Charis éprouvait toujours une certaine nostalgie quand elle passait la porte des Trois-Balais. Pourtant, ses années d'étude à Poudlard étaient loin, bien loin derrière elle, mais quand elle se rendait à Pré-au-Lard, elle avait le sentiment d'être plongée des années en arrière, et cela lui faisait du bien. La jeune femme n'était pas de nature à vivre dans le passé, mais elle aimait tout de même ces petits riens réconfortants qui la faisaient se sentir bien.

Ce n'était pas du luxe de reposer sur quelques-uns dernièrement, d'ailleurs, car le changement était omniprésent, c'est un fait. La cause des mangemorts évoluait dans le bon sens, mais l'avait obligée à remettre en question certains acquis, surtout depuis qu'elle avait découvert l'existence de l'Hydre, appris la trahison de Aaron... Et il fallait ajouter à cela son intention d'accueillir Cedrella chez elle, et sa grossesse, qui était au coeur de ses préoccupations, d'autant qu'il devenait de plus en plus difficile de faire abstraction de la vie qui grandissait dans ses entrailles alors que cette dernière, pour son plus grand bonheur, prenait de plus en plus de place.

Un cadre agréable et réconfortant pour partager un bon jus de citrouille, dans ce climat qui fleurait bon l'arrivée de l'automne : à ses yeux, c'était l'idéal. C'était là qu'elle avait voulu voir Callidora et passer un peu de temps avec elle, loin des cadres étriqués qui avaient eu tendance à façonner leurs quotidiens. Ils revenaient bien assez vite et souvent à la charge dans tous les cas.

Charis vit Callidora passer le pas de la porte, elle lui fit signe pour qu'elle vienne la rejoindre à sa table, où les attendaient déjà deux verres de jus de citrouille. Callidora était aussi grosse qu'elle. Charis ne lui en voulait plus sous cape de s'être arrangée pour tomber enceinte en même temps qu'elle (mais ça, c'est parce qu'elle ne savait pas que c'était du même homme), elle était plutôt heureuse de l'idée que leurs enfants allaient pouvoir grandir ensemble, quand il serait plus difficile pour Augusta de tisser des liens avec son fils ou sa fille.

Enfin, ce n'était pas de leurs conditions flagrantes qu'elle voulait parler. Comme souvent, leur discussion avait de bonnes chances de tourner autour de la soeur manquante. C'était ainsi, c'était presque inévitable, au fond.

"Comment vas-tu ?" lui demanda-t-elle avant toute autre chose.

-Eh bien, un peu plus grosse chaque jour, mais je vais très bien.

Charis esquissa un fin de sourire. Là-dessus, elles étaient, de toute évidence, sur un pied d'égalité. Et elle aurait voulu que ce ne soit pas le cas. Le temps avait un peu effacé l'amertume, et elle se réjouissait de voir son neveu ou sa nièce, comme elle se réjouissait de pouvoir tenir son enfant dans ses bras, mais tout de même... elle gardait le sentiment déplaisant qu'on lui volait le moment le plus important de sa vie. C'était, bien évidemment, de l'orgueil mal placé. C'était une chose dont on ne manquait pas, faut-il le remarquer, au sein de la famille Black.

Quoi qu'il en soit, elle restait heureuse de voir que Callidora se portait bien de son côté, que sa grossesse ne rencontrait aucune forme de complication qui vienne entacher le futur et heureux événement. De manière générale, tout semblait bien aller dans leurs vies respectives. Et c'était ce qui comptait. Ce que l'on voyait en apparence. Même si ce qui pouvait éventuellement se découvrir sous la surface, au-delà de ce qui se laissait voir, n'avait rien de forcément glorieux.

Et toi ? Je te trouve rayonnante.

Charis approuva par un sourire. Elle n'était pas si certaine d'être rayonnante, pas autant qu'elle le devrait en tout cas, mais tout le monde autour d'elle semblait trouver qu'elle l'était, alors elle allait évidemment finir par les croire.

Elle pouvait l'être, après tout. Si tout n'allait pas forcément comme elle l'aurait voulu, les choses rentraient tout de même dans l'ordre, et elle était heureuse de pouvoi se satisfaire de bientôt devenir mère, et d'avoir retrouvé sa soeur, par la même occasion, même si elle avait bien compris que rien n'était vraiment gagné de ce point de vue.

"Je te remercie.", répondit-elle alors. "Je vais bien", ajouta-t-elle en guise d'approbation. La serveuse vint prendre leurs commandes. Elle attendit que ce soit chose faite pour reprendre la parole. "Je suis allée voir Cedrella", lui apprit-elle d'entrée de jeu.

Elle ne voulait pas laisser traîner le sujet trop longtemps, elle estimait qu'il était important qu'elles en parlent, et à coeur ouvert, qu'elles mettent ce point au clair directement, et voilà qui était chose faite, maintenant, restaient les détails.

-Je pensais que tu me consulterais avant de faire quoi que ce soit.

Charis baissa les yeux mais ne chercha pas à se défendre pour autant. Elle avait souvent du mal à faire face à sa soeur aînée, à lui tenir tête... elles n'avaient définitivement pas le même charisme, toutes les deux, elles étaient faites du même moule, mais l'une était d'un matériau plus tendre que l'autre.

Malgré tout, elle n'avait pas envie de s'excuser pour avoir pris les devants et être allée trouver Cedrella. C'était bien simple, elle avait pensé parler à Callidora en premier lieu, en effet, mais si elle ne l'avait pas fait au final, c'est qu'elle avait une bonne raison. Ou en tout cas, elle avait ses raisons.

Charis devinait ce qu'aurait été la réaction de sa soeur si elle lui avait parlé de son intention. Elle pouvait se tromper, ce n'était pas quelque chose d'exclu, mais Charis supposait que Callidora n'aurait pas été si pressée de ramener Cedrella, elle aurait sans doute préféré que leur soeur vienne gratter à leur porte, et c'était une possibilité à laquelle Charis n'avait pas voulu faire face.

Callidora estimerait peut-être que leur soeur n'aurait été suffisamment punie qu'à l'instant où elle serait revenue vers elles en rampant. Ce n'était pas le cas de Charis. Même si elle avait définitivement choisi la mauvaise personne, Cedrella avait été profondément amoureuse de Weasley. Elle avait eu le coeur brisé, elle avait souffert... C'était une punition suffisante. Avec le temps, ses plaies pansées et cicatrisées, elle serait sûrement capable d'avouer qu'elle avait commis une erreur, elle admettrait qu'elle était heureuse d'être revenue parmi les siens. Mais il ne fallait rien forcer ou brusquer. Chaque chose en son temps.

-Qu'est-ce que vous vous êtes dit ?

Charis se doutait que cette conversation la rendrait curieuse. Elle necomptait rien cacher à Callidora, de toute façon, elle saurait ce qu'il en était bien assez tôt. C'était une chose qui n'allait pas rester secrète bien longtemps encore, c'était impossible.

"Je lui ai demandé de revenir et d'emménager chez moi." Elle marqua une légère pause. Elle pourrait rentrer dans de plus grands détails, mais elle ne pensait pas que ce soit nécessaire. "Et elle a accepté."

-Très bien.

Charis devinait que sa soeur lui tenait rigueur d'avoir pris cette initiative sans l'avoir consultée au préalable, mais elle se sentait soulagée d'entendre ce "très bien", qui signifiait donc qu'elle n'avait pas l'intention de lui adresser tout un laïus sur le fait qu'elle aurait dû lui laisser prendre les choses en mains.

Elle ne regrettait pas d'être allée trouver Cedrella seule. D'autant qu'elle avait l'intuition que si Callidora avait été présente, leur benjamine ne se serait pas si facilement laissée convaincre. Elle ne se permettrait pas de l'affirmer haut et fort, mais c'était vrai... non ?

Callidora aurait été trop ravie de la misère où Charis avait trouvé leur soeur, et même si elle aurait sûrement été heureuse de la retrouver elle aussi, elle aurait laissé parler une rancoeur que Charis, elle, voulait étouffer et oublier.

D'ailleurs, elle avait promis à Cedrella qu'elles ne reparleraient plus jamais de sa fugue et de Septimus. De sa part, cette promesse n'était pas difficile à tenir. En revanche, elle se demandait si elle parviendrait à la faire tenir également à son aînée. Difficile à dire. Elle lui en parlerait, mais pas tout de suite. Car tout de suite, Callidora reprit la parole.

-Il n'y a qu'un moyen de faire oublier ses écarts, à présent. J'imagine que tu y as pensé comme moi.

Charis hocha la tête avec gravité. Bien évidemment, elle y avait également pensé, c'était évident, même. Il n'y avait à bien y regarder qu'une seule et unique possibilité, sur laquelle elles ne pouvaient pas réellement transiger... Il faudrait compenser les erreurs de Cedrella par un mariage digne de ce nom. Qui la voudrait encore pour épouse ? C'était une autre question... mais marier Cedrella devenait presqu'indispensable au regard des événements actuels.

Il allait falloir lui trouver un bon parti, en effet, mais s'assurer également que ce qui s'était passé avec Caspar ne se reproduirait pas une seconde fois. Elles ne sauraient souffrir deux fois cette humiliation qui avait déjà trop entaché l'honneur de leur famille.

"J'y ai pensé en effet", répondit-elle. "Mais ne devrait-on pas attendre un peu ? Qu'elle soit prête..."

Elle parlait pragmatiquement, mais avec son coeur malgré tout. Elle voulait laisser à Cedrella le temps de soigner sa blessure émotionnelle. Même si Callidora ne comprendrait peut-être pas qu'elle veuille se donner ce mal pour leur soeur.

-On ne peut pas se permettre d'attendre trop longtemps, tu le sais bien.

Charis avait senti d'avance que Callidora et elle seraient d'accord sur leur désaccord, concernant ce point. Callidora avait toujours se montrer plus distante, plus rigide et détaché par rapport aux événements. Ce qui pouvait passer pour une forme de monstruosité, mais Charis y voyait davantage une grande force de caractère.

Callidora portait la branche de sa famille sur ses épaules, elle le faisait avec dignité et self-control. C'était sa façon d'agir et de fonctionner, ça avait toujours été le cas, et lui en faire le reproche serait négliger dans la foulée tout ce qu'elle avait consenti à faire pour le bien de sa famille.

Et concrètement, elle avait effectivement raison. Elles ne pouvaient pas se permettre d'attendre très longtemps. C'était un fait admis et avéré. Il en allait de leur réputation, et plus encore de celle de Cedrella. Cela demanderait du temps et des efforts de tout les côtés pour laver son honneur, leur honneur, et justifier leur décision de donner une seconde chance à leur soeur.

Le temps de lui trouver un parti sera déjà suffisant.

Il est vrai qu'elles ne trouveraient pas du jour au lendemain l'homme à précipiter dans les bras de leur soeur. Beaucoup de variables allaient devoir être prises en compte. Il fallait un parti raisonnablement influent, les Black ne pouvaient pas se compromettre avec n'importe qui... et en même temps, il ne fallait pas compter sur les plus influents d'entre eux, qui ne voudraient pas se retrouver dans la situation qu'avait connue Caspar, situation que Charis avait pu sauver in extremis.

Et il fallait compter aussi sur le fait que les parents des trois soeurs auraient également, bien évidemment, voix au chapitre de leur côté aussi, même si les deux soeurs avaient été les plus actives, à participer au naufrage du mariage de Cedrella quand les parents Black, eux, avaient renoncé et simplement quitté le navire sans demander leur reste (ce qui était compréhensible évidemment).

Et si Cedrella estime n'être pas prête, eh bien... Nous ferons ce qu'il faut pour qu'elle le soit.

Charis serra les dents. Elle ne pouvait pas prétendre être innocente dans l'affaire, elle avait fait "ce qu'il fallait" pour que Cedrella se sépare de Septimus, elle avait participé aux pires manipulations pour la retrouver. Mais maintenant qu'elle était de retour, elle n'avait pas envie de s'y prêter de nouveau.

"Je lui parlerai", tenta-t-elle de pondérer. "J'arriverai à la raisonner. Nous n'aurons pas à en passer par là. Tu verras quand vous vous reverrez, elle est revenue à la raison, elle ne refera plus jamais les mêmes erreurs."

-Je sais que tu as envie d'y croire. Et je veux y croire, moi aussi.

Et voilà que Charis allait de nouveau passer pour la plus crédule du duo, pour ne pas dire du trio. Oui, elle avait envie d'y croire, mais elle savait tout de même prendre la mesure des circonstances. Mais elles étaient allées si loin pour ramener Cedrella, elle n'avait pas envie d'aller aussi loin pour la retenir, si ça devait être le cas, ça voudrait dire qu'elles avaient agi en vain.

Si Charis avait voulu retrouver Cedrella, ce n'était pas pour laver l'honneur de la famille... dans ce cas, il aurait été tout aussi simple de la renier pour de bon et de la laisser devenir une Weasley. Elle la voulait parmi eux.

Et est-ce que Callidora était sincère quand elle lui assurait qu'elle avait envie d'y croire, elle aussi ? Charis restait sur ses gardes à ce sujet. Elle avait du mal, parfois, à comprendre les intentions de Callidora. Charis voyait souvent chez sa soeur aînée des choses qui échappaient à d'autre, à commencer par le coeur qu'elle prétendait bien souvent de glace... mais dans ces circonstances, elle regrettait de ne pas savoir précisément ce qu'elle avait à l'esprit.

-Mais nous ne pouvons autoriser une nouvelle humiliation. Il faudra que nous nous assurions qu'elle a totalement changé d'avis, qu'elle a bien retrouvé la raison. C'est moi qui irai lui parler.

Callidora n'apprenait rien à Charis que cette dernière ne sache déjà. Elle était d'accord sur ce point. Elle ne supporterait pas une nouvelle humiliation. Pour une autre raison : parce que ça lui arracherait le coeur, et que ce serait tout bonnement insupportable, intolérable pour elle. Une déception douloureuse, une trahison, c'était assez, c'était beaucoup. C'était suffisant.

Oui, il était important de s'assurer que Cedrella avait retenu sa leçon, mais forcément, Charis se sentait heurtée, blessée, quand son interlocutrice suggérait que c'était son rôle d'aller raisonner Cedrella et s'assurer qu'elle accepterait les conditions familiales.

Charis détestait cette manière qu'elle avait toujours de vouloir tout prendre en mains, comme si Charis n'était pas capable d'y arriver par elle-même. Elle était tout à fait à même de tenir ce rôle. Après tout, fallait-il rappeler que c'était elle qui avait ramené leur soeur auprès de Black ? Apparemment...

"Je suis totalement capable de lui parler, tu sais."

Elle croisa les bras, afficha un air légèrement renfrogné. C'était plus fort qu'elle. En présence de son aîné, elle avait tendance à réagir comme l'enfant qu'elle n'était pourtant plus.

-Je n'ai jamais dit le contraire. Et je n'en doute pas une seconde.

Callidora pourrait bien le dire et continuer de le répéter, ce n'est pas pour autant que Charis était sûre de pouvoir la croire malgré tout. C'est qu'elle avait bien souvent l'impression que sa grande soeur la considérait bien en-deçà de ce qu'elle pouvait et était. Une affaire d'ego. Dans le fond, Charis savait bien que ce que Callidora ne supportait pas dans cette affaire, c'était surtout le fait de ne pas avoir le contrôle.

Ce n'était pas elle qui prenait les décisions, ce n'était pas elle qui décidait de ce qu'il convenait de faire ou non, et de toute évidence, elle n'aimait pas ça. Si Charis n'éprouvait pas une sorte de culpabilité mal placée à ce sujet, elle en jubilerait.

Elle aimait que les situations soient inversées, pour une fois, même si cela ne devait durer qu'un instant, même si cela ne devait être qu'un feu de paille. Elle se doutait pas que l'ordre des choses reprendrait vite sa place, mais elle savourait son léger avantage, et elle avait la ferme intention de le garder tant qu'elle le pourrait.

-Tu redoutes peut-être d'être tenue à l'écart, mais pour l'heure, j'ai surtout l'impression que tu protèges Cedrella de moi, et je t'avoue ne pas apprécier.

C'était exactement le cas. Bien sûr, Charis n'admettrait jamais le fond de sa pensée, mais oui, elle devait bien avouer que c'était très précisément ainsi qu'elle agissait : elle voulait bel et bien tenir Cedrella à l'écart de Callidora. Elles la retrouvaient à peine, elle ne voulait pas que le retour de Cedrella soit une éternelle punition pour elle, elle voulait juste faire table rase du passé et repartir sur des bases neuves et saines. Etait-ce trop demander ? Peut-être, mais elle demandait malgré tout.

"Que vas-tu chercher là ?" répliqua Charis comme si c'était l'idée la plus absurde du monde, même si toutes deux savaient très précisément ce qu'il en était et ce qu'elles en pensaient toutes deux. "Ce n'est pas ça du tout", ajouta-t-elle, faisant toujours mine de s'insurger. "Qu'est-ce que tu comptes lui dire exactement que je ne serais pas capable de lui dire moi-même ?" la confronta-t-elle alors.

Le retour de Cedrella lui rendait des ailes qu'elle pensait avoir perdues. Et ça lui faisait du bien.

-Je n'ai pas dit que tu ne serais pas capable de le dire toi-même.

Non, elle ne l'avait pas dit, mais il y avait des choses que Callidora n'avait pas besoin de dire pour que Charis les comprenne, ou pense en tout cas les interpréter de la bonne façon. Elle sentait bien qu'elle était en train de pousser sa grande soeur au bout de ce qu'elle était capable de tolérer sans s'emporter, mais elle n'avait pas l'intention de céder du terrain trop rapidement. C'était sans doute vrai que le retour de Cedrella dans sa vie lui donnait des ailes, par certains aspects.

Elle n'avait pas dit ça, non, et d'ailleurs, elle ne l'avait peut-être pas pensé non plus, mais certaines paroles ne trompaient pas malgré tout. Si elle la pensait capable d'avoir cette conversation avec leur soeur, elle voulait tout de même être celle qui l'aurait, parce qu'elle n'acceptait pas, tout simplement, que Charis choisisse de prendre les choses en mains. Mais pour cette fois, elle avait envie d'insister. jusqu'ici, tout le reste du temps, elle avait laissé sa soeur prendre les rênes et elle n'avait pas protesté. Mais là, cette fois, elle en avait assez.

-Mais tu peux comprendre que j'ai envie de la revoir, n'est-ce pas ?

Charis hocha la tête. Callidora tentait de la prendre par les sentiments, et ça marchait presque, parce que Charis pensait connaître Callidora mieux que personne, peut-être même mieux qu'elle-même. Elle n'était pas née de la dernière pluie, elle savait qu'il y avait un fond de manipulation derrière ses propos, mais un fond de vérité aussi. Callidora témoignait toujours assez mal aux autres l'affection qu'elle ressentait pour les personnes qu'elle aimait, mais à certains détails, cela se voyait.

Callidora aimait ses deux soeurs, et si elle s'était lancée dans une si vive vendetta à l'encontre de Cedrella et de son mariage, c'était parce que sa déception avait été à la hauteur de l'amour qu'elle avait au fond pour sa soeur. Oui, Callidora devait avoir envie de la revoir, il n'empêche que ce n'était pas entièrement cela qui motivait ses faits et gestes.

"Bien sûr que je le comprends, et je le sais", dit Charis avec plus de douceur. "Je n'essaie pas de vous empêcher de vous revoir, j'aimerais juste... que les choses redeviennent comme avant."

Ce qui n'adviendrait pas si Callidora passait son temps à accabler Cedrella avant de lui mettre d'office un nouveau fiancé dans les pattes.

-Moi aussi, c'est ce que je souhaite, Charis.

Charis n'était pas toujours aussi naïve qu'elle en avait l'air. Elle savait qu'elle devait éviter à tout prix de croire son interlocutrice sur parole, car ce serait se montrer bien trop crédule. Malgré tout, elle avait envie de croire que, même si sa soeur cherchait à l'amadouer, elle était malgré tout sincère, ou en tout cas en partie.

Elles avaient fait des pieds et des mains pour saborder le mariage de Septimus et Cedrella, ce n'était pas juste pour réparer leurs orgueils blessés ou pour prouver qu'elles avaient eu raison, c'était aussi que les trois soeurs Black se complétaient mutuellement. Qu'elles le veuillent ou non, elles n'étaient pas deux, mais trois, et c'était ce nombre qui révélait le meilleur d'elles-mêmes. Elles avaient besoin de cet équilibre. Callidora ne pourrait pas la contredire à ce sujet.

-Ce n'est pas en prétendant que rien ne s'est passé que les choses reviendront à la normale, il nous faut nous assurer que les erreurs du passé ne se reproduiront pas.

Là encore, il était difficile de donner tort à Callidora, mais Charis avait tout de même le sentiment que sa soeur ne faisait que prétendre ne pas comprendre le fond de la pensée de sa cadette pour s'assurer seulement d'avoir le dernier mot et de garder le contrôle quoi qu'il en soit sur la situation.

En effet, il serait dramatique que les erreurs du passé se reproduisent, et il n'était pas question d'encourager cela. Mais une de leurs erreurs, justement, avait été de précipiter une union forcément vouée à l'échec. Ce n'était ni acceptable, ni tolérable. Et clairement, pour trouver la bonne manière d'agir, il allait falloir que l'une comme l'autre, elles acceptent de couper la poire en deux et de faire des concessions. L'ennui, c'est que si faire des concessions n'inquiétait ni ne dérangeait Charis, quand bien même elle devait mettre de sa fierté de côté, Callidora en était bien moins capable pour sa part.

"Je le sais", répondit Charis avec un peu plus de douceur et de pondération. Elle voulait éviter autant que possible de rajouter de l'huile sur le feu. Il était définitivement préférable qu'elles trouvent un terrain d'entente, toutes les deux. "Si Cedrella nous tourne à nouveau le dos, il n'y aura plus de retour en arrière possible."

Elles étaient sans doute d'accord là-dessus.

-Mais ça n'arrivera pas.

Charis hocha la tête. Elle l'espérait de tout coeur, du moins. Malheureusement, rien ne pouvait réellement le leur garantir, mais la jeune femme voulait l'espérer malgré tout. Oui, pour le moment, Cedrella était encore fragile, et l'inquiétude de la voir retourner sa veste à n'importe quel moment était bien présente. Mais s'il était encore difficile de lui faire entièrement confiance, c'était en elles-mêmes qu'elles devaient croire, afin d'empêcher, tout simplement, que la situation se reproduise.

Et pour que ce qui s'était passé autrefois n'arrive pas, la meilleure méthode aux yeux de Charis était de lui rappeler tout ce qu'elle avait manqué de perdre. Elle n'aurait envie de rester que si elles leur donnaient de bonnes raisons pour cela, non ? Ainsi Charis voyait-elle les choses, du moins, et sa vision ne lui semblait pas si insensée. Même si Callidora avait l'air davantage partante pour une méthode que l'on pourrait qualifier de plus... agressive.

-Il nous faudra serrer les vis progressivement, mais nous y parviendrons.

Serrer les vis progressivement. D'accord. Charis avait tout de même le sentiment que ces derniers mois à espérer le retour de leur soeur, à élaborer plan après plan pour la faire revenir avait fini par faire de Cedrella davantage un objectif qu'un membre de leur famille qu'elles avaient chérie et dont elles espéraient sincèrement le retour. Bien sûr, Charis connaissait sa soeur, elle savait aussi qu'elle n'était juste pas très démonstrative, et qu'avec elle, il fallait aussi savoir lire entre les lignes. Mais dans certaines circonstances, elle ne lui facilitait pas exactement la tâche, on peut le dire.

Leurs deux méthodes combinées étaient peut-être la bonne, en fin de compte. Entre sentimentalisme et froidure, qui étaient peut-être de modes opératoires valables, mais qui rentraient nécessairement en contradiction. L'ennui, c'est que Callidora avait toujours plus de facilité à s'imposer que Charis, et cette dernière craignait fort d'avoir à peine voix au chapitre en fin de compte.

"Acceptes-tu tout de même qu'elle reste sous mon toit pour le moment ? J'ai estimé sur le moment que c'était la solution."

Et elle n'avait pas vraiment envie de voir Cedrella déménager chez Callidora, mais elle voulait faire mine d'être capable de concessions. Tout en sachant pertinemment qu'à ce jeu avec le feu, elle pouvait se brûler.

-Bien sûr. Je ne te reproche pas ta décision. Je pensais seulement que nous la prendrions ensemble.

Charis avait le sentiment d'avoir su pour de bon apaiser les choses et ça la rassurait. Même si, puisqu'il était question de Cedrella, elle aurait continué de marquer son désaccord envers son aînée si besoin était, elle était tout de même rassurée de ne pas avoir à le faire.

Elle n'avait pas envie de se prendre la tête avec Callidora, retrouver une soeur pour en perdre une autre, où serait l'intérêt ? Tout ce qu'elle voulait, elle, c'était que les choses repartent comme avant, comme au bon vieux temps, c'était vraiment quelque chose d'important à ses yeux. Elle pouvait comprendre que Callidora avait été vexée qu'elle ait pris l'initiative sans la consulter, en attendant, la jeune femme ne savait pas avoir le moindre remord.

Mais j'en serais arrivée à la même déduction que toi. Il est préférable qu'elle reste chez toi. Dans un premier temps, du moins.

Au moins, elle n'allait pas devoir revoir ses plans. Elle n'avait pas la moindre envie de s'incliner face à sa soeur, mais elle aurait peut-être fini par le faire, en vérité, si la jeune femme avait insisté, parce que Callidora, peu importe les circonstances, avait toujours eu l'ascendant sur elle.

C'était donc parfait ainsi. Cedrella resterait chez elle. Elle estimait que c'était le mieux. Certes, la présence de Caspar n'arrangeait pas toujours les choses, mais c'était tout de même mieux ainsi. Charis ne le devrait peut-être pas, mais il fallait bien qu'elle le reconnaisse, elle essayait de protéger sa soeur du mieux qu'elle le pouvait. Elle cherchait un moyen d'effacer le passé pour tout simplement aller de l'avant, quitte à s'enfoncer dans quelques-unes de ses erreurs, il est vrai.

"Et dans un second temps ?" demanda Callidora avec curiosité et une certaine inquiétude. Elle connaissait sa soeur, elle savait très bien que depuis qu'elle avait appris la nouvelle, elle devait avoir déjà planifié les choses un minimum.

Et elle appréhendait un peu que les plans en question ne lui conviennent pas. A quoi bon, en même temps, retrouver Cedrella et la garder sous son toit si, au bout du compte, la jeune femme se retrouvait à subir elle ne savait quel projet de la part de leur aînée ?

-Dans un second temps... Tu le sais très bien. Elle ne pourra quitter ton foyer que lorsque nous lui en trouverons un nouveau.

Elle le savait bien, mais Charis se sentait malgré tout très mal à cette idée. Elle savait que c'était inévitable, que c'était la meilleure façon de réintégrer Cedrella, et elle pensait que cette dernière serait aussi capable de le comprendre, à un moment ou à un autre.

Elle s'en voulait de mettre sa soeur, encore fragilisée par les circonstances, dans une situation qui risquait de la faire fuir de nouveau. Elle ne réussissait pas à se montrer aussi catégorique que ne l'était Callidora. Callidora avait toujours été la force décisionnaire, et Charis obéissait, mais c'était difficile. Dans un premier temps, Charis avait cru qu'une fois Cedrella de retour, tout ceci prendrait fin. Maintenant, elle avait le sentiment que c'était pire que ce qu'elle s'était imaginée.

Charis hocha juste la tête. Pas la peine d'insister et de débattre. Dans tous les cas, sa soeur aînée n'en ferait qu'à sa tête, comme d'habitude, et la jeune femme ne voulait pas en rajouter. Chaque chose en son temps. Débattre avec Callidora servait rarement à grand-chose. Et là, tout de suite, elle avait le sentiment d'office que ce serait forcément quelque chose de particulièrement inutile.

Elle laissa passer un moment de silence avant de reprendre la parole. Elle se doutait qu'elle risquait de mettre le feu aux poudres, mais peu importe.

"Tu ne m'as même pas demandé... comment elle allait."

Elle avait cette réflexion sur le bout des lèvres depuis plusieurs minutes déjà, mais elle osait seulement maintenant le formuler. Callidora avait parlé avec froideur, elle élaborait des stratégies, elle réfléchissait à la manière de procéder, mais quid de l'affect.

Si elles avaient voulu récupérer Cedrella, aux yeux de Charis, ce n'était pas juste pour rendre honneur à la famille, c'était aussi pour retrouver une soeur qui leur avait manqué. Mais Charis commençait à douter de ce qu'avaient été les véritables intentions de Callidora. Au moment où elle retrouvait Cedrella comme ça n'avait pas été le cas depuis longtemps, elle apprégendait que ce soit Callidora qu'elle finisse par perdre, comme si elle ne pouvait pas avoir les trois soeurs à la fois, heureuse et unie.

C'était l'erreur de Charis, sans doute. Elles ne pouvaient pas revenir en enfance, elles devaient accepter d'évoluer, mais c'était difficile.

-Je n'ai pas besoin de te le demander pour savoir ce qu'il en est.

La froideur de Callidora inquiéterait presque Charis. Pourtant, elle connaissait sa grande soeur, elle connaissait son tempérament, elle savait qu'elle n'était pas démonstrative, et qu'elle était particulièrement pragmatique, mais quand il était question de leur soeur, elle pensait que la situation valait qu'elle se défasse de son masque d'impassibilité pour montrer ce qu'elle en pensait vraiment. Sauf qu'elle ne le faisait pas.

Tous les efforts qu'elles avaient mis en commun avec Callidora devaient tendre à retrouver leur soeur, pas seulement pour rétablir l'honneur de leur famille, mais parce qu'elle leur manquait... En tout cas, elle manquait à Charis. Mais elle n'était plus à même de savoir si Callidora pensait la même chose ou si elle lui imaginait une sympathie, une empathie envers sa soeur.

Oui, elle devinait sans doute comment allait Cedrella, et justement, elle devait deviner qu'elle allait mal. Au-delà du fait que c'était en raison d'une relation qu'elle n'aurait jamais dû entretenir, ne pouvait-elle pas tout de même se soucier de son état d'esprit ? d'à quel point elle allait mal, peut-être ?

Le discours de sa grande soeur la désorientait davantage que ce qu'elle avait bien pu s'imaginer, et elle se sentait quelque part assez déçue. Si elle s'était attendue à ce que Callidora soit déçue qu'elle ne lui ait pas parlé de son intention de retrouver Cedrella (ce qu'elle regrettait d'autant moins, pas conséquent), elle s'attendait tout de même à une tout autre réaction de sa part. Mais elle n'espérait plus qu'elle lui soit adressée à présent. De toute évidence, il n'en serait rien.

"Non, en effet...", se contenta de répondre Charis du ton le plus neutre possible. Elle examina le fond de son verre. Il était vide, celui de Callidora aussi. Très bien. Elle avait envie de fuir cette conversation avant qu'elle ne prenne une tournure inextricable. Elle tourna son regard sur l'horloge affichée au mur. Il était tard, au moins elle ne l'inventait pas. "Il se fait tard, je ferai mieux de rentrer."

Avant le retour de Caspar à la maison, de préférence, afin que tout soit parfait pour son retour. Ele se releva pour ne pas être retenue, déposa une bise sur la joue de sa soeur.

"On se revoit bientôt."