Lucretia avait d'abord été sceptique en découvrant l'invitation au manoir des Téméraires. Déjà, elle n'avait jamais entendu parler de cette invitation, ensuite, on semblait accepter n'importe qui à cette soirée, ce qui n'était pas pour lui plaire (elle était habituée à côtoyer le gratin du gratin et voilà tout), enfin, il y avait quelque chose de très gamin dans ce prospectus. Comment croire qu'on allait bien les confronter à leur plus grande peur. Alors, quelque part, Lucretia était effectivement curieuse, elle se demandait ce qui pourrait bien attendre les participants à cette soirée. Mais est-ce que ça allait suffire à la convaincre ? De base non, mais après avoir eu vent de certaines rumeurs, qui voulaient notamment que le ministre de la Magie en personne assiste aux festivités, elle finit par se dire que la soirée ne serait pas forcément si inintéressantes que ça. Ça pouvait valoir le déplacement. Beaucoup de gens influents devraient être de la partie, et il n'en avait pas fallu davantage à Lucretia pour vouloir rejoindre finalement les festivités. Il lui fallut un peu plus de temps, par contre, pour réussir à convaincre son époux. Elle savait qu'Ignatius courait moins après ce genre d'événements qu'elle. Après avoir tout de même parvenu à le persuader, elle avait donc même fini par s'impatienter à l'idée de se rendre dans cette soirée. Elle aimait voir du monde, elle aimait s'amuser, elle aimait se faire voir. Alors c'était bel et bien son intention.

Elle s'était donc parée de ses plus beaux atours. Elle ne savait pas vraiment si c'était nécessaire, aucun dress-code n'était indiqué, mais Lucretia prenait toujours le plus grand soin de son apparence. Et si elle devait dénoter parce que trop élégante, alors elle serait bien contente. Elle n'avait aucun problème avec le fait de se faire remarquer. Au contraire. Elle détestait vraiment passer inaperçue, c'était même sa pire hantise. Alors elle s'était vêtue de sa robe la plus élégante, de ses bijoux les plus clinquantes, et elle était fin prête.

Sur place, elle ne sut pas trop si elle devait être déçue ou non, en vérité. Les lieux étaient assez luxueux, mais la décoration... elle n'avait rien d'exceptionnel. Mais bon, il y avait de la musique, des petits fours et du champagne. Une piste de danse à peine investie encore, également. Ce fut dans cette direction que son regard se dirigea. Quitte à se laisser remarquer. Elle tourna son regard en direction de son mari, lui adressa un sourire qu'elle voulut suffisamment éloquent pour qu'il comprenne immédiatement.

-Cette piste de danse manque cruellement d'animation, observa-t-elle alors d'un ton mutin. Que dirais-tu d'y remédier ?

Elle n'attendit pas son opinion. Elle l'entraîna immédiatement sur la piste de danse.

L'objectif réel de cette soirée n'est pas entièrement clair à mes yeux. Je sais, grâce à mon espion toujours bien informé, qu'il est ici question d'un leurre pour attirer le plus de monde possible au même endroit afin de provoquer une esclandre, mais cela ne m'aide pas vraiment à comprendre la fin exacte de tout cela. C'est trop... gros, et la foule des invités trop hétéroclite pour que l'ambition de mon ennemi soit réellement claire. Certes, j'ai appris que le ministère de la Magie en personne serait sans doute présent, mais cela ne m'aide pas vraiment à me faire une idée exacte de ce qui va se passer. Les risques de fuite sont trop nombreux, même avec des issues verrouillées, il y a des Aurors présents sur les lieux, et cette soirée mondaine ressemblerait presque à un banal goûter d'anniversaire. Force m'est de l'avouer, la logique intrinsèque de tout cela m'échappe. Mais peut-être est-ce que j'accorde encore trop de crédit à cet arriviste de Tom Jedusor. Pourtant, à force, je ne devrais plus me faire la moindre illusion à son sujet. Je l'imagine pourtant plus intelligent que tout cela (quitte à avoir un ennemi, autant qu'il ait du panache), raison pour laquelle j'ai définitivement le sentiment de passer à côté de quelque chose, et cela me déplaît profondément.

Cette soirée n'a rien à voir avec celles dont j'ai, d'ordinaire, l'habitude. J'ai vraiment le sentiment de détonner, avec mon costume sur mesure, mes allures distinguées et ma prestance habituelle (oui, je me tiens en très haute estime, et alors ?). Il y a bien quelques personnes de notre rang, mais ce mélange diffus de castes sociales en tout genre me déplaît assez, tout autant que la décoration désuète des lieux, qui me donne le sentiment de me retrouver à une soirée comme saurait en organiser un moldu incapable, sans la moindre connaissance du monde de la magie et du sens réel de tout ce qu'ils prennent pour des symboles. Je sais bien que la soirée ira crescendo, mais pour le moment, je suis assez circonspect. Si le but est de faire peur, j'ai plutôt envie d'éclater de rire. Lucretia me tire de mes pensées, m'entraîne sur la piste de danse. Une excellente idée s'il en est. Essayons de nous distraire comme nous le pouvons.

-Cette soirée bas-de-gamme n'a vraiment rien pour elle. J'espère au moins qu'il aura fait un minimum d'efforts pour la suite, dis-je tout en menant la danse, mon épouse à mon bras, mon regard ancré dans le sien. Il me déçoit vraiment. Cette mascarade m'épuise d'avance.

Ce n'est qu'un début, je le sais bien, mais la haine que j'éprouve à l'égard de Tom Jedusor ne fait pas de moi quelqu'un de particulièrement objectif. Et je ne risque pas de me réjouir de ses progrès, comme je pointerai toujours du doigt ses échecs.

La danse procédait de la séduction. Lucretia avait toujours adoré danser. Elle avait reçu des cours d'un professeur privé lors de sa prime enfance, et c'était sans aucun doute le seul cours qu'un précepteur lui ait imposé auquel elle ait participé avec le plus grand plaisir. Elle avait rapidement excellé dans cette exercice, et elle considérait que l'on ne connaissait jamais mieux quelqu'un que par la danse, c'était d'ailleurs aux termes de quelques valses qu'elle avait compris qu'Ignatius ne serait pas pour elle uniquement l'homme qu'on lui avait imposé pour mari, mais l'homme dont elle tombait sûrement amoureuse, et dont elle retomberait amoureuse à chaque valse. Ça avait fonctionné à la perfection, et elle reconnaissait que ça fonctionnait encore, alors qu'elle se laissait guider sur la piste de danse par son homme sûr et droit, qui irradiait par son habituelle élégance, une élégance qui détonnait clairement avec le spectacle qu'offrait cette soirée. Lucretia était entièrement d'accord avec son époux, cette soirée pour le moment ne tenait aucune de ses promesses, et même si elle prétendait être déçue, elle s'en réjouissait surtout, c'était bien la preuve que le jeune Tom Jedusor n'était pas à la hauteur. Mais ils n'étaient pas encore au bout de leurs peines. Et le couple Prewett, comme bien souvent, jugeait bien trop vite en besogne.

-Cette soirée bas-de-gamme n'a vraiment rien pour elle. J'espère au moins qu'il aura fait un minimum d'efforts pour la suite. Il me déçoit vraiment. Cette mascarade m'épuise d'avance.

Elle hocha la tête pour montrer son approbation. Elle était bien sûr d'accord avec ce qu'il avançait, pas seulement par complaisance mais parce que son opinion rejoignait effectivement la sienne. Il fallait voir ce que la suite leur réservait, mais pour le moment, ça ne pouvait pas détromper le couple Prewett sur tout ce dont ils accusaient Lord Voldemort : le jeune âge, l'absence totale d'expérience, l'orgueil démesuré qui finirait par lui coûter cher. Tant pis pour lui et tant mieux pour eux, au passage. Si cette soirée était le fiasco qu'ils présageaient, ils y auraient tout gagné, l'un comme l'autre.

-Attendons de voir, répondit-elle simplement, mais je doute que tu aies tort. Il avait bien souvent tendance à avoir raison, en même temps. Et puisqu'elle l'approuvait bien souvent, elle aussi, par voie de conséquence.

Elle n'ajouta pas un moment tandis qu'elle se laissait porter par le rythme de la musique. Au moins le groupe engagé ne jouait pas trop mal. Mais il cessa en plein morceau quand un premier cri retentit, puis un deuxième.

-Ça commence enfin, constata-t-elle avant d'attraper la main de son époux afin de l'éloigner de la piste de danse, il valait mieux trouver un lieu de repli pour observer la suite à distance.

J’ai bien envie de rétorquer à ma chère et tendre que j’ai toujours raison, mais je ne pense pas que ce soit nécessaire. La jeune femme sait très bien que je suis sûr de moi et que – sans vouloir me vanter mais un peu quand même –, j’ai le nez creux. Nous n’avons rien à faire pour le moment sinon danser, danser et attendre. Je dois reconnaître quand un premier cri retentit enfin, accompagné du fracas du verre que l’on brise, avec une violence véritable. Enfin, il se passe quelque chose. Il m’en faudra plus pour me surprendre, bien évidemment, mais au moins, il va y avoir un peu d’action. J’ai bien envie d’aller voir de plus près ce qui se passe exactement, mais il n’est pas question de prendre des risques qui ne soient pas infiniment nécessaires, mieux vaut donc se replier si cela est possible et de savourer ce spectacle sans rien dire, à distance. Agir, pourquoi pas, mais pour le moment, ça n’a pas vraiment de nécessité, alors ça peut très bien attendre. Je me laisse donc entraîner par la main par mon épouse et nous cherchons ensemble un endroit où se replier sans pour autant perdre une miette du spectacle. Nous trouvons notre compte sur un petit balconnet un peu en hauteur, qui a le mérite de nous donner une vue imprenable sur les événements en contrebas. Je doute fort que cette planque improvisée nous serve sur la très longue durée, mais nous serons nous en contenter tant que nécessaire, et elle ne me semble pas si mal trouvée.

Profitant d’une vue d’ensemble, je me concentre sur ce que je découvre alors en contrebas : des créatures immenses et terrifiantes, des débuts d’incendie, des corps ensanglantés. Au début, tout ceci ne semble avoir ni queue ni tête, c’est quand je vois certaines apparitions changer de forme que je comprends que certaines choses m’ont échappée, et que tout ceci n’est qu’en partie réel. D’accord, je crois que je commence à voir où le gosse a voulu en venir. Au moins il aura tenu une de ses promesses, je crois bien que certaines des personnes présentes sont effectivement en train de vivre la pire terreur de leur vie.

-Des épouvantards…, malin, suis-je contraint de reconnaître.

Bon, pour l’instant, ce ressemble à une bonne blague de derrière les fagots plus qu’à la marque d’un véritable danger, mais je doute fort que le spectacle soit fini. Non, ce à quoi nous assistons là n’est qu’un petit amuse-bouche. Le plus intéressant n’est pas encore advenu. Mais je pense qu’il ne va vraiment pas être pour nous déplaire, en fin de compte. Des épouvantards, donc… Et tout cela ressemble fort à une diversion. Une diversion à quoi, précisément ? J’attends de voir.

L'action était si confuse qu'il n'était pas simple, loin de là, de comprendre ce qui se passait exactement, d'autant que depuis leur coin de repli, ils n'avaient pas une vue optimale sur la scène, mais cela suffit malgré tout à Lucretia pour se faire une idée assez précise de ce qui était en train de se passer, à présent. Des formes monstrueuses et cauchemardesques apparaissaient et disparaissaient au gré de leurs observateurs. Certaines visions étaient effrayantes, même pour elle, d'autres ne lui inspiraient rien. C'était beaucoup trop personnel, mais c'était efficace. N'importe qui fait pâle figure quand on le confronte à sa plus grande peur. Et c'était le cas. Les épouvantards, ce n'était pas une mauvaise idée. La jeune femme devait bien le concéder à Tom Jedusor, même si elle n'avait pas la moindre envie de lui reconnaître le moindre talent, mais en même temps, cette intrusion tenait bel et bien sa promesse, pour le coup. eux qui étaient jetés dans la mêlée étaient bel et bien en train d'affronter leurs peurs les plus terribles, leurs angoisses les plus profondes.

-Des épouvantards…, malin.

Lucretia répondit seulement par un fin sourire. Elle se sentait rassurée, que son époux pense la même chose qu'elle, mais ça ne devait pas forcément la surprendre, parce qu'ils étaient toujours sur la même longueur d'ondes dans tous les cas, même si c'était pour reconnaître le fait que leur ennemi commun marquait des points, réellement. Elle se contenta d'observer la suite des événements sans mot dire, et après plusieurs longues minutes, les épouvantards furent tous anéantis les uns après les autres. C'étaient des ennemis en carton, des ennemis de paille, il n'était pas si difficile que ça de s'en débarrasser, ce qui laissait penser à Lucretia que les festivités ne faisaient que commencer.

Et en effet, le calme après la tempête ne fut que de courte durée, et la tempête qui lui succéda fut plus violente encore que la précédente. Ce fut un cri, un cri puissant et désespéré, qui les alerta. Et bientôt, ils apprirent que le ministre de la Magie avait été assassiné. C'était presque trop beau pour être vrai, en fin de compte, son plan réussissait parfaitement bien. Trop bien même. Ce qui ne plaisait pas le moins du monde à Lucretia. Les sorts commençaient à fuser en tout sens, il était temps de prendre un parti. Peu importe lequel. Lucretia tira sa baguette de sa poche.

-Dans la confusion, personne ne nous en voudra de malmener un ou deux mangemorts, tu ne crois pas ? demanda-t-elle avec un sourire.

Les épouvantards n'étaient qu'un amuse-bouche. C'était prévisible, cela se confirmait. Ce pouvait ressembler à une petite farce innocente, mais en fait, c'était bien vu. Les mangemorts étaient au courant de l'intervention des épouvantards, ils pouvaient donc s'en protéger sans difficulté. Et quand l'ennemi s'affaiblissait psychologiquement, mentalement (ce qui était bien pire que de s'épuiser physiquement), eux rassemblaient leurs forces pour frapper dur et frapper fort. Je détestais accorder des points à mon rival, mais je devais reconnaître qu'il avait très bien géré son coup. La sinistre farce pourrait bien être fatale, même à des Aurors bien entraînés. J'en ai vus d'ailleurs qui n'en menaient pas large du tout, à deux ou trois endroits. Il était donc logique que les hostilités, les vraies, celles qui ne se cachent pas, ne tardent pas à pointer le bout de leur nez. Il y eut un premier indice, significatif. Un cri qui transperça le silence, et une rumeur qui enfla, enfla, jusqu'à parvenir finalement à leurs oreilles. Le ministre de la Magie avait été assassiné. Oh le petit con... Désolé pour le langage, mais pour le coup, je reconnais qu'il me fatiguai, à marquer autant de points. Dans des moments comme celui-là, j'étais quand même contraint de reconnaître que je n'avais pas du tout affaire à n'importe qui. La concurrence était rude. Mais je l'emporterai quand même. Puisque je l'ai décidé ainsi. Les lumières s'éteignirent alors toutes d'un coup, et la seule source de lumière qu'on distingua bientôt, c'était les jets qui s'échappaient des baguettes, de mangemorts pour la plupart, mais les ripostes n'allaient pas tarder. Je sortais ma baguette de ma poche, c'était le plus prudent.

Oh, la douce voix de Lucretia à mon oreille quand elle me suggéra une proposition qui était presque aussi séduisante qu'elle (mais rien ni personne n'était plus séduisant qu'elle) ! Si je devais vraiment chercher des raisons de l'adorer, chaque jour passé avec elle m'en donnerait une nouvelle. Effectivement, la confusion et l'obscurité jouaient complètement en notre faveur. Si l'on pouvait se débarrasser d'un ou deux de nos rivaux, pourquoi passer à côté de l'opportunité. Difficile de distinguer les mangemorts des autres dans le noir total, mais un sort perdu ne me donnera pas forcément de scrupules pour autant. J'ai aussi sorti ma baguette de ma poche, je n'avais pas l'intention de demeurer statique. J'ai bien envie d'entrer dans le feu de l'action. Ce n'était pas le plus drôle, d'être spectateur, pas du tout.

-Tu as toujours les meilleures idées, mon cœur, je répondis dans un sourire.

Et je n'attendis pas davantage pour me lancer dans l'action, lançant des sortilèges du côté où ceux-ci fusaient.

-Tu as toujours les meilleures idées, mon cœur.

Elle le savait, ou du moins n'avait-elle pas besoin de l'aval de son époux pour se faire une très haute et sûre idée de son intellect, qu'elle était loin de tenir et regrettable estime. Lucretia avait conscience de ce qu'elle valait. De tout temps, ça avait été, invariablement, sa force. Elle connaissait sa valeur et elle ne se laissait pas démonter par ce qu'on pourrait lui dire de négatif. Malgré tout, c'était une chose (et pas des moindres, je le concède) que de s'estimer beaucoup, c'en était une autre que d'accepter les compliments d'un homme qu'elle trouvait en tous points parfait, et qui avaient par conséquent bien plus de valeur que s'ils venaient d'un type lambda cherchant seulement à l'amadouer. Ses idées n'étaient jamais mauvaises, elle était bien d'accord là-dessus et s'arrogeait le droit de le penser sans attendre après l'opinion de qui que ce soit. Mais quand même. Le vrai bonheur résidait malgré tout dans le fait d'être estimé à sa juste valeur par quelqu'un que l'on estimait tout autant.

Ignatius ne mit pas longtemps avant de joindre le geste à la parole et de se jeter à corps perdu dans la mêlée, et Lucretia suivit avec une satisfaction malsaine. Dans l'obscurité, les ennemis étaient des ombres. C'était un défi, un pari risqué, mais la jeune femme n'était pas découragée par cela. Bien au contraire, elle était au-delà de motivée, bien décidée à livrer bataille et à faire couler le sang, mais pas par souci de justice. Quoique... un peu quand même. Nul ne leur reprocherait, dans la confusion, d'abattre un ou deux mangemorts qui attentaient à la vie d'innocents, et cela ferait toujours ça de moins sous l'égide du petit adolescent mégalomane qui avait eu le culot infini de prendre le surnom de Lord Voldemort (plus pompeux, tu meurs). Elle était particulièrement satisfaite de la situation, l'adrénaline à son comble ne la rendait plus très consciente du danger. Les sorts s'enchaînaient, et elle rendait coup pour coup. Elle avait appris les rudiments du combat sur le tard, grâce à l'aide précieuse d'Ignatius, mais elle avait rapidement rattrapé son retard. Nul ne saurait contester à présent qu'elle était tout sauf une combattante de seconde zone. Ce qui n'empêchait pas forcément certaines maladresses.

Elle ne vit pas le coup venir, et un sort entailla profondément sa jambe. Sous l'effet de la surprise et de la douleur, elle tomba à genou. Note à elle-même. L'adrénaline c'était bien, la prudence restait préférable.

Je ne suis pas forcément de nature à me jeter dans la mêlée, je préfère organiser, planifier, et laisser les autres agir pour moi. Mais il y a des occasions au cours desquelles il n'est pas désagréable de pallier à ses habitudes, celle-ci en fait partie. De toute manière, je préfère largement me lancer dans un combat acharné contre mes ennemis de toujours plutôt que de devoir supporter encore un peu cette mise en scène qui m'épuise, bien que je sois convaincu que cette soirée sera largement profitable aux intérêts de mon rival, chose qui est bien loin de me satisfaire, bien au contraire. Je dois bien avouer que quand le combat est engagé, je me laisse prendre au jeu. Je prends soin de m'attaquer en priorité aux hommes masqués, bref à l'ennemi déclaré, à ceux que l'on ne me reprochera pas d'avoir combattu, des concurrents dont je ne serais pas mécontent de me débarrasser dans tous les cas. Mais quoi qu'il en soit, il est difficile d'avoir une idée concrète d'à qui l'on s'attaque. Le combat est assez rapide, les sorts s'enchaînent à une vitesse vraiment folle, et je finis par riposter plus qu'attaquer.

Régulièrement, je jette des regards en biais en direction de Lucretia, pour m'assurer que les choses se passent bien de son côté, mais je n'interviens pas dans son propre combat. Lucretia sait très bien combattre, je gage même qu'elle le sait mieux que moi. Elle n'a pas besoin d'être couvée ou défendue, et de toute façon, je sais qu'elle détesterait ça. Je veux juste m'assurer que rien ne lui arrive, pas parce que je n'ai pas confiance en elle mais parce que les sorts fusent de partout, et c'est une prudence nécessaire. Nous avons décidé d'intervenir pour nous divertir, hors de question que nous souffrions dans le processus, nos vies sont trop précieuses pour les gâcher inutilement au regard de notre rival.

Et au terme d'un mes regards jetés dans sa direction, je constate qu'elle est à terre, les genoux au sol. Je sens un violent frisson me traverser l'échine. Non. Je refuse. Non. Je ne veux pas. Je me penche vers elle et utilise un protego pour nous maintenir à l'abri tous les deux tandis que j'inspecte sa blessure. Sa jambe a été profondément entaillée. Avec douceur, je m'empare de sa baguette afin de ne pas rompre le sort de protection et je m'en sers pour lui appliquer un sortilège de guérison qui referme peu à peu la plaie.

-Ça va aller ? je lui souffle doucement à l'oreille.

Elle n'a qu'un mot à dire et nous nous replions. Nous ne sommes pas ici pour risquer nos vies, elles sont bien trop précieuses pour cela.

Prudence est mère de sûreté, c'est ce qu'on dit, mais Lucretia n'avait jamais voulu tirer les enseignements de ce bon vieux proverbe, elle avait même pris beaucoup de soin à s'en distancier. En même temps, Lucretia n'avait jamais été prudente, pas plus qu'elle ne souhaitait être mère. S'il lui était donné de choisir, elle préférait profiter de la vie dans toute son intensité sans se poser plus de questions que ça, parce que c'était comme ça que l'on avançait, pas en faisant des petits pas précieux les uns après les autres en espérant que ça finisse par passer, mais en se jetant dans la mêlée avec foi et vigueur. Pas sûr d'en ressortir indemne, mais après tout, c'est plutôt accessoire, ça, enfin de compte. L'essentiel est de vivre et encore plus de savoir vivre. Mais quand même, Lucretia n'avait pas envie de mourir trop vite non plus, il s'agirait de ne pas abuser quand même. Et là, elle devait bien avouer qu'elle avait eu peur, vraiment peur... Parce qu'il aurait fallu d'un sort plus violent pour qu'il en soit fini d'elle. La plaie dans sa jambe était profonde, l'empêchait de se relever, et le sang était en train de tacher le bas de sa robe.

Heureusement, son mari vint à la rescousse, se précipita sur elle. Elle les enveloppa d'un sortilège de protection qui faisait ricocher les sortilèges autour d'eux, il n'interrompit le sortilège à un moment bref que pour empêcher le sang de s'écouler encore plus. Il ne fallut pas longtemps pour que la blessure se referme, et elle se sentait largement mieux, à présent.

-Ça va aller ?

Elle hocha fermement la tête en le regardant droit dans les yeux quand il lui demanda si ça allait aller. Oui, ça allait aller, en effet, elle se sentait mieux, et sa soif de sang n'avait pas encore été assouvie. Elle avait très envie de se venger pour le tort qu'on lui avait causé. Quand elle se redressa, ce fut avec l'intention d'en découdre, d'ailleurs. Mais elle n'eut pas le temps, juste quelques sortilèges lancés au hasard, puis on entendait des craquements dignes de tout bon transplanage. Les sorts fusèrent... les Aurors étaient en place... Rester devenait par conséquent beaucoup trop risqué.

-On ferait bien d'y aller, mon cœur, observa-t-elle alors en adressant à son homme un regard complice. Après quoi elle attrapa son bras et l'invita à transplaner loin du manoir des Téméraires.

Le reste ne leur appartenait plus, à présent.