L

es toilettes du deuxième étage, surnommées toilettes de Mimi Geignarde pour une bonne raison, étaient un lieu que les jeunes filles de Poudlard avaient appris à éviter le plus possible, pour ne pas être importunées pour le fantôme qui traînait dans le coin, et était particulièrement désagréable (ça, c'est sûr, Myrtle McGrow n'avait absolument pas volé son surnom, loin s'en faut), mais Luna n'appartenait pas à cette catégorie de personnes. Quand l'envie lui prenait, elle allait dans les toilettes qui étaient le plus proches, sans se soucier de savoir si elles étaient hantées ou non. La présence de Mimi Geignarde ne la dérangeait pas. Certes, elle n'était jamais agréable et conciliante avec elle (comme avec tout le monde) lorsque leurs chemins se croisaient, à toutes les deux, mais Luna faisait abstraction. La bleue et bronze, après tout, était habituée aux quolibets et aux mauvais traitements. Et à dire vrai, la jeune femme éprouvait une certaine compassion pour la jeune fille, au vu de son histoire, cette histoire que Luna trouvait aussi terrible que troublante. Personne ne mériterait de vivre ça, de mourir ainsi. Elle était si jeune. Son départ avait été si cruel, injuste et brutal... elle ne pouvait pas lui en vouloir de se lamenter sur son sort ou d'être constamment en colère. Elle ne le lui reprocherait jamais, en tout cas. Alors oui, elle se trouvait dans les toilettes des filles du deuxième étage, qu'elle trouvait d'autant moins désagréables qu'elles étaient désertes. Du moins, elles l'étaient jusqu'à ce que, en train de se laver les mains, elle voit débouler dans la pièce une jeune fille à la chevelure aussi blonde que la sienne, les yeux aussi bleus et ronds que les siens, la silhouette aussi fine que la sienne. En bref, une jeune fille qui lui ressemblait beaucoup, et qui lui laissait une impression étrangement familière, sans qu'elle soit réellement à même de comprendre pourquoi. Elle s'excusa sans raison, surprise, affirma qu'elle pensait qu'elle était seule.

-Ce n'est rien, répondit Luna d'un ton calme et détendu, qui en effet, le pensait. Elle ne voyait pas en quoi il lui était nécessaire de s'excuser. Cet espace était à tout le monde, après tout.

Luna pensa qu'elles cesseraient là, mais ce ne fut pas le cas. La jeune femme l'interrogea sur son compte. Aulne Quibber... elle n'aimait pas qu'on l'appelle ainsi, surtout que ce faux nom paraissait de moins en moins utile à mesure que le temps passait et que de nombreuses personnes, dans les deux camps, connaissaient leur véritable identité. Mais il fallait encore faire illusion auprès de certains, aussi se força-t-elle à hocher la tête, espérant que son interlocutrice s'arrêterait là dans ses questionnements. Elle n'aimait décidément pas mentir.

-Oui, c'est ça, c'est bien moi. Elle marqua une pause, ne tardant pas à retourner la question à son interlocutrice, par curiosité mais aussi pour éviter que l'attention ne se concentre trop longtemps sur elle. C'était sûrement peine perdue. Et toi, tu t'appelles comment ?

Luna constatait n'avoir jamais vu cette jeune fille depuis deux ans qu'elle était dans cette époque.

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C

assiopée Lowell... Un nom qui était bien loin d'être inconnu à Luna... Cassiopée Lowell. Elle n'avait jamais eu l'occasion de la connaître directement, sa grand-mère maternelle était décédée peu de temps après sa naissance, et sa mère lui en avait beaucoup parlé, lui avait affirmé qu'elle avait hérité de ses grands yeux d'un bleu électrique, globuleux, susceptibles de sonder les autres. Cassiopée Lowell la rêveuse, Cassiopée Lowell l'écrivain. Luna l'avait beaucoup imaginé, s'inspirant des quelques clichés que Mrs Lovegood (avant de partir à son tour) avait conservés d'elle (sur lesquels elle était bien plus âgée, bien évidemment, mais elle se ressemblait toujours)... et elle l'avait sous ses yeux. Luna pensait que sa grand-mère avait fait toutes ses études en Amérique, elle ignorait qu'elle avait rejoint Poudlard en cours de scolarité. Luna, ébahie par la découverte de cette ancêtre qu'elle n'avait par conséquent pas imaginé croiser, elle la fixa longuement sans rien dire, un grand sourire aux lèvres. C'était une occasion incroyable, elle en revenait à peine. Si bien qu'elle oublia de s'inquiéter des propos de sa camarade, qui lui assurait venir de Salem et ne l'avoir jamais rencontrée là-bas.

Ce secret déjà découvert par d'autres, Luna avait bien envie de le lui révéler sur-le-champ, mais elle savait bien que ce n'était pas une bonne idée, encore moins concernant son interlocutrice. Elle savait les effets que pouvaient faire de telles révélations, elle avait pu les observer chez Rhian et Louisa, et elle l'avait déploré. Elle ne pouvait rien dire, donc, mais elle ne pouvait pas vraiment se justifier non plus. Rien ne justifiait le fait qu'elles aient pu être tout ce temps dans la même école et ne s'être jamais croisé. Ça ne paraissait pas avoir le moindre sens, aucun sens du tout. Luna savait trouver du sens où l'on en verrait pas forcément, mais en l'occurrence, ça ne suffirait peut-être pas elle devait bien l'admettre. À vrai dire, elle avait bien envie de balayer d'un revers de manche les interrogations de son interlocutrice pour simplement profiter de cette occasion qu'elle ne pensait plus avoir depuis longtemps : être en présence d'un membre de sa famille. Et pas n'importe lequel, cette femme qu'elle avait admirée sans la connaître, comme une résurrection. Pas seulement celle de Cassiopée... de sa mère, aussi. Car il y avait clairement quelque chose de Pandora Lovegood dans cette épaisse chevelure blonde et dans ses grands yeux bleus.

-Oui c'est bizarre, reconnut finalement Luna d'un ton distrait, qui ne se sentait pas mise au pied du mur, qui se fichait bien, à vrai dire, de l'école américaine et de la vie qu'elle n'y avait jamais menée. Elle avait tant de questions à poser à Cassiopée ! Tu es arrivée à Poudlard quand ? Pourquoi tu as déménagé ?

Elle ne devrait pas poser autant de questions. Il est sûr qu'elle ne le devrait pas, parce que les questions risqueraient fort de lui tomber dessus comme cela. Mais elle ne parvenait pas à raisonner de manière si pragmatique. Surtout pas.

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L

na buvait les paroles de Cassiopée. S'il était un peu étrange de la trouver à cet âge, que leur premier échange se déroule de cette manière, elle était malgré tout heureuse de pouvoir avoir sa première vraie conversation avec sa grand-mère, même si pour l'occasion elle devait se faire passer pour une autre. Oui, sa mère lui avait parlé de sa propre génitrice, c'est vrai, mais ce n'était pas pareil quand même que d'avoir directement les impressions de jeunesse de cette jeune femme qui n'imaginait pas l'importance qu'elle avait pris pour elle... en quelques mots. Luna mourrait d'envie de le lui dire, mais l'expérience de Louisa et Rhian suffisaient très largement à lui faire comprendre que ce serait une très très mauvaise idée. Une information qui pouvait sembler ne pas avoir d'intérêt à d'autres en avait donc pour Luna, qui avait très envie d'en savoir plus sur les parents de Cassiopée, sur la vie qu'elle et sa famille avaient menée aux États-Unis, sur le travail des parents de Cassiopée, sur tout ce qu'elle pourrait lui dire, en réalité, même si son insistance et sa curiosité devaient paraître malvenues. Ce n'était pas comme si Luna était de nature à toujours faire preuve de tact quand elle le voulait. La voyageuse temporelle, distraitement, hocha la tête pour répondre à la question de Cassiopée, celle à qui elle devrait ne pas parler si longuement... mais elle n'arrivait pas à s'en empêcher.

-Oui, on voulait voyager, répondit-elle en restant aussi évasive que possible. Elle ne pouvait pas rentrer dans les détails.

Elle pourrait, bien sûr, se servir dans les détails façonnés avec les ans (même en mentant peu, cela faisait longtemps qu'elle avait dû façonner et développer son histoire, même si ce n'était pas très agréable), mais elle ne voulait pas du tout mentir à son interlocutrice. C'est sûr, elle n'avait pas le choix, mais le moins possible serait l'idéal à ses yeux. Elle n'en voulait pas à Cassiopée d'être curieuse, d'autant que ça l'autorisait à l'être aussi (et que c'était un trait de caractère qu'elles partageaient manifestement bien toutes les deux), mais elle ne voulait pas en dire trop. Elle voulait d'autant moins en dire quelque chose que si elle ne craignait pas d'être trahie auprès d'autres, elle savait que Cassiopée avait toutes les raisons du monde de ne pas la croire. Et par ailleurs, elle devinait sa défiance. Sa curiosité ne venait pas de nulle part.

-Tes parents font quoi, dans la vie ? demanda-t-elle alors ensuite, qui poursuivait de se montrer indiscrète. D'une incompréhensible indiscrétion, même. D'un autre côté, on avait toujours tendance à la trouver incompréhensible quoi qu'elle fasse. Alors...

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U

n sourire rêveur se déposa sur les lèvres de Luna quand son interlocutrice lui avait appris quel était le métier de ses arrières-grands-parents. Elle n'avait pas la moindre difficulté à s'imaginer cette boutique : une boutique à l'intention des moldus qui leur donnait un avant-goût de la magie à laquelle ils ne pouvaient pas accéder. Elle aimait cette idée, c'était une tentative d'ouverture, de collaboration entre ceux qui avaient des pouvoirs magiques et ceux qui n'en avaient pas le moindre. C'était des vendeurs de rêves, les grands-parents Lowell, comme son père l'était aussi, quelque part. C'était une perspective qui plaisait bien à Luna. La bleue et bronze n'avait qu'à fermer les yeux pour s'imaginer dans les rayonnages exceptionnels d'un magasin qu'elle imaginait merveilleux. Elle imaginait aussi la quotidienne clientèle de ces lieux. Elle aimerait se balader parmi eux, les rencontrer, bavarder un peu, découvrir leurs impressions. Elle aimait ce qu'elle découvrait de sa famille, et elle ne pouvait pas s'empêcher de tout fantasmer à ce sujet. Elle rêvait sans doute trop la réalité, mais ça lui était égal. Luna voulut partager ses commentaires avec Cassiopée, mais cette dernière lui relança la balle une fois encore. Il devenait de plus en plus évident qu'elle cherchait à comprendre qui elle était et d'où elle venait. Ce genre d'interrogatoires, elle en avait déjà connus, mais elle était moins dupe et naïve qu'à cette époque spécifique.

-Ils sont journalistes, répondit-elle toujours d'un ton aussi évasif que possible. Ce n'était pas totalement faux en soi, son père était bien journaliste dans son époque, et ça pouvait justifier qu'ils aillent ailleurs. Mais au final, son mensonge lui importait peu, pas plus que le fait qu'il soit cohérent ou non. Certes, elle savait qu'elle devait faire illusion, qu'elle ne devait pas trahir son secret, et elle n'en avait pas l'intention, mais sachant qu'elle était dors et déjà suspecte, ça ne la dérangeait pas tant que ça de se trahir encore un peu. Ce n'était pas pour autant qu'elle dirait quoi que ce soit. Je vivais dans le Missouri, répondit-elle qui avait choisi le premier État américain qui lui soit venu à l'esprit, pour une raison bien spécifique. Le repère des Horglups. Elle marqua une légère pause avant d'ajouter, plus énigmatique que jamais, ce qui n'était pas peu dire la concernant : J'aurais bien aimé qu'on soit voisines, toutes les deux.

C'était sincère même si pour Cassie cela viendrait sans doute de nulle part étant donné qu'elles venaient seulement de faire connaissance toutes les deux, et qu'il n'y avait donc pas la moindre raison qu'elle se sente attachée à elle pour une raison ou pour une autre. C'était pourtant le cas. Elle avait retrouvé une famille après deux ans sans la moindre trace d'elle. Ça lui faisait du bien.

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L

una ne fut pas réellement surprise que son interlocutrice n'ait jamais entendu parler des horglups. C'était des créatures que la bleue et bronze affectionnait beaucoup, mais elle savait pertinemment qu'elles n'étaient pas très connues (même si existentes, celles-ci - quand bien même Luna avait tendance à croire, à tort, que l'existence des joncheruines pouvait scientifiquement se prouver et donc être admise). Ce n'était pas le genre de créatures sur lesquelles portaient les cours de soin aux créatures magiques... mais ça ne convenait que d'autant mieux à la jeune femme qui appréciait sans doute d'autant plus ces créatures qu'on avait tendance, injustement à l'ignorer. Luna, qui aurait été particulièrement ravie d'en apprendre davantage à son interlocutrice, n'aurait pas manqué de lui donner tous les détails qu'elle connaissait sur ces créatures exceptionnelles si elle en avait eu le temps. Mais Cassiopée avait tout de suite enchaîné... Il fallait donc croire que ce sujet spécifique ne l'intéressait pas tant que cela. Ce n'était pas bien important de toute façon. L'essentiel, c'était qu'elles puissent parler un peu toutes les deux...

Même si Cassiopée se montrait moins réfractaire aux interrogations qu'à la curiosité de Luna. En même temps, cette dernière devait bien reconnaître qu'elle n'avait pas été très subtile... En même temps, elle n'avait effectivement pas cherché à l'être le moins du monde. Elle s'était contentée d'exprimer ce qu'elle pensait, ni plus ni moins, sans forcément se soucier de ce que cette attitude aurait de suspecte. Ce n'était pas ça qui l'intéressait. Ce qui l'intéressait, c'était de réussir à créer un lien avec cette femme qu'elle n'aurait guère l'occasion de rencontrer dans le futur alors même qu'elle était sa chair et son sang... et si ressemblante avec sa mère, cette mère qui lui manquait à chaque instant et dont le souvenir de la mort continuait de la hanter sévèrement... En effet, logiquement, elle n'avait pas de raison d'espérer ainsi la moindre connivence avec une camarade qu'elle connaissait à peine, et avec qui elle avait sa première vraie discussion, qui n'était même pas forcément digne d'être qualifiée d'amicale, plutôt d'étrange et d'intrusive. Ceci dit, Luna ne se démonta pas. Elle se contenta de pencher doucement la tête sur le côté en affichant un doux sourire.

-J'en sais rien, répondit-elle d'un ton cristallin. Pour le coup elle se voyait bel et bien contrainte de mentir. Car en vérité, elle savait très bien pour quelles raisons elle aurait aimé pouvoir faire partie de son voisinage. Parce que je t'aime bien ? suggéra-t-elle ensuite avec sa franchise désarmante qui aurait sûrement de quoi décontenancer Cassiopée.

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