Les soeurs Black étaient aussi proches que des soeurs pouvaient l'être (et à l'époque, cela s'appliquait également à Cedrella, mais elle avait été rayée du tableau, et définitivement), mais cela ne signifiait pas pour autant qu'elles passaient tout leur temps ensemble... Elles manquaient de temps pour cela, elles avaient leurs propres obligations (plus chronophages qu'on ne le soupçonnerait).

Aussi Charis avait-elle tardé à aller retrouver son aînée, ne cessant de se le reprocher. Elle avait bien conscience du fait qu'elle prenait beaucoup trop de temps, à plus forte raison que la nouvelle qu'elle avait à annoncer à sa soeur n'était pas des moindres, et elle préférerait lui apprendre les choses avant qu'elles ne se voient... qu'elles ne deviennent trop... flagrantes.

Il faudrait aussi qu'elle l'annonce en grandes pompes à la famille tout entière. C'était prévu, et elle travaillait déjà à l'organisation de la réception en question. Mais Callidora était un cas à part. Charis avait été la première informée (avec Cedrella, à l'époque) quand son aînée attendait Augusta, il semblait tout naturel qu'elle soit la première informée de la bonne nouvelle de son côté (exception faite de Caspar, bien sûr).

Elle avait envoyé à son interlocutrice quelques jours plus tôt un courrier proposant qu'elles se retrouvent toutes les deux autour d'une bonne tasse de thé, et elles avaient finalement convenu de se retrouver au manoir Londubat dans l'après-midi. C'était un jour de semaine, Augusta était à Poudlard et Harfang sans doute à Gringotts, elles pourraient donc discuter tranquillement, posément, et sans être dérangées.

Ponctuelle comme à son habitude (et Charis savait combien il s'agissait là d'une qualité à laquelle son interlocutrice tenait beaucoup), elle frappa donc à la porte, et ce fut l'elfe de maison familial, comme toujours, qui alla ouvrir et invita Charis à rejoindre le salon, où Callidora devait l'attendre.

Charis afficha un sourire en voyant sa soeur et s'approcha d'elle pour lui adresser une étreinte toute fraternelle, l'un des rares gestes d'affection qu'elles pouvaient s'accorder à quelques contenues reprises.

"Comment vas-tu ?" demanda-t-elle pour ne pas en venir directement à elle.

Même si elle se doutait déjà la réponse de Callidora. Cette dernière affirmerait aller bien, parce que la situation l'exigerait, mais démêler le vrai du faux n'était pas simple. Charis avait toujours admiré la capacité de sa soeur à contenir ses sentiments. Charis s'y essayait aussi, mais avec moins de succès.

-Très bien, je te remercie.

Disait-elle vrai ? Disait-elle faux ? Avec Callidora, comme toujours, il était bien difficile de faire la part des choses et de sonder le fond réel de sa pensée. C'était assez frustrant parfois, car même si Charis veillait constamment à se maîtriser, ce n'était pas un exercice naturel pour elle, et elle avait souvent le sentiment de se trahir. Ce n'était absolument jamais le cas de Callidora.

Charis voudrait, parfois, que son aînée ose baisser sa garde, même un instant. C'est vrai que trop le faire ferait sans doute d'elle une personne complètement différente, et ce n'est pas ce que la cadette voulait, mais cerner le fond de ses pensées et ses humeurs était un exercice complexe, qui faisait que quand elle disait que tout allait bien, il n'était pas simple de la prendre au mot.

Mais ce n'était pas aujourd'hui qu'elle allait la changeait, même dans une petite mesure. Elle n'avait pas l'intention de s'y essayer non plus, elle se contenterait très bien de leurs conversations habituelles. Même si, au regard du motif de sa venue, cette discussion ne serait pas comme toutes les autres.

-Installe-toi, je t'en prie.

Charis prit place sur l'un des confortables fauteuils du petit salon. Comme toujours, tout était impeccable. Le thé était impeccablement prêt, infusé comme il le fallait, et il s'en dégageait un plaisant parfum de jasmin.

Cédant à ses caprices personnels, Charis y ajouta quelques gouttes de lait tandis que sa soeur poursuivant, s'enquérant des motifs de sa venue.

Que me vaut le plaisir de ta visite ?

"N'ai-je donc le droit de venir voir ma soeur pour le seul plaisir de sa compagnie ?" sourit Charis.

Mais il est vrai que sa visite n'était pas anodine. Souvent, quand elles se voyaient, c'était pour un motif particulier. Ce n'est pas pour autant qu'elles n'appréciaient pas le temps qu'elle passait ensemble. Callidora était la personne qui comptait le plus au monde pour Charis (comme ça avait été le cas de Cedrella). Alors elle appréciait chaque moment qu'elle passait avec elle.

C'était seulement les circonstances qui tendaient à faire qu'elles étaient malheureusement rares. Elles avaient beaucoup à faire, l'une comme l'autre. Et vu les circonstances, ça n'allait pas s'arranger.

"Mais tu as raison, j'ai quelque chose à t'annoncer." Elle but une gorgée de thé, ménagea le suspense. "Je suis enceinte."

-Oh, félicitations ! Vous devez être aux anges !

Charis répondit à ces félicitations enjouées avec un sourire ravi qui devait confirmer les dires de sa soeur aînée. Les deux femmes avaient été logées à la même enseigne, elles savaient par conséquent parfaitement feindre la joie quand elles n'en éprouvaient pas assez, puisqu'il s'agissait de préserver les apparences.

Enfin, il serait malvenu de prétendre que la perspective de devenir maman rendait Charis malheureuse. Cela faisait un moment qu'elle faisait tout pour être enceinte, et elle était ravie de pouvoir enfin l'annoncer fièrement à ses proches. Oui, elle était aux anges. Mais l'erreur serait de dire qu'"ils" étaient aux anges, car on ne pouvait pas dire que l'annonce à Caspar s'était soldée par de grandes effusions de joie et de bonne humeur.

Oh, Caspar n'avait pas non plus complètement joué les insensibles, mais malgré tout, Charis gardait une certaine amertume de ce moment, même si elle savait bien que les choses ne pouvaient pas se passer autrement. Elle connaissait suffisamment son mari pour en avoir conscience. Inutile de s'appesantir là-dessus en présence de Callidora. De toute façon, la jeune femme voulait bien parier qu'elle ne comprendrait pas. Elle ressemblait bien trop à Caspar, et avait toujours tendance à se ranger du côté de Caspar dans tous les cas.

J'espère que tu as l'intention de célébrer la nouvelle en bonne et due forme. Je peux t'aider à tout organiser si tu le souhaites. De même, si tu as besoin de conseils...

Charis savait que la proposition de son aînée partait d'une bonne intention, d'une excellente intention, même, mais ce fut plus fort qu'elle, elle se sentit un peu vexée de l'entendre parler ainsi.

Comme si elle n'était pas capable de gérer par elle-même toutes ces subtilités. D'accord, Callidora était une experte en la matière, elle l'avait souvent prouvé, mais la jeune femme voudrait montre qu'elle était parfaitement capable de s'en sortir par ses propres moyens. Ce n'était malheureusement pas gagné.

"Bien sûr, j'ai déjà entamé les préparatifs", confirma Charis avec aplomb pour bien confirmer qu'elle n'avait attendu après personne pour cela, pure question de fierté, en l'occurrence. "Ton aide sera toujours la bienvenue, tu le sais bien. Mais pour l'heure, je pense m'en sortir plutôt bien."

Et elle espérait que cela continuerait, elle tolérerait mal de subir la moindre humiliation.

-Bien sûr, bien sûr, je n'en doute pas.

Même si elle s'exprimait sans doute avec toute la sincérité du monde, Charis avait bien du mal à ne pas remettre en question la parole de sa soeur aînée.

Elle ne pensait pas que Callidora s'en rende vraiment compte, mais elle avait souvent tendance à dévaloriser sa cadette. Alors oui, certains faits ne pouvaient pas non plus être contestés, il faut le reconnaître, donc c'était vrai que l'aînée des deux soeurs avait des facilités à exceller dans des domaines auxquels Charis devait concentrer plus d'efforts. Mais justement, ces efforts, Charis les faisait, et elle tenait à ce qu'on ne les remette pas en question, à ce qu'on les considère pour telles. Ce qui n'était pas gagné.

Alors même si Callidora avait l'amabilité d'affirmer qu'elle ne doutait pas des compétences de sa soeur, Charis était loin d'y croire à cent pour cent... Mais cela ne donnait que d'autant plus à la jeune femme l'envie de se dépasser, d'organiser la réception la plus grandiose que l'on puisse imaginer en présence des noms les plus admirés de la communauté des sangs purs. Et cela ne la motivait que d'autant plus également à se conduire en mère tout à fait exemplaire. Et de ce point de vue-là, ce serait forcément l'ouvrage de toute une vie.

-Et Caspar, comment a-t-il pris la nouvelle ?

Charis fit de son mieux pour que l'expression de son visage ne vienne pas trahir une certaine déception, celle-là même qu'elle avait ressentie face à la réaction de son époux quand il avait découvert la vérité.

Bon, en soi, ce n'était pas vraiment quelque chose d'inattendu non plus. Ils voulaient un enfant, et Charis s'était bien douté que Caspar ne se jetterait pas dans ses bras en souriant d'une oreille à l'autre. Seulement... elle s'était dit qu'en apprenant la nouvelle, il la verrait peut-être différemment, il l'estimerait à la hauteur de ce qu'il attendait de la part de son épouse. Mais c'était évidemment trop espérer que de l'imaginer.

Seulement, elle ne voulait pas se plaindre de cela à sa soeur. L'idée même la mettait mal à l'aise, et puis, ce serait un aveu de faiblesse qu'elle s'évitait aisément.

"Il est ravi, bien sûr. Nous attendions cela avec impatience." Elle afficha un sourire. "J'espère que ce sera un garçon."

-C'est absolument tout ce que je te souhaite.

Charis afficha un sourire en réponse aux propos de sa soeur. Elle ne savait pas si Callidora était sincère, mais elle n'avait aucune raison de ne pas le penser, après tout. Elles savaient toutes deux qu'avoir un fils était le mieux qui pouvait arriver au couple Croupton. Même si Charis serait très heureuse aussi si elle devait avoir une fille... Ce serait juste différent. Au fond, c'était surtout pour voir Caspar s'intéresser à leurs enfants que Charis espérait tant que son futur enfant serait un fils, même si seul l'avenir le garantirait.

Elle choisit de ne rien répondre. En même temps, elle se disait que sa soeur ne devait pas non plus attendre la moindre réponse de sa part. Sinon, elle n'aurait pas embrayé directement sur une nouvelle question, qui méritait en effet bel et bien d'être posée. Pour quand était prévu l'heureux événement ? A quel date fixait-on le moment où la vie du couple Croupton allait, par la force des choses, radicalement changer ?

-La naissance est prévue pour quand ?

"Pour le début du mois de janvier", apprit-elle à son interlocutrice sans avoir de date plus précise à lui communiquer.

Cet enfant serait leur cadeau de nouvelle année, du moins fallait-il l'espérer. Sa grossesse était encore toute récente, et il était assez évident qu'il pouvait y avoir des complications, malheureusement. Malgré tout, il était de bon ton de se montrer optimiste et enjouées en la circonstance. Et il l'était, du reste, réellement.

"Je suis si impatiente", se permit-elle de lui confier par ailleurs, mais en même temps, Callidora aurait-elle pu en douter ? Il était évident que c'était le cas. "Mais j'accapare toute l'attention", ajouta-t-elle pour se rattraper, même si elle devait bien admettre le fait que justement, être au coeur de l'attention, pour une fois, était une pensée assez agréable, vraiment plaisante. C'est que cela n'arrivait pas si souvent en fin de compte. "Raconte-moi les dernières nouvelles", ajouta-t-elle, sincèrement intéressant.

Elle ne pourrait pas accaparer toute l'attention éternellement, il fallait bien, à un moment ou à un autre, qu'elle cède la place au reste, à la vie qui continuait pendant qu'une autre grandissait dans ses entrailles.

-Oh, après celle que tu viens de m'annoncer, j'ai bien peur que toutes celles que je pourrais bien t'apprendre fassent pâle figure en comparaison.

Charis afficha un sourire qui n'était pas peu fier, car il est vrai que ce n'est pas si souvent qu'elle pouvait ainsi accaparer l'attention, et c'était bien plus souvent sa soeur qui avait ce privilège (et elle n'allait pas se priver de lui voler la vedette une fois de plus, d'ailleurs, mais elle ne s'en rendait pas encore compte).

Bien sûr, son désir de devenir maman était réel, et sa joie à l'idée de mettre au monde et d'élever son propre enfant était sincère, elle allait au-delà des conventions sociales ou du fait qu'on la mettait enfin en lumière.

Ceci dit, elle n'allait pas cracher sur cette mise en lumière pour autant, ça ne la dérangeait absolument pas qu'on parle d'elle, en tout cas pas de cette manière, alors elle n'allait pas se plaindre ni s'empêcher de rayonner non plus.

Je dois même reconnaître que cela tombe à pique car je craignais fort que l'on commence à s'ennuyer mortellement, rien pour alimenter nos prochaines soirées.

Un simple trait d'esprit, typique de Callidora, mais qui sut tout de même faire sourire Charis. Elle la connaissait, à force, sa soeur. Et elle savait notamment que la jeune femme ne pensait pas réellement ce qu'elle disait.

Des potins pour alimenter les soirées mondaines, il y en avait toujours eu, et il y en aurait toujours, c'était comme ça. Il est vrai que certains étaient plus sensationnels que d'autres, mais on trouvait toujours quelque chose à dire pour peu qu'on le décide.

-Weasley a eu un terrible accident, j'ignore si tu es au courant... Il en a réchappé, j'en ai peur.

Charis fixa Callidora, intriguée. Oui, ça pour une nouvelle, c'en était une, et non, la jeune femme n'avait absolument pas eu vent de cette affaire. Et elle dut reconnaître être déçue d'entendre sa conclusion. Weasley disparu du schéma, il aurait été simple comme bonjour de ramener leur soeur rebelle sur le chemin de la raison. Mais Weasley en avait réchappé, et semble-t-il qu'il allait bien, malheureusement. Cela n'ôtait rien à la curiosité de Charis, cela dit.

"Je l'ignorais", répondit-elle honnêtement, sans se douter que son mari y était pour quelque chose. "Que lui est-il arrivé ?"

-Je n'ai pas les détails, je réponds à sa question. Il y a eu une explosion, quelque chose d'assez spectaculaire, apparemment, et aucune victime à déplorer si ce n'est Weasley. Je n'aurais pas été surprise d'apprendre qu'il s'agissait d'une mise en scène.

Une explosion. Septimus seul su les lieux. Qu aurait pu y passer aisément. Une explosion à l'origine suffisamment obscure pour que Callidora n'ait pas plus de précision à ce sujet (car elle avait dû se renseigner plus avant. Connaissant sa soeur aînée, c'était même sûr)... Oui, il y avait de quoi se demander si c'était bel et bien un accident ou plutôt une mise en scène.

Mais s'il s'agissait d'une mise en scène, cela posait tout un tas d'autres questions, à commencer par savoir qui en était le (ou la) commanditaire. Car s'il ne s'agissait d'aucune des deux soeurs de Cedrella, de qui cela pouvait-il bien s'agir ? Septimus était quelqu'un de détestable, aux yeux de Charis en tout cas, mais il n'avait tout de même pas tant d'ennemis, si ? Elle était perplexe...

-Enfin, il s'en est sorti indemne, et semble-t-il sans séquelle, alors tout ça n'aura servi à rien. Si ce n'est à me faire penser qu'envisager une méthode plus radicale que celles que nous avons adoptées jusqu'ici nous permettrait... d'accélérer le processus, de se débarrasser du problème pour de bon.

Charis réprima un frisson à cette pensée. Elle avait vu la mort en face, plus d'une fois, et voir le sang couler, si c'était pour la bonne cause, ne la dérangeait pas. Elle n'avait pas de scrupules quand, auprès des mangemorts, elle accomplissait la tâche qui devait être la sienne. Elle savait pourquoi elle le faisait et ça ne la dérangeait pas, par conséquent.

Mais là, c'était d'autre chose que l'on parlait, on parlait d'un homme dont le sang était en soi irréprochable, même si ses idées ne l'était pas. Mais on parlait surtout de l'homme qu'aimait leur plus jeune soeur, au point d'avoir tout sacrifié pour lui. Pouvaient-elles faire une telle chose à Cedrella ?

... Elles n'avaient pas reculé devant grand-chose jusqu'ici, mais là... Charis avait des scrupules. Quoi qu'il arrive... elle aimait sa soeur. Elle n'arrivait pas à faire comme si cette décision la ferait souffrir plus qu'aucune autre, et qu'elle ne s'en remettrait peut-être jamais...

"Je ne pense pas que nous ayons besoin... d'aller jusque-là", risqua Charis, qui contredisait pourtant rarement son aînée.

-Ce n'est pas une affaire de besoin mais de nécessité, Charis.

Charis fixa Callidora avec circonspection et une crainte qu'elle cherchait du mieux possible à dissimuler. Une affaire de nécessité... Comme si mener quelqu'un à la mort, dans un contexte comme celui-ci, pouvait être une nécessité... Bien sûr, elles étaient des mangemorts toutes les deux, elles savaient qu'en certaines circonstances, elles n'avaient tout simplement pas le choix, mais...

Bien sûr, elle comprenait la nécessité de faire couler le mariage de leur soeur, mais la nécessité de lui briser le coeur pour de bon, c'était évidemment tout autre chose.

Si Callidora voulait en venir à de tels extrêmes, ce n'était certainement pas pour rien. C'est parce qu'elle savait que rien ne saurait séparer Septimus et Cedrella, si ce n'est la mort... Les voeux que l'on prononce lors des mariages traditionnels, en somme. Mais justement, une relation si fusionnelle mènerait à une souffrance incontrôlable. Et si, sans Septimus, Cedrella envisageait le pire.

-Cedrella n'en saura jamais rien... Et elle s'en remettra parfaitement. Elle reviendra vers nous, et plus tard, crois-moi qu'elle nous remerciera de l'avoir rendue à la raison pour peu qu'elle doive l'apprendre.

Cedrella n'était pas idiote. Accident factice ou non, elle comprendrait forcément, Charis en était certaine... Et non, c'était bien là ce qui inquiétait Cedrella : elle ne pensait pas que sa soeur s'en remettrait si une telle chose devait leur arriver... Non, il serait plus aisé de faire baisser Septimus dans son estime que d'en arriver là.

Charis se rangeait bien souvent à l'opinion de sa soeur, que ce soit par conviction ou par automatisme, mais cette fois, ce n'était évidemment pas possible. Et en même temps, elle n'était pas habituée à se ranger contre l'opinion de sa soeur. Et elle savait que, bien souvent, ses arguments faisaient grise mine face à l'autorité naturelle de la jeune femme.

"Je ne sais pas...", répondit-elle doucement pour ne pas directement lui opposer un "non" définitif, même si l'envie ne lui en manquerait peut-être pas... Mais à quoi bon ? Il était impossible de réellement débattre avec Callidora. "Je pense seulement qu'il doit y avoir une autre... solution, qui ne mette pas notre réputation plus en danger qu'elle ne l'est déjà."

Parler de leur réputation, voilà comment appuyer sur la corde sensible.

-S'il existe une autre solution, alors il va nous falloir la trouver rapidement.

Charis estimait que c'était déjà une certaine victoire, au fond, que sa soeur admette ne serait-ce que la possibilité qu'elles trouvent une autre solution. Ce n'était pas suffisant, bien sûr, et rien ne garantissait le fait que Callidora change réellement d'avis... Mais au moins, il y avait peut-être une autre solution à trouver.

Charis savait qu'elle avait bien fait d'invoquer la réputation de leur famille, c'était par elle que sa grande soeur raisonnait constamment, c'était par elle que tout avait commencé, alors forcément, ça ne pouvait que parler à son interlocutrice. La suite, maintenant, restait incertaine, mais Charis avait le sentiment d'avoir retardé une échéance particulièrement dramatique.

Le temps commence à nous manquer, et nos options s'étiolent, alors si tu as la moindre suggestion, je t'invite à la formuler au plus vite, sans quoi, j'estime préférable que nous nous en tenions à ce nouveau plan.

Elle avait raison, bien sûr. Plus le temps passait, plus leurs possibilités s'amoindrissaient à vue d'oeil. Elles ne pouvaient pas juste se permettre d'attendre de voir. Elles devaient faire ce qu'il fallait pour parvenir à leurs fins. Et si pour le moment, elles épuisaient des options qui leur permettaient avant tout de gagner du temps, elles devaient compter après la ténacité de Cedrella... et cette dernière en avait très clairement à revendre. Leur cadette avait de la suite dans les idées, et quand lui venait quelque chose à l'esprit, elle ne lâchait rien. Les soeurs Black avaient cela en commun.

Forcément, Callidora attendait à présent que sa soeur réagisse, trouve une solution annexe à la proposition plus que radicale qu'elle venait de formuler, mais si Charis n'avait pas hésité à contrevenir à la proposition de Callidora, ce n'était pas pour autant qu'elle avait "mieux"... ou plus viable.

"Il faut que j'y réfléchisse, mais il y a forcément d'autres façons de faire disparaître Weasley de la circulation..."

Elle songeait à une mutation à quelque chose de ce goût-là. Le problème, c'était que Cedrella serait bien capable de le suivre jusqu'au bout du monde... même si ça n'avait vraiment aucun sens.

"Ou de le faire renoncer à Cedrella." Si Septimus lui brisait le coeur, elle comprendrait son erreur, elle reviendrait d'office vers elles, bien plus aisément que si elle devait porter le deuil de son fiancé. "La menace n'a rien donné mais... il doit être possible de le pousser à la faute."

Un philtre d'amour par exemple ?

-Avec un philtre d'amour, par exemple ?

Charis hocha la tête, l'air entendu. Sa soeur avait parfaitement cerné le fond de ses pensées. La jeune femme ne savait pas ce que Callidora allait en penser, mais cette idée, qui lui était venue spontanément, ne lui semblait pas mauvaise. Moins risquée pour elle, et plus susceptible de leur rendre Cedrella comme elle était avant qu'elle ne s'en aille, et disparaisse pour de bon.

Un philtre d'amour, il n'était pas compliqué de s'en procurer... il ne devait même pas être si difficile d'en fabriquer. D'autant qu'ils avaient une potioniste dans la famille. Cassiopeia était une potioniste douée, avec les bons arguments, elles devraient réussir à la convaincre de l'aider. Et dans le cas contraire... eh bien, ils trouveraient toujours un moyen de s'en sortir.

En tout cas, elle considérait que c'était la meilleure façon de s'y prendre. Les affaires du coeur se réglaient par le coeur. Il fallait dégoûter Cedrella de Weasley, et quand ce serait fait, tout le reste coulerait de source.

Je crois bien que ça pourrait fonctionner. En fait, c'est même une excellente idée.

Charis se retint de sourire trop largement en entendant les propos de son interlocutrice. Elle ne s'était pas contentée de dire que cette idée était bonne. Mais en fait excellente. Callidora avait le don, inconsciemment, de la faire se sentir inférieur. Elle était convaincue que ce n'était pas volontaire, qu'elle s'estimait supérieure, tout naturellement, et pensait lui rendre service en pointant du doigt ses failles pour qu'elle s'améliore. Mais du coup, les compliments les plus honnêtes de sa part avaient tendance à être particulièrement rares.

Entendre Callidora affirmer que son idée était excellente, non seulement ça avait le don de flatter son égo, mais en plus, ça la soulageait d'un poids. Si tout se passait comme elle l'espérait, Callidora allait peut-être renoncer pour de bon à l'idée de se débarrasser le plus radicalement de Septimus, idée qu'elle n'était pas capable de tolérer. Elle ne voulait pas paraître trop fière d'elle malgré tout. Mais ce n'était pas bien difficile.

"Je crois vraiment que ça peut fonctionner", approuva-t-elle donc en retenant son léger sourire. "Il faut simplement trouver la cible adéquate, celle qui rendra la situation à la fois crédible et impardonnable, et alors, je pense que nous n'aurons rien à faire de plus."

-Je te laisse te procurer le philtre d'amour. Je pense que Cassiopeia ne verra pas d'inconvénient à nous rendre ce service.

C'était bien souvent de cette manière que les choses se passaient : même quand c'était elle qui avançait l'idée sur laquelle les deux soeurs décidaient de s'arrêter, c'était finalement Callidora qui décidait de prendre les choses en main (et, éventuellement, s'en accaparerait tous les mérites).

Charis choisissait de ne pas en prendre ombrage, elle savait bien que ça ne les mènerait nulle part, mais ce n'était pas forcément évident, parce que le soupçon de fierté qu'elle avait éprouvé quelques instants plus tôt se dissipait de nouveau à l'heure où Callidora paraissait à nouveau la considérait comme une moindre actrice d'une situation dans laquelle elle escomptait bien jouer un rôle actif.

Bon, elle était habituée, ça avait toujours été cela avec Callidora, mais elle aimerait bien que cette situation évolue parfois. Pour faire évoluer la situation, il faudrait qu'elle ose s'opposer plus fermement aux directives de son interlocutrice, mais elle en était tout bonnement incapable. Des années d'habitude avaient imposé cette sorte de hierarchie entre elles, et Charis ne faisait rien pour cela.

Alors elle se contenta de hocher doucement la tête. Puisqu'il le fallait, elle irait parler à Cassiopeia, qui était effectivement une valeur sûre en la circonstance. L'essentiel, c'était le résultat, il ne servait absolument à rien de se crêper le chignon.

-Je vais nous trouver la cible idéale.

Si elle le disait, c'est que c'était sans doute vrai... dans tous les cas, Charis n'avait pas vraiment son mot à dire. Elle hocha la tête et se contenta de simples mots qui étaient sincères, mais qui tout de même situaient bien la situation, leur situation.

"Je te fais confiance", répondit-elle donc simplement avec un léger sourire. C'était effectivement vrai, elle lui faisait réellement confiance, et elle savait qu'elle maîtriserait la situation comme elle le ferait toujours. "Je vais devoir y aller, Caspar ne pas tarder à rentrer."

Et elle se devait d'être là pour l'accueillir à son retour du travail, même s'il s'en moquerait sans doute. Dans tous les cas, elle pensait qu'elles s'étaient dit tout ce qu'elles avaient à se dire. Il n'y avait rien à ajouter de plus, alors autant rentrer chez elle.

"Je te tiens au courant."