La réponse qu'Augusta lui fait, Harfang ne pense pas que sa fille aurait osé l'adresser à sa mère. En même temps, il comprend. Calliora a toujours su la recadrer bien comme il faut, on ne peut pas en dire autant de lui, qui préfère ne rien dire et ne rien répliquer que de se retrouver dans une conversation comme celle-ci. Mais il y est, et il va bien falloir faire avec. Est-ce que Augusta a le choix ? Non, bien sûr. C'est un truc de famille, bon à retenir : on n'a jamais vraiment le choix. On peut bien de temps en temps sortir un peu des sentiers battus, comme Harfang qui trouve un palliatif à sa misère sentimentale avec ses nombreuses maîtresses. Mais là, il ne pourra pas y échapper et elle non plus, alors bon, autant qu'ils fassent tous les deux leur possible pour que les choses se passent d'une façon plus ou moins convenable. au pire, cela n'aura qu'à durer quelques minutes seulement, et après ils retourneraient à leurs habitudes, qui consistaient en partie à ignorer dignement l'existence de l'autre.

"Pas plus que moi", répond seulement Harfang d'un ton neutre.

Il aurait pu s'exprimer sur le ton de la plaisanterie, mais cela aurait suggéré une sorte de connivence à laquelle il refuse de se plier. Ce ne serait pas mal, pourtant, de laisser naître une sorte de complicité entre eux, mais de celle-ci ressortirait à ses yeux une sorte de responsabilité supplémentaire, et il n'a pas envie de ça.

"C'est au sujet de tes notes", ajoute-t-il pour rentrer dans le vif du sujet.

Mais Augusta n'est pas idiote (et d'ailleurs, ses résultats ne le démentent pas vraiment. Ses notes restent totalement honorables, c'est juste qu'elles ne suffisent pas, les efforts exceptionnels n'étaient pas assez exceptionnels, il fallait de l'optimal, avant tout de l'optimal. Pas simple d'être à la hauteur de telles attentes). Alors elle sait déjà pourquoi il est ici. Mais comme ça, ils ne tourneront pas autour du pot en s'échangeant des banalités, et ça, Harfang préfère largement, ce n'est pas le genre de petit jeu auquel il a envie de jouer.

Il ne va pas aller jusqu'à le dire à voix haute, mais il a effectivement songé à ne faire que prétendre avoir cette conversation afin de s'épargner une telle corvée, mais il connait sa femme, tout de même, depuis le temps, il sait qu'elle a des yeux et des oreilles partout, elle serait capable de savoir qu'il n'a pas.. accompli son devoir parental, ou quelque chose du genre. Et en vérité, ce n'est pas que ça le dérange affreusement non plus d'être en présence de sa fille (ce qu'Augusta doit penser à juste titre à le voir agir comme ça), même si ce genre de conversation doit s'inscrire en grosses lettres dans le dictionnaire sous le mot "ennui". C'est juste qu'il ne sait pas s'y prendre, et la réponse de sa fille le confirme. Ce serait plus simple, s'il réussissait à instaurer une sorte de climat de confiance entre eux, mais il n'y parvient pas. Il y a un blocage, bien présent, et Harfang ne voit pas du tout comment il pourrait réussir à le contrer. Sa dernière remarque lui décoche un fin sourire tout de même. Elle a du caractère, cette petite ! Et si elle peut exaspérer l'irascible Callidora Londubat, il aurait bien du mal à ne pas se ranger de son côté.

"Ta mère n'attend pas de toi que tu n'aies plus aucune vie sociale", pondère-t-il quand même. "Tu sais bien qu'entretenir ses relations est un travail à plein temps pour elle." Il hausse les épaules. "Elle voudrait juste que tu sois parfaite, comme elle estime l'être."

Et de même, elle voudrait qu'il soit parfait, selon ses critères du moins. Donc austère, aussi sérieux qu'une porte de prison, adepte d'une vie sans fantaisie, à l'image d'un Caspar Croupton (il ne croit pas si bien penser). Dommage pour elle, elle a épousé de la mauvaise graine. Et mis au monde une autre mauvaise graine.

"Entre toi et moi, ta mère n'est pas parfaite. Mais c'est elle qui fait la loi, alors tiens-toi à carreau tant que tu vivras sous ce toit. C'est comme ça que tu préserveras ta santé mentale."

Et elle peut en croire sa vieille expérience, à ce titre. C'est qu'il travaille sa femme depuis longtemps, maintenant.

Et après, on se demandera pourquoi Harfang ne parvient pas à jouer les papa modèles avec sa fille. Il venait vraiment d'essayer d'établir un climat de complicité avec elle, il pensait s'être montré agréable et sympathique, et résultat des courses : elle l'envoyait paître dans les grandes largeurs. Bon ben merci bien... La prochaine fois qu'il essayerait de se montrer sympathique avec sa fille, il s'abstiendrait. Apparemment, Augusta part du postulat qu'il ne croit pas en ce qu'il dit, mais c'est faux, il a été parfaitement sincère, précédemment. La sociabilité est au coeur de tout, pour Callidora, c'est un fait, c'est ce qui explique toutes les réceptions organisées chez eux et qui fatiguent Harfang au plus haut point. Mais il a bien compris, quoi quil dise, Augusta restera focalisée sur sa propre perception des choses, forcément négative. Elle est bornée, c'est quelque chose que Harfang aime bien chez elle, mais en cet instant, il aurait bien voulu qu'elle l'écoute un peu tout de même, rien qu'un tout petit peu. Mais elle doit être trop en colère pour ça.

Et en plus, quand elle est sur sa lancée, Merlin, rien ne l'arrête. Harfang serait bien incapable de répliquer quoi que ce soit tant les mots s'enchaînent et se déchaînent. Alors oui, c'est vrai, il aurait été préférable qu'ils aient un fils, mais si ça avait été un impératif, ils auraient essayé d'avoir un deuxième enfant, ce qu'ils n'avaient pas cherché à faire. Callidora est issue d'une fratrie de trois fille, pas de frère, et elle n'a jamais estimé que c'était quelque chose de si terrible. Non, le souci, c'est surtout que leur seul enfant n'a pas envie de suivre la voie qu'elle a tracé pour elle. Si elle se montrait plus... docile, Callidora serait sûrement moins intransigeante.

"Comme tu voudras", soupire Harfang, sentant qu'il ne sert à rien de débattre avec elle, en vérité. Pas pour l'instant, du moins, elle est trop énervée pour entendre raison de son abandoniste de père. "Moi je dis ça pour toi, tu sais. Tu fais ce que tu veux."

Et il n'a pas l'intention d'insister. Au moins, il pourrait dire à son épouse qu'il avait fait son boulot.

Il peut le lui reconnaître, au moins, elle a le mérite de s'excuser de son attitude. Harfang doit considérer que c'est la moindre des choses. Il ne dit pas non plus qu'on doit lui dérouler le tapis rouge au nom de l'effort qu'il accepte de faire et qui ne devrait pas être un effort mais un réflexe. N'empêche que pour une fois qu'il fait ce qu'il faut, ou essaye de faire ce qu'il faut, il voudrait qu'on lui reconnaisse au moins ça. Sinon, il va jeter l'éponge, cette fois, et une bonne fois pour toutes. Mais puisque Augusta se rattrape, c'est très bien. En effet, il la connaît mieux qu'elle, et il a des années d'expérience en réserve, donc il sait comment faire pour la supporter au quotidien sans péter directement un câble. Ce n'est pas toujours efficace, mais il se préserve au minimum, au moins. Elle se désespère de ne pas faire assez bien pour sa mère, ce qu'elle n'a pas l'air de comprendre, c'est que rien n'est à même de satisfaire Callidora Londubat, elle est une éternelle insatisfaite... Rien ne trouve grâce à ses yeux si ce n'est elle-même. Il ne sert à rien de chercher à se hisser à sa hauteur, c'est de l'énergie dépensée pour rien. Quand on comprend cela, on gagne un temps précieux.

"Les notes, ce n'est qu'un prétexte, Augusta."

Bien sûr, Callidora tient à ce que sa fille ait des résultats excellents, parce que de la réputation de sa fille dépend la sienne, mais si elle avait la note optimale dans toutes les matières, elle trouverait un autre terrain sur lequel pointer du doigt son incompétence. Pourtant, Callidora est loin d'être réellement parfaite de son côté. Mais à son sujet, il est impossible de dire quoi que ce soit, évidemment.

"Ne t'épuise pas à essayer d'être parfaite pou ta mère, contente-toi de prétendre chercher à l'être et ça suffira... un temps."

Harfang sait que son épouse la tuerait si elle l'entendait parler. Mais en soi, ça la dissuaderait peut-être de lui demande de jouer les pater familias avec sa fille.

Parfois, Harfang se dit juste que sa fille fait semblant de ne pas comprendre. Callidora est clairement une horreur à vivre, mais elle n'est pas un mystère impossible à décrypter. Elle a ses exigences, elle estime qu'on peut toujours mieux que mieux. Et elle veut le meilleur pour sa fille en la rendant parfaite, ou en tout cas conforme à sa vision de la perfection. Pour lui, ce n'est pas difficile à comprendre. Mais en même temps, il supporte sa femme depuis beaucoup plus longtemps, alors il sait comment elle fonctionne. Il voudrait juste que sa fille le comprenne ainsi, parce qu'en s'agitant de cette manière, elle ne fait que brasser du vent, rien de plus ni de moins... Et que leur conversation à ce sujet se soit mal passé, ce n'est pas une surprise, c'est quelque chose de complètement logique.

"Je crois que tu n'écoute pas vraiment ce que je te dis, Augusta."

Ou bien il s'exprime très mal, ce qui est possible, parce qu'il n'a jamais excellé dans le rôle de père, et que si il peut être très doué pour communiquer (surtout avec les jolies jeunes femmes), il n'est en revanche pas le plus doué quand il s'agit d'avoir de vraies conversations père-fils.

"Arrête de te laisser atteindre inutilement par ses remarques, parce qu'elle t'en fera toujours. C'est tout."

C'est comme cela, Callidora est une éternelle insatisfaite, et c'est pour cette raison qu'elle va aussi loin dans la vie, qu'elle est aussi impressionnante, aussi... inarrêtable... Alors ça ne sert vraiment à rien de se vexer, de vouloir riposter, de chercher à avoir le dernier mot. C'est bien d'avoir de la fierté, mais on ne gagne rien face à Callidora Londubat. Il estime qu'Augusta est une fille forte, déterminée et intelligente, et qu'elle ira très loin dans tous les cas. Elle le mérite. Mais tant qu'elle sera sous le joug parental, il faut qu'elle ronge son frein.

Difficile de reprocher à Augusta d'envier certains élèves de Poudlard. Etant donné tout ce qui lui est infligé et l'autorité persistante de sa mère, on peut dire que c'est une chance, quelque part, qu'elle n'ait pas totalement perdu la boule, et le fait qu'elle passe le plus clair de son temps dans son école, à changer d'air, à voir du monde, ne doit clairement pas y être pour rien du tout. Oui, Augusta n'est pas sortie de l'auberge avec des parents comme les siens, mais elle doit se dire que, contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'herbe n'est pas toujours plus verte chez le voisin. Sa vie est comme elle est, et si elle veut s'en sortir plaisamment, il faut qu'elle accepte d'office de faire des concessions. Plus tard, elle se rendra compte que cette résignation aura porté ses fruits. Mais bien sûr, il faut un peu de temps pour prendre pleinement conscience de ce genre de chose.

Le coeur d'Harfang se serre un peu quand sa fille ajoute qu'elle voudrait avoir une famille aimante, mais qu'elle sait que c'est impossible... Il n'est pas étonné qu'elle le pense, ni lui ni Callidora ne sont des modèles incontestables en termes de parentalité, mais il n'est pas agréable d'entendre ce genre de mots, d'autant que s'il le montre vraiment très mal, Harfang aime sa fille... et même si elle est d'une autorité à faire peur, il sait que c'est pareil pour Callidora. Ils n'ont juste... jamais vraiment été capables de le montrer convenablement, c'est tout.

"Je pense que tu commences à comprendre", répond-il dans un hochement de tête, un fin sourire au coin des lèvres.

Si sa femme le voyait encourager comme ça les décisions de sa fille, elle pèterait sûrement une durite, mais c'est de sa faute, au fond, et elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même, elle n'avait qu'à pas l'affubler d'une tâche qui n'avait, de base, aucune chance de lui convenir. Il hésite un instant à lui laisser suggérer de laisser une chance à sa mère mais en songeant à Callidora la diabolique, il se raisonne et admet que ce serait de l'énergie dépensée pour rien.

"Bon je... vais te laisser."

Harfang sourit en entendant la réponse de sa fille. Il ne sait pas s'ils ont vraiment réussi à se comprendre, il en faudra certainement davantage s'il doit espérer que la situation s'arrange entre eux... ce qu'il voulait bien sûr, mais sans vouloir faire l'effort malgré tout de mettre en oeuvre les moyens nécessaires. Il préférait largement déployée son énergie à autre chose. Au moins, ils ont communiqué un peu et ça c'est un exploit. Ce n'est en tout cas pas quelque chose qui arrive tous les quatre matins. Alors même si ça aurait pu mieux se passer, Harfang à envie de se dire qu'il n'a pas perdu son temps avec Augusta. Peut-être que cette dernière ne le percevait pas de cette manière mais il paraît qu'il faut célébrer les petites victoires. Et c'est un peu sa philosophie.

"Je compte sur toi alors", dit-il en lui adressant un clin d'oeil. "À plus tard, ma fille."

Au fond, il ne sait pas du tout quand aurait lieu leur prochaine conversation. Même si celle-ci ne s'était pas si mal passée, il n'était pas forcément pressé d'arriver à la suivante. Certes un père et une fille devraient se parler régulièrement mais il ne fallait pas non plus trop lui en demander. Il faisait déjà beaucoup d'efforts. Et là tout de suite il avait surtout envie d'échapper au climat familial où il se trouve. Au moins quelques heures. Dans d'autres bras.

En tout cas, Harfang choisit de quitter la chambre d'Augusta sur ces mots. Il est plutôt satisfait de cette conversation. Il ne
sait pas si elle servira à quoi que ce soit, mais il décide que ces dernières minutes n'ont pas été vides de sens. Loin de là. En tout cas il est temps pour lui de vaquer à ses propres occupations. Loin de toute considération familiale.