Aurora traversait les rues du Chemin de Traverse d’un pas rapide et gracile laissant imaginer qu’elle savourait pleinement une journée shopping. La vérité était que si, effectivement, elle appréciait de se balader ainsi de boutique en boutique, elle tentait également de semer sa nurse. Ou tout du moins à suffisamment épuiser la vieille femme pour qu’elle change d’avis.

Tout avait commencé le matin même quand Aurora était apparue dans le salon avec bon béret en laine, ses gants et sa chaude cape, le tout dans les mêmes teintes de bleu, en annonçant qu’elle partait faire les boutiques. Ses parents ne semblaient pas avoir vraiment entendu mais sa nurse, comme toujours, avait été au taquet et avait aussitôt interpellée les parents en rappelant qu’il n’était pas digne de leur rang de laisser une jeune fille de son âge se promener seule. Et voilà qu’après 20 minutes de tentatives vaines de pourparlers, c’était flanqué de sa Nanny qu’Aurora avait enfin pu quitter le manoir familial.

Depuis, elle s’efforçait de faire bonne figure mais elle fulminait intérieurement. Elle avait 16 ans ! Elle n’était plus une gamine, elle n’avait plus besoin que sa nounou la suive partout en permanence tel un chaperon. Du coup, par vengeance, elle était bien décidée à épuiser la vieille femme coute que coute pour lui faire passer l’envie de recommencer la prochaine fois. Mais elle avait beau avoir l’air aussi vieille que le Chemin de Traverse lui-même, Nanny tenait la distance depuis déjà 2 bonnes heures sans se plaindre ni lui demander de ralentir l’allure. Aurora devait se rendre à l’évidence, l’Opération « Epuisons Nanny » était un échec. Elle allait devoir continuer de l’avoir sur le dos jusqu’au jour où elle quitterait la maison. Car elle ne se faisait pas d’illusions, même à 17 ans elle l’aurait toujours collée à elle tel son ombre, c’était à craindre.

Un vague salut lui vînt quand son regard se posa sur l’enseigne d’Eeylops. Nanny était allergique aux plumes. Alors certes, ce n’était pas le plus fun des endroits mais au moins elle serait débarrassée d’elle un moment. Et puis cela lui permettrait de refaire sa réserve de friandise pour Hope, sa chouette qu’elle avait reçu pour son entrée à Poudlard et qui, la pauvre, n’avait pas vraiment beaucoup de travail depuis.

Alors que Nanny restait plantée devant la porte telle une sentinelle à l’affût de la moindre tentative de fuite de sa protégée, Aurora entra dans le magasin et poussa un long soupir de soulagement après avoir refermé la porte. Mais le soulagement fut de courte durée car le tout premier visage qu’elle vit en arrivant… Fût Lexie ! Il ne manquait plus que ça pour lui pourrir sa journée.

Si les deux filles avaient été amies par le passé, à présent elles se toléraient tout juste, et encore cela dépendait des jours. Aurora n’avait jamais vraiment compris comment les choses en étaient arrivées là mais ce n’était pas elle qui ferait le premier pas pour tenter de réparer les choses. Lexie avait voulu lui tourner le dos ? Très bien, tant pis pour elle !

Levant les yeux au plafond, Aurora se mit toutefois à marcher droit dans sa direction avant de s’arrêter juste devant elle, la toisant du regard du haut de son petit 1m60.

Excuse-moi !, lança-t-elle sur un ton glacial avec la mine de la fille qui n’a pas que ça à faire.

Vue de l’extérieur, avec son béret, sa cape hivernale, ses gants et son visage de poupée, Aurora avait tout de la jolie jeune fille angélique. Mais l’expression de peste qu’elle adressait à Lexie aurait fait changé d’avis n’importe qui. En cet instant, elle était l’image même de la gamine riche pourrie gâtée et bornée.

Aurora n’avait pas l’habitude qu’on lui tienne tête. Généralement, elle n’avait qu’à demander pour être exaucée. De plus, elle était ce genre de fille à partir du principe que tout le monde devait l’aimer sans pour autant prendre la peine de le mériter. Mais depuis quelques temps, elle prenait de plus en plus conscience que les choses ne marchaient pas comme ça dans la vraie vie, en dehors du manoir familial. Si enfant, elle avait été aimée de tous malgré son caractère, ses camarades avaient grandi eux aussi et commençaient eux aussi à s’affirmer, y compris face à elle, pour son plus grand déplaisir.

Lexie faisait partie de ces gens-là et Aurora lui en voulait pour cela. Elle lui en voulait de ne plus être son amie sans pour autant chercher à comprendre ce qu’il s’était passé et comment elles en étaient venues à se détester.

Ainsi, quand Lexie lui annonça qu’elle était tout excusée, Aurora leva bien mélodramatiquement les yeux au plafond en soupirant de manière bien plus prononcée que la normale, laissant comprendre qu’elle prenait la fille en face d’elle pour une idiote finie. Jamais, Ô grand jamais, elle n’aurait avoué que la réaction de Lexie avait presque envie de la faire rire. C’était bien Lexie ça, elle tout craché. À une autre époque, Aurora aurait éclaté de rire avec elle mais aujourd’hui, elle s’efforçait de masquer son amusement.

Car malgré toute la rancœur qu’elle prouvait pour elle, Lexie lui manquait. Elles s’étaient tellement bien amusées toutes les deux avant. Mais à présent, ce qui avait été des plaisanteries entre elles étaient devenus réels et non plus des blagues.

Tu es devant le présentoir, répondit finalement et froidement Aurora en désignant le présentoir derrière Lexie d’un geste du menton. Alors pousse-toi de là, j’ai autre chose à faire de ma journée que d’attendre que tu veuille bien bouger.

Bon en fait, c’était faut, elle n’avait pas grand-chose d’autre à faire. Elle passait les vacances les plus ennuyeuses de sa vie et n’avait qu’une hâte, étrangement, c’était de retourner à Poudlard. Ses parents l’agaçaient prodigieusement, elle en avait marre d’avoir sa Nanny sur le dos et, pire que tout à ses yeux, elle n’avait pas eu un seul rendez-vous galant depuis son retour. Elle qui s’était imaginée rencontrer un charmant jeune homme durant l’une des interminables soirées mondaines auxquels ses parents l’emmenaient presque tous les soirs depuis le retour des vacances. Mais rien, personne, nada. Et ça, pour l’adolescente encore très fleur bleue, c’était probablement le pire de tout. Et c'était encore pire maintenant qu'elle se tenait face à Lexie qui, elle, était déjà fiancée !