Depuis sa conversation avec Orion, Walburga était tout sauf dans son assiette. Elle n'aurait su trop dire si elle se sentait au bout du compte soulagée ou juste stupide, ce qui était certain en revanche, c'est que la réaction du jeune homme l'avait totalement démoralisée. Elle reconnaissait pourtant qu'il n'aurait pas pu mieux réagir étant donné les circonstances, mais ça n'ôtait pas grand chose au fait qu'elle lui avait donné son coeur, et qu'en retour il avait été brisé en mille morceaux. En même temps, à quoi s'attendait-elle, idiote profonde qu'elle était ! Evidemment que les choses allaient se passer ainsi ! De quelle autre manière ? Enfin, ce qui était fait était fait, ce qui était dit était dit, et maintenant, tout ce qu'elle pouvait faire, c'était... attendre que le temps passe. Elle n'avait jamais à ce point espéré les vacances, même si elle savait que s'ensuivrait inévitablement le mariage de son cousin... mais quitte à faire face à l'inévitable, autant que celui-ci se présente rapidement, qu'elle puisse passer à autre chose. Si c'était possible. En attendant, elle fuyait autant que faire se peut Orion et Lexie, et tenter de reprendre le cours de sa vie aussi normalement que possible.

Ce qui voulait dire qu'elle n'agissait pas forcément de la manière habituelle. On ne l'aura jamais vu se concentrer à ce point sur ses études, par exemple. Elle n'avait consacré à ses ASPIC qu'un temps et un intérêt limités, mais ça, c'était avant. Maintenant, elle se donnait du mal pour venir à bout de ses révisions, pas tant dans l'espoir d'obtenir des résultats dignes de ce nom que dans l'intention de se vider l'esprit, tout simplement. Elle était donc dans la salle commune des serpentards, face à une table jonchée de parchemins, et elle essayait de comprendre les rudiments de ses derniers cours de métamorphose, qu'elle n'avait alors écoutés que d'une oreille distraite. C'est tout affairée à la tâche qu'elle vit s'approcher d'elle une silhouette familière. Pour le coup, elle ne saurait dire ou non si elle était contente que son frère vienne à sa rencontre.

-Tu vois pas que je suis occupée, vermine ? dit-elle quand même, réservant ainsi l'accueil qu'une grande soeur se devait tout naturellement d'accorder à son petit frère.

"Si, justement, c'est bien ce qui m'inquiète."

Alphard était fidèle à lui-même, toujours nonchalant, toujours insolent, comme s'il se fichait de tout, comme si rien n'avait l'ombre d'une importance pour lui... Souvent, et même si elle ne le disait pas à voix haute, elle aimait bien ce trait de caractère, ça la faisait rire, vraiment. Mais là, elle ne goûtait pas totalement à l'humour de son frère. De toute manière, elle n'avait goût à rien. Elle éprouvait un profond sentiment de vide, comme s'il y avait un gouffre sans fond au creux de son coeur, que rien ne pourrait jamais combler, et elle avait l'impression que son petit frère la pointait du doigt et se moquait ouvertement d'elle, comme si le mal dont elle souffrait ne méritait pas qu'on s'y attarde, ne méritait pas que l'on compatisse. En même temps, comme elle ne disait rien à personne de sa situation (et en avait honte, surtout), ça avait peu de chances d'arriver, surtout. Comme elle n'était pas d'humeur à rire de ses plaisanteries, elle les trouvait plus irritantes qu'autre chose.

"Ne me dis pas que t'es en train de réviser, quand même."

Walburga poussa un très profond soupir. Elle avait le sentiment qu'il la prenait pour une idiote et ça l'agaçait. Il avait des raisons d'être étonné, c'est vrai, parce que Walburga n'était pas une élève assidue, loin de là, et elle préférait largement traumatiser son monde que de plonger dans ses révisions. Mais elle n'avait pas envie qu'on la prenne pour une idiote ou comme la dernière des abruties.

-Eh bien si, grinça-t-elle, d'humeur acerbe. C'est ce que font les gens qui veulent réussir la vie, mais j'imagine que tu connais pas ça, toi, hein ?

Et le pire, c'est que Alphard réussirait sans doute mieux sa vie qu'elle, parce qu'il était un garçon, et parce qu'il était un Black, et c'étaient déjà deux points forts quand on voulait arriver à quelque chose dans la vie, quand on voulait atteindre le haut du panier. En tout cas, s'attaquer gratuitement à son petit frère (mais il l'avait un peu cherché) lui faisait le plus grand bien.

"Pas besoin de réussir ma vie, ma vie est déjà une réussite."

Walburga accepta d'esquisser un léger sourire, ce qu'il cherchait à obtenir d'elle depuis le début. Il n'en loupait vraiment pas une, lui... Mais bon, ce satané caractère était aussi l'une des choses qu'elle appréciait le plus, chez ce fichu frangin. En plus, il avait beau jouer la carte de la présomption à mort, c'était difficile de lui donner tort, pour le coup. Ouais, il avait raison, en fait, il n'avait pas besoin de réussir sa vie, sa vie était déjà sur les rails. Il avait toutes les cartes nécessaires en mains au bout du compte. Il fallait juste qu'il évite de faire de la merde avec... et c'était là qu'Alphard pouvait réussir à se mettre dedans tout seul, le connaissant. Pas besoin de réussir sa vie, non.  Mais ce n'était pas une raison pour se reposer sur ses acquis.

"Qu'est-ce qu'il y a à réussir dans ta vie, de toute façon ? Y a une leçon sur la façon de torcher ses mômes, dans tes bouquins ?"

Le sourire qui était apparu sur les lèvres de Walby s'effaça aussi sec et elle le troqua contre le regard le plus noir qu'elle avait en réserve. Non mais quel petit con ! C'est pas qu'il avait tort en soi, elle savait à quoi elle était destinée et quel rôle elle devait tenir exactement, mais il y avait une façon de dire les choses, quand même, et là, il jouait vraiment avec ses nerfs. Il n'y avait jamais de bon moment pour jouer avec les nerfs de Walburga Black, s'entend bien, mais là, c'était encore pire que d'habitude.

-Alphard, si tu la fermes pas tout de suite je vais t'expédier à l'infirmerie jusqu'à la fin de l'année scolaire, décréta-t-elle d'un ton tranchant et menaçant.

Personne ne pouvait douter du fait qu'elle ne plaisantait absolument pas. Elle approcha sa main de sa baguette. Il pouvait faire le malin, mais elle restait quand même plus forte que lui. Et si il voulait qu'elle le lui rappelle, elle se ferait un véritable plaisir de le faire.

"T'oserais jamais"

Walburga n'oserait jamais, c'était vrai. Elle voudrait bien, franchement, et elle se disait que ça la soulagerait d'un poids, quelque part, mais ça durerait une fraction de seconde, en ensuite, forcément, elle s'en voudrait à mort. Même quand il jouait les crevures comme maintenant, il restait son frère, et forcément, elle tenait à lui, ce petit crétin. Mais il ne fallait pas qu'il la cherche trop quand même. Parce que si c'est sûr qu'elle ne l'expédierait clairement pas à l'infirmerie, ce n'est pas pour autant qu'elle ne serait pas capable de lui faire beaucoup de mal d'une autre manière, si elle le décidait. Il lui suffirait pour ça de le pourrir auprès de leurs parents. Et c'était le genre de choses qui ne plairait vraiment pas à Alphard. Faut dire qu'ils y allaient pas avec le dos de la cuillère, les parents. Et si Alphard pouvait donner l'air de rien comme ça, il en menait toujours moins large quand papa et maman se rajoutaient dans l'équation.

"Tu m'aimes trop"

Elle avait très envie de lui dire que c'était faux, mais c'était forcément vrai. Alphard était son petit frère, elle le protégerait envers et contre tout, et oui, elle l'aimait, tout comme elle aimait Cygnus et chacun des membres de sa famille. Elle ne répondit ni par la positive, ni par la négative, elle se contenta de lever les yeux au ciel. C'était vraiment le summum de l'exasperation, Alphard. N'empêche que c'est vrai que sans lui et ses remarques à deux balles, elle s'ennuierait sûrement mortellement, dans la vie.

-Dans tes rêves, répliqua-t-elle quand même histoire de donner le change. Prends pas la confiance ou je fais le bilan détaillé aux parents de la manière dont t'as occupé l'année scolaire. Je suis sûre que ça va leur plaire.

Elle n'irait jamais mettre ce genre de menace à exécution. La menace des parents, c'était un peu le coup ultime, la crasse de la dernière chance, mais au moins il était prévenu, et ça allait peut-être faire disparaître le sourire goguenard sur son visage. Ce sourire goguenard qui tantôt le rend attachant, tantôt vous donne l'envie de lui mettre son poing dans la tronche.

"Je vois pas de quoi tu parles, je suis un élève modèle"

Walby leva les yeux au ciel. Comme si elle pouvait croire en une chose pareille. Alphard était un glandeur-né, et tout le monde savait ça. C'était même assez frustrant, quelque part, parce que Alphard restait un garçon sacrément intelligent. Il aurait été capable de choses incroyables s'il s'en donnait les moyens, mais non, il préférait foutre le bordel. Les gens comme lui, qui avaient clairement des facilités et de l'intelligence à revendre, pourtant, étaient souvent aussi attachants qu'agaçants.

C'étaient des qualificatifs qui allaient très bien à Alphard, en tout cas, on peut le dire, et sans l'ombre d'un doute. Bref, non, le vert et argent n'était pas un élève modèle. Il aurait possiblement été capable de l'être dans une autre vie, mais manifestement, ça ne l'intéressait pas des masses. En même temps, Walby pouvait comprendre. Quoi qu'il fasse, sa vie était de toute façon toute tracée, alors à quoi bon se prendre la tête au bout du compte ? Se prendre la tête comme Walby le faisait en cet instant, alors même qu'elle savait très bien que ça ne servirait à rien.

"De toute façon, t'oserais jamais."

Bon, ça ne changeait rien à son inaptitude à dénoncer le frangin aux parents, mais ça c'est une autre affaire, passons... De toute manière, Alphard ne la prendrait au sérieux que le jour où elle mettrait ses menaces à exécution. Pas de bol, c'était pas vraiment prévu au programme, pour le moment. Walby haussa quand même les épaules, l'air sûr d'elle.

-C'est à toi de voir, se contenta-t-elle de répondre d'un ton légèrement énigmatique qui ne prendrait sans doute pas avec Alphard, parce qu'il la connaissait beaucoup trop bien, mais qu'importe. Maintenant, fous-moi la paix, j'ai vraiment du boulot à faire et j'ai pas le temps pour tes conneries, répliqua-t-elle sans savoir si ça allait vraiment dissuader le petit frère de repartir à la charge. Il y avait de fortes chances pour que non, en vérité.

En attendant, elle avait vraiment envie de se replonger dans ses révisions, aussi étonnant ça devait paraître. C'était juste nécessaire pour elle de se vider complètement la tête et d'oublier définitivement tout le reste, tout ce qui lui prenait beaucoup trop le chou au quotidien.