne serait pas passé aux aveux, elle ne le laisserait pas tranquille. Ce n'est pas grave, si elle a envie d'en parler, soit, alors qu'ils en parlent. Comme ça, après ça, il pourrait peut-être enfin passer à autre chose et savourer une nuit un peu reposante si possible.

"C'est vraiment important ?" demande-t-il en tournant son regard vers sa femme.

S'il ne répond pas directement à sa question, c'est en partie parce qu'il ne s'en souvient pas, du nom de cette fille, pour tout dire, mais effectivement, il n'estime pas que ce soit important. Ce qu'elle lui reproche, ce n'est pas d'avoir vu telle ou telle fille. Ce n'est même pas de l'avoir trompée, d'ailleurs, pense-t-il, c'est juste de ruiner peut-être une réputation à laquelle elle tient comme à la prunelle de ses yeux, sans doute plus qu'à sa propre fille (mais lui ne peut rien dire à ça car il ne prête qu'une attention mineure à Augusta). C'est une des choses qui font qu'il hésite entre l'admiration et l'agacement la concernant. Elle est constamment dans le contrôle, qu'elle ne s'étonne pas qu'il lui préfère des filles qui ont adopté le lâcher-prise comme philosophie de vie. Des personnes comme Agrippine.

"Tu n'es pas jalouse, tout de même ?"

Il est sûr qu'elle ne l'est pas, mais il apprécierait qu'elle le soit. Elle ferait preuve d'un minimum d'émotion au moins.

Et voilà. On y est. Les grandes réprimandes. Il est fatigué, exténué, il a juste envie de se plonger au fin fond de son matelas et de s'y laisser disparaître, et voilà qu'il se retrouve à l'entendre parler de leur famille, de la réputation qu'il est en train de ruiner. Bla. Bla. Bla. Il se fait violence pour ne pas lever les yeux au ciel. Au fond, il aurait préféré qu'elle soit jalouse. Ce serait un peu plus valorisant et donc un peu plus supportable. Mais non, bien sûr. Il doit donc faire de son mieux, attendre que l'orage passe et que Callidora se lasse. C'est sûr que ça finira bien par arriver. Elle ne peut pas cracher sa bile ad vitam aeternam non plus. Il pousse un soupir, il a bien envie de la laisser partir et de ne rien répondre, parce qu'elle le fatigue, mais s'il ne répond pas, ça risque d'être encore plus long, alors mieux vaut se tenir à carreau et donner quelque chose que Callidora puisse se mettre sous la dent.

"Je sais plus son nom, ça te va ?" répond-il honnêtement, à bout de patience. "Ne t'en fais pas, j'ai fais gaffe, personne n'ira gâcher la charmante réputation de notre famille, si c'est tout ce qui te préoccupe."

Je ne sais pas si elle va le croire quand il lui apprend ne plus se souvenir de sa conquête du soir, mais c'est vraiment ça. Ce n'est ni de la manipulation, ni de la mauvaise foi, il s'avère qu'il ne sait réellement plus ce qu'il est est. Il ne l'a pas choisie pour le charme de son prénom. Tout ce qu'il sait, c'est qu'elle n'est pas le genre à aller colporter aux familles de sang pur ses histoires intimes. L'honneur des Londubat est sauf. Et maintenant, il veut dormir, juste dormir. Et qu'elle soit satisfaite qu'il ne connaisse pas le nom de sa maîtresse. Au moins, c'est sûr que ce n'est pas une amante régulière. C'est quand les liaisons extraconjugales deviennent sérieuses qu'elles sont problématiques, mais ce n'est pas ce que je fais.

Il ne retient pas un soupir (qui s'approche un peu du bâillement, parce que définitivement, il est crevé) quand sa chère et tendre épouse lui rappelle que la réputation de leur famille est tout ce qui lui importe. Qu'on ne lui fasse pas dire ce qu'il ne dira jamais. Il pense aussi que c'est important, et il croit dans les valeurs de Black et des Londubat. Mais il est humain, et il a besoin de plaire, et puisque ce n'est pas à sa femme qu'il va plaire, il va voir ailleurs, c'est tout. Qu'on ne lui fasse pas la morale après ça, il y est pour rien, lui. Enfin bref... Il n'attend pas de Callidora qu'elle l'aime, ce serait se foutre du monde, mais un rien de considération et de respect seraient bienvenus. Lui-même s'adresserait à elle autrement si elle faisait cet effort, mais ça... Comme il n'a pas envie de débattre pendant des heures, il choisit d'encaisser. Quand elle lui parle de la situation actuelle, il ne peut pas s'empêcher de réagir, par contre.

"Vous tournez vraiment en boucle, avec ces histoires de mariage.", soupire-t-il. Il ne cautionne pas l'attitude de Cedrella, non bien sûr, et il est loin de considérer Weasley comme une personne fréquentable. Mais à la fin, ça pourrait ne pas être un mal de changer de disque, il a vraiment le sentiment qu'on ne parle plus que de ces deux-là alors qu'ils sont supposés avoir été rayés de la carte. C'est un comble, non ? en tout cas à ses yeux. "Laissez-les donc faire, ça finira par se tasser. Et pour information, le monde entier n'a pas le regard tourné vers vous et cette histoire. Il n'y a que ta soeur et toi pour en avoir quelque chose à faire. Le reste d'entre nous s'en fiche royalement, crois-moi."

Il sait qu'il n'aurait pas dû dire ça. Mais il ne peut pas revenir en arrière... donc tant pis, il ne va pas s'excuser des mots qu'il a prononcés. Il le pense.

C'est assez fou, les différentes nuances de mépris que Callidora est capable d'afficher quand elle s'adresse à lui. Le rabaisser, c'est comme une sorte de sport naturel pour elle, une course où elle est toujours en tête. Elle le croit idiot, mais la vérité, c'est qu'il comprend parfaitement les imbrications de cette affaire familiale, mais ce n'est pas parce qu'il le comprend qu'il y accorde de l'importance. Il trouve qu'on fait décidément des montagnes d'une affaire qui mériterait d'être oubliée dans la seconde, étouffée. S'ils veulent tous veiller au prestige de leur famille, il y a d'autres manières de faire que de se focaliser uniquement sur une affaire qu'ils n'arriveront pas à régler. Mais bon, si ça les amuse, de brasser du vent, qu'ils le fassent. Plus ils sont accaparés par cette affaire, plus ils le laissent tranquille. Enfin, en théorie, parce que la manière que sa femme a de lui tenir la jambe l'épuise vraiment beaucoup.

"Mais je ne fais que ça", répond-t-il dans un léger sourire.

Il considère que c'est vrai. En temps normal, il ne l'ouvre pas, il fait son petit bout de chemin dans son coin. Mais elle dira que déjà ça, c'est trop, parce que ses fréquentations extraconjugales pourraient avoir un impact sur toute la famille. C'est mal le connaître. Il choisit ses conquêtes, il n'est pas le dernier des idiots, loin de là. Il tient à son confort et il n'a aucune envie de le perdre.

"Et pour poursuivre sur cette honorable lancée, tu veux bien me laisser dormir, maintenant ?"

Les remontrances tardives à l'heure où tout ce qu'il veut, c'est qu'on lui foute une paix royale et qu'on le laisse dormir, c'est pas simple à accepter, et il s'en passerait franchement très bien, même si ce n'est pas très simple avec cette femme vindicative qui partage complètement sa couche. Il ne sait pas si elle va se contenter de ça et accéder à cette requête nocturne, mais dans tous les cas, il en a assez de parler. Ses yeux se croisent, franchement, ça ne l'intéresse pas.